SPiRitus S'entRetient avec
Yasmine B.
[Yasmine B., serveuse et diseuse de poèmes au Club des Poètes à Paris. La nuit perchée sur sa branche, aligne sous le pseudonyme Ardente Patience des mots pour parler à quelqu'un ou tenter d'apaiser le monde]
SPiRitus : Vous souvenez-vous de votre première rencontre de lectrice avec la poésie de Saint-Pol-Roux ? Quel était le titre de l'oeuvre, du poème, etc. ? Connaissiez-vous déjà, avant cette première lecture, son nom, son histoire, sa légende ? Si oui, comment ?
Yasmine B. : Oui, je m'en souviens très bien, c'était au Club des Poètes, Marcelle Rosnay, la muse et épouse de Jean-Pierre Rosnay, fondateur du lieu en 1961 ("amis de la poésie, bonsoir !"), a dit "Les litanies de la mer" de Saint-Pol-Roux; ensuite sa famille m'a raconté comment de visite en Bretagne elle a découvert le Manoir de Coecilian, ainsi nommé après le fils de Saint-Pol-Roux sur cette terre du bout du monde, à Camaret, qui est devenue pour le poète bien que né à Marseille, sa terre d'élection et hélas... de malédiction quelques années plus tard alors que la main nazie épargnait peu sur son passage... On me dit qu'avec les cachets d'un livret d'opéra, peut-être intitulé Louise et attribué à Charpentier, Saint-Pol-Roux a offert à sa famille ce manoir émouvant de petitesse et délicatesse, figurant plus un château de poupées qu'un manoir sombre et imposant de châtelain. Je ne le connaissais donc pas avant d'avoir entendu ses poèmes.
SPiR. : Qu'avez-vous éprouvé au cours de cette lecture ?
Yasmine B. : Un éblouissement... Une voix s'élève gorgée d'oiseaux et vibrant du timbre enfantin de l'émerveillement me désignait la mer et ses bienfaits comme on vous révèle la première femme du monde, les noms secrets de l'aurore, les attributs discrets de son génie. Avec les yeux et la voix de la première fois, du premier né, du premier mouvement... le poète, en vis-à-vis du premier élément familier depuis le ventre des origines, accomplit un acte d'amour, par les inflexions pures comme modulées dans la rosée du premier regard sur le monde, il lui offre son poème.
SPiR. : A ce jour, qu'avez-vous lu de son oeuvre ? Quels sont les titres qui figurent dans votre bibliothèque personnelle ? Dans quelle édition, etc. ?
Yasmine B. : Aux éditions Rougerie : Les traditions de l'avenir, la Rose et les épines du chemin, Le trésor de l'homme, Vitesse. Aux éditions Seghers, collection "Poètes d'aujourd'hui" : Saint-Pol-Roux. Aux éditions Poésie/Gallimard : la Rose et les épines du chemin.
SPiR. : Quels sont, parmi ses ouvrages (parutions posthumes comprises), ceux que vous préférez ? Sauriez-vous dire pourquoi ?
Yasmine B. : Comme je ne lis pas la poésie d'une traite dans les livres, je découvre toujours de nouveaux poèmes de Saint-Pol-Roux en feuilletant plusieurs de ses ouvrages.
Un des poèmes que j'aime beaucoup est le poème "Pour dire aux funérailles des poètes" qui est un pur enchantement pour les sens, une consolation pour le deuil, une longue procession d'émerveillement qui réanime le coeur des beautés de la vie et qui confère à la mort un caractère presque fantaisiste, comme s'il s'agissait d'une facétie de dieu. La mort du poète est une renaissance de ses mots qui garderont vivante la chair de son amour parmi nous.
Un autre poème que j'aime beaucoup pour ses vertus cognitives extraordinaires est "Poesia" que je vous propose de lire en lien : http://franceweb.fr/poesie/poesia1.htm.
Et, parmi ceux que j'ai pu apprendre par coeur de Saint-Pol-Roux, il y a le magnifique "Ambition" émouvant de candeur lorsque Saint-Pol-Roux y révèle son ravissement de savoir que plus tard les petits enfants liront et apprendront à lire dans ses poèmes façonnés de langue d'ange, car nul autre que Saint-Pol-Roux n'a su mieux parler la langue des enfants, tout entier immergé durant la traversée que fut sa vie dans l'enfance du coeur, perpétuellement en étonnement devant le miracle renouvelé du monde.
SPiR. : Pouvez-vous citer, pour les visiteurs du blog, quelques vers ou lignes de votre volume préféré ?
Yasmine B. :
L'éloignement rapproche les amants dont les pages folles se font vite grandes comme des draps de lit.Sourire : clin de sexe.Plaisir : essaim de sourires.On sourit lorsque le coeur nous monte dans la bouche pour en soulever les coins.Vitesse : notre corps jaloux de l'esprit.Le mouvement n'est que la fièvre du repos.Le repos c'est la méditation de la vitesse.Il n'est qu'une vitesse : celle de soi-même.La vitesse est la visibilité hâtive du désir.L'enthousiasme est une vitesse sur place.Lumière : vitesse qui nous éclaire.La Tradition : la malle-arrière de la marche-avant.La solitude est une vitesse intérieure.
SPiR. : Quelle première oeuvre conseilleriez-vous à un jeune homme ou à une jeune fille qui voudrait découvrir Saint-Pol-Roux ?
Yasmine B. : La Rose et les épines du chemin.
SPiR. : Pouvez-vous nous raconter une anecdote personnelle, de lecture, de recherche, de chine, ou autre, où Saint-Pol-Roux joue un rôle important ?
Yasmine B. : Il ne m'en vient pas à l'esprit pour le moment, en revanche, je fus très émue de discuter, un été que j'étais à Camaret, dans la presqu'île de Crozon, avec une dame d'un certain âge qui me racontait, durant la guerre, le labeur de se rendre au ruisseau laver le linge dans l'eau glacée, les anecdotes sur le chemin pour aller se procurer du beurre, des oeufs, du lait, comment elle sabota les rails d'un chemin de fer, passant inaperçue devant les "boches" alors qu'elle poussait devant elle la poussette du premier de ses cinq petits. Je fus très émue car elle a connu Saint-Pol-Roux alors qu'elle était jeune fille, et le souvenir qu'elle en garde et qui était abondamment sinon unanimement partagé est que Saint-Pol-Roux le Magnifique était la gentillesse incarnée; elle le croisait à l'époque où les denrées de première nécessité devenaient de plus en plus rares; comment il échangeait du beurre contre du sucre, comment il portait la bonté sur chacun de ses traits.
Je me souviens aussi de cette légende qu'on lui attribue, à chaque veillée de Noël, Saint-Pol-Roux débarquait par la mer, déguisé en Père Noël, les bras chargés de cadeaux pour les enfants... et ce rôle lui va à merveille, lui plus qu'un autre ne pouvait tromper l'oeil aguerri des enfants, il était bien la magie de Noël incarnée.
Une autre anecdote qui me touche profondément est celle qui relate cette nuit-là où sa dévouée servante, Rose, s'est interposée entre lui et les balles des nazis... et y trouva la mort... ce jour-même, si je ne dis pas de bêtises, où sa fille Divine était elle-même livrée aux mains des violences de ces mêmes ombres d'hommes qui causèrent après avoir détruit une grande partie de son oeuvre la mort de chagrin de ce grand poète.
SPiR. : Comment définiriez-vous sa poésie ? Vous semble-t-elle "datée" ?
Yasmine B. : Pas du tout... elle est intemporelle, et épouse la forme parfaite de son coeur quand il chante ou bien danse. Sa poésie est délicate comme le sont chacun de ses sens, elle est baroque comme on n'omet rien de la trajectoire de l'insecte à l'étoile, comme on caresse doucement les scories du chaos. Sa poésie a tour à tour la voix d'une jeune fille, d'un jeune damoiseau, d'un esprit familier des oiseaux, d'une vieille âme baignée dans l'eau de vie éternelle. Saint-Pol-Roux c'est un verbe lumineux et des notes ciselées dans le parfum des grands jours du grand vent et des brises printanières. La poésie de Saint-Pol-Roux est un visage de l'Amour.
SPiR. : Pensez-vous que son oeuvre a pu influencer certains des mouvements du XXe siècle poétique ? Lesquels ? Dans quelle mesure ?
Yasmine B. : Pour ce que j'en sais Saint-Pol-Roux était considéré comme un symboliste, pour ma part je ne saurais le cantonner à une catégorie de poésie, son coeur trop candide et trop farouche n'en pourrait dessiner les contours autour desquels s'agitait Paris... bien longtemps après sa disparition encore il fait des émules chez les plus raffinés des amateurs de mots incarnés; les surréalistes furent bien inspirés de s'en inspirer et de consacrer son génie en le désignant pour toujours comme le Mage, Saint-Pol-Roux le Magnifique, l'alliance de la mesure et de la démesure dotée de la grâce d'une Passacaille de Bach.
SPiR. : Comment expliquez-vous le relatif silence qui entoure actuellement son oeuvre ?
Yasmine B. : Peut-être comme toute incursion dans la Beauté, la poésie de Saint-Pol-Roux requiert un effort que l'on ne suscite plus à l'école et encore moins à la télévision. La transmission orale des poèmes est inextinguible, mais nous sommes encore trop peu en France - car il n'en va pas de même en Afrique du Nord ou en Géorgie par exemple, où la présence de la poésie est incontournable et essentielle à la vitalité de la langue et des relations humaines - à lire de la poésie. Cela vient peut-être en partie du fait qu'on oublie trop souvent qu'un poème est quelqu'un qui parle à quelqu'un et que comme la formule consacrée de Queneau le dit bien, les poèmes ne sont pas faits pour être entreposés dans un réfrigérateur : "la poésie est avant tout faite pour être dite". Essayez-vous à dire les poèmes réjouissants d'allégresse et touchants de profondeur de Saint-Pol-Roux et laissez vos sens s'en imprégner... il ne manque que cela pour que son oeuvre soit réanimée dans l'âme du plus grand nombre. Ses poèmes ont le timbre parfait d'un bébé sortant de son bain. Chaque fois que j'ai fait découvrir un poème de Saint-Pol-Roux au public, des hommes venus de tous horizons et qui ne se seraient jamais parlés auparavant, peut-être, ont été touchés par la grâce de son esprit. Il confine au pays de l'enfance, aborde doucement auprès de ses jeux, se glisse dans l'ardeur de ses rondes et s'embrase de joie dans le feu de ses joues. Il parle directement au plus secret de nos coeurs.
SPiR. : Faites le "portrait chinois" du Magnifique.
Yasmine B. : 1. un animal : un cheval. - 2. un végétal : un pommier. - 3. une pierre (semi)précieuse : le diamant. - 4. un objet : une plume. - 5. un moyen de locomotion : un train. - 6. un lieu : la pointe du Toulinguet. - 7. une couleur : le blanc. - 8. un parfum : de rose. - 9. un être mythologique : Orphée. - 10. une heure du jour : l'aube. - 11. un événement historique : la découverte de l'électricité. - 12. un péché capital : la gourmandise. - 13. un sentiment : tendresse. - 14. un artiste : Van Gogh. - 15. un vers : "un pur esprit s'accroît sous l'écorce des pierres" (Vers dorés, Gérard de Nerval).
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