jeudi 23 juillet 2009

BULLETIN des AMIS de SAINT-POL-ROUX, N°4 : parution imminente

Le bouclage fut plus long qu'escompté, plus difficile aussi, mais, ça y est, le voici, tout proche d'apparaître, dans sa couverture ivoire, le quatrième numéro du BULLETIN des AMIS de SAINT-POL-ROUX. Un an presque jour pour jour après que parut la première livraison. Il n'a cessé depuis, grâce à des lecteurs de plus en plus nombreux et fidèles, de s'étoffer et, je l'espère, de se bonifier. Désormais, il est une oeuvre collective - et l'équipe des collaborateurs grossira encore. Ce numéro nouveau s'enrichit, en effet, d'illustrations originales, spécialement réalisées par le peintre Tristan Bastit, et d'une rubrique inédite, le "coin des conteurs", animée par notre ami Eric Vauthier. Bref, un beau sommaire, pour ce BASPR4, consacré à
La Dame à la faulx
ou
l'impossible représentation
suivi de
- Saint-Pol-Roux & le théâtre idéaliste -
&
du coin des conteurs, par Eric Vauthier
dont voici un extrait de la présentation :
La présente livraison se concentre sur une période de dix ans, comprise entre 1909 et 1918, période au cours de laquelle la tragédie faillit, à plusieurs reprises, être jouée, et au cours de laquelle, à défaut de La Dame à la Faulx elle-même, on joua d’autres pièces du poète, pour la première et unique fois de son vivant.

Tout commença, officiellement, par un banquet comme l’époque les aimait. Un banquet en l’honneur de Saint-Pol-Roux, retiré en Bretagne depuis 1898. En réalité, ce dernier, loin d’en être le bénéficiaire passif, n’y était pas étranger. De passage à Paris en janvier 1909, il s’était laissé convaincre – sans trop de difficultés – par les amis de la Closerie des Lilas de re-présenter son drame à la Comédie-Française. Et le 7, il écrivait à Victor Segalen :

Sur d’innombrables conseils enthousiastes j’ai décidé la présentation de la Dame à la Faulx à la Comédie-Française. Ça va donc chauffer bientôt !
Une autre lettre, adressée onze jours plus tard à Paul Fort, permet de supposer que Saint-Pol-Roux œuvra lui-même, dans l’ombre, à l’organisation de la manifestation, ou qu’il en régla pour le moins quelques détails :

Carissime, par lettre j’ai soumis un projet de formule à l’ami Vallette. Ne sais s’il lui conviendra. Prière de le voir à ce sujet. En tout cas me suis permis de lui donner pour ce Banquet la date du samedi, 6 février, qui me semble très propice.
Dans la confidence, trois complices de choix : Paul Fort, directeur de Vers et Prose, Alfred Vallette, directeur du Mercure de France, Jean Royère, directeur de La Phalange, qui étaient à même de mobiliser les troupes littéraires et artistiques. On les retrouve d’ailleurs en très-bonne compagnie dans le comité organisateur du banquet, dont le détail figure sur le carton d’invitation. La périphrase qui y désigne Saint-Pol-Roux, « l’auteur de La Dame à la Faulx » n’est probablement pas anodine et laisse entendre que la conviviale réunion fut provoquée pour servir la cause non pas du poète en prose des Reposoirs de la Procession mais bien celle du dramaturge.

Quoi qu’il en fût de sa spontanéité, le banquet fut un réel succès, accomplissant ce tour de force d’asseoir dans une même salle et une cordiale entente – les commentateurs eurent raison de le signaler – quatre générations d’artistes et d’écrivains : parnassiens, avec Léon Dierx qui présidait et Catulle Mendès, symbolistes du premier convoi, symbolistes du deuxième convoi et naturistes, les jeunes, néo-symbolistes, abbés de Créteil, unanimistes, fantaisistes, indépendants, etc. Près de cent-cinquante convives y assistèrent. Ils furent plus nombreux encore à signer la Requête, que Jean Royère présenta à la fin du repas, pour que La Dame à la Faulx fût représentée à la Comédie-Française, car elle circula...
Au sommaire, des lettres et textes inédits ou rares de :

André Antoine, Jacques des Barreaux, Jules Claretie, Claude Debussy, Dorsennus, Édouard Dujardin, Régis Gignoux, Carlos Larronde, Paul Léautaud, Louis Mandin, Camille Mauclair, Louis Peltier, Gaston Picard, Georges Pioch, Auguste Rodin, Jean Royère, Guillot de Saix, Édouard Schneider, Victor Segalen, François Signerin, H. de Sombreuil, A. de Talmours, Léon Treich, etc.

Le Coin des Conteurs : "A propos de L'Amour tragique de Camille Mauclair"
par Eric Vauthier.

Notes & présentation, par Mikaël Lugan.

Frontispice, vignettes, bandeaux & culs-de-lampe
de Tristan Bastit

Ce quatrième numéro, de 88 pages, est tiré à 111 exemplaires numérotés et signés de la main du compilateur : 10 exemplaires sur papier de Rives, numérotés de 1 à 10 à l'encre rouge, constituant le tirage de tête et 101 exemplaires sur papier offset extra-blanc, numérotés de 11 à 111 à l'encre noire. Prix : 11 € franco de port pour la France et l'Europe.

Pour souscrire à cette livraison, adressez un mèl à harcoland(at)gmail.com.
Nota : Il reste une petite dizaine d'exemplaires des n°2 & 3, un peu moins du n°1.

samedi 11 juillet 2009

Le fac-simile de l'Almanach du Père Ubu offert : c'est la dernière tournée de L'Etoile-Absinthe

J'ai eu la merveilleuse idée, l'année du centenaire de l'éclipse jarryque, d'enfin adhérer à la Société des Amis d'Alfred Jarry et, depuis, je bénéficie tous les six mois des tournées de L'Etoile-Absinthe, qui fête, en 2009, ses trente ans d'existence. La dernière livraison est à la hauteur de la célébration : Commentaires pour servir à la lecture de L'Almanach du Père Ubu Illustré 1899, c'est son titre. Et c'est effectivement une glose des plus minutieuses, page après page, de cette oeuvre point très-connue de Jarry. Henri Béhar, Marieke Dubbelboer et Jean-Paul Morel en ont creusé le texte pour en déterrer la moindre source ou influence, les emprunts, les collages, identifier les personnes citées et mettre au jour certaines ténèbres textuelles. Bien sûr, ce travail critique pourra paraître vain et plus obscur encore à qui n'a pas l'original et rare petit livre en tête ou sous les yeux. Mais c'est mal connaître la SAAJ qui a eu le génie d'adjoindre à son herméneutique tournée le premier fac-simile de l'Almanach du Père Ubu illustré (janvier-février-mars 1899). De sorte qu'aucun commentaire ne se trouve orphelin.

L'almanach était alors à la mode. Les éditeurs en avaient fait un outil promotionnel et un rendez-vous annuel. Le lecteur, ou plutôt l'usager, pouvant y trouver, en plus d'un calendrier exhaustif, des bons plans, recettes de grand-mère, conseils pour la vie quotidienne, idées de loisirs, et publicités pour les dernières parutions. Le Mercure de France, lui-même, entre 1896 et 1898, eut son almanach, collectif et dirigé par Robert de Souza ; néanmoins il y avait là d'autres préoccupations et l'objet ordinaire de ce genre de publication y était poétiquement et supérieurement dévoyé. Certes, il s'agissait toujours de promouvoir la maison d'édition en réservant les douze mois à douze poètes publiés par la revue ; mais il s'agissait aussi, et surtout, d'illustrer et défendre le Symbolisme - Saint-Georges de Bouhélier et ses naturistes ne ménageaient alors pas leurs attaques - en exhibant, dodécuplée, une de ses conquêtes : le vers libre. Autant dire que le vulgaire en était exilé.

Jarry, quant à lui, se réclame explicitement de la tradition de l'almanach - tel qu'Hachette, par exemple, a pu le diffuser - multiplitant les emprunts à l'actualité ou à des livres anciens ; certains quasi sans retouche, tant ils sont conformes à l'esprit d'Ubu, à l'exemple des farfelues "connaissances utiles" des pages 12 à 15 qui reprennent les secrets du Seigneur Alexis Piémontais édités en 1564 ; d'autres, issus des almanachs traditionnels, sont détournés, ainsi de la classique annonce des éclipses solaires et lunaires, auxquelles Jarry ajoute une "Eclipse du Père Ubu" :
Eclipse partielle du Père Ubu les 29, 30 et 31 février.
Les pages promotionnelles ne manquent pas non plus, qui mettent en avant les oeuvres de l'auteur, des amis, Bonnard, Franc-Nohain, Claude Terrasse, et des revues éditrices, Mercure de France, Revue Blanche, ou hospitalières pour Jarry, La Critique.

Toutefois, derrière la forme et les emprunts traditionnels, cet Almanach du Père Ubu est incontestablement une oeuvre moderne. Par son tour parodique, évidemment ; non moins évidemment, parce qu'il se réclame (et les encarts publicitaires en sont un signe) d'un petit groupe, le Phalanstère de Corbeil, dont seuls quelques initiés connaissent l'existence, et plus largement des symbolistes (cf. la "nécrologie" de Mallarmé). L'Almanach s'inscrit donc à l'avant-garde et dans un en-avant des "lettres et des arts" qui permet à Jarry, guide idéal, d'en énumérer épithéthomériquement l'essentielle population :
Carrière celui qui vaporise.
Bergerat celui qui va-t-en guerre.
(...)
Rachilde celle qui hors-nature.
Vallette celui qui Mercure.
Natanson ceux qui Revuent Blanche.
(...)
Saint-Pol Roux celui qui magnifique...
L'apparition de ce dernier nom m'oblige à faire deux petites rectifications au sujet de la note que les commentateurs lui consacrent, en haut de la page 61 :
(39) Saint-Pol Roux, celui qui magnifique.
Saint-Pol Roux, dit le Magnifique [= Paul-Pierre Roux] (Saint-Henry/Marseille, 15 janv. 1861 - Brest, 18 oct. 1940), poète, auteur du "Manifeste du magnificisme" (1895).
"Saint-Pol-Roux", bien que Jarry et d'autres l'aient écrit ou continuent de l'écrire avec un trait d'union, en prend deux. Et il n'existe pas, dans l'oeuvre de Saint-Pol-Roux, de texte qu'il intitulât "Manifeste du magnificisme", comme il ne parut pas d'écrit du poète pouvant s'apparenter à un manifeste dans le courant de l'année 1895 ; les trois textes qui pourraient relever de ce genre et qui, d'ailleurs en relèvent, sont : la réponse à l'enquête de Jules Huret (1891), De l'art Magnifique (1892) et le "Liminaire" des Reposoirs de la Procession (1893), tous trois antérieurs. C'est une erreur qui se retrouve quelques fois. C'est la seule ou l'une des rares qu'on trouve dans cette intéressante tournée de L'Etoile-Absinthe. Il fallait la signaler : non pas point noir, mais grain de beauté.
L'ETOILE-ABSINTHE - tournées 121-122 - Société des Amis d'Alfred Jarry : COMMENTAIRES POUR SERVIR A LA LECTURE DE L'ALMANACH DU PERE UBU ILLUSTRE 1899, par Henri Béhar, Marieke Dubbelboer et Jean-Paul Morel - SAAJ (Laval) & Du Lérot éditeur (Tusson), 2009. Accompagnée du fac simile de L'Almanach du Père Ubu illustré. Pour tout renseignement ou pour commander : schuh(at)noos.fr.
Nota : Je vais sans doute devoir faire une pause de quelques jours dans mon défi "une recension par jour". Jusqu'à mercredi.

vendredi 10 juillet 2009

Villiers de l'Isle-Adam, comte révolutionnaire : le "Tableau de Paris sous la Commune" réédité (Sao Maï, éditeur)

Je ne crois pas me tromper en affirmant que les éditions Sao Maï sont toutes jeunes, nées il y a un ou deux ans à peine, et que leur catalogue ne propose encore que trois (ou quatre) titres. Et je ne me tromperai pas davantage si j'avance que ces toutes jeunes éditions Sao Maï ont bien de l'audace et du panache. La parution, il y a quelques mois, du Tableau de Paris sous la Commune, en fait preuve.

Je dois avouer que, bien que possédant les OEuvres Complètes de Villiers de l'Isle-Adam - les deux volumes Pléiade - et bien que les parcourant souventefois, cette histoire des cinq articles parus dans le Tribun du Peuple et signés du pseudonyme Marius m'avait complètement échappé. Faut dire aussi, à ma décharge, que l'attribution de cet ensemble à l'auteur des Contes cruels était assez péremptoirement contestée par les spécialistes qui composèrent l'édition sur papier bible. Du coup, ce Tableau de Paris sous la Commune n'avait pas connu de réimpression depuis une vingtaine d'années et avait fini par entrer dans l'oubli, jusqu'à ce que les vaillants de Sao Maï l'en tirent avec fracas.

C'est Victor-Emile Michelet qui, le premier, avait attribué la paternité du Tableau, peinture enthousiaste de la révolte populaire de 1871, à son maître Villiers de l'Isle-Adam. On en douta assez vite, opposant à cette attribution le monarchisme notoire du Comte et on refila aussi sec le bébé révolutionnaire à Catulle Mendès. L'argument était un peu court. Ceux, développés par Sao Maï dans la préface de 45 pages, sont autrement plus développés et, partant, plus convaincants. Nul doute que les rédacteurs connaissent leur Villiers parfaitement, et intimement. Il serait vain de tenter une paraphrase de cette fougueuse démonstration, qui n'évite pas la polémique et appellera probablement une réponse de villiéristes patentés ; mais alors ceux-ci n'auront pas assez d'un article et il leur faudra au moins publier un livre, car en plus de devoir réfuter un à un les arguments exposés dans la préface, il leur faudra aussi - avec quelle difficulté et contorsion d'esprit - balayer tous les éléments intertextuels, qui relient le Tableau aux autres oeuvres du Comte, détaillés dans les nombreuses notes.

Ma certitude, toutefois, c'est que cette dispute, si elle a lieu, un jour, n'ôtera rien à la beauté et à la haute tenue de ce texte, dont je veux citer l'ouverture, qui est incontestablement d'un poète :
"Paris a survécu. Le soleil brille sur la Révolte. L'indomptable Liberté s'est relevée, chancelante, mais appuyée sur tous ses drapeaux rouges et défiant les spectres meurtriers de Berlin et Versailles. Au fond de l'horizon, l'Arc de Triomphe se voûte sur la guerre civile. Les éclats de fer sillonnent les rues sans troubler les jeux des enfants nouveaux, les bombes, couleur de pourpre, ont remplacé les ballons rouges, et, quand les billes font défaut, ce sont de beaux éclats de rire en courant ramasser les balles mortes."
D'un poète et d'un homme, qui connut l'humiliation de la pauvreté et qui, par là, fut, contre sa classe, du côté du peuple et du rêve.
VILLIERS DE L'ISLE-ADAM, TABLEAU DE PARIS SOUS LA COMMUNE suivi du DESIR D'ÊTRE UN HOMME, Sao Maï éditeur, 2009 (108 pages, 6 €).
Nota : Vient de paraître, chez le même éditeur, LE BOURGEOIS MIS EN PIECES, recueil de contes choisis de Villiers de l'Isle-Adam (70 pages, 7 €). En des temps où l'embourgeoisement est, non pas seulement social, mais essentiellement intellectuel et moral, que salubre est la lecture du Comte Jean-Marie-Mathias-Philippe-Auguste Villiers de l'Isle-Adam !

jeudi 9 juillet 2009

Vient d'apparaître : SCRIPSI n°4-5 - "Dialogues oubliés"

J'ai pris un retard considérable sur tout ce que j'avais projeté de réaliser ces derniers mois. Les projets se sont ajoutés aux projets sans qu'aucun n'avance de façon rassurante. Tout de même, j'aperçois la quatrième livraison du Bulletin des Amis de Saint-Pol-Roux, qui pointe son nez, plus très loin maintenant d'apparaître en son entier au grand jour estival. Et je ne parle pas de la liste des billets à écrire... J'ai sur ma table de travail quatre ou cinq livres dont je veux dire un mot ou deux depuis longtemps, et sur lesquels d'autres, intéressants aussi, et passionnants parfois, sont venus peser. Mais ne nous plaignons pas, cher SPiRitus, car c'est un ravissement qu'une pile de livres, et, prenant la paresse par le poil de main, lançons-nous plutôt le défi de consacrer un billet par jour à l'un de ces livres reçus. Oui, faisons cela... et commençons par le dernier arrivé, puisque, comme chacun sait, il lui revient, d'après les écritures, d'être le premier.

Les deux précédentes livraisons de SCRIPSI, le Bulletin du site des Amateurs de Remy de Gourmont, figuraient en bonne place parmi les recensions prévues que je remis constamment à plus tard, un plus tard qui devint horizon inaccessible. Christian Buat y avait pourtant réuni des documents bien nécessaires à la compréhension de ce que fut le Mercure de France. Dans 'Pataphysique, Jambons & P'tites Fourmis, comme dans Avoir les colombins, c'est toute une vie peu connue de la revue d'Alfred Vallette, qui apparaît, insufflée ou animée par Gourmont. Une vie de débats et d'échanges, entre rédacteurs du Mercure, spécialistes reconnus et lecteurs anonymes, qui alimenta la rubrique des "Echos", parfois sur plusieurs lustres. Et il faut dire que beaucoup de ces considérations sur l'histoire des jambons de M. Cornetz suspendus dans la charcuterie d'un univers soumis aux lois de la relativité, ou sur l'argot des tranchées, sont savoureuses. Qui voudrait rédiger une étude sur le Mercure de France serait bien avisé de consulter ces numéros, mieux encore : de les posséder.

Mais je ne peux m'étendre plus, car voici déjà le n°4-5, qui est pour tout gourmontien, une livraison de première importance, puisqu'elle recueille pas moins de cinq "Dialogues oubliés", comprenez cinq "dialogues des amateurs", parus au Mercure, qui ne furent pas repris dans les deux volumes publiés dans la maison d'édition de la revue. De toute l'oeuvre protéiforme de Remy de Gourmont, ce sont, avec les contes et les romans, les écrits que je préfère. Que ce solitaire ait éprouvé, un beau jour de 1905, la nécessité de se dédoubler et, se dissociant, d'extérioriser son ininterrompue conversation psychique, m'émeut beaucoup. Et il est troublant, n'est-ce pas, qu'il ait nommé les deux personnages issus de son génial esprit dialogique, M. Desmaisons & M. Delarue, comme pour manifester cette tension intime entre la réclusion subie et le désir de plein jour, ce désir-là étant a fortiori sexué.
M. DESM. - Faut-il donc maintenant rester chez soi et ne regarder la vie que par le rideau levé ?
M. DEL. - J'en ai peur. Et puis, vous le dirai-je, le dehors m'attire de moins en moins, surtout le dehors un peu lointain. Que voit-on en voyage ? Des choses vertes, des gares avec des gens ahuris, des cathédrales, des musées, des sables et puis de l'eau. Mais si nous restons chez nous, nous regretterons tout cela.
[...]
M. DESM. - Nous savons trop ce qui nous attend, à Fontainebleau comme à Bénarès, à Rome comme à Saint-Valery-en Caux. L'imagination n'est que de l'ignorance. Mais quand on n'imagine plus, on ne désire plus.
M. DEL. - Et quand on ne désire plus, c'est la fin de tout. En êtes-vous là ?
M. DESM. - Non pas, car j'ai encore la curiosité, et c'est une autre source du désir. Avec de la curiosité, on ne vieillit jamais tout à fait.
M. DEL. - Vous me refaites optimiste, vous me rafraîchissez. [...] Je suis plein de curiosités et je m'en vais décidément aller voir comment sont faites, cette année, les femmes des plages.
Je ne cite pas la suite, qui est délicieuse. Il vous faudra la découvrir par vous-même. Pourquoi Gourmont les omit-il, ces cinq dialogues ? Je suis d'accord avec Christian Buat : il s'agit probablement d'une négligence, car ils ne sont pas moins drôles, cruels, intelligents que ceux recueillis en volume. Un exemple : n'est-il pas merveilleux ce paradoxe qui ouvre "La Pluie" et s'achève en pointe féroce ? "Oui, je soutiens que la pluie, la pluie d'été, la vraie pluie, répand sur nous de multiples bienfaits. D'abord elle empêche les imbéciles d'aller se promener." Et celui-ci, d'une ironie et d'une poésie également admirables, toujours dans le même dialogue ?
M. DEL. - Voudriez-vous que la pluie tombât à jour fixe, ou la nuit, ou par saison, comme aux tropiques ?
M. DESM. - Non, certes. Où serait la leçon ? Les pays à pluie fixe ne seront jamais civilisés, car ils manqueront toujours du plus beau sujet de méditation philosophique, qui est la pluie imprévue.
M. DEL. - Ils ont les cyclones.
M. DESM. - Heureusement. Sans cela, comment auraient-ils appris qu'il n'arrive jamais que ce qui ne devait pas arriver ? Et alors, comment cultiveraient-ils l'intelligence, qui ne fleurit que sous des cieux illogiques ? C'est un grand malheur que l'on s'entête à enseigner aux enfants que deux et deux font quatre. Une telle notion est assez maligne pour gâter les plus beaux esprits. Mais nous avons la pluie qui nous enseigne que deux et deux font n'importe quoi ou rien du tout, selon les circonstances. Bénissons la pluie. Avez-vous quelquefois béni la pluie ?
Réfrénons nos ardeurs citatives ; on ne s'arrêterait pas. Il me faut tout de même dire un mot du premier de ces "dialogues oubliés", qui est aussi le premier publié par l'auteur dans le Mercure de France. Il porte le titre général de "Dialogue des Amateurs" et donne le sens à ce dernier mot, si essentiel, dans l'esprit et l'oeuvre de Gourmont. Son omission est donc plus problématique et méritera que les "nobles descendants" du Sixtin formulent des hypothèses. Ils n'y manqueront pas, sans doute. En attendant, je veux citer une dernière fois un passage de ce dialogue originel : à coup sûr, une confidence de Gourmont, qui fait bel écho en moi.
M. DEL. - (...) Vraiment je bénis les symbolistes. Sans eux, je n'aurais pas été bibliophile. Ils m'ont donné le goût du livre curieux et, par surcroît, le goût de l'art, le goût des beaux vers, le goût des belles phrases, le goût des idées. Ils m'ont rajeuni.
Une traduction et des pastiches espagnols des "dialogues", retrouvés par Antonio Henriquez, complètent cette livraison et prouvent, s'il en était besoin, que l'influence de l'oeuvre gourmontienne se fit sentir bien au-delà des frontières nationales. Ah, vraiment, quel plaisir que ce numéro de SCRIPSI ! La lecture en est réjouissante. Et vivifiante. Une perle de culture. Si un jeune lecteur ou une jeune lectrice me demandait par quel(s) livre(s) de Gourmont commencer, je lui répondrais sans hésiter : lisez les Dialogues des Amateurs, mais, en attendant le jour où vous les trouverez chez un bouquiniste, puisqu'ils n'ont pas été réédités encore, commandez vite sur le site des Amateurs de Remy de Gourmont, dans l'espoir qu'il subsiste un ou deux exemplaires des 40 qui furent imprimés, adornés d'une reproduction volante de l'ex-libris de l'auteur, le n°4-5 de SCRIPSI. Il ne vous en coûtera que dix euros franco de port.

mercredi 8 juillet 2009

Vient de paraître : EMILE BOISSIER, Anthologie poétique.

Le nom d'Emile Boissier ne paraîtra pas inouï au visiteur fidèle du blog Han Ryner ou des Féeries Intérieures. Trois billets lui furent déjà consacrés ici (1, 2, 3) et au moins autant là (1, 2, 3). Faut dire que l'oeuvre et la vie de ce beau et rare poète nantais ne nous laissent pas indifférent. Aussi est-ce une sorte d'événement que la parution de cette Anthologie poétique, réunie à force de recherches, de passion et d'obstination par le seul Jean-Pierre Fleury, qui lui a ajouté d'imposantes préface et postface, et d'utiles notes. J'aurai bien évidemment l'occasion d'y revenir prochainement, lorsque j'en aurai achevé la lecture. Contentons-nous, pour l'heure, de la présentation de l'éditeur.

EMILE BOISSIER, CET INCONNU
Emile Boissier, poète nantais (1870-1905), est complètement oublié dans sa ville de naissance et de mort.
Mais ce même Boissier a su séduire Jean-Pierre Fleury (né en 1951), qui a consacré des années à étudier la vie de toute une contrée de gens humbles, fiers et droits : la Grande Brière, pays perdu de la Basse-Loire de marécageuse histoire, et ses Briérons. Une région proche en mystères des limbes vaporeuses d'un Boissier.
Quelques originaux, amoureux des arts passés et de l'Art vrai et frais, commencent à le faire revivre. Trop bon, trop discret, trop aimant, trop naïf, trop idéaliste notre poète. Il n'a pas suffi qu'il servît de nègres à quelques industriels de l'écriture, ni qu'il fût humble et sincère ami de Han Ryner l'Anarcho, de Saint-Pol-Roux le Magnifique, de Mérodack-Jeaneau le Fauve. Il n'a pas suffi non plus qu'il accompagnât si discrètement les derniers temps de Paul Verlaine, ou qu'il apparût à ses contemporains comme l'un des maîtres tardifs du Symbolisme, à l'égal d'un Albert Samain. Emile Boissier est mort au Panthéon des braves de la Poésie généreuse, idéaliste et pérenne. Pas même reconnu petit-maître. Au Panthéon des laissés-pour-compte, où l'on retrouve pêle-mêle une myriade d'étincelants artistes de l'écriture - oubliés, bannis, phagocytés : Laurent Tailhade, Paul-Jean Toulet, Charles-Louis Philippe, Renée Vivien, Hugues Rebell, et enfin le maître ès styles Léon Bloy, le génial et inclassable entrepreneur en démolitions. Et tant et tant d'autres malheureux torturés d'art, furieusement artistes, d'oeuvre courte, mais cruciale. La plupart ont disparu, souvent jeunes, dans la misère, le suicide, ou pour les moins chanceux lors de la sinistre boucherie de 14-18.
EMILE BOISSIER - Anthologie poétique - choix des textes, préface, postface, notes et bibliographie de Jean-Pierre Fleury - Casa Cărţii de Ştiinţă, Roumanie, 2009 (304 pages). Ouvrage tiré à 200 exemplaires.

lundi 6 juillet 2009

L'Académie Mallarmé : le prix de poésie 1939

Nous arrivons, lentement mais sûrement, à la fin de notre feuilleton mallarmo-académique. Car nous voici déjà en 1939. On se souvient que l'année précédente, les Quinze avaient lauré le front d'Audiberti, puis, soutenus par l'Âge nouveau de Marcello-Fabri, ceux d'André Dez et Roger Lannes, en novembre. Le rythme était soutenu ; il ne fallait pas le perdre d'autant que le mois de juin, le joli mois de remise du prix Mallarmé, approchait à grands pas.
Le Journal des débats politiques et littéraires - 27 mai 1939
Le prix Mallarmé sera décerné le mardi 6 juin. Une réunion préparatoire des membres de l'Académie Mallarmé vient d'avoir lieu au restaurant Drouant et a été consacrée à un premier examen des candidatures assez nombreuses qui ont été posées.
Une réunion préparatoire était bien nécessaire, les académiciens, assez divers, n'étant pas toujours d'accord sur la conduite à tenir. C'est ce que nous apprend l'entrefilet suivant.
Le Figaro - 3 juin 1939
La couronne du poète
L'Académie Mallarmé décernera mardi prochain son prix de Poésie.
C'est une jeune compagnie. Elle ne peut s'offrir des drames sur la grande scène - et puis la poésie ne se prête qu'à demi à la passion sportive.
Le jury est pourtant bel et bien divisé par le cruel débat : jeunes ou vieux ? Le prix encourage-t-il un jeune talent qui fait sa première preuve ou apporte-t-il un rayon à l'une de ces têtes chenues mais méritantes que la première ombre assaille ?
Au camp de la jeunesse M. Patrice de la Tour du Pin, le poète de Quête de joie, a des chances. M. Jean Follain aussi. M. Ivan Goll idem.
Si les vétérans devaient emporter la couronne, ce serait pour le front de M. Henri Hertz.
La Girouette.
Un peu de suspens ne messied pas à ce genre d'affaires. Les chamailleries, les coups d'éclat, les copinages, les scandales font l'histoire des académies et de leur prix ; ils font même les grandes académies et les grands prix. Jeune ou vieux ? la question du lauréat devait être tranchée. Allait-on couper couper la poire en deux, ou les cheveux blancs en quatre ? Non, on fit mieux, on découpa le prix en trois.
Le Figaro - 7 juin 1939
L'académie Mallarmé fait trois lauréats
L'académie Mallarmé a décerné hier son prix de poésie annuel, avant un déjeuner qui réunissait ses membres place Gaillon.
Le mérite poétique n'est pas plus facile qu'un autre à découvrir.
Dès midi MM. Dujardin, Mockel, Vildrac, Ferdinand Herold se serraient autour du président Saint-Pol-Roux et commençaient à causer sérieusement devant les sandwiches-apéritifs. Peu après, M. Ajalbert, qui avait les airs de qui a épousé le printemps ; Paul Fort, le béret basque en bataille ; M. Fontainas, l'air déjà brisé, et M. Cocteau, caracolant, rejoignaient leur assiette respective. Les délibérations promettaient d'être longues.
Pourquoi ? Ce n'était qu'une impression née du peu d'enthousiasme affiché par le jury. Non plus réconfortantes furent les arrivées de M. Henry Charpentier et de Mme Gérard d'Houville. Quant à M. Léon-Paul Fargue, surgi bon dernier de l'ascenceur, il eut un geste las et déclara : "Je n'ai pas faim", sans qu'on sût à quelles nourritures il faisait allusion. On savait que MM. Maeterlinck, Paul Valéry et Valéry-Larbaud étaient empêchés. Le jury n'avait plus qu'à voter.
Les résultats furent acquis à 13h. 15 et M. Dujardin prit soin de les commenter d'abord.
L'Académie était en proie à un double scrupule : couronner un jeune poète ou un aîné ? Un poète classique ou un moderne ? La générosité de Mme Vielé-Griffin et celle du groupe, en formation, des Amis de l'Académie Mallarmé lui ont permis de résoudre ces difficultés. Disposant de 9.000 fr., elle a réparti cette somme en trois prix de 3.000 fr. L'un à un aîné, M. Henri Hertz ; les deux autres à des jeunes, MM. Jean Follain et André Bellivier.
L'Académie eût aussi couronné l'auteur de Quête de joie, M. Patrice de la Tour du Pin. Mais ce dernier s'est récusé, préférant que quelqu'un d'autre bénéficiât de cet encouragement.
M. Henri Hertz est né le 17 juin 1875, à Nogent-sur-Seine. Il débuta en 1895 à la Revue générale. Son premier volume parut en 1906, chez Messein, sous ce titre : Quelques vers. En 1909 parut chez Grasset les Mécréants, mystère civil en quatre actes. En 1912, à la Phalange, un nouveau recueil de poèmes : Apartés. Un autre en 1921 : Lieux communs. Citons deux livres de prose : Sorties et Vers un monde volage, qui sont des séries de croquis de la vie moderne ; un ouvrage mixte, vers et prose, Le Guignol horizontal et, enfin, son dernier recueil de poèmes : Passavant, qui reste dans la veine fantaisiste.

M. Jean Follain, dont on fait généralement précéder le nom de l'épithète de "délicieux", est avocat. Il donne des chroniques savoureuses à la N.R.F. avec des trouvailles de mots dont son ami Audiberti dit "qu'ils font froid dans le ventre". On lui doit les Epiceries d'Enfance et les Chants terrestres. Son lyrisme est familier, ironique et bien en chair.
Placides, les maçons de la Creuse
En longues bandes silencieuses
Retraversaient Paris le soir
Jusqu'à leurs dortoirs de barrière.
M. André Bellivier, l'auteur d'un recueil, Poèmes, où il s'inspire de Saint-Jean de la Croix. - L. E.
Un, puis deux, puis trois lauréats, en trois remises de prix, la jeune Académie Mallarmé fut, à ses débuts, bien prodigue, aimant les poètes. Etait-ce en pressentiment des années noires qui allaient suivre ? Peut-être, on en profitait d'ailleurs pour organiser un (dernier) pèlerinage à Valvins, le dimanche 9 juillet, et banqueter à l'occasion de l'ultime séjour du Président Saint-Pol-Roux à Paris. Ce fut, quelques jours après la remise des prix, le 19 juin à la Brasserie Lipp. J'en dis quelques mots déjà dans un précédent billet consacré à René de Berval, mais un article retrouvé par mon ami Christopher Todd me donne l'occasion d'allonger ce feuilleton.
L'Intransigeant - 4 juillet 1939
LA VIE LITTERAIRE
Saint-Pol-Roux à Paris
Un dîner en l'honneur de Saint-Pol-Roux n'est, certes, pas chose commune. On se souvient encore - et l'histoire littéraire anecdotique en conservera longtemps le souvenir - du dernier qui eut lieu à la Closerie des Lilas en 1925, dîner où les Surréalistes cassèrent force vaisselle et brisèrent maints carreaux. Un seul écrivain n'avait pu se résoudre à venir ainsi flétrir la majesté de celui qui, au temps du Symbolisme, mérita le surnom de Magnifique. Aussi Paul Eluard, affectueux et discret, s'était-il fait représenter par une magnifique gerbe de lys.
Toute l'année, Saint-Pol-Roux habite dans son manoir au fond d'une Bretagne que ne hantent que les goélands - apprivoisés par la fille du poète, Divine - et les lames d'une mer souvent périlleuse. Il ne vient à Paris qu'une fois l'an, et cela pour présider le déjeuner de l'Académie Mallarmé, au cours duquel celle-ci décerne son prix de poésie. Aussi l'arrivée du doyen de la poésie française émut-elle profondément ses amis intimes qui résolurent de se réunir pour, en un dîner, témoigner de leur attachement et à la grande poésie, et au Magnifique.
C'est ainsi que, l'autre soir, une des brasseries les plus littéraires de la rive gauche groupait, autour de Saint-Pol-Roux et de sa fille Divine, des Académiciens Mallarmé : Edouard Dujardin, Charles Vildrac, et Henry Charpentier, qui fraternisèrent avec de nombreux jeunes poètes : Jean Follain, Fernand Marc, Claude Sernet, Roger Lannes, A. Rolland de Renéville, Marcel Sauvage, etc.
Un message de Paul Fort qui, souffrant, s'excusait de n'avoir pu venir et rendait hommage à son "Maître Saint-Pol-Roux, le Goethe-à-images" fut fort applaudi. On prépara en commun le pèlerinage du 9 juillet à Valvins, à l'occasion de l'anniversaire de la mort de Mallarmé et on se sépara en s'embrassant fraternellement.

A l'heure actuelle, Saint-Pol-Roux a rejoint son manoir enchanté. Il a abandonné Paris sa Dame à la Faulx qui, montée au cinéma par Abel Gance, serait un des plus grands films lyriques et mystiques qu'on ait jamais représentés.

Les Treize.
Il est significatif, me semble-t-il, que le Magnifique soit parvenu à réunir autour de son nom toutes les générations poétiques ; en 1909 : les parnassiens, les symbolistes, les groupes de la Phalange, de l'Abbaye ; en 1925 : les symbolistes et les surréalistes ; en 1939 : les académiciens Mallarmé et Roger Lannes, Jean Follain, primés, Fernand Marc, Claude Sernet, etc. C'est sans doute la meilleure preuve qu'il se joua et se joue encore, dans l'oeuvre de Saint-Pol-Roux, une part essentielle de la poésie.
(à suivre...)