dimanche 31 mai 2009

Une lettre (inédite) de Jean Clary à Saint-Pol-Roux, suivie de quelques autres dédicaces...

J'ai dit, dans le précédent billet, quelques mots enthousiastes sur l'élégante petite revue PAN, qui vécut de 1908 à 1914. Belle et relative longévité qui l'exclut hélas de l'utile bibliographie de Roméo Arbour, Les Revues littéraires éphémères paraissant à Paris entre 1900 et 1914 (José Corti, 1956), l'adjectif "éphémères" désignant ici les périodiques qui n'excédèrent pas les quatre ans d'existence. On y apprend toutefois que Jean Clary, son fondateur, collabora également à Isis (1908-1910) d'Ary René d'Yvermont, aux Rubriques Nouvelles (1909-1913) de Nicolas Beauduin, au Gay Sçavoir (1913-1914) d'Henri Strentz. Etrangement, on ne trouve pas son nom dans cette autre bibliographie complémentaire de Richard L. Admussen, Les Petites Revues Littéraires 1914-1939 (Nizet, 1970). Clary n'aurait-il pas passé la guerre ? Je l'ignore, comme beaucoup d'autres choses sur ce gendelettre ; puisse donc un visiteur avisé - ou le hasard - nous éclairer bientôt. Ce qui est sûr, c'est que Jean Clary, et son compère Marcel Rieu, firent de PAN une revue sans parti pris, intelligemment diverse et hospitalière à toutes les tendances de l'époque. Laissons plutôt Michel Décaudin nous la décrire (La crise des valeurs symbolistes, Privat, 1960, p. 288) :
"Pan qui paraît tous les deux mois en 1908 et 1909 a pour directeurs Jean Clary et Marcel Rieu. Dans cette revue libre se trouvent réunis des Méridionaux comme Paul Souchon et Louis Payen, des néo-symbolistes comme Guy Lavaud, des poètes de l'Abbaye, des auteurs aussi différents qu'Abel Bonnard et Apollinaire, que précisément une chronique de Charles-Henri Hirsch dans le Mercure de France oppose comme les représentants de deux formes inconciliables de la poésie, un traditionaliste comme Emile Ripert et l'audacieux Marinetti, un inconnu qui signe Saintléger-Léger. C'est le type de la revue ouverte à tous, curieuse de talents nouveaux."
Clary contribua aussi à La Phalange de Jean Royère ; et c'est au banquet de cette dernière, le 11 février 1909, qu'il rencontra Saint-Pol-Roux. C'était cinq jours après le magnifique banquet de la Dame à la Faulx, qui réunit trois générations d'écrivains et d'artistes. Le jeune directeur de PAN en profita pour demander au poète idéoréaliste, subitement revenu dans la lumière et l'actualité, quelque texte pour sa tout aussi jeune revue. C'est ce que nous apprend cette lettre inédite (à en-tête de PAN - revue libre) de Jean Clary à Saint-Pol-Roux, retrouvée dans des papiers du Magnifique, à Doucet :
Le 24 juin 1909
Mon cher Maître,
Quand j'eus la très grande joie de faire votre connaissance à une des soirées de la "Phalange" vous eûtes l'amabilité de me promettre des pages de vous pour le jeune PAN.
Je me permets de venir vous le rappeler en vous priant, mon cher Maître, d'agréer mes meilleurs sentiments de sympathique admiration.
Jean Clary
Serait-ce trop vous demander que de vous prier de m'envoyer votre volume "Anciennetés" ; c'est le seul de vous qui me manque et je ne sais où me le procurer.
Avec mes excuses tous mes remerciements anticipés.
J. C.
A ma connaissance, Saint-Pol-Roux ne donna pas de texte à PAN, mais je n'ai pu encore consulter de collection complète de la revue. Il n'était pas dans ses habitudes de refuser une collaboration à qui la lui demandait, mais il avait, à cette époque, entrepris la réécriture de sa tragédie en vue d'en présenter une version scéniquement viable à Jules Claretie, l'administrateur de la Comédie-Française - entreprise qui devait l'accaparer pendant des mois. Reste, comme on l'a vu, que Saint-Pol-Roux ne fut pas totalement absent de PAN, puisqu'on y reproduisit certaines de ses dédicaces retrouvées en tête de quelques-uns de ses volumes chinés sur les quais.

J'avais, en fin du billet précédent, engagé le lecteur à m'adresser à son tour, afin de perpétuer cette originalité panique, des dédicaces curieuses, amusantes ou significatives. Je n'ai, jusqu'ici, reçu qu'une réponse, de l'ami Grégory Haleux, tout à fait dans le ton. Je le remercie et la voici :
Je réponds à ton appel concernant les dédicaces. Me reviennent d'abord ces trois anecdotes amusantes :

- Double dédicace reproduite dans Gilles Picq, Laurent Tailhade ou De la provocation considérée comme un art de vivre (Maisonneuve & Larose, 2001, p. 307) : dans l'exemplaire de Léon Bloy, sous la dédicace de Tailhade,

"à Léon Bloy
avec mon admiration fervente et mon amitié
Laurent Tailhade"
l'ingrat mendiant a ajouté :
"Je me fous absolument
de Tailhade qui est lui-même
le plus incontestable des mufles
& je demande qu'on me déba-
rasse de cette brochure
Léon Bloy"
- Dans le Mercure de France n° 852, 15 décembre 1933, p. 710-711, René Groos raconte, à propos de l'ouvrage de Fagus, Discours sur les préjugés ennemis de l'histoire de France (1909), qui est une réponse à Louis Dimier :
"Voici une dizaine d’années, je venais d’aller voir Fagus à son bureau, je me trouvais sur les quais avec lui quand je découvris cette brochure dans une boîte de bouquiniste. Je ne la connaissais pas. J’en fis l’emplette. Je la montrais au poète, quand je m’aperçus qu’elle était déjà dédicacée. C’était l’exemplaire même de M. Dimier. Je lis sur la page de garde :
A Monsieur Louis Dimier
Contribution loyale au Manuel d’Histoire de France.
FAGUS.
et plus bas :
Mon cher René Groos,
Je goûte un âcre plaisir à recevoir des mains d’un loyal Juif
le livre qu’a méprisé le Chrétien auquel je l’adressais.
FAGUS "
- Enfin, ces bien drôles rapportées par Gérard Genette dans Seuils (Seuil, coll. "Poétique", 1987, p. 129) :
"Claudel ayant dédicacé un volume de sa correspondance avec Gide à son petit-fils en ces termes : "Avec mes regrets de me trouver en si mauvaise compagnie", et ce dédicataire ayant eu le bon goût d'apporter ce volume à Gide pour qu'il le signât à son tour, Gide aurait simplement ajouté cette formule rétorsive et lapidaire : "Idem". Il est vrai que Claudel l'avait déjà beaucoup agacé en lui envoyant un exemplaire de ce qui était donc leur oeuvre commune avec cette fort insolente dédicace : "Hommage de l'auteur" - occasion ou jamais, pour Gide, de se sentir, selon son mot, "supprimé". On sait aussi que Gide avait fait en 1922 une vente publique d'une part de sa bibliothèque, et en particulier de tous les livres dédicacés d'anciens amis avec lesquels il s'était entre-temps brouillé. L'un d'eux, Henri de Régnier, se vengea en lui envoyant nonobstant son livre suivant, mais avec cette piquante formule : "A André Gide, pour sa prochaine vente."
***
J'espère que la participation de Grégory H. en entraînera de nombreuses autres. Mais il s'agit peut-être aussi de montrer l'exemple. Voici donc deux envois qui figurent dans ma bibliothèque. Le premier est de Paul Fort, sur un exemplaire des Ballades Françaises (Mercure de France, 1897) :

"cordialement
à Ernest La Jeunesse
mon maître en ARRIVISME
son futur admirateur
Paul Fort"
Ernest La Jeunesse, qui fut le type du chroniqueur de la fin de siècle, volontiers acerbe, non sans esprit, le croqueur de ses congénères, venait alors de publier un recueil de portraits, Les Nuits, les Ennuis et les Âmes de nos plus notoires contemporains, qui fut un succès et le rendit célèbre. On appréciera l'ironie de Fort, qui prouve qu'on n'envoie pas forcément ses bouquins qu'aux copains et aux critiques littéraires.

La seconde dédicace figure sur un exemplaire de l'étonnant drame de Georges Polti, Les Cuirs de Boeuf, miracle en douze vitraux outre un prologue invectif (Mercure de France, 1898). On y lit :

"A Monsieur
de Max.
- C'est vous que je voyais,
en hallucination, chaque fois que
sur la scène imaginaire apparaissait
"le Fils".
Parcourez ce rôle, je vous prie,
pour que vous en parvienne l'hommage,
ô le plus artiste - le seul peut-être - des
grands acteurs !
GPolti"
Est-il utile de présenter Edouard de Max, le comédien préféré des symbolistes, auquel naturellement pensa Saint-Pol-Roux pour le rôle de Magnus, introducteur de Jean Cocteau dans la petite république de l'art et des lettres ? Quant à Georges Polti, on le connaît mieux pour ses Trente-six situations dramatiques. Il est néanmoins dommage qu'on ait oublié ces Cuirs de Boeuf, car ils font une bien étrange tentative de théâtre simultané.

Pour finir, en promettant prochainement d'autres dédicaces, en voici une, qui n'est pas sans sel, de Saint-Pol-Roux, trouvée dans un catalogue de libraire ; elle adorne un exemplaire de La Ferme (Ghio, 1886), qui clôt le cycle des premières publications du jeune Paul Roux :
"A Francisque Sarcey. Agréez, cher maître, ces modestes pages de ma première jeunesse – en attendant les œuvres prochaines qui sans doute vous feront me lapider. Veuillez seulement ne pas jeter au panier mon nom d’inconnu. Mon tour viendra. Humblement. Respectueusement. Paul Roux. 19 rue Turgot."
Le pauv'oncle Sarcey se souvint-il de cet envoi lorsque le même inconnu, canonisé depuis, le soir de la représentation du Cantique des Cantiques de Roinard, le menaça de choir sur sa tête s'il ne cessait de rire. Voilà un "respectueusement" qui aurait pu alors résonner bien lourdement à ses oreilles.

mercredi 27 mai 2009

Des dédicaces magnifiques et quelques autres...

Parcourant la quatrième année - c'est de 1911 qu'il s'agit - de la fort aimable petite revue intitulée PAN, et sous-intitulée "revue libre", que codirigèrent Jean Clary et Marcel Rieu et qui réunit de beaux et bons contributeurs (René Arcos, Han Ryner, Fagus, Fernand Divoire, Edmond Pilon, Legrand-Chabrier, Georges Polti, Ernest Raynaud, John-Antoine Nau, Louis de Gonzague-Frick, Marc Stéphane, Nicolas Beauduin, etc., ceux-ci pour la seule année 1911 qui nous intéresse), je tombe très-heureusement sur une originale sous-rubrique des "Notes du mois" qui ouvrent avec régularité chaque livraison. Elle intéressera, il me semble, les bibliophiles, les collectionneurs et les curieux, puisque son seul objet fut de recenser les bouquins chinés sur les quais, et possédant la triple qualité d'être récents, non coupés et adornés d'un envoi. Quel triste destin pour un roman ou un recueil nouveau, qui à peine offert se voit presque aussitôt voué aux boîtes des bords de Seine par le dédicataire, et quelle récompense pour son auteur ! A travers donc cette petite collecte, c'est un peu de la naïveté et de la cruauté des gendelettres qui perce. Jugez plutôt...
N°1 - Janvier-Février 1911
Promenades sur les quais. Petit bulletin des livres non coupés. Dédicaces :
- A Monsieur Jean Royère.
Cordial hommage
d'Emile Sicard
(La Mort des yeux, roman, exemplaire n°66)
- A Monsieur Catulle Mendès
Pour qu'il veuille reconnaître un ad-
mirateur de ses Poèmes en prose.
Hommage de respectueuse sympathie.
Gabriel de Lautrec.
(Poèmes en prose, 1898)
- A Fernand Xau
bien cordialement
Jean Grave.
(La Société future, 1899)
- A Papus.
Sympathie et admiration.
Tola-Dorian.
(Poèmes lyriques, 1908)
N°8-10 - Juillet-Octobre 1911
Encore quelques dédicaces, encore quelques bouquins non coupés trouvés au hasard des promenades.
- A ROCHEGROSSE
Au peintre de Vitellius aux Gémonies
Son admirateur JEHAN LORRAIN
(Le Sang des Dieux, 1888)
- A HENRI MAGEL (sic : lire MAZEL)
Cordial hommage de SAINT-PAUL-ROUX (sic : lire Saint-Pol-Roux)
(Les Reposoirs de la procession, 1893)
- A CATULLE MENDES
Son admirateur, REMY DE GOURMONT
(Un Coeur virginal, 1907)
Cette dernière dédicace ne laisse pas de surprendre un peu, en égard aux propos tenus par l'auteur de Sixtine sur Mendès.
De mémoire, je ne retrouve guère les propos désobligeants de Gourmont sur le parnassien. Ce doit être dans quelque promenade en compagnie de Mallarmé ou de Villiers de l'Isle-Adam, qu'il aima et comprit tellement mieux(1). Voilà, en tous cas, une belle collection qui dut coûter alors au rédacteur de ces "notes" trois francs six sous, et qui aujourd'hui ferait quelques jaloux parmi les bons bibliophiles et amateurs de littérature d'avant-siècle.

Il y en a un qui ne devait pas envier cette récolte, tant il en était lui-même coutumier. C'était Tancrède de Visan, le poète et théoricien symboliste, qui adressa, après avoir lu les premières chines, la lettre suivante à la rédaction :
N°2 - Février-Mars 1911
Mon cher Confrère,
Dans le dernier numéro de Pan, vous citiez d'amusantes dédicaces, parmi les livres qu'on découvre encore sur les quais. Voulez-vous me permettre d'enrichir votre collection et de vous offrir quelques-unes de celles que le hasard de mes promenades me fit découvrir.

J'ai un peu la manie des bouquins et n'achète jamais de livres neufs.
***
J'ai trouvé le Triomphe de la Vie sur le quai Malaquais, avec cette sérieuse dédicace :
A Monsieur le critique littéraire aux DEBATS
hommage de
Francis Jammes.

***

La rue Bonaparte me fut très bonne en trouvailles. Voici, entre autres, les Poèmes anciens et romanesques, très simplement dédiés.
A Paul Adam,
son ami,
Henri de Régnier.
***
Mon exemplaire de l'Almanach des Poètes, année 1897, porte sur le faux titre :
A Emile Faguet,
hommage des auteurs
"L'Editor"
Robert de Souza.

***

Les Reposoirs de la Procession n'étaient pas pour moi, mais s'adressaient
A Emile Bergerat
cordial hommage,
Saint-Pol Roux (sic)
La typographie de cette dédicace est curieuse. L'S de Saint encadre toute la page et serpente d'une façon magnifique. A l'intérieur du livre, j'ai trouvé la carte de visite de Saint Pol Roux (re-sic). Cette carte n'est pas négligeable. Ses dimensions vous en imposent. Je viens de la mesurer : elle a 9 centimètres de large sur 12 de long. Au bas, en lettres microscopiques, l'adresse :
3 rue de la Goutte d'Or
***

Les Idylles antiques, IVe série des Ballades françaises, ont échoué chez moi tout à fait par hasard, car cet exemplaire était offert
A Christian Beck
en très cordial souvenir et signe d'amitié
Paul Fort.
***
Anatole France doit avoir une belle bibliothèque, mais certains des volumes qui lui sont offerts ne lui parviennent sans doute pas et je tiens à sa disposition un joli exemplaire des Fleurs du Bitume, avec cette mention :
A Monsieur Anatole France,
pour l'accueil flatteur qu'il m'a fait en cette maison
L'auteur reconnaissant,
Emile Goudeau.
"Cette maison" était celle d'Alphonse Lemerre où Anatole France, en 1878, dut faire partie du comité de lecture.
***
Terminons pour aujourd'hui sur La Muse Noire de Stanislas de Guaita. J'ai trouvé, il y a cinq ans, cet exemplaire à Lyon avec cette dédicace :
Au très exquis poète Catulle Mendès
hommage de respectueuse admiration
Stanislas de Guaita.
La Muse Noire est de 1883 (Lemerre, édit.). A la même époque, Mendès prononça ses conférences à l'Odéon qui furent réunies en 1884 sous le titre La Légende du Parnasse contemporain. En même temps que Guaita envoyait son livre de vers à Mendès, il lui écrivait cette lettre que l'auteur de Pour lire au bain oublia dans cet exemplaire de La Muse Noire et qui échoua chez un libraire de la Place Bellecour à Lyon, par une succession d'incidents que je ne saurais démêler. Voici la lettre écrite sur très beau papier et dominée par une couronne de comte :
Monsieur et cher Maître,
Je ne suis pas encore allé vous remercier de votre gracieuse persévérance à m'adresser des cartes d'entrée pour vos ravissantes conférences sur le Parnasse contemporain.

Quel plaisir j'ai ressenti à connaître ces débuts de la lutte, entre ceux qui veulent la correction et ceux qui veulent l'aisée négligence à tout faire ; même de la poésie ! Cette lutte dure encore, mais la victoire est acquise dès maintenant aux bons ouvriers, comme vous l'avez justement proclamé.

J'irai vous dire, un de ces jours, de vive voix, et mes félicitations et mes remerciements, en attendant, je vous prie, Monsieur et cher Maître, de me croire toujours
Votre dévoué et sincère admirateur.
Stanislas de Guaita.
Tancrède de Visan.
Ah, le temps béni des chines miraculeuses ! Je donnerai prochainement d'autres dédicaces reproduites dans cette belle et intéressante petite revue, trop peu connue. En attendant, je vous invite à m'adresser, comme Tancrède de Visan, vos propres découvertes, envois amusants ou significatifs d'une relation amicale ou hostile d'écrivains. Je les entoilerai au fur et à mesure ; et ces billets feront, n'en doutons pas, de jolis témoignages à verser dans une histoire de la littérature, d'après les pratiques auctoriales péritextuelles, encore à écrire. Il vous suffit, pour cela, d'adresser un courriel à harcoland(at)gmail.com.
(1) Mon ami Christian Buat, le maître-entoileur des Amateurs de Remy de Gourmont, vient, le billet à peine entoilé, pallier mes défauts de mémoire. Il m'indique deux références issues des Promenades littéraires, 7e série (Mercure de France, 1927), qui recueillent des marginalia oubliées de l'auteur. Dans la première, "La mort de Verlaine", qui date de 1896, on lit : "On a vu cela : les Mendès, Coppée, Lepelletier, étalés à trente et quarante sous la ligne dans le premier salon de ces riches maisons, et Verlaine rejeté à la troisième page, parmi les faits divers et les pauvres..." ; et dans la seconde, "Sur la critique dramatique", qui date de 1899 : "L'autre jour, j'ai parcouru de M. Mendès sur un vaudeville trois colonnes terminées par un cul-de-lampe aphrodisiaque représentant, avec des mots poivrés, l'envers des bras de Mlle Cassive : est-ce ça la critique dramatique ? Le prétexte des vaudevilles lui est bien inutile : on pourrait la transformer en contes "pour lire au bain" sans lui ôter aucun de ses charmes". Grand-merci à Christian Buat pour ces précisions.
Nota : la reproduction de la signature de Saint-Pol-Roux ne figure pas dans la lettre de Tancrède de Visan.
Nota' : Puisqu'il était question dans ce billet de la cruauté des gendelettres, je signale au lecteur du blog la parution toute récente, chez Cynthia 3000, d'Au pays du mufle de Laurent Tailhade, dans une édition revue, augmentée et annotée par l'excellent Gilles Picq. Un salubre cruauté et une fort saine lecture.

dimanche 10 mai 2009

Le prix de poésie de "L'Âge Nouveau" remis par l'Académie Mallarmé : et les lauréats sont...

L'Académie Mallarmé avait connu des débuts d'existence difficile, complétant laborieusement son quorum, participant poussivement à quelques commémorations et manifestations en ordre dispersé... La presse s'en était amusée. Puis il y eut enfin le prix, justification de toute vie académique, généreusement doté par Mme Vielé-Griffin, et qui fut décerné à Jacques Audiberti. C'était un juste choix, et judicieux, que d'élire pour lauréat inaugural un poète point trop âgé, bien que plus tout à fait jeune, dont le puissant lyrisme, aux images neuves, oxygénait la forme classique qu'il avait fait sienne. Audiberti, d'une certaine manière, synthétisait les différents courants assemblés en la jeune Académie. Ses membres allaient-ils être aussi bien inspirés en décernant leur deuxième prix, qui n'était pas tout à fait leur puisque de L'Âge nouveau ?
Le Figaro - 14 octobre 1938
On sait que la revue L'Age nouveau a fondé un prix de poésie et a chargé l'Académie Mallarmé de le décerner - ce qui n'est pas une mauvaise idée : la jeune Académie de poètes chevronnés manque d'occupations.
La revue en question communique elle-même en ces termes ses pronostics : "Parmi les possibles lauréats, on indique les noms de Mme Céline Arnauld, du jeune poète André Dez, de M. Jacques Dyssord, fantaisiste de grand talent ; de M. Wilfrid Lucas, l'auteur des Cavaliers de Dieu ; de M. Pierre Pascal, poète traditionnel et fécond, et surtout de MM. Henri Hertz et Marcel Martinet, qui, depuis longtemps, ont fait leurs preuves."
Trois semaines plus tard un supplément d'informations éliminait de facto de la liste, les Céline Arnauld, Jacques Dyssord, Wilfrid Lucas, Pierre Pascal, Henri Hertz et Marcel Martinet, trop âgés, et ne laissait plus planer qu'un faux suspense :
Journal des débats politiques et littéraires - 5 novembre 1938
Arts et Lettres
C'est le 8 novembre, chez Drouant, à midi trente, que sera désigné, le lauréat du prix de poésie, fondé par la revue l'Age nouveau. L'Académie Mallarmé doit décerner ce prix à un jeune.
Il revient, bien sûr, à la revue organisatrice, de donner le résultat du vote.
L'Âge Nouveau - n°9 - novembre 1938
NOTRE PRIX DE POESIE
Après diverses réunions, l'attribution du prix de L'Age Nouveau a eu lieu, chez Drouant, au cours d'un déjeuner amical qui réunissait autour de la table ronde, MM. Jean Ajalbert, Jean Cocteau, Edouard Dujardin, Léon-Paul Fargue, Paul Fort, A. Ferdinand Hérold, H. Charpentier, Albert Mockel, Charles Vildrac et Marcello-Fabri. - MM. Maeterlinck, Saint-Pol-Roux, Paul Valéry, Fontainas et Valéry Larbaud avaient voté par correspondance. Mme Gérard d'Houville s'était excusée.
La presse avait annoncé que la lutte serait chaude, - les lauréats possibles indiqués après les premiers échanges de vue n'étaient pas moins de huit : Mme Céline Arnauld, - le jeune poète André Dez, - Jacques Dyssord, un fantaisiste de grand talent (v. notre N°8) - Wilfrid Lucas, le poète des Cavaliers de Dieu (v. notre N°4) - Pierre Pascal, poète traditionnel et fécond de qui nous donnerons quelques vers dans un de nos prochains numéros, - et surtout Henri Hertz et Marcel Martinet notoires depuis longtemps. - Un outsider : Roger Lannes, présenté par Jean Cocteau - et l'on sait avec quel tact et quelle flamme Jean Cocteau soutient une candidature.
Ce furent les deux plus jeunes qui furent choisis : MM. André Dez et Roger Lannes ont, l'un et l'autre, un bel avenir devant eux. L'un et l'autre ont leurs tiroirs garnis de manuscrits. Puisse le prix de "L'Age Nouveau" les mettre en selle. Jamais la position des jeunes poètes n'a été aussi difficile. - Mais Roger Lannes et André Dez ont de si grands mérites : le premier par une fraîcheur de timbre que notre époque ne nous apporte pas tous les jours, le second par une densité inhabituelle chez un poète de vingt-trois ans, - qu'il nous apparaît certain de les voir conquérir rapidement, grâce aux publications importantes qu'ils préparent, la place de choix que nous ambitionnons pour eux. L'Age Nouveau voudrait ne pas se contenter de les voir laurés, mais notre revue se propose de les aider le plus efficacement possible.
M. André Dez est l'auteur du recueil : "Exigences". Il était déjà celui de "Lame de fond".
M. Roger Lannes est l'auteur du recueil : "Les voyageurs étrangers". Il doit publier un roman cet hiver.
Le talent des deux poètes apparaissant égaux aux membres du jury, "L'Age Nouveau" a décidé de donner deux prix, (chacun de cinq mille francs), au lieu d'un seul.
A. N.
Le lendemain de la double consécration, Les Alguazils, devançant la postérité, ne donnaient plus, comme lauréat, que le protégé de Cocteau.
Le Figaro - 9 novembre 1938
L'Académie Mallarmé laure un front de poète
L'Académie Mallarmé, qui était chargée de décerner le prix de poésie fondé par une revue, L'Age nouveau, a couronné hier, à l'unanimité, le jeune poète Roger Lannes, parmi les candidats qui s'offraient à son suffrage.

MM. Jean Cocteau, L.-P. Fargue, E. Dujardin, Jean Ajalbert, P. Fort, A. Mockel, F. Hérold, Henry Charpentier siégeaient à table. Les autres membres de l'Académie avaient voté par correspondance.


M. Roger Lannes a publié Les Voyageurs étrangers, recueil de poèmes qui rassemble son oeuvre jusqu'ici venue au jour - art de poète, agile, ingénieux, aussi prompt à saisir et à créer les plus charmantes correspondances entre la nature et les êtres.

Des étoiles jeunes et fières
Traversent la chambre de la nuit.
Le sommeil du dormeur
S'ouvre à leur neige légère.
Le printemps siffle dans le ciel
Comme une lanière tranquille.
M. Roger Lannes est né à Paris en 1910.
Les Alguazils.
L'erreur fut néanmoins réparée deux jours plus tard, mais le pauvre André Dez, qui n'avait pas les honneurs d'un parrainage coctélien, n'eut pas non plus ceux de voir sa tête de poète exhibée dans le grand quotidien national.
Le Figaro - 11 novembre 1938
A l'Académie Mallarmé
Le prix de poésie qu'a décerné mardi l'Académie Mallarmé pour le compte d'une revue L'Age nouveau a eu deux colauréats, et par une erreur que nous réparons spontanément, nous n'en avions retenu qu'un.
M. André Dez a remporté en effet l'unanimité des suffrages pour son recueil Exigences (Ed. Corrêa). Le jeune poète qui a vingt-quatre ans et professe au lycée Lakanal avait publié déjà Lames de fond. Il prépare un roman Ligne courbe.
Roger Lannes rencontrera Saint-Pol-Roux au moins une fois : au cours du déjeuner organisé par René de Berval à la Brasserie Lipp le 19 juin 1939. Je doute que les événements leur laissèrent le temps de mieux se connaître, mais le jeune homme dut en garder un souvenir ému, qui décerna au Magnifique une belle couronne posthume en tête du onzième numéro de la revue Fontaine de Max-Pol Fouchet :
Fontaine - 2e année, N°11, oct.-nov. 1940
SAINT-POL-ROUX
L'exercice d'une magistrature poétique manque à notre temps. J'eusse volontiers revêtu de son infaillibilité le personnage sacerdotal qu'était Saint-Pol Roux. Lui, vivant dans la posture de Chateaubriand mort, à l'extrémité géographique de l'Occident, au lieu même de son embarquement océanique, symbolisait l'idée de cette fonction pure à laquelle notre époque a cru, impunément, qu'elle pouvait retirer le pouvoir exécutif.
D'autres loueront la sonorité ruisselante du verbe pol-rousselien. J'admire aujourd'hui surtout qu'il se soit identifié à ce point au silence que c'est à peine si on se rend compte maintenant combien ce poète ne disparaît pas, mais, d'horreur, se recule.
Roger LANNES.