lundi 12 décembre 2011

Saint-Pol-Roux entre à la Comédie Française

Voilà un petit lustre que metteurs en scène et comédiens audacieux s'intéressent à Saint-Pol-Roux. On se souvient que Claude Merlin monta Le Fumier en 2007, à La Guillotine de Montreuil d'abord, puis au Hangar de Montpellier ; on se souvient que Christophe Maltot, dans les premiers jours de l'été, cette même année, fit représenter par ses élèves du conservatoire d'Orléans, La Dame à la Faulx. Théâtres à côté, non subventionnés, théâtres expérimentaux, autant d'espaces qui n'auraient pas déplu au poète, qui ne fut, de son vivant, joué que par le vaillant et téméraire Théâtre Idéaliste de Carlos Larronde. Toutefois, son  souhait profond, avoué, était de donner l'Hernani du Symbolisme, et un tel coup n'était possible qu'à la Comédie Française. Malheureusement, cette dernière lui demeura obstinément fermée, sinon pour quelque matinée poétique où furent récités deux ou trois de ses poèmes. Mais, voici que, grâce à Émilie Prévosteau, qui interprétait le rôle de Divine dans la mise en scène de Christophe Maltot, le spectre de Saint-Pol-Roux va, très-prochainement, s'asseoir sur le fauteuil de Molière. La jeune comédienne, élève à la Comédie Française, consacrera en effet sa carte blanche de fin d'année, les mercredi 21 décembre à 10h et vendredi 23 décembre à 11h, au Magnifique. Le programme, qui nous a été aimablement communiqué par Émilie Prévosteau, est prometteur. Qu'on en juge :
  1. Texte d'ouverture : conclusion de la conférence "Le Verbe total et vivant"
  2. "Apocalypse"
  3. Début de "La Solitude et le Symbolisme"
  4. Extrait de l'Enquête sur l'évolution littéraire : "Ô le Drame, expression capitale de la poésie..."
  5. La Dame à la Faulx (Acte II, scène 3) - Magnus et Elle
  6. Improvisation critique : colloque autour de La Dame à la Faulx, comme un fantasme du banquet de 1909
  7. Le refus du Comité de Lecture en 1910, le projet avorté du Théâtre des Arts
  8. "Je vis dans 50 ans" (extrait)
  9. La Dame à la Faulx (Acte V, scène 3) - Magnus et Elle ("Je suis l'Impératrice de l'Univers...")
  10. "Ma rencontre capitale" (extrait)
  11. "Le Désir"
  12. La Dame à la Faulx (Acte V, scène 7) - Magnus et Elle
  13. Petit traité de déshumanisme (extrait)
  14. "Oraison"
Si La Dame à la Faulx sert naturellement de fil rouge à cette carte blanche magnifique, la jeune comédienne a choisi de ne sacrifier aucune des autres facettes de l’œuvre idéoréaliste, sans doute pour faire apparaître davantage encore combien Saint-Pol-Roux fut, hanté de dramaturgie, l'homme du Verbe. Souhaitons un beau succès à Émilie Prévosteau et aux autres élèves-comédiens qui concrétiseront, lors de ces deux matinées à la Comédie Française, un rêve de poète.

lundi 5 décembre 2011

Saint-Pol-Roux et l'Ecole différenciatrice

Dans un de ses articles retraçant ses "souvenirs du quartier latin" donnés au Matin, dont il était un collaborateur régulier, Jean Carrère (1868-1932) rappelle ce que fut "L’École différenciatrice", école largement parodique aux disciples bien turbulents, qui ne dura guère et ne laissa pas davantage de traces dans l'histoire littéraire. Comme nombre de jeunes hommes, aspirants-poètes, de l'époque, Carrère était animé d'un idéal social qui lui causa quelques bosses sur le sommet du crâne. Début juillet 1893, étudiant hantant le quartier Latin, il avait été agressé par quelques représentants de la maréchaussée fort peu enclins à tolérer le débraillé vestimentaire et idéologique. L'indignation, parmi les jeunes, fut grande, et dans l'après-midi du 7, les étudiants décidèrent de se réunir au café Voltaire ; la police intervint et empêcha la réunion. On se replia alors dans un café voisin, et on rédigea "une affiche invitant la jeunesse intellectuelle des écoles à protester contre ce nouvel acte brutal et provocateur de la police". Parmi les signataires, on releva particulièrement les noms de Gabriel Vicaire, Stuart Merrill, Ternaud, Fernand Clerget, Saint-Pol-Roux, Alfred Valette, etc. (D'après Le Matin du 8 juillet 1893). Voilà un nouveau signe de l'engagement idéologique et politique du Magnifique pour la liberté, qui le classe parmi les écrivains à la pointe du combat intellectuel. Voilà aussi qui nous renseigne sur les fréquentations de Saint-Pol-Roux. Dix-huit ans après son agression, Jean Carrère reviendra sur l'esprit qui animait les habitués du quartier Latin au début des années 1890, mais la violence policière disparaîtra au profit d'une compréhension bonne enfant et d'une fantaisie unanime. Abandonnons-lui la parole :
SOUVENIRS DU QUARTIER LATIN
L’École différenciatrice
Il y avait au café de la Source, dans les tables situées contre le mur, à droite de l'entrée, un groupe dont le noyau restait toujours le même et autour duquel évoluaient, un moment ou l'autre, la plupart des étudiants qui fréquentaient le boulevard Saint-Michel. Tout ce qui, bruyamment ou confusément, s'agitait, il y a huit ou dix ans, dans le cerveau de la jeunesse, trouvait en ce cénacle ouvert le plus retentissant écho.

Littérature, amour, politique, philosophie, peinture, économie, socialisme, danse et manille, tout s'y discutait avec le même entrain juvénile, et l'on y renouvelait la face du monde plus fréquemment que les consommations. Car on y était surtout riche d'espoirs. Volontiers, comme le "Client sérieux" de Courteline, on transformait le café en gloria, le gloria en rhum à l'eau, le rhum à l'eau en eau sucrée, et finalement l'eau sucrée en eau fraîche, ce qui permettait de boire tout un soir à peu de frais. Le patron, cependant, était l'ami de ces clients sonores qui répandaient de l'animation et du lustre ; et le garçon Auguste, préposé à ces tables, ayant fini par y acquérir les connaissances les plus variées, apportait parfois son avis dans les hautes questions sociales. Il était disciple de Zévaès, qui dirigeait, dans ce groupe, l'élément collectiviste.

La littérature y était plus féroce encore que la politique. Toutes les Écoles poétiques qui se disputaient le règne de l'avenir se jetaient à la tête hémistiches et assonances. Et comme les sociologues prenaient part aux discussions littéraires, les littérateurs aux joutes sociales, et que les étudiants des tables voisines venaient peu à peu se mêler aux querelles, il arrivait des soirs où les soucoupes allaient se croiser dans l'atmosphère batailleuse, quand tout à coup retentissait ce cri :

- Place à l’École différenciatrice ! Alors, comme par enchantement, les cris de colère finissaient en éclats de rire, les socialistes et les bourgeois, les symbolistes et les parnassiens s'offraient mutuellement des cigares, et le garçon Auguste, à sa grande surprise, s'entendait redemander des bocks.

Quelle était donc cette École différenciatrice ? Personne n'a jamais pu le dire ! Qui comprenait-elle ? Tout le monde ! Quel était son but ? Aucun ! Elle était née de l'éclat de rire d'une génération et mourut de sa dispersion naturelle. C'était une parodie joyeuse de nos propres manies, une folle échappée, consentie par nous tous, hors des groupements factices où nous avions tendance à nous enrégimenter. C'était la revanche de la bonne humeur contre la pose. Cela passa comme un tourbillon de gaieté, d'ironie sans fiel, de joyeuse truculence, et pendant cinq ans toute la rive gauche y fut entraînée.
*
*   *
Les inventeurs de cette nouvelle Basoche étaient une bande d'incorrigibles fantaisistes dont un seul eût suffi pour mettre la rive gauche en révolution.

Détail particulier : ils étaient tous, dans la journée, de déterminés travailleurs et on ne les voyait jamais que passé cinq heures. Mais à partir de ce moment, le boulevard Saint-Michel était leur empire. Toutes les sections du quartier étaient représentées dans l’École différenciatrice et, dès que les chefs entraient dans un café, on battait aux champs.

Il y avait Jean Dayros, dont le pseudonyme cachait un grave chef de bureau en un grave ministère, et qui, ayant remisé ses rapports, écrivait, à ses loisirs, un recueil d'inénarrables parodies sous le titre les Solitaires, Vers ; Charly, le populaire caricaturiste des pioupious, qui dirige aujourd'hui le journal la Baïonnette ; Gabriel de Lautrec, mélange curieux de rêveur et d'humouriste, auteur de tendres Poèmes en prose et inventeur, en même temps, du fameux "mètre en caoutchouc pour mesurer la constance des opinions politiques" ; Curnonski qui, en collaboration avec Toulet, a produit, depuis lors, ces deux piments aigus d'ironie parisienne le Bréviaire des Courtisanes et le Métier d'Amant ; Mougel qui, aux soirées de la Plume, prenait l'Académie pour cible devant Coppée et Claretie stupéfaits, et qui maintenant tient la férule de lecteur-secrétaire chez l'éditeur Simonis-Empis ; et bien d'autres encore.

Ces diables de corps ne pouvaient pas se trouver réunis dans un endroit public, sans qu'immédiatement la fantaisie la plus imprévue naquît de leur rencontre. Ils avaient surtout une façon de garder le sérieux au milieu des émotions ou des hilarités déchaînées qui donnait à leurs inventions un irrésistible comique.

C'était jeux quotidiens, pour eux, que d'arrêter la foule par des boniments de camelots ou des discours subitement improvisés.

Quelquefois, avec des poids en carton, ils imitaient les bateleurs de foires, et d'autres fois, surtout le dimanche, Dayros, simulant la folie, montait sur un banc et faisait, en termes échevelés, les plus anarchistes menaces aux bourgeois en ballade, qui ne savaient s'ils devaient rire ou s'effarer.

C'est eux qui eurent l'idée première des "chanteurs de rues".

Toute la bande s'était, un beau dimanche de carnaval, déguisée chez le peintre Benoît-Lévy. Les uns avaient mis des costumes bretons, d'autres des défroques moyen âge, d'autres des vestes de mousquetaires ; un sculpteur svelte s'était fourré dans la culotte du "chanteur florentin" ; et un carabin, fort buveur de bière, resplendissait sous les hardes de Falstaff. Guitares, mandolines, accordéons, trombones, clarinettes, serpents, ophicléides, plus une fanfare de mirlitons, tous les instruments les plus burlesques défilèrent, le matin, le long des terrasses du Boul' Mich', aux acclamations des étudiants déjà levés.

A la vérité, il y avait des voix admirables. Le sculpteur Jean Descamps, auteur actuel du buste de Paul de Kock, et un poète lyrique qui me défend de le nommer mêlaient deux timbres de baryton et de ténor comme M. Albert Carré lui-même n'en a pas dans son théâtre. Le reste de l’École différenciatrice reprenait en chœur, tant bien que mal, avec la foule, et les soupirs des mirlitons se mêlaient aux rugissements des trombones. Jean Dayros, qui faisait la quête, avait les poches de ses braies bas-bretonnes toutes retentissantes de billon.

Au milieu de la foule, déguisés en bourgeois, les poètes Stuart Merrill, Saint-Pol-Roux et d'autres amis de l’École faisaient l'office d'allumeurs :

- Comme ils chantent bien ! Quelle science ! Quelle voix ! Ce sont sûrement des chanteurs de l'Opéra dans la dèche !
 
Et ils jetaient des sous, tandis que s'apitoyait le peuple :
- Oh ! les pauvres gens ! c'est vrai qu'ils ont l'air comme il faut !

Pendant ce temps, Charly, qui suivait à l'écart, faisait le passant grincheux :

- Si ce n'est pas dégoûtant ! Des hommes jeunes et robustes ! S'ils ne feraient pas mieux d'aller aux colonies !

Quelques-uns lui donnaient raison. Mais la foule, en général, lui était hostile.

- Assez ! Assez ! lui criaient les amies attendries.

Et on le menaçait d'un mauvais parti. Impassible, il allait nous attendre ailleurs et recommençait.

Pourtant, ça faillit mal finir. Rue Saint-Jacques, un concierge ne voulut pas nous laisser chanter.

Cet homme, assurément, n'aimait pas la musique !

Et, comme Charly grognait toujours :

- Vous avez raison, dit-il, ce sont des "feignants". Que fait donc la police ?

La police, en effet, bonne enfant, comme presque toujours au quartier, semblait ne rien voir, et, parfois même, se berçait aux sentimentales mélodies.

Mais, cette fois, comme nous refusions de sortir et que la foule prenait parti contre le concierge :

- Allons ! allons ! en voilà assez ! Et d'abord, ousqu'elle est, votre plaque ?

- Monsieur l'agent, disait Dayros attendri, nous sommes de pauvres choristes de l'Opéra que M. Gailhard a refusé de payer ; et nous chantons pour nourrir nos pauvres familles !

- Oh ! ce M. Gailhard, gémissait la foule.

- M'en fous, votre Gailhard ! Ousqu'est votre autorisation ? Et puis, quel est ce costume ? Sommes pas encore au dimanche gras !

- Ce sont nos costumes de théâtre, monsieur l'agent, nous avons mis les autres au "clou".

- Foutez de moi, vous, le malin ? Ouste ! vous direz ça au poste !

Et toute la bande, suivie par la foule, au son des trombones et des mirlitons, s'en alla vers le poste du quartier du Val-de-Grâce.

Le commissaire d'alors était un homme d'esprit, dont le nom est resté populaire sur la rive gauche, M. Lanet. Il connaissait beaucoup d'étudiants. Quand il entendit quelques noms, il ne put s'empêcher de rire.

- Voyons, messieurs, quelle est cette fumisterie ?

On s'expliqua.

- Parfait ! dit-il, après nous avoir gourmandés pour la forme. Mais, puisque vous chantez si bien, je regrette de n'avoir pu vous entendre.

- Qu'à cela ne tienne, monsieur le commissaire. Y a-t-il une cour, dans votre maison ?

- Quelle drôle d'idée !

Mais, sans même attendre la réponse, Descamps et le ténor-poète étaient déjà dans la cour et entonnaient à pleine voix le duo de la Reine de Chypre.
Salut, salut à cette no-o-o-ble France
Où tous les deux (bis) nous avons vu le jour !
Ce fut un spectacle édifiant. Cette vieille mélodie sentimentale remua toutes les fibres populaires. Les femmes pleuraient d'émotion et les bons sergots eux-mêmes applaudissaient sous l’œil attendri du commissaire.

Jean Dayros laissa la recette pour les pauvres, et toute la bande, en chantant, rentra triomphalement sur le Boul' Mich', escortée d'agents radieux qui, instinctivement, battaient la mesure.
Jean Carrère.
(Le Matin, 6 juillet 1901, p. 1)

lundi 21 novembre 2011

L'Académie Mallarmé à la libération - dernier (?) épisode de notre feuilleton

Notre feuilleton, décidément, n'en finit plus de finir. Ce n'est pas moi qui le regretterai. L'histoire de l'Académie Mallarmé, ainsi, s'étoffe et le lecteur avisé, que la vie poétique du premier demi XXe siècle passionne, ne se plaindra pas de découvrir ces fragmentaires chroniques. L'article qu'on va lire a paru dans le Figaro - plus précisément dans les pages "littéraires" - du samedi 2 septembre 1944, sous le bel hommage que Charles Vildrac, membre de l'Académie, rendit au Magnifique et dont il nous faudra parler. Ce dernier était lui-même précédé du récit du drame par Divine. L'auteur, anonyme, revient sur l'activité d’Édouard Dujardin pendant l'occupation et sur ses relations compromettantes avec les autorités allemandes. J'ignore si le président de l'Académie Mallarmé fut inquiété à la libération et s'il dut rendre des comptes. Il mourra en 1949, à l'âge de 88 ans.
Fastes présidentiels
à l'Académie Mallarmé
Nous avons reçu l'adresse que voici :

Les membres soussignés de l'Académie Mallarmé présents à Paris qui, dès le premier jour de l'occupation, ont clairement compris que nulle haute inspiration n'était possible sous le régime de la servitude,
Rendent un hommage ému à la mémoire de Saint-Pol Roux, leur président, victime des envahisseurs;
et en plein accord avec tout le Peuple de France, proclament leur enthousiasme et leur reconnaissance envers tous ceux qui, au prix de leur sang, ramènent avec la Liberté tout ce qui donne sa valeur à la vie humaine et lui permet d'exprimer, par la Poésie, sa vérité la plus profonde.
Ils n'ont jamais oublié que Stéphane Mallarmé refusa toujours, après 1870, de franchir la frontière allemande.
MM. Henry CHARPENTIER, André FONTAINAS, Henri MONDOR, Paul VALERY, Charles VILDRAC, Gérard d'HOUVILLE, Léon-Paul FARGUE, Jean COCTEAU.
***
C'est M. Henry Charpentier, secrétaire général de cette Compagnie de poètes, qui a pris l'initiative d'une manifestation de sentiments aussi louables.

M. Charpentier, pourtant, ne satisfait pas complètement à notre attente. Il nous doit quelques nouvelles du président de l'Académie Mallarmé, M. Édouard Dujardin.

Durant l'occupation, l'Académie Mallarmé n'a été illustrée ni par un Valéry, obstinément silencieux et méprisant, ni par un Charles Vildrac, vrai combattant de la Résistance.

Dans les journaux allemands de Paris, on ne parlait de la jeune Académie qu'en association avec le nom de M. Édouard Dujardin, fleuron de l'Institut allemand et personnage choyé du Dr Karl Epting qui, ne réussissant pas toujours à rabattre les proies de son goût et de son choix, finissait par imiter le héron de notre La Fontaine.

Tandis que les Français payaient tribut, cet astucieux président qu'était et qu'est toujours M. Dujardin opérait des reprises. C'est assurément le seul titre de gloire que lui laissent les noires années.

En 1941, il se faisait offrir un magnifique banquet par l'occupant ! L'oiseau est de haut vol, M. Paul Fort apporta à cette fête solennelle des égarements de cœur que les années ne devaient pas décourager et, partant, la preuve que les poètes même authentiques ont parfois une vue plus charmante que droite de leurs devoirs.

L'intérêt très vif du trait que nous citons de l'activité de M. Édouard Dujardin réside en ceci : à la Présidence de son Académie ce banqueteur et commensal de l'occupant avait succédé à Saint-Pol Roux, le poète assassiné par un membre de la Wehrmacht...

Nous n'avons, bien sûr, rien à souffler à l'oreille de M. Henry Charpentier. Il est déjà si tard, si tard... Comment n'a-t-il pas deviné que, dans Paris libéré, une Académie ne saurait élever la voix sans avoir d'abord satisfait aux devoirs de l'hygiène ?

lundi 14 novembre 2011

A Bruno Leclercq

La nouvelle est tombée en début de semaine dernière : Bruno Leclercq est mort. Il avait cinquante ans. Il me serait bien difficile de préciser ce que ma bibliothèque doit au libraire qui s'était spécialisé dans la fin de siècle - ou l'avant-siècle, pour reprendre l'expression mieux choisie d'Hubert Juin. Car je fus d'abord son client ; mais la gentillesse, la pudeur, la culture de Bruno vous incitaient naturellement à devenir mieux que cela. Je me souviens qu'il trouva mon premier autographe de Saint-Pol-Roux : son portrait photographique dédicacé à Alfred Vallette, celui-là même qui servit de modèle au masque réalisé par Vallotton pour l'ouvrage de Remy de Gourmont. Il me dégotta aussi plusieurs numéros de revues qui furent à la base de ma collection : six livraisons de l'Ermitage, une vingtaine de la Revue Blanche, une dizaine de Livrets du Mandarin, des numéros de La Plume, des Manuscrit Autographe, et combien d'autres. Et je ne parle pas des bouquins de Roinard, de Willy, de Lorrain, de Retté, de Vielé-Griffin, de Fontainas, etc., etc.

Puis il y eut Livrenblog qui nous rapprocha davantage encore. Parce que Les Féeries Intérieures devaient naître six mois après l'apparition du premier billet de Zeb - c'était le pseudonyme de Bruno - premier billet dont le titre annonçait l'éclectisme, l'exigence, l'extraordinaire culture que les 857 autres billets entoilés en quatre ans sur Livrenblog n'allaient cesser de manifester. Je dis "manifester" et non "illustrer" car il n'était pas question pour Bruno de se faire, par son site, de la réclame ou d'en remontrer aux autres. Il n'avait rien à vendre, rien à prouver. Il ne s'agissait que de partager ses découvertes, ses chines, son amour d'une littérature des marges qui n'est pas loin d'être la seule acceptable. Je me souviens qu'il accueillit avec enthousiasme, et son enthousiasme il le partageait, la naissance de mes blogs, celui-ci et cet autre, plus récent, consacré aux Petites Revues. Il fut d'ailleurs le seul à collaborer aux deux. De sa générosité, nous fûmes nombreux, sur la toile, et dans la vie, à en profiter, et les hommages se multiplient depuis une semaine, qui sont là pour en témoigner.

Géographiquement éloignés, je ne l'ai vu que deux fois, mais je conserve de ces deux rencontres un souvenir vif. Ce fut d'abord, en hiver, il y a cinq ans, près du Luxembourg où nous nous étions donnés rendez-vous. Je sortais d'une séance de travail chez Doucet. Il faisait nuit et froid. Nous nous sommes assis autour d'un café dans le premier bistrot et nous avons parlé plus d'une heure, tout naturellement. Puis, profitant d'un long week-end parisien, je l'ai revu en avril dernier avec quelques amis que j'avais souhaité réunir le temps d'une soirée. Je le revois, souriant comme sur la belle photo qu’Éric Dussert a publié en tête de l'émouvant billet qu'il lui a consacré sur son Alamblog. Nous nous sommes quittés vers minuit. Je ne pouvais imaginer alors que je ne le reverrai pas. Sa disparition crée un manque dans notre petite communauté. La toile, désormais, est trouée. Son absence me bouleverse et je pense à sa fille et aux siens. Et je pense aussi qu'il nous a laissé une œuvre formidable qui doit continuer à vivre, qu'il revient à ses amis de la faire vivre pour qu'on entende parler encore longtemps de Bruno Leclercq.

samedi 29 octobre 2011

Le CARGO relance la NOUVELLE IMPRIMERIE GOURMONTIENNE

Il y avait eu, cinq ans après la mort de Remy de Gourmont, la création de l'IMPRIMERIE GOURMONTIENNE, par le fidèle frère Jean. Quelques amis de l'ours à écrire s'étaient groupés pour en permettre la parution ; citons : Henri de Régnier, Rachilde, Alfred Vallette, André Rouveyre, Louis Dumur, René Quinton, Jules de Gaultier, Octave Uzanne, Paul Fort, Marcel Coulon, le Dr Paul Voivenel, Francis de Miomandre, François Bernouard, Charles Regismanset, Natalie Clifford Barney, la Duchesse de Clermont-Tonnerre, Hélène Dufau, Henry de Groux, Paul-Napoléon Roinard, Édouard Champion, Lucien Corpechot, Georges Crès, Gustave-Louis Tautain, Charles Verrier, Edmond Barthélémy, Ad. Van Bever, Paul Léautaud, Charles-Théophile Féret, André-Ferdinand Hérold, Legrand-Chabrier, André Billy, Jean Lefranc, Henri et Jean de Gourmont. Son but ? "Recueillir la correspondance du maître, publier les inédits qu'il a laissés, les souvenirs de ceux qui l'ont connu, des études sur son œuvre et une bibliographie complète". Ce beau bulletin, élégamment imprimé sur les presses de François Bernouard, vécut dix livraisons jusqu'en 1925.

Il y eut, quatre-vingts ans plus tard, la création de la NOUVELLE IMPRIMERIE GOURMONTIENNE, bulletin de l'association des amis de Remy de Gourmont, dont la parution s'interrompit après son premier numéro, l'association entrant dans un long sommeil, alors que Christian Buat, de son côté, solitairement et obstinément, s'activait pour construire sur la toile l'un des sites les plus riches et les plus vivants consacrés à un auteur : le site des Amateurs de Remy de Gourmont. Il fallut que Vincent Gogibu, endossant le costume de prince charmant, vînt embrasser la belle association au bois dormant et l'éveillât de son souffle enthousiaste pour la rendre à l'actualité. Et la demoiselle sortit de son sommeil décennal, rajeunie. L'association des amis de Remy de Gourmont était devenue le CARGO (Cercle des Amateurs de Remy de GOURMONT). Et le CARGO devait naturellement relancer la NOUVELLE IMPRIMERIE GOURMONTIENNE...

C'est fait. Le n°2 vient de paraître, rhabillé d'une distinguée et sobre couverture ivoire, d'une élégance qui renoue avec l'esprit de l'aventure menée, en 1920, par les premiers fidèles de Remy de Gourmont. Le sommaire aussi témoigne de cet esprit gourmontien, présentant non seulement une diversité qui est à l'image de l'intelligence du "philosophe dansant", mais reprenant aussi, avec des emprunts assumés à l'organisation du Mercure de France, et le complétant, le cahier des charges établi par Jean de Gourmont. Car, en plus de donner des textes rares de l'auteur ("La plus belle bibliothèque du monde"), des études qui approfondissent nos connaissances sur son œuvre ("Bataille autour du latin de cuisine"), sa vie ("Lieux, artistes et écrivains de Normandie dans la Correspondance de Remy de Gourmont"), son influence ("Remy de Gourmont à l'étranger"), et nous familiarisent avec ses différents visages ("R'MY", "Le premier éditeur de Rémy de Gourmont", Gourmont vu par Jules Renard), les rédacteurs de la NIG se reconnaissent des ascendants majeurs auxquels ils se proposent aussi de rendre hommage - à l'ombre tutélaire de Remy : le trop oublié frère Jean, bien sûr, auquel la publication de la correspondance inédite et le récit de sa relation passionnelle avec Cécile Sauvage rendront un prénom ; et Karl D. Uitti, le pionnier des recherches gourmontiennes, auquel Thierry Gillyboeuf, qui l'a connu, dédie, en tête de numéro,  un émouvant éloge.

Ajoutons que le tirage est très-limité, à 50 exemplaires ; que les adhérents à jour de leur cotisation (voir ici) bénéficient d'un supplément bibliographique dont la première livraison liste chronologiquement les contributions nombreuses et polymorphes de Remy de Gourmont au Mercure de France de 1890 à 1895 ; que cette deuxième livraison compte 192 pages ; que le sommaire détaillé est visible sur le site des Amateurs et sur le blog des Petites Revues ; que son prix n'est que de 25 € ; et que vogue le CARGO...

dimanche 9 octobre 2011

Saint-Pol-Roux, Einstein et Max Jacob (par Michel Kerninon)

Dans son article du Télégramme de juillet 1968, précédemment cité, Jim E. Sévellec rapporte une conversation de Saint-Pol-Roux avec Max Jacob (1876-1944), qu'ils auraient eue un jour qu'ils se promenaient "tous les deux sur la lande". Après avoir noté les "nombreuses conversations politiques qu'[il a] eues avec le maître", Max Jacob apporte un éclairage intéressant sur la conception esthétique de Saint-Pol-Roux à propos de la peinture.
Ce témoignage figure dans la préface de Max Jacob au livre d'Auguste Bergot intitulé Le tombeau de Saint-Pol-Roux. Saint-Pol-Roux évoque la nécessité pour le créateur de s'affranchir des conventions et des influences qu'il a pu subir durant sa formation et sa jeunesse. Voici la fin de ce passage : "... un Cézanne, un Gauguin, un Van Gogh, pour ne citer que les plus grands, n'ont vraiment fait éclater toute la portée de leur génie que lorsqu'ils ont produit hors de toute influence."
Un autre extrait me paraît aussi très précieux dans le feuilleton de Jim E. Sévellec publié dans Le Télégramme. Les autorités militaires d'occupation, rappelle en substance Jim E. Sévellec, avaient fait la promesse de protéger le manoir de Cœcilian après le drame. La promesse ne fut pas respectée, on le sait. Car le saccage du manoir eut lieu au tout début d'octobre, soit quelques mois après le drame de la nuit du 23 juin 1940.
Jim E. Sévellec émet une hypothèse quant aux commanditaires du sac du manoir. Voici ce qu'il écrit : "Quelle fut la raison pour laquelle, les Allemands saccagèrent le manoir ? Il semble que les autorités d'occupation de Camaret aient tenu la promesse qu'elles avaient faite de respecter la maison de Saint-Pol-Roux. Alors, quels furent les vandales qui se chargèrent de l'opération ? Beaucoup d'amis du poète se sont souvenus qu'il s'était, dès 1933, dans un article écrit pour une revue parisienne, élevé avec indignation contre les traitements inhumains que le régime nazi faisait subir aux juifs. De là à penser que des ordres étaient venus d'un organisme hitlérien pour perquisitionner, piller et mettre à sac le cabinet de travail du maître, il n'y a qu'un pas. Fut-ce l'œuvre de la Gestapo ou d'une autre police du régime ? On n'a jamais éclairé le mystère."
Jim E. Sévellec indique en note que l'article de Saint-Pol-Roux a été publié en 1933, date de l'arrivée de Hitler au pouvoir. L'article intitulé "La supplique du Christ" est dédié à Albert Einstein. Le physicien a dû quitter l'Allemagne précisément en cette fin d' année 1933. ll y subissait de violentes attaques pour ses origines juives et ses convictions pacifistes étaient affirmées. La maison d'Albert Einstein, située à Caputh, près du lac de Havelsee, dans le Brandebourg, avait été mise à sac au début de l'année 1933.

dimanche 2 octobre 2011

L'Académie Mallarmé sous l'occupation - dernier épisode de notre feuilleton, réalisé à partir de coupures du MATIN

Grâce à Gallica, nous pouvons mettre un terme complémentaire à notre mallarmacadémique feuilleton qui s'acheva déjà une première fois. Autant dire qu'il y aura probablement d'autres derniers épisodes. Toutes les coupures de presse reproduites en ce billet proviennent du journal Le Matin, qui continua de paraître pendant l'occupation.
Vendredi 20 juin 1941
Mardi 14 octobre 1941
Lundi 22 décembre 1941
Vendredi 27 mars 1942
Mercredi 9 décembre 1942
Mercredi 13 janvier 1943
Mardi 29 juin 1943
Jeudi 18 mai 1944
Addendum : Un lecteur du blog nous a récemment écrit pour nous signaler et réparer un oubli. Nous n'avions effectivement pas donné le nom du récipiendaire du prix Âge Nouveau de l'Académie Mallarmé, pour l'an 40. Et pour cause, nous ne l'avions pas retrouvé au cours de nos feuilletages de la presse quotidienne. Grâce à M. Cédric Allegret, nous pouvons désormais compléter l'historique palmarès : c'est Paul Bulliard (1911-1943) qui remporta la poétique couronne, cette année-là, grâce à Chacun sa croix, recueil préfacé par André Dez. Sur l'auteur, nous renvoyons à la page bien documentée que lui consacre M. Allegret.
Pour retrouver l'intégralité du feuilleton, il suffit de cliquer ici.

mercredi 28 septembre 2011

GARÇON D'HONNEUR !

Lorsque je mentionnai, dans le billet précédent, l'existence de cette mince plaquette, qui fait partie des juvenilia du poète, j'étais loin de penser que, trois jours plus tard, elle aurait rejoint ma bibliothèque. Et pourtant, la voici, qui m'arrive d'une librairie parisienne où je l'ai localisée, après avoir, sans conviction, tapoté sur mon moteur de recherche, dans les minutes qui suivirent la mise en ligne du dernier post, le titre et le nom de l'éditeur. Il faut dire qu'elles sont rares les premières plaquettes, éditées à compte d'auteur chez Ollendorff et Ghio, entre 1882 et 1884, par Saint-Pol-Roux qui ne signait alors que de son vrai nom. Sans doute parce que leur tirage en était relativement limité. Sans doute aussi parce que relevant presque toutes d'un genre à la mode et florissant, le monologue, elles n'avaient pas vocation à être conservées et à devenir des objets bibliophiliques, sauf pour quelques monomaniaques. Voici donc ce Garçon d'Honneur !, in-12 de 24 pages, que le poète a sub-intitulé "Odyssée en vers". On pourra trouver légitimement présomptueuse telle précision générique pour désigner les treize courtes pages d'octosyllabes que dure ce monologue ; mais quand on sait ou quand on lit que ladite "odyssée" est "racontée par M. E. Homerville", premier comique du Théâtre du Gymnase à Marseille, on subodore la galéjade qui mue l'histrion en aède - son patronyme aidant - et le conte-pour-rire en farce épique.

Disons-le tout de suite : cette œuvre de jeunesse est une œuvrette et on y décèlerait difficilement des prémices d'idéoréalisme. Au moins nous renseigne-t-elle sur les ambitions dramatiques du jeune Marseillais qui n'a pas encore découvert le Symbolisme et qui "ne rêva[i]t qu'Odéon et Comédie Française", comme s'en souviendra Jean Ajalbert. L'intrigue tient en peu de lignes : Raphaël, le narrateur, à peine rentré d'Alger où il a passé un an de service militaire, est réquisitionné, quasi de force, par son ami Pichenet pour servir de garçon d'honneur à son mariage ; après avoir surmonté deux ou trois situations cocasses, il découvrira que la mariée n'est autre que sa propre femme ; n'ayant donné de ses nouvelles, on l'avait déclaré mort ; bien entendu, Raphaël se réjouit de sa liberté retrouvée.
L'originalité de la plaquette, comme nous l'avons écrit dans le billet précédent, tient plutôt à ce qu'elle est illustrée de dix dessins de Ricaud. Répétons-le, les collaborations de Saint-Pol-Roux avec les artistes furent rares et méritent d'être recensées. Qui fut ce Ricaud ? Nos recherches, jusqu'ici, n'ont donné aucun résultat. Peut-être un illustrateur marseillais. Paul Roux, après tout, en était originaire ; Homerville y jouait et y créa probablement Garçon d'Honneur ! ainsi que le laisse entendre la dédicace imprimée : "A Monsieur E. Homerville / Souvenir bien reconnaissant et bien affectueux" ; la plaquette, même, y fut imprimée, "chez Blanc et Bernard". L'avenir, sûrement, nous en dira plus sur ce Ricaud.

L'avenir, tout aussi sûrement, nous fournira d'autres occasions de nous réjouir, des occasions - chi lo sa ? - mignonnes comme des plaquettes du prodigue Paul Roux.

dimanche 25 septembre 2011

Jean-Émile Laboureur fut-il le premier illustrateur de Saint-Pol-Roux ?

Il faut se rendre à l'évidence, avec un léger regret bibliophilique : Saint-Pol-Roux ne collabora guère, pour l'élaboration de ses livres, avec les artistes de son temps. Certes, il y eut, en 1883 chez Ollendorff, Garçon d'Honneur !, une plaquette illustrée de dessins de Ricaud, dessinateur qui ne semble pas avoir marqué l'histoire de l'art ; puis, en 1932, les belles gravures de Saïk pour La Randonnée que le poète avait offerte à la Revue de l'Ouest. Les éditions posthumes connurent un dessein meilleur : en 1943, l'Amitié par le Livre put compter sur la collaboration de Mathurin Méheut pour donner vue à quelques-uns des poèmes du Magnifique réunis en Florilège ; au début des années 1950, André Masson manqua de peu illustrer un choix de textes, ce fut, finalement, Georges Braque qui donna de belles gravures pour Août, en 1958. L'absence de collaboration avec les peintres en période symboliste et post-symboliste étonne, alors même que l'essentiel de l’œuvre publiée le fut entre 1886 et 1907, alors même que Saint-Pol-Roux fut l'ami de Paul Signac, de Georges Rochegrosse, qu'il en admira d'autres, Puvis de Chavannes, Henry de Groux, Gauguin, Jeanne Jacquemin, etc., alors même que la plupart des auteurs de sa génération avaient fait illustrer au moins un de leurs livres par un peintre du mouvement. Est-ce donc que les recueils du "grand imagier de la poésie française" pouvaient se passer d'illustrations ? Les artistes savaient pourtant éviter la redondance...

L'apparition, dans le catalogue de vente de la succession Sylvain Laboureur, fils du peintre, graveur et illustrateur, Jean-Émile Laboureur, d'une lithographie intitulée "Les trois fiancées de porcelaine", est, par conséquent, un événement de taille pour qui s'intéresse à l’œuvre du Magnifique. Datée de 1897, le jeune artiste y a noté, à la suite du titre, le nom de "St Pol Roux" ; "les trois fiancées de porcelaine" semblent, en effet, empruntées au poème, fort apprécié de Remy de Gourmont et des contemporains symbolistes, "Le Pèlerinage de Sainte Anne", recueilli dans Les Reposoirs de la Procession (1893), à ceci près que le poème contait la légende de "cinq Promises de porcelaine".
Laboureur avait alors vingt ans. Il était monté, de Nantes où il naquit, à Paris, deux ans plus tôt. Il avait exposé ses premières œuvres gravées en 1896. Sans doute, fréquentait-il la bohème parisienne, toute la jeunesse artistique et littéraire. Il rencontra peut-être Saint-Pol-Roux dans le dernier trimestre de 1896, lorsque ce dernier revint de la forêt ardennaise armé de La Dame à la Faulx, ou dans les premiers jours de 1897. Peut-être encore avait-il simplement lu Les Reposoirs de la Procession ? Cette lithographie, qui réapparaît aujourd'hui, est-elle l'indice d'un projet de collaboration entre le graveur et le poète ? En ce cas, dans quel cadre ? Nous ignorons tout d'une éventuelle réédition du recueil de 1893 à cette époque, ou d'une édition du "Pèlerinage de Sainte-Anne" en plaquette de luxe illustrée ; à moins qu'il se fût agi d'une collaboration plus furtive pour quelque petite revue. Autre hypothèse : Laboureur, ayant particulièrement apprécié le poème, aura voulu l'illustrer librement, pour lui ou en vue d'exposition. Les premiers livres illustrés par l'artiste sont, en effet, plus tardifs. Quoi qu'il en soit, il apparaît désormais - et jusqu'à nouvelles trouvailles - que Jean-Émile Laboureur fut le premier illustrateur de la poésie de Saint-Pol-Roux.
Nota : La vente de la Succession Sylvain Laboureur, organisée par la Maison Ader, aura lieu le mercredi 12 octobre 2011 à 14h00, à l'Hôtel Drouot (salle 4).

samedi 24 septembre 2011

Jim.-E. Sévellec raconte la nuit du drame (document communiqué et introduit par Michel Kerninon)

Au mois de juillet 1968 avait été émis le timbre postal à l'effigie de Saint-Pol-Roux. Le "premier jour" philatélique se déroula le 6 juillet à Marseille, Paul-Pierre Roux y étant né le 15 janvier 1861, dans la banlieue de Saint-Henry. A cette occasion, une exposition fut organisée à l'Hôtel de Ville de Brest et une journée du timbre lui fut consacrée le 7 juillet, à Camaret.

Le peintre, faïencier et écrivain Jim-Eugène Sévellec (1897 Camaret-1971 Brest), à l'occasion de cet événement, rendit un hommage remarquable au poète disparu en 1940, qu'il avait fréquenté pendant deux décennies. Cet hommage particulièrement émouvant et nourri des épisodes de la vie du poète, il put le rendre dans les colonnes du Télégramme de Brest, sous la forme d'un long feuilleton paru des 4 au 6 juillet 1968, dont j'ai gardé les pages.

Jim-E. Sévellec y retrace donc la vie du poète, jusqu'à son décès à l'hôpital de Brest. Celui-ci était d'ailleurs situé à l'emplacement qu'occupe aujourd’hui la Bibliothèque municipale baptisée de son nom, au 22 de la rue Traverse du Brest reconstruit.

S.-P.-R. y expira à l'aube du 18 octobre 1940 "sous les yeux de sa fille, l'Ange de sa Solitude, comme il qualifia Divine, ainsi que l'a rappelé Théophile Briant (Saint-Pol-Roux - Poètes d'aujourd'hui, Seghers 1961).

Jim-E. Sévellec raconte, notamment, dans Le Télégramme, la nuit d'épouvante que vécurent le 23 juin 1940, à proximité des alignements mégalithiques de Lagad Jar, en Camaret, les occupants du manoir de Coecilian. Ce balcon sur l'Iroise, rebaptisé du prénom de l'un des deux fils du poète, tué à Verdun en 1915, connut une nuit d'horreur, dont il se dit qu'elle inspira le fameux roman de Vercors, Le silence de la mer.
Voici le récit du drame qui se déroula cette nuit-là. Il faut se rendre compte que nous étions déjà deux longues heures et demie après l'incursion criminelle du soldat allemand, ou plutôt d'un reître, au logis de la famille Roux, où se trouvaient en cette belle nuit de printemps, Paul, Divine, Rose, la servante du poète, veuf depuis le décès prématuré de son épouse Amélie.

Jim-E. Sévellec raconte :
"Là, le poète et les deux femmes terrorisées le virent déposer un couteau et deux revolvers devant un portrait de Wagner, et, frappant du pied en montrant le sol du doigt, il interrogea : Ein Keller ? Supposant qu'il désirait savoir s'il y avait une cave, on lui indiqua la voie d'accès. Il fit allumer une lampe, éteignit l'électricité et, revolver en main, il signifia à Rose et au vieux maître d'avoir à descendre tandis qu'il les suivait en poussant Divine du canon de son arme. Une fois tout le monde réuni, la brute se précipita vers Divine, le poète qui ne se faisait plus d'illusion sur les intentions de son visiteur nocturne, s'élança aussitôt pour protéger sa fille mais Rose plus jeune et plus leste, l'avait déjà devancé faisant de son corps un rempart à sa maîtresse. Alors, ce fut le drame rapide, impitoyable. L’Allemand fit feu. Une balle pénétra par la bouche, tuant Rose sur le coup, deux autres balles frôlèrent la tête du poète pour aller s'écraser contre la muraille. Cependant que le pauvre homme ayant trébuché, s'affaissait allant se couper le crâne contre les pierres du soubassement, perdant immédiatement connaissance. Quant à Divine, un projectile lui avait fracassé l'os de la jambe au-dessus du genou. Après avoir vu tomber les deux êtres qu'elle aimait tant, une terreur folle s'était emparée d'elle, mais que pouvait-elle tenter seule, pantelante, face au monstre qui la fixait avec des yeux de fou, tenant à la main son revolver encore fumant ? Il ne lui était plus permis d'espérer un secours et l'Allemand le savait bien, qui la prit dans ses bras pour la remonter au salon, où il allait sur sa personne perpétrer un deuxième crime."
Michel KERNINON
Illustrations : Portrait de Saint-Pol-Roux par Pierre Péron (1939) illustrant les souvenirs de Jim-E. Sévellec dans Le Télégramme. - Le Manoir de Cœcilian en 1976, dessin à l'encre de Michel Kerninon. 

samedi 17 septembre 2011

Les trois premiers BASPR sont épuisés...

Puisque les trois premiers
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dimanche 4 septembre 2011

Clichés des Académiciens Mallarmé

Gallica, la bibliothèque numérique, décidément, est une inépuisable source de surprises. On y trouve, non seulement beaucoup des petites et grandes choses que l'on espère trouver, mais aussi plein d'autres documents qu'on ignorait et ne cherchait pas particulièrement. C'est ainsi que tapotant, il y a quelques mois, mon hebdomadaire "saint-pol-roux" dans le moteur de recherche du site, m'apparurent ces deux clichés de presse pris le 19 février 1937, à l'occasion du déjeuner fondateur, place Gaillon, de l'Académie Mallarmé. La première photographie est connue et fut publiée dans le Figaro du lendemain. On y reconnaît les huit académiciens : (de gauche à droite, debout) Édouard Dujardin, Francis Vielé-Griffin, Paul Valéry, André Ferdinand-Hérold, André Fontainas, Jean Ajalbert, (assis) Saint-Pol-Roux et Paul Fort.
La seconde m'était inconnue et nous intéresse davantage encore puisqu'elle est un portrait du Magnifique. Alors âgé de 76 ans, avouons-le : Saint-Pol-Roux porte beau. L'indispensable stylo plume soigneusement glissé dans la poche pectorale de la veste, il tient entre ses mains, un exemplaire de Vendredi, hebdomadaire littéraire et politique, "fondé par des écrivains et des journalistes et dirigé par eux", celui du jour, naturellement, puisque le 19 février 1937 fut un vendredi.
Ma gratitude va logiquement à Gallica dont l'incroyable richesse rend le chercheur toujours plus impatient et exigent.

samedi 3 septembre 2011

Michel Kerninon se souvient : Saint-Pol-Roux, de Georges-Gustave Toudouze à Georges Perros

M. Michel Kerninon laissa, au pied d'un billet récent, un commentaire dont l'intérêt - pour nous que rien, s'agissant de Saint-Pol-Roux, ne laisse indifférent - mérite bien qu'on l'extraie de sa discrète place et qu'on lui donne meilleure visibilité. Le voici donc, ce commentaire, chenille devenue billet-papillon. Puisse cette métamorphose inciter d'autres visiteurs et lecteurs à venir déposer un témoignage, une anecdote, une rêverie, une image, etc., autour de Saint-Pol-Roux...
[...] Le Magnifique, haute figure de légende mais sans doute poëte (sic, à l'anc(t)ienne) [est] un peu difficile à apprécier aujourd'hui en raison d'une certaine grandiloquence et de quelques féeries de langue sans doute un peu excessivement théâtrales, peut-être dues à la faconde du Marseillais...

C'est sans doute cette figure haute en couleur qui me fit vers 1965, - j'avais 19 ans - vouloir rencontrer son voisin de Lagad Yar, à Camaret, Georges-Gustave Toudouze, alors quasi nonentenaire. Il était au physique une impressionnante carcasse monumentale vêtue d'un kabig bleu marine, totalement aveugle, guidé à la main par sa jolie gouvernante.

Son père Gustave Toudouze (1847-1904) avait été écrivain, ami de Zola, Flaubert et Maupassant notamment. Georges-Gustave Toudouze me parla longuement de son père et aussi du climat politique et littéraire de la deuxième moitié du XIXe siècle, de la vie artistique et sociale à Paris et Camaret.

Je n'ai pas souvenir que l'originalité de son regard m'ait impressionné, peut-être en raison de motifs conjoncturels tenant à mon jeune âge et au fait que ce sujet n'était pas l'objet de ma curiosité du moment.

J'étais allé le voir dans l'espoir de recueillir de lui un témoignage vivant sur Saint-Pol-Roux.

Le vieil écrivain prolifique qu'ont lu tous les jeunes Bretons et Français de l'entre-deux guerres et après, n'avait visiblement pas de réelles affinités avec Le Magnifique, son voisin de dune. Car, malgré mon insistance, il persista de sa voix solennelle et sépulcrale à ne me parler que de lui, de son propre père, des étés théâtraux de Camaret, de Jouvet et de beaucoup d'autres, dont Louis-Ferdinand Céline, éphémère médecin de ville au-dessus des quais du port langoustier.

Il m'indiqua notamment se souvenir de Victor Hugo dont il était un des filleuls. Il me raconta que, bambin, il avait sauté sur les genoux du poète et avoir été fortement impressionné par les funérailles nationales, monumentales, de l'auteur des Misérables. On a dit que le passage de son corbillard avait été salué par deux millions de Français dans les rues de Paris.

Je ne parvins à obtenir de Georges-Gustave Toudouze la moindre parole de bienveillance ni même d'intérêt pour son voisin Saint-Pol-Roux, avec lequel le seul point commun semblait devoir rester un point de vue imprenable sur le Toulinguet et la mer d'Iroise.

A cette époque, le manoir était dans un état médian entre la photo de 1950 que vous présentez et la dernière, prise récemment. Je pense que quelques troncs de tamaris en vie ont dû être visibles jusqu'au milieu des années 1980. Ensuite, pendant quelque temps, on en a trouvé aux abords des ruines de plus en plus écroulées, quelques bûches calcinées, ayant visiblement réchauffé le bivouac d'admirateurs qui avaient tenté de ranimer la mémoire du poète. Du moins, est-ce ainsi que je me plais à imaginer une nuit passée à la belle-étoile devant l'océan Atlantique. Georges Perros, lui-même, que je crois avoir été moins insensible à l'homme qu'à l’œuvre, dès son arrivée en Finistère, avait prélevé dans les ruines abandonnées à l'érosion des hommes, comme au travail du temps et des vents, une petite pierre, il disait un caillou, recueillie dans le jardin saccagé. Il le porta précieusement de table en table dans ses pérégrines turnes douarnenistes aux abords du port.
MICHEL KERNINON
Nota : Coïncidence ou intersigne, au moment où Michel Kerninon postait son commentaire, le beau poète Roland Nadaus m'écrivait, à propos du même billet : "Je conserve précieusement une petite boîte que m'envoya, du temps où j'étais un très jeune poète, Georges Perros : elle contient un petit morceau d'une pierre du manoir..."

vendredi 2 septembre 2011

Saint-Pol-Roux à Quimper, pendant les fêtes de Cornouaille de 1937

Trouvés dans L'Ouest-Éclair, ces clichés photographiques pris lors des populeuses et populaires fêtes de Cornouaille qui célébrèrent, à Quimper, le retour de la Duchesse Anne. Alors qu'il faut plisser les yeux pour deviner Saint-Pol-Roux, en tête de cortège, à la droite de la bretonne et royale réincarnation, en partie masqué par la cavale blanche, on le découvrira en charmante et pittoresque compagnie sur la troisième photographie.

mardi 30 août 2011

"Par la cage des escaliers, mon ronflement signifiait : le Manoir, c'est moi !"

Saint-Pol-Roux, qui admirait Hugo, eut aussi son Hauteville House. Ce fut le Manoir du Boultous (puis de Cœcilian) que son rêve dressa contre le vent, orgueilleux palais du Verbe qu'ébranla souventefois le Grand-Kornoc, ce démon de l'Ouest.
"Mes murs s'ébrouent, leurs pierres cherchant en quelque sorte à retourner chez la carrière natale. On crie : maman ! dans chaque cadre de mortier. Je glapis : tenez bon ! du plus profond de la cave où, travesti en cent-de-bouteilles faisant un raffut de toutes les frayeurs avecque les gouttières et les girouettes, je piaille, je grince, j'ahane et, ma foi ! je bêle par chaque fissure du Manoir effaré qui doit paraître de carton-pâte aux guetteurs du sémaphore et faire s'esclaffer de rire l'Océan par tous ses coquillages.

Qu'on est donc peu d'être Manoir !"
("Le Grand Kornoc" [novembre 1905], in Idéoréalités, Rougerie, 1987)
Le Magnifique savait habiter les lieux et les animer. Le Manoir devint sa demeure irrévocable. Les destins de l'homme et de son habitation furent intimement liés, on le sait. Saint-Pol-Roux ne put, malgré son désir - après la première guerre -, la quitter.
La seconde guerre émietta l’œuvre et les murs qui la protégeaient.

Soixante-dix ans après, les éléments continuent de balayer les ruines et d'effacer le rêve de pierre du Magnifique. Quelque jour prochain, nous nous réveillerons sur la dune, face à l'océan, et nous ne trouverons plus qu'une stèle érodée, comme un point final à la longue phrase lithique composée par les menhirs de Lagatjar il y a plusieurs milliers d'années, une stèle où, notre doigt, difficilement, lira le nom de Saint-Pol-Roux.
Illustrations : 1. Plan du Manoir dessiné par Saint-Pol-Roux, conservé à la BM de Châteaulin - 2. Carte postale représentant le Manoir (face océan) avant 1910 - 3. Carte postale représentant le Manoir (face terre) dans les années 1920 - 4. Photographie du Manoir prise dans les années 1950 (merci à l'ami D. B. qui nous la communiqua et qui nous inspira ce billet triste) - 5. Photographie du Manoir prise en août 2011 par l'auteur.

dimanche 28 août 2011

Plus qu'une biographie, avez-vous dit ?

Le lendemain de mon arrivée à Roscanvel, où j'ai passé une quinzaine de jours, je me procurai ce livre au titre étrange, publié à compte d'auteur à 1500 exemplaires ; j'en avais appris la parution quelques semaines plus tôt sur le site du Télégramme. L'auteur, Marie-Françoise Bonneau, guide sur la presqu'île de Crozon, avait participé, l'année dernière, à la commémoration camarétoise des 70 ans de la mort du Magnifique. Je m'attendais donc à lire un travail sérieux, assez précis, et riches en documents nouveaux - au moins s'agissant de la période "bretonne" de Saint-Pol-Roux - le bouquin comptant 222 pages d'un assez grand format. Disons-le sans tarder : je fus déçu. Il est vrai que Marie-Françoise Bonneau donnait, dans ses "notes" (p. 218), ces lignes pour le moins génériquement ambiguës :
"Ce livre est plus qu'une biographie du poète. Peu à peu en étudiant les documents d'archives je me suis imprégnée de la vie de cet homme hors du commun. C'est ainsi que je me permets de nouer des dialogues, qui ne sont pas très loin des paroles que le poète aurait pu dire.
Ce n'est pas un ouvrage scientifique. C'est tout simplement un livre que j'aie écrit avec mon cœur, tâchant de traduire le plus justement possible les sentiments éprouvés par le poète Saint-Pol-Roux, au travers des différentes périodes de sa vie littéraire, mais aussi et surtout de sa vie d'homme, de père et d'époux."
Plus qu'une biographie... voilà qui laisse perplexe : qu'est-ce donc qu'un livre qui est plus qu'une biographie ? Une biographie avec un petit quelque chose en plus ? Un objet littéraire qui relèverait du genre biographique mais qui serait mieux qu'une biographie ? Une hagiographie, peut-être ? Ou tout cela à la fois. Les précisions qui suivent cette première définition laissent à penser qu'il s'agirait plutôt d'une vie romancée ou d'un roman biographique, l'auteur revendiquant une part non négligeable d'invention fidèle : "je me suis imprégnée...", "je me permets de nouer des dialogues...", "j'ai écrit avec mon cœur, tâchant de traduire le plus justement possible les sentiments...". Un tel projet, mené à bien, eût été intéressant - quoique je ne croie pas qu'on écrive rien de valable avec son cœur et dans l'empathie - la terrestre existence de Saint-Pol-Roux n'étant pas dépourvue de romanesque. Mais encore faut-il, pour réussir dans ce genre plus-que-biographique, satisfaire à deux critères : connaître la vie du personnage mis en scène et le contexte historique, littéraire, artistique, etc., dans lequel cette vie s'inscrit ; être écrivain. Le livre de Marie-Françoise Bonneau ne témoigne, hélas, ni d'une bonne connaissance de la vie de Saint-Pol-Roux, ni d'un talent d'écrivain. L'auteur n'est pas plus à l'aise avec la biographie qu'avec le roman.

Le découpage, d'abord, ne doit rien à l'imagination : il est d'une biographie classique. Voici les titres des six premiers chapitres : "La Provence de ses ancêtres", "L'enfance du poète", "Les années parisiennes", "Exil en forêt des Ardennes belges", "Retour à Paris". Les cinq derniers n'offrent pas plus de fantaisie. Mais entrons dans le livre, et feuilletons. Marie-Françoise Bonneau retrace, dans le chapitre inaugural, l'histoire familiale et, plus particulièrement, celle du trisaïeul de Saint-Pol-Roux, Jean-Joseph Hours, né à Saint Julien le Montagnier. Vous ignorez Saint Julien le Montagnier ? Point d'affolement, l'auteur nous campe le patelin :
"Située au nord-ouest du département du Var, la commune de St Julien le Montagnier côtoie le Verdon, ses basses gorges et la retenue de Gréoux, sur plus de sept kilomètres. Culminant à plus de 600 m d'altitude, le village domine toute l'étendue des plateaux du Haut-Var. Nommé "Le Mont St Michel des garrigues" de par sa situation géographique, il conserve depuis le Moyen Age une architecture exceptionnelle. Ses maisons et ses rues concentriques par rapport à l'église et à l'ancien château, épousent magnifiquement les pentes du midi jusqu'au mur d'enceinte. Du haut de la table d'orientation, le regard se perd par-delà un océan de forêts et de plaines jusqu'aux glaciers des Alpes."
Ne dirait-on pas d'un habile rédacteur de plaquette pour office de tourisme ? C'est d'ailleurs, presque mot pour mot, ce qu'on peut lire sur le site officiel de Saint Julien le Montagnier :
"Située au Nord Ouest du Département du Var, la commune de Saint Julien le Montagnier côtoie le Verdon, ses basses gorges et la retenue de Gréoux sur plus de 7 km.
Dominant toute l’étendue des plateaux du Haut Var, "ce Mont Saint Michel des garrigues" possède depuis le Moyen-Âge une architecture urbaine d’exception.
Ses maisons et ses rues concentriques par rapport à l’église et à l’ancien château, s’agencent savamment afin d’épouser les pentes du midi jusqu’au mur d’enceinte. Du haut du balcon d’orientation, l’œil du visiteur se perd dans un océan émeraude de forêts et de plaines jusqu’aux glaciers des Alpes."
Mais point de plagiat ici, un simple oubli des guillemets plutôt, Marie-Françoise Bonneau n'ayant pas omis de citer l'office de tourisme de Saint Julien le Montagnier dans ses remerciements. Et elle en remercie du monde, Marie-Françoise Bonneau. Dommage qu'elle ne remercie pas Georges Reynaud et qu'elle ne le mentionne pas dans sa bibliographie : le premier chapitre et le suivant s'inspirant nettement des travaux de ce dernier sur la généalogie et sur les premières années du poète. Incontestablement, l'auteur a fait des recherches, a puisé les informations où elles se trouvaient, aux archives, en bibliothèques, dans des publications, sur internet aussi. Elle cite certaines sources, en omet d'autres. Mais elle s'excuse : "Ce n'est pas un ouvrage scientifique".

On peut donc manquer de rigueur. Et c'est bien là le défaut majeur du bouquin. La relation des faits y est très approximative. A l'évidence, Marie-Françoise Bonneau n'est pas à l'aise dans la fin de siècle et dans les milieux littéraires, qui compte parmi les amis parisiens du poète : Rémy de Gourmont, Emile Raynaud, Louis Dumour, Maurice Barbès, Jean Rictus. Et voici Saint-Pol-Roux qui fréquente assidûment Mallarmé, rue de Rome : "ce dernier lui consacre beaucoup de son temps, lui procurant de nombreux conseils" (p. 22). Or, jamais Saint-Pol-Roux n'assista aux "mardis", et point ne fut un familier du maître : il l'avouera à Guy Lavaud à la fin de sa vie. Autre amitié fort intime, celle que le poète a liée, d'après l'auteur, avec Alfred Vallette : le Magnifique et son éditeur sont à tu et à toi, deux bons vieux potes et, lorsque Saint-Pol-Roux est de retour à Paris, en 1909, voilà le bon Alfred qui vient à sa rencontre :
"- Pierre-Paul, je vais aller droit au but. Tu n'es pas sans savoir que nous avons formé un Comité d'écrivains et d'artistes, il y a quelques temps déjà. Sachant ta venue à Paris pour quelques jours, nous avons décidé d'organiser un banquet en ton honneur.
- Cela me touche beaucoup, merci Alfred.
- Ce n'est pas tout. Nous avons œuvré pour la "Dame à la Faulx" contacté des directeurs de théâtre, les journaux, les éditions littéraires.
- C'est formidable d'avoir fait tout ce travail, mais les réponses vont probablement être négatives comme d'habitude !
- Détrompe-toi, nous avons déjà des résultats positifs. Le Figaro nous a promis une première page avant le banquet.
- Et ce banquet où a-t-il lieu ?
- Ah ! oui, dans mon empressement, j'allais oublier de te remettre ton invitation."
N'est-il pas formidable ce dialogue qui n'est pas "très loin des paroles que le poète aurait pu dire" ? D'une touchante naïveté et d'une non moins touchante ignorance de ce que furent les relations réelles de Saint-Pol-Roux et du directeur du Mercure de France, qui, respectueuses, cordiales et d'amicale distance, n'aboutirent jamais au tutoiement. Le "vous" était de rigueur encore en 1935, l'année de la mort de Vallette. Il faudrait aussi rappeler que Saint-Pol-Roux n'était pas étranger à l'organisation du banquet qu'on lui offrit le 6 février 1909 et dont l'enthousiaste Alfred lui fait ici la surprise.

C'est qu'il est gentil, Alfred : il souhaite tellement être agréable à son ami qu'il ajoute : "Tu sais, Paul, personne ici ne t'oublie. Tes dernières parutions ont énormément plu." Marie-Françoise Bonneau nous apprendra un peu plus loin que ses livres, d'ailleurs, se vendent bien. Or, les cinq cents exemplaires des Féeries Intérieures mettront seize ans à s'épuiser ! Dans la même veine, il sera écrit (p. 134) que les représentations, par le Théâtre Idéaliste de Carlos Larronde, de L'âme noire du prieur blanc et des Personnages de l'Individu ont rapporté des "revenus [qui] ne sont pas négligeables". Quand, bien entendu, cette entreprise bénévole ne dégagea par définition aucun bénéfice ! A croire que le Magnifique fut moins infortuné qu'on le dit généralement. N'avait-il pas, dans son manoir du Boultous, quantité de domestiques ?!

La période bretonne est-elle mieux traitée ? Certes, n'oubliant pas son métier de guide, l'auteur ne manque pas de nous dresser un "historique de l'île longue", des fortifications de Quélern, de nous rappeler la Victoire de Camaret sur les Anglais en 1694, etc., sans parvenir à rattacher naturellement ces digressions à son propos principal. Malheureusement, là encore, concernant Saint-Pol-Roux, on n'apprend pas grand chose. On trouve même une très-étonnante erreur touchant la fort célèbre anecdote du Magnifique en Père Noël que Marie-Françoise Bonneau situe en 1911, alors que le poète débarqua avec sa hotte sur le quai de Camaret le 25 décembre 1909. Les approximations, là encore, sont nombreuses, et il me faudrait relire le bouquin, stylo en main, pour les relever toutes ; ce que je n'ai ni le temps ni l'envie de faire. Signalons toutefois, avant de conclure, le seul vrai document nouveau que produit l'auteur : l'acte de mariage de Lorédan Saint-Pol-Roux avec Irma Louise Stervinou, prononcé à Pont-l'Abbé le 9 décembre 1916.

Tel est donc le livre que les touristes et les presqu'îliens, qui souhaitaient connaître davantage le magnifique poète qui vécut dans le hautain manoir dominant Camaret, purent se procurer cet été, contre 20 €. Pour moins cher ou pour ce prix-là, sans doute auraient-ils mieux fait de dénicher un exemplaire de Saint-Pol-Roux le Crucifié de Pelleau (que Marie-Françoise Bonneau cite abondamment), du Tombeau de Saint-Pol-Roux de Bergot (que Marie-Françoise Bonneau fait paraître des années avant la mort du poète), ou du Saint-Pol-Roux de Théophile Briant qui demeure la référence. Leur connaissance de Saint-Pol-Roux en eût été plus assurée. "Plus qu'une biographie", avez-vous dit ?

mardi 9 août 2011

Cherchez Saint-Pol-Roux dans... L'Écho de la Mode

"La fille joue à la femme du monde en public, la femme du monde à la fille en cachette."
S.-P.-R.

L’ÉCHO DE LA MODE, n°11, 17 mars 1963