Au mois de juillet 1968 avait été émis le timbre postal à l'effigie de Saint-Pol-Roux. Le "premier jour" philatélique se déroula le 6 juillet à Marseille, Paul-Pierre Roux y étant né le 15 janvier 1861, dans la banlieue de Saint-Henry. A cette occasion, une exposition fut organisée à l'Hôtel de Ville de Brest et une journée du timbre lui fut consacrée le 7 juillet, à Camaret.
Le peintre, faïencier et écrivain Jim-Eugène Sévellec (1897 Camaret-1971 Brest), à l'occasion de cet événement, rendit un hommage remarquable au poète disparu en 1940, qu'il avait fréquenté pendant deux décennies. Cet hommage particulièrement émouvant et nourri des épisodes de la vie du poète, il put le rendre dans les colonnes du Télégramme de Brest, sous la forme d'un long feuilleton paru des 4 au 6 juillet 1968, dont j'ai gardé les pages.
Jim-E. Sévellec y retrace donc la vie du poète, jusqu'à son décès à l'hôpital de Brest. Celui-ci était d'ailleurs situé à l'emplacement qu'occupe aujourd’hui la Bibliothèque municipale baptisée de son nom, au 22 de la rue Traverse du Brest reconstruit.
S.-P.-R. y expira à l'aube du 18 octobre 1940 "sous les yeux de sa fille, l'Ange de sa Solitude, comme il qualifia Divine, ainsi que l'a rappelé Théophile Briant (Saint-Pol-Roux - Poètes d'aujourd'hui, Seghers 1961).
Jim-E. Sévellec raconte, notamment, dans Le Télégramme, la nuit d'épouvante que vécurent le 23 juin 1940, à proximité des alignements mégalithiques de Lagad Jar, en Camaret, les occupants du manoir de Coecilian. Ce balcon sur l'Iroise, rebaptisé du prénom de l'un des deux fils du poète, tué à Verdun en 1915, connut une nuit d'horreur, dont il se dit qu'elle inspira le fameux roman de Vercors, Le silence de la mer.
Voici le récit du drame qui se déroula cette nuit-là. Il faut se rendre compte que nous étions déjà deux longues heures et demie après l'incursion criminelle du soldat allemand, ou plutôt d'un reître, au logis de la famille Roux, où se trouvaient en cette belle nuit de printemps, Paul, Divine, Rose, la servante du poète, veuf depuis le décès prématuré de son épouse Amélie.
Jim-E. Sévellec raconte :
"Là, le poète et les deux femmes terrorisées le virent déposer un couteau et deux revolvers devant un portrait de Wagner, et, frappant du pied en montrant le sol du doigt, il interrogea : Ein Keller ? Supposant qu'il désirait savoir s'il y avait une cave, on lui indiqua la voie d'accès. Il fit allumer une lampe, éteignit l'électricité et, revolver en main, il signifia à Rose et au vieux maître d'avoir à descendre tandis qu'il les suivait en poussant Divine du canon de son arme. Une fois tout le monde réuni, la brute se précipita vers Divine, le poète qui ne se faisait plus d'illusion sur les intentions de son visiteur nocturne, s'élança aussitôt pour protéger sa fille mais Rose plus jeune et plus leste, l'avait déjà devancé faisant de son corps un rempart à sa maîtresse. Alors, ce fut le drame rapide, impitoyable. L’Allemand fit feu. Une balle pénétra par la bouche, tuant Rose sur le coup, deux autres balles frôlèrent la tête du poète pour aller s'écraser contre la muraille. Cependant que le pauvre homme ayant trébuché, s'affaissait allant se couper le crâne contre les pierres du soubassement, perdant immédiatement connaissance. Quant à Divine, un projectile lui avait fracassé l'os de la jambe au-dessus du genou. Après avoir vu tomber les deux êtres qu'elle aimait tant, une terreur folle s'était emparée d'elle, mais que pouvait-elle tenter seule, pantelante, face au monstre qui la fixait avec des yeux de fou, tenant à la main son revolver encore fumant ? Il ne lui était plus permis d'espérer un secours et l'Allemand le savait bien, qui la prit dans ses bras pour la remonter au salon, où il allait sur sa personne perpétrer un deuxième crime."
Michel KERNINON
Illustrations : Portrait de Saint-Pol-Roux par Pierre Péron (1939) illustrant les souvenirs de Jim-E. Sévellec dans Le Télégramme. - Le Manoir de Cœcilian en 1976, dessin à l'encre de Michel Kerninon.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire