samedi 3 septembre 2011

Michel Kerninon se souvient : Saint-Pol-Roux, de Georges-Gustave Toudouze à Georges Perros

M. Michel Kerninon laissa, au pied d'un billet récent, un commentaire dont l'intérêt - pour nous que rien, s'agissant de Saint-Pol-Roux, ne laisse indifférent - mérite bien qu'on l'extraie de sa discrète place et qu'on lui donne meilleure visibilité. Le voici donc, ce commentaire, chenille devenue billet-papillon. Puisse cette métamorphose inciter d'autres visiteurs et lecteurs à venir déposer un témoignage, une anecdote, une rêverie, une image, etc., autour de Saint-Pol-Roux...
[...] Le Magnifique, haute figure de légende mais sans doute poëte (sic, à l'anc(t)ienne) [est] un peu difficile à apprécier aujourd'hui en raison d'une certaine grandiloquence et de quelques féeries de langue sans doute un peu excessivement théâtrales, peut-être dues à la faconde du Marseillais...

C'est sans doute cette figure haute en couleur qui me fit vers 1965, - j'avais 19 ans - vouloir rencontrer son voisin de Lagad Yar, à Camaret, Georges-Gustave Toudouze, alors quasi nonentenaire. Il était au physique une impressionnante carcasse monumentale vêtue d'un kabig bleu marine, totalement aveugle, guidé à la main par sa jolie gouvernante.

Son père Gustave Toudouze (1847-1904) avait été écrivain, ami de Zola, Flaubert et Maupassant notamment. Georges-Gustave Toudouze me parla longuement de son père et aussi du climat politique et littéraire de la deuxième moitié du XIXe siècle, de la vie artistique et sociale à Paris et Camaret.

Je n'ai pas souvenir que l'originalité de son regard m'ait impressionné, peut-être en raison de motifs conjoncturels tenant à mon jeune âge et au fait que ce sujet n'était pas l'objet de ma curiosité du moment.

J'étais allé le voir dans l'espoir de recueillir de lui un témoignage vivant sur Saint-Pol-Roux.

Le vieil écrivain prolifique qu'ont lu tous les jeunes Bretons et Français de l'entre-deux guerres et après, n'avait visiblement pas de réelles affinités avec Le Magnifique, son voisin de dune. Car, malgré mon insistance, il persista de sa voix solennelle et sépulcrale à ne me parler que de lui, de son propre père, des étés théâtraux de Camaret, de Jouvet et de beaucoup d'autres, dont Louis-Ferdinand Céline, éphémère médecin de ville au-dessus des quais du port langoustier.

Il m'indiqua notamment se souvenir de Victor Hugo dont il était un des filleuls. Il me raconta que, bambin, il avait sauté sur les genoux du poète et avoir été fortement impressionné par les funérailles nationales, monumentales, de l'auteur des Misérables. On a dit que le passage de son corbillard avait été salué par deux millions de Français dans les rues de Paris.

Je ne parvins à obtenir de Georges-Gustave Toudouze la moindre parole de bienveillance ni même d'intérêt pour son voisin Saint-Pol-Roux, avec lequel le seul point commun semblait devoir rester un point de vue imprenable sur le Toulinguet et la mer d'Iroise.

A cette époque, le manoir était dans un état médian entre la photo de 1950 que vous présentez et la dernière, prise récemment. Je pense que quelques troncs de tamaris en vie ont dû être visibles jusqu'au milieu des années 1980. Ensuite, pendant quelque temps, on en a trouvé aux abords des ruines de plus en plus écroulées, quelques bûches calcinées, ayant visiblement réchauffé le bivouac d'admirateurs qui avaient tenté de ranimer la mémoire du poète. Du moins, est-ce ainsi que je me plais à imaginer une nuit passée à la belle-étoile devant l'océan Atlantique. Georges Perros, lui-même, que je crois avoir été moins insensible à l'homme qu'à l’œuvre, dès son arrivée en Finistère, avait prélevé dans les ruines abandonnées à l'érosion des hommes, comme au travail du temps et des vents, une petite pierre, il disait un caillou, recueillie dans le jardin saccagé. Il le porta précieusement de table en table dans ses pérégrines turnes douarnenistes aux abords du port.
MICHEL KERNINON
Nota : Coïncidence ou intersigne, au moment où Michel Kerninon postait son commentaire, le beau poète Roland Nadaus m'écrivait, à propos du même billet : "Je conserve précieusement une petite boîte que m'envoya, du temps où j'étais un très jeune poète, Georges Perros : elle contient un petit morceau d'une pierre du manoir..."

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