dimanche 25 janvier 2009

Saint-Pol-Roux l'Américain

"Camaret sera une ville américaine"
So then, sons of Franklin, you shall have to crush the demon of gun-powder, as was done for him with the lightning !... Straight to the monster of prey, mechanical, and crunching, as the other thunderstrikes !... Down with Hate, so that our human race, uniquely and for ever, shall know the sacred canticles of Love !... Cheer, the bugles of the Entente proclaiming the supreme leap of the Beast, - to thy lasso, cow-boy !... Whoop-ee ! the Yanks, whoop-ee ! Quick, let the rope hiss and coil around the horn, and from the horn around the body !... Whoop-ee ! There breaks out the "hallali" of "hallalis" upwards the azure and frees the world !... O, since at last, for fraternity henceforth, we must kill War for ever, and, since at last sombre and maleficient War lies there on the death-bed, brethren, let us together plunge the knife, for the infeffable awakening of the nations ant the triumph of Light !...
God bless you, my boys !
Orders for "God Bless you, my boys"
to be sent to "La Dépêche de Brest"
Place Président Wilson

lundi 19 janvier 2009

Des nouvelles du Bulletin des Amis de Saint-Pol-Roux

C'est sans doute une conséquence du relatif succès des deux premières livraisons du Bulletin des Amis de Saint-Pol-Roux : le troisième numéro, qui devait être une reconstitution de la bibliothèque du poète, ne pourra vraisemblablement pas paraître en février comme je l'annonçai il y a quelques jours. La faute à l'exigence, qui me pousse à donner un aspect moins amateur à cette petite publication, bref à trouver un imprimeur de qualité qui puisse donner une forme satisfaisante à cette reconstitution, qui devrait être richement illustrée, mais dont je ne voudrais pas qu'elle ressemble trop à un catalogue de titres.

C'est que le Bulletin a ses lecteurs, parmi lesquels beaucoup d'amateurs de beaux livres qu'il m'ennuierait de décevoir. A l'heure où j'écris, 51 curieux ou passionnés, issant de France, de Belgique, d'Angleterre, d'Espagne, de Suisse, des Etats-Unis, du Japon itou, s'y sont abonnés. Il me plaît de savoir le nom de Saint-Pol-Roux si diversement accentué.

Après un premier tirage à 50 exemplaires qui se révéla insuffisant (beaucoup furent offerts), il fut procédé à un deuxième tirage à 25 exemplaires du n°1 ; deuxième tirage aujourd'hui épuisé. Un troisième et dernier tirage à 26 exemplaires, lettrés de A à Z, est en cours de réalisation afin de répondre aux demandes d'abonnement futures. En tout, la première livraison comptera donc 101 exemplaires, détaillés comme suit :

50 exemplaires de 1er tirage numérotés de 1 à 50
25 exemplaires de 2e tirage numérotés de 1 à 25
26 exemplaires de 3e tirage lettrés de A à Z
tous justifiés de la main du compilateur

Il ne sera pas procédé à un quatrième tirage.

La réussite de cette entreprise est en grande partie due à tous ceux qui eurent l'amabilité d'y consacrer un espace dans leurs publications : ici é là, la revue de la maison de la poésie de Saint-Quentin-en-Yvelines, les Cahiers d'Occitanie (n°43 - décembre 2008), qui en firent, sous la plume de Jean-Pierre Crystal, un beau compte rendu, l'Etoile-Absinthe (tournées 119-120) ; sans oublier les sites et blogs qui lui firent un bel accueil : Les amateurs de Remy de Gourmont (dois-je rappeler combien le BASPR s'inspire de SCRIPSI ?), Livrenblog, le Blog Han Ryner (qui a lui aussi lancé de petites et magnifiques publications rynériennes à imprimer chez soi), Arcane 17, Les Âmes d'Atala, Le Grognard, Le blog de l'Ombre, l'Association des amis de Benjamin Péret, les Amis d'Alfred Jarry, etc. Qu'ils soient tous ici remerciés pour leur soutien et leur amitié.

Le n°2 connaîtra assez vite, lui aussi, un deuxième tirage. Il avait été imprimé d'abord à 75 exemplaires, dont cinq seulement restent aujourd'hui disponibles. Il en sera donc tiré 26 exemplaires supplémentaires, lettrés de A à Z. Le tirage définitif de 101 exemplaires sera alors ainsi détaillé :

75 exemplaires de 1er tirage numérotés de 1 à 75
26 exemplaires de 2e tirage lettrés de A à Z
tous justifiés de la main du compilateur


Quelques bibliothèques ont également montré leur intérêt pour le Bulletin en s'abonnant, lui gagnant ainsi un autre public, plus vaste encore. On ne s'étonnera pas que ces dernières soient surtout bretonnes. Voilà donc qui est fort encourageant et prouve, si besoin était, que l'intérêt pour l'oeuvre de Saint-Pol-Roux existe et croît sensiblement.

La suite à donner ? Eh bien, d'abord un troisième numéro, qui, pour ne pas se voir trop différé, sera, non pas - à regret et avec mes excuses aux abonnés - la reconstitution de la bibliothèque du poète, mais le dossier de réception des Reposoirs de la Procession nouvelle série, composés des trois volumes parus entre 1901 & 1907 au Mercure de France. La cohérence du Bulletin n'y perdra pas puisque les trois premières livraisons constitueront un ensemble homogène autour des chefs-d'oeuvre anthumes du poète. Les comptes rendus des premières pièces idéoréalistes et d'Anciennetés trouveront place, ultérieurement, dans de prochains numéros du Bulletin, nouvelle formule. Car il est amené à changer de formule ce petit Bulletin des Amis de Saint-Pol-Roux. Nous en reparlerons bientôt...

Nouvelles élections à l'Académie Mallarmé : Saint-Pol-Roux, président !

La mort de Francis Vielé-Griffin avait laissé un grand vide au sein de la toute jeune Académie Mallarmé. En effet, avec lui disparaissait un membre fondateur, l'un des fidèles du maître de la rue de Rome, un des meilleurs poètes de son temps, et le président de la nouvelle institution. Il fallait donc, avant de procéder à la remise du prix de poésie, créé par Marcello-Fabri et L'ÂGE NOUVEAU, voter encore. La parole aux échotiers...

Le Figaro - 19 mars 1938
L'Académie Mallarmé remplacera cette semaine son premier président et premier membre décédé, Francis Viélé-Griffin (sic). On meurt modestement dans la jeune académie : ni éloge ni poème funèbre.

Pour la présidence, on parle du poète Saint-Pol-Roux, assez régulièrement éloigné de Paris - ce qui sera dans la bonne règle des institutions démocratiques : il faut craindre le césarisme présidentiel.

Pour le siège, compétition entre Jules Supervielle et Henry Charpentier.
La Girouette.

Le Figaro - 22 mars 1938
M. Jules Supervielle nous écrit qu' "il n'est pas et ne sera jamais candidat à l'Académie Mallarmé". Ce qui n'est pas pour nous étonner : la jeune Académie ne comporte pas de candidature.

Nous écrivions samedi dernier que l'Académie Mallarmé songeait à M. Supervielle ou à M. Henry Charpentier pour la succession de Francis Vielé-Griffin.
Les Alguazils.
La Croix - 31 mars 1938
Election
à l'Académie Mallarmé
La jeune Académie Mallarmé - qui groupait à l'origine dix poètes et qui décida de porter à 15 le nombre de ses membres - s'est réunie mardi au restaurant Drouant, tout comme son aînée, le Goncourt.

Elle élit d'abord comme président M. Saint-Pol Roux, puis, en remplacement de M. François (sic) Vielé-Griffin, décédé, ce fut M. Henry Charpentier qui l'emporta sur MM. Jules Supervielle et Max Jacob.

M. Henry Charpentier est un poète très traditionnaliste, et, au surplus, il est l'exécuteur testamentaire de Mallarmé. Deux raisons qui, sans doute, ont pesé sur le choix de l'Académie.
L'Ouest-Eclair - 5 avril 1938
A l'Académie Mallarmé
Réunis mercredi dernier, comme les Goncourt, au restaurant Drouant, les membres de l'Académie Mallarmé se sont donné, pour succéder à Francis Vielé-Griffin, un nouveau président. Il nous plaît que leur choix se soit porté à l'unanimité sur Saint-Pol-Roux, le "magnifique" et solitaire poète du manoir de Coecilian, en Camaret.

Un nouveau membre a été élu, M. Henri Charpentier, poète à forme traditionaliste, qui fut l'exécuteur testamentaire de Mallarmé.
A.-V. de Walle.
Yggdrasill - 25 avril 1938
A l'Académie Mallarmé
Ami d'Yggdrasill, Saint-Pol Roux - dont nous avons publié, en décembre, un Noël que n'ont pas oublié les lecteurs d'Yggdrasill - vient d'être élu membre de l'Académie Mallarmé en remplacement de Francis Vielé-Griffin. Nous nous réjouissons de cette élection d'un poète resté pur, à qui nous lient le respect, l'admiration et l'affection, trois sentiments que nous ne pouvons avoir ni pour l'inventeur de l'Académie Mallarmé ni pour son dernier élu.
Yggdrasill - 25 mai 1938
A l'Académie Mallarmé
Par suite d'une erreur de composition, il y a lieu de rétablir comme suit le texte de notre entrefilet du mois dernier : "Saint-Pol-Roux vient d'être élu Président". Les dernières lignes de cet entrefilet ne pouvaient, on l'a bien compris, viser le Président de l'Académie Mallarmé, qui est notre ami, mais le dernier membre élu de cette association, entièrement due au génie inventif de M. Edouard Dujardin. Ce qui évidemment lui ôte toute importance.
L'Âge Nouveau - n°6 - juin 1938
Dans les journaux
Académie Mallarmé
Nos lecteurs ont appris l'élection récente de M. Henry Charpentier à l'Académie Mallarmé. Il nous est particulièrement agréable de reproduire une partie du généreux article que M. Edmond Jaloux, vient de consacrer dans le Jour au nouvel élu, à qui nous adressons nos bien sincères félicitations :

Nous avons, certes, aujourd'hui encore, de nombreux poètes qui gardent farouchement la noble tradition mallarméenne : M. Saint-Pol-Roux qui vit à l'écart de tous, sinon de la tempête et des goélands, au fond de la Bretagne ; M. O.-W. Milosz, qui n'a pas l'air de cheminer parmi les vivants ; M. Raymond de la Tailhède, dernier héritier du sceptre de Moréas, M. Patrice de la Tour du Pin, bien d'autres encore... Mais un des plus secrets et des plus solitaires est M. Henry Charpentier ; aucun groupe n'a su le retenir, aucun cénacle se servir de lui. Confiant, mais vite froissé ; altier, mais sensible à la sympathie ; enthousiaste, mais tourné vers l'abstrait, cet écrivain obéit à une sorte de vocation de l'isolement, aux pressions d'une délicate pudeur.

Il y puise ce riche minerai, éclatant et sombre, dont il forge la substance de sa belle poésie. Elle joint un élément intellectuel à je ne sais quels remous romantiques et mystérieux, qui font une atmosphère poignante à ces transpositions du drame humain dans une sphère de cristal.

Disciple de Poe et de Mallarmé, M. Henry Charpentier est résolument classique et un très grand artiste du vers. Il lui donne une musique qui n'appartient qu'à lui ; qui n 'est ni celle de Moréas, ni celle de M. Paul Valéry. La joie que donne son oeuvre est souvent parfaite. Mais on ne peut rien en citer, sentir, tant un poème, chez lui, se tient, fait un tout, est indissoluble.

Ajoutons que le nouveau membre de l'Académie Mallarmé, est lui-même exécuteur testamentaire du docteur Bonniot, dont il fut l'ami et qui était le gendre de Mallarmé.

Cet hommage rendu à un très beau poète par un très haut écrivain, est aussi, par quelque côté, un hommage rendu à la jeune Académie Mallarmé, par l'Académie Française...
(à suivre...)

dimanche 18 janvier 2009

Dans les Ardennes belges, avec Saint-Pol-Roux : suivons le guide...

Ce fut une bonne semaine biblio-saint-polienne ou saint-pol-roussine - il est encore temps pour les linguistes de trancher ici -; après le catalogue du Salon des peintres de la Bretagne de 1937, c'est au tour du Guide Cosyn des Ardennes Belges de rejoindre le rayonnage magnifique. Bien que sans date on peut aisément estimer sa publication au premier semestre de 1932. C'est un guide, tout ce qu'il y a de plus sérieux, avec son lot d'illustrations et de descriptions, et son incontournable église. Mais il présente l'originalité de donner quelques textes littéraires bien choisis. Et parmi ceux-ci d'accorder une place d'honneur à Saint-Pol-Roux, dont une présentation, adornée de deux portraits photographiques, justifie la présence en ce guide :
Saint-Pol-Roux
Le grand poète français Saint-Pol-Roux passa les années 1895, 96 et 97 dans la VILLA DES FORGES, située entre Saint-Hubert et Poix. Ce séjour dans la Forêt des Ardennes lui inspira des pages d'une puissante originalité et lui laissa un souvenir profond. C'est à Poix qu'il écrivit la Dame à la Faulx.

Nous avons publié, dans notre guide BOUILLON, des renseignements précis relatifs aux origines ardennaises de Paul Verlaine. M. Saint-Pol-Roux conta, dans des pages inoubliables intitulées VERLAINE LE PÂTRE, reproduites plus loin, une rencontre peu banale : il découvrit, pendant son séjour à Poix, dans un simple berger d'Arville, un cousin du célèbre poète.

M. Saint-Pol-Roux rentra en France en 1897 et se retira à Camaret-sur-mer, en Bretagne ; les circonstances devaient raviver les souvenirs qui le liaient à l'Ardenne : en 1914, des milliers de soldats bretons tombèrent et furent enterrés à Maissin, à quelques kilomètres de la Villa des Forges ; un peu plus tard, un malheur déchirant frappa le poète : son fils Coecilian mourut en héros à Verdun...

Les quatre années de malheur unirent les Français et les Belges par des liens étroits. Les tombes bretonnes de Maissin furent soignées pieusement par des mains belges et des relations cordiales se nouèrent : une délégation des anciens combattants du XIe corps d'armée française se rendit, le 22 août 1929, jour du XVe anniversaire de la bataille, en pèlerinage au cimetière de Maissin. Elle fut reçue le lendemain à l'Hôtel de Ville de Saint-Hubert, où M. Pierre Massé, secrétaire de l'Amicale des Anciens Combattants du 19e Régiment d'Infanterie (Brest), récita le MESSAGE A LA FORÊT, composé par M. Saint-Pol-Roux à cette occasion. Le Maître était l'interprète de choix de la fraternité de la Bretagne et de l'Ardenne, dans le cadre de l'amitié franco-belge. Nous publions le MESSAGE A LA FORÊT dans le présent guide.

En 1930, une délégation de combattants du Luxembourg belge fut reçue à Brest par les anciens combattants du 19e R. I. ; l'Ardenne rendait à la Bretagne la visite de l'année précédente. Une fois de plus, M. Saint-Pol-Roux apporta l'éclat de son talent à la cérémonie et prononça le TOAST A LA BELGIQUE, que nous donnons plus loin.

M. Pierre Massé et ses camarades brestois, donnant suite à une suggestion de leurs amis belges, décidèrent d'ériger en août 1932 un vieux calvaire breton au cimetière de Maissin ; c'est le vénérable calvaire du Tréhou qui a été choisi. Ainsi que l'écrivit M. le Colonel Mercier, délégué du Gouvernement français aux Fêtes du Centenaire de Maissin, ce sera "une vraie croix bretonne qui portera avec elle le goût des brumes salées qui la patinèrent, l'écho des prières touchantes qu'elle entendit souvent".
Cette notice n'est malheureusement pas signée ; on aurait aimé en connaître l'auteur, admirateur belge du poète. Elle dit assez justement, en tous cas, l'importance qu'eut, pour Saint-Pol-Roux, ce séjour en Belgique, moins long en réalité que ne le laisse entendre le Guide ou que ne l'écrira plus tard le Magnifique lui-même dans ses souvenirs.

Pourquoi le poète s'exila-t-il chez nos voisins belges ? On sait qu'il connaissait alors des difficultés financières et avait dû vendre ses parts du Mercure de France. Les huissiers et les créanciers pressants le contraignaient à quitter son appartement du 28, rue Saint-Vincent. Les dettes étaient-elles à ce point signifiantes que Saint-Pol-Roux se sentît forcé à l'exterritorialisation, menacé de poursuites judiciaires ? Peut-être, mais il ne faut pas oublier que cette période (1894-1895) fut celle où son engagement anarchiste atteignait son plus haut période. Il avait publié LE FUMIER dans la Revue Blanche et avait proposé à cette dernière un texte sur Sante Caserio, l'assassin de Sadi-Carnot, qui ne parut pas, mais qui n'avait pas échappé aux indicateurs de la police. Ces écrits n'avaient pas plu, sans doute, aux parents du poète, qui gelèrent ses rentes, accroissant encore sa précarité financière. Et les lois scélérates, qui envoyaient, sans distinction, criminels de droit commun et intellectuels en prison ou devant les tribunaux, compliquaient la situation. Pour ceux qui sentaient alors l'étau se resserrer, la Belgique s'offrait comme un idéal pays d'accueil. Et, comme beaucoup de ses confrères, le poète-anarchiste ruiné, Saint-Pol-Roux, s'y rendit tout naturellement dans les premiers jours de mars 1895.

Il s'installa d'abord à Bruxelles, 8, Montagne des Géants, puis quelques jours plus tard, au 42, avenue des Villas. Le 3 juin, il est à Bruges. Puis il élit domicile dans la Forêt des Ardennes luxembourgeoises où il occupe la Maison des Forges, dite aussi Château d'Arville ; en août, il revient à Saint-Henry pour fêter les noces d'or de son oncle et de sa tante, Pierre & Anne Roux. Il rentre dans le Val-de-Poix en septembre. Son séjour y durera un an. Il retournera à Paris (4, place Monge), avec le manuscrit de la Dame à la Faulx dans ses malles, en septembre 1896.



Séjour relativement bref donc, mais séjour qui fut capital dans la vie et pour l'oeuvre du poète. Il y composa non seulement sa tragédie, mais aussi quantité de poèmes, qui sont parmi ses plus beaux et ses plus intéressants. Si c'est à Camaret qu'il affirmera avoir découvert la vérité du monde, c'est dans la Forêt des Ardennes qu'il en eut l'intuition. La "crise pas drôle" traversée à Paris se résoud dans la simplicité et la rudesse naturelles du Val-de-Poix. Saint-Pol-Roux y développe un naturisme personnel ; ils sont nombreux les textes de cette période ardennaise à reposer sur une thématique de la purification et de la renaissance. Jacques Goorma & Alistair Whyte en ont publié plusieurs dans Idéoréalités (Rougerie, 1987) ; d'autres, en prose, furent recueillis dans les tomes des Reposoirs de la procession. Rassemblés, avec quelques inédits conservés çà et là, ils feraient une anthologie remarquable. Car, paradoxalement, c'est loin de Paris, dans le silence et l'obscurité des bois, où il est venu traquer la dame à la faulx, que le lyrisme de Saint-Pol-Roux se veut le plus lumineux, le plus naïvement orgueilleux :
"Je me sens pur comme l'enfant qui vient de naître.
Une brise a passé qui m'ôta le péché.
Géranium du simple au coin de la fenêtre,
Un sourire fleurit sur ma lèvre perché.
[...]
Je m'apprends dans l'oubli de la machine humaine
Afin d'édifier mon naïf monument.
L'esprit que l'on découvre désormais nous mène :
Un poète absolu n'est qu'un commencement." (Primitivité)
"Il sied à l'évadé de vivre un vierge monde
Afin d'en revenir au soir d'un vieil été
Muni des épis neufs de sa propre beauté." (En attendant notre pain quotidien devant le four du garde-forestier)
"Pèlerin de retour, déposant le manteau, les sabots, le bâton et la chaîne embaumée devant les ailes saintes de la repentie, Forêt adorable en toi, je m'agenouillerai pour l'accomplissement sacré de ma venue ; alors, afin de me permettre un monument digne de mon destin, Forêt, tu donneras à ma transfigurée l'enchantement de tes orgues profondes, et comme pointe au fin roseau cueilli par le poète aux lèvres d'un ruisseau, Forêt, tu donneras le bec épanoui de ton sublime rossignol." (Au seuil des Ardennes)
"Par la soudaine initiation de la baie spontanée, la Vie m'est apparue dans sa plénitude première d'instincts et de passions. L'âme bée devant la symphonie des choses et l'apothéose des êtres, je chancelle et m'agenouille, adoration après le viol." (Le poète au vitrail)
"Alors, fier comme un dieu, le suprême orgueil d'avoir créé de la Vie l'incendiant, le poète se dressa pour inscrire sur sa porte, en naïve dédicace à ses contemporains :
LE STYLE, C'EST LA VIE." (Le Style, c'est la Vie)
"Routinière marâtre, longtemps la Tradition me tint entre ses pattes sous ses ailes épaisses d'où l'Infini n'apparaissait qu'oblitéré par la barbe des plumes, mais un jour, mère première, l'éclatante Beauté vint à passer non loin de ma prison, si souveraine et si libératrice que toutes les ambitions de mon âme s'en furent dans le sillage de la lumière - pour ne plus revenir jamais sous les ailes si sombres d'autrefois." (La poule aux oeufs de cane)
Et l'on pourrait multiplier les citations, qui prouvent que quelque chose s'est produit dans la Forêt des Ardennes, qui a oxygéné la poésie de Saint-Pol-Roux et orienté son écriture vers une esthétique nouvelle ; esthétique nouvelle que théorise la préface de La Dame à la Faulx, rédigée justement en octobre 1895, où l'on peut lire : "La présente époque assiste non pas à une Renaissance, mais à une Naissance."

Cette période fut essentielle dans l'évolution idéoréaliste ; et Saint-Pol-Roux, comme le signale l'auteur de la notice du Guide Cosyn, ne manqua pas une occasion de (se) rappeler ses attaches dans les Ardennes belges. S'étonnera-t-on que le souvenir y accompagnât toujours, en 1915, en 1929, en 1930 & 1932, la danse macabre de l'Ennemie que le poète était venu forlancer à la fin du siècle précédent ?

vendredi 16 janvier 2009

"Notes de Poëte" : une préface de Saint-Pol-Roux au Salon des Peintres de Bretagne (1937)

C'est une chose assez rare que cette petite plaquette d'une douzaine de pages qui sert de catalogue au "Salon des Peintres de la Bretagne" organisé par l'UNION ARTISTIQUE DE QUIMPER du 25 juillet au 13 août 1937. Et je ne suis pas mécontent qu'elle ait tout récemment rejoint ma bibliothèque, et plus particulièrement son rayonnage magnifique. Pourtant, elle ne paie pas de mine cette publication jaunie, qui n'est pas même illustrée - presque un comble pour un catalogue d'art, et d'art pictural. Il n'y figure en effet que les noms des artistes et les titres des 270 oeuvres exposées. Parmi les peintres et sculpteurs présentés, citons Antral, François Caujan, Maurice Denis, Désiré-Lucas, Mathurin Méheut, René Quillivic, Sévellec, qui ne sont pas des inconnus. On peut donc, à la découverte de ces noms, regretter l'absence de reproductions, mais, personnellement, je me console aisément de ces lacunes illustres car la vraie singularité de cette plaquette, c'est sa préface, signée Saint-Pol-Roux.


On y chercherait vainement une présentation circonstanciée et circonstancielle de la manifestation ; ce sont, sans lien explicite avec cette exposition-ci, des "Notes de Poëte" sur la peinture, qui furent reprises par René Rougerie dans Les Traditions de l'Avenir (pp. 95-100, 1974). Mais l'éditeur les a probablement reproduites à partir d'un manuscrit de Saint-Pol-Roux, peut-être une première version, car la préface du catalogue est amputée de quelques lignes figurant dans le volume. Et le travail typographique, sur la police, la taille des caractères de certains mots ou groupes de mots, le jeu des gras, des italiques, des capitales, ne sont pas rendus dans le livre. Ce qui est dommage, car à regarder cette préface de catalogue d'art vierge d'illustrations, on s'aperçoit que le plus imagier de tous les artistes représentés, c'était encore le préfacier-poète : Saint-Pol-Roux le Magnifique.

lundi 12 janvier 2009

Un prix de poésie décérné par l'Académie Mallarmé, enfin !

Fin novembre 1937, l'Académie Mallarmé comptait enfin quinze membres, et se positionnait, par son vaillant quorum, entre l'Académie Goncourt et l'Académie française. Quinze membres, fort légitimes pour la plupart, mais quinze membres pour quoi faire ? Il y avait bien eu, au cours de cette première année d'existence, quelques commémorations et événements poétiques, parrainés ou présidés par la jeune académie, mais rien qui laissât aux contemporains l'impression durable de son utilité. N'était-ce pas d'ailleurs le sentiment même de certains de ses membres ? de Saint-Pol-Roux, notamment, répondant laconiquement à Fernand Lot, qui l'interrogeait sur son activité d'académicien : "Nulle". C'est qu'il lui manquait l'essentiel : un prix. Sonnant et trébuchant de préférence, bruyant donc, susceptible de capter l'attention du badaud, friand de classements & déclassements, et celle du poète, aux poches crevées, nécessairement.

C'est à l'étonnant Marcello-Fabri, dont l'influence sur la poésie d'après-guerre (celle de 1914-1918) mériterait d'être sérieusement définie, et à sa revue, L'ÂGE NOUVEAU, - la seconde qu'il fonda, après la très-importante Revue de l'Epoque -, qu'on doit la réparation, en mars 1938, de cet oubli académique bien involontaire (en effet, les quinze académiciens étant poètes, ils avaient eux aussi les poches crevées, nécessairement).


L'Âge Nouveau - n°3 - mars 1938

"L'Age Nouveau fonde un prix de poésie"
Nous avons annoncé dans notre numéro de février que notre publication fonde un prix de poésie de cinq mille francs. Nous sommes heureux d'indiquer aujourd'hui que c'est l'Académie Mallarmé qui désignera le lauréat. Tous les membres de cette Académie composent donc le jury de notre prix de poésie. Le bureau de l'Académie Mallarmé a demandé à M. Marcello-Fabri de se joindre à elle pour le vote. Rappelons les noms des membres de l'Académie Mallarmé : MM. Jean Ajalbert, Jean Cocteau, Edouard Dujardin, Léon-Paul Fargue, André Fontainas, Paul Fort, Ferdinand Hérold, Mme Gérard d'Houville, MM. Maurice Maeterlinck, Albert Mockel, Saint-Pol Roux, Paul Valéry, Valéry-Larbaud (sic) et Ch. Vildrac. Auxquels noms se joindra, au moment du vote, celui de notre directeur littéraire.

Magnifique aréopage qui désignera assurément le plus digne et le meilleur.
Mais, me direz-vous, ô lecteurs vigilants et assidus, il n'y a là que quatorze noms et non pas quinze ! Et oui, il manquait, en mars 1938, un membre, et pas des moindres : le président de l'Académie Mallarmé, lui-même. En effet, Francis Vielé-Griffin était mort quelques mois auparavant, le 11 décembre 1937, laissant orpheline l'Académie nouveau-né, qui n'avait donc pu se réjouir bien longtemps de son quorum, si laborieusement atteint. La Mallarmé avait enfin un prix, mais plus de président. Il fallait donc revoter.

Le Figaro - 12 mars 1938

A l'Académie Mallarmé
Grande activité à l'Académie Mallarmé. Ses membres se sont réunis la semaine dernière à leur siège de la Bibliothèque Nationale et vont se réunir de nouveau samedi prochain (12 mars) pour causer des prochaines élections, lesquelles auront à pourvoir au siège laissé vacant par la mort de Vielé-Griffin, d'abord en tant que membre de l'académie, ensuite en tant que président de celle-ci.

L'ordre du jour comporte également le Prix Mallarmé qu'ils pensent pouvoir décerner assez prochainement.
(A suivre...)

dimanche 11 janvier 2009

Vient de paraître : Jean ROYERE & André GIDE - Lettres (1907-1934) - "Votre affectueuse insistance"

On se souvient peut-être que Jean Royère fut l'auteur-mystère de notre jeu concours du mois de mars. On se souvient peut-être aussi que je donnai, quelques jours après que l'ami Zeb de Livrenblog eut fourni la bonne réponse, la bibliographie de cet important écrivain qui fut, entre 1905 & 1939, l'un des animateurs essentiels de la vie littéraire. Les "Amis de Saint-Pol-Roux"(1) savent, en outre, qu'il occupe une place de choix dans la vie du Magnifique. Plus qu'un ami fidèle, il lui fut un frère, et j'aurai l'occasion de revenir, dans un prochain numéro du Bulletin, sur cette poétique fraternité.

Les Editions du Clown Lyrique, qui sont décidément bien audacieuses, donc indispensables, publient aujourd'hui la correspondance inédite de Jean Royère & André Gide, soit 53 lettres échangées entre 1907 et 1934, recueillies, annotées & présentées par l'excellent Vincent Gogibu. Il est étonnant ce Vincent Gogibu qui, tout en oeuvrant à l'élaboration de la correspondance générale de Remy de Gourmont, une somme impressionnante à paraître prochainement, en quatre tomes, aux éditions du Sandre, s'est offert cette récréation épistolaire. J'admire l'énergie, l'endurance du bonhomme, et je me tais, n'ayant pas encore le volume en mains, pour laisser place à la présentation de l'éditeur :
Les éditions du Clown Lyrique présentent : Jean Royère – André Gide, Lettres (1907-1934) "Votre affectueuse insistance", réunies, annotées et présentées par Vincent Gogibu.

Cette correspondance inédite propose d’éclaircir les liens ténus qui unirent deux écrivains directeurs de revues aux convictions et aspirations différentes.

Jean Royère, homme de paradoxes ? Car tout en louant sans relâche le talent de Gide, le directeur de La Phalange traite par ailleurs le "maître illustre" de "vieux forban", et la N.R.F. de "revue de cons" très "potache distingué".

À l’heure des célébrations du centenaire de la N.R.F., on appréciera les jugements tranchés de Royère. Parmi les nombreuses correspondances d’André Gide, ce nouvel opus conforte la stature du "contemporain capital" et remet Jean Royère quelque peu sur le devant de la scène.

Jean Royère – André Gide, Lettres (1907-1934) "Votre affectueuse insistance", 53 lettres (dont 18 de Gide), Paris, éditions du Clown Lyrique, 2008, 16 €.

Il a été également tiré 30 exemplaires sur papier vert numérotés et signés par les éditeurs, ils sont agrémentés d’un tiré à part du portrait de Jean Royère (30 €).

OFFRE SPÉCIALE : Jean Royère – André Gide, Lettres (1907-1934) + Jean Royère, En Avignon, (éditions du Clown Lyrique, 2008) : 20 € frais de port offerts.

Pour tout renseignement & commande :

&

(1) On trouve plusieurs pages consacrées aux entreprises de Jean Royère (une grande partie des sommaires de la revue Le Manuscrit autographe ; une page dédié à Plume au vent, revue éphémère codirigée par Royère ; la bibliographie de la Collection La Phalange chez l'éditeur Albert Messein) sur le groupe des "Amis de Saint-Pol-Roux". Pour plus de renseignements sur le groupe et pour rejoindre les 50 membres, rendez-vous ici.

lundi 5 janvier 2009

Le feuilleton électoral de l'Académie Mallarmé : réponse à notre petit jeu-concours

Nous avions laissé notre Académie en fâcheuse posture numéraire. La Mallarmé, en effet, comptait au printemps treize membres et l'on pouvait légitimement s'inquiéter de l'identité de celui qui allait tenir le mauvais rôle historique du judas. Bienheureusement, de nouvelles élections devaient avoir lieu en automne. Après quelques poétiques commémorations & olympiades avortées, le jour électoral arriva. Deux sièges restaient à pourvoir...

14 octobre 1937
Des élections poétiques
à l'Académie Mallarmé
L'Académie Mallarmé se réunira mardi prochain 19 octobre afin de procéder à l'élection des deux membres qui restent à désigner pour compléter le chiffre de quinze fixé par ses statuts.

Les dix premiers avaient été pris statutairement parmi les poètes ayant fréquenté chez Mallarmé. Cette condition ne devait plus être exigée des autres membres : c'est ainsi qu'ont été élus au scrutin du 5 mai, MM. Léon-Paul Fargue, Valéry Larbaud et Charles Vildrac. L'Académie Mallarmé, tout en perpétuant le souvenir du maître et l'exemple admirable de sa vie, entend maintenir, indépendamment de toute question d'école, l'honneur de la poésie.

Aucune candidature n'est posée. Les académiciens se réservent de choisir librement leurs nouveaux collègues.

Suivant en cela l'exemple de leurs aînés de l'Académie Goncourt, c'est au restaurant Drouot que les membres de l'Académie Mallarmé se réuniront, à midi et demi, pour procéder au vote.
19 octobre 1937
Aujourd'hui élections
à l'Académie Mallarmé
Les poètes qui se sont réunis en un noyau, l'année dernière, pour fonder l'Académie Mallarmé, avaient décidé que l'Académie comporterait quinze membres.

La jeune académie de poésie a procédé lentement, et peut-être sagement, pour s'accroître : c'est aujourd'hui seulement qu'elle complète ses effectifs. Elle votera pour les deux sièges restants - disons : pour les deux assiettes, car si l'Académie Mallarmé a, par la bonne grâce de M. Julien Cain, un bout de logis officiel à la Bibliothèque nationale, au vrai elle imite les Goncourt et discute la fourchette à la main. Ses séances les plus importantes ont lieu place Gaillon.

Le vote sera connu vraisemblablement entre midi et midi et demi. Des journalistes indiscrets ont, parmi les académiciens possibles, cité les noms de notre éminente collaboratrice Gérard d'Houville, de MM. Jean Cocteau, André Salmon, Jules Supervielle, André Breton - certains, par dérision pour une académie qui a pris le nom du plus pur des poètes, parlent de M. Maurice Rostand, barde de circonstance.
20 octobre 1937

Il ne leur manque que des mécènes à ces poètes qui, sous le nom de Mallarmé, se sont constitués l'an dernier en académie afin de donner à la poésie une dignité de plus et un honneur compris de tous.

Les jeunes académiciens - dont beaucoup sont des vieillards marqués de cette gloire un peu obscure que donne le poème -montraient hier, place Gaillon, qu'ils savent tout comme d'autres déjeuner avec appétit, peser des mérites et voter avec discernement.

La différence entre l'Académie Mallarmé et ses glorieuses aînées est affligeante : elle est sans patrimoine et sans dotation. L'Académie française a le soutien de l'Etat, le flux jamais tari des apports de notaires ; l'Académie Goncourt est une héritière : la fortune paternelle lui permet les agapes de chaque mois et l'argent de poche pour le tabac au moins. Seuls, les poètes, pour faire briller la poésie, doivent mettre la main au gousset.

Réunis à déjeuner place Gaillon, les académiciens Mallarmé, parmi lesquels nous reconnaissions M. Paul Fort et M. Charles Vildrac et les têtes de la haute phalange du symbolisme, ont élu pour compléter leur compagnie notre éminente collaboratrice Mme Gérard d'Houville et M. Jean Cocteau. Deux beaux poètes. L'Académie française, elle, ne vote pas toujours pour de bons esprits.

Nous rappelons en "Courrier des Lettres" (page 2) l'oeuvre des deux nouveaux académiciens. - M. N. [Maurice Noël]
Les deux élus de l'Académie Mallarmé
On s'étonne de l'admirable convenance qui conviait hier Gérard d'Houville (Mme Henri de Régnier) à s'asseoir parmi les poètes de l'Académie Mallarmé. On s'étonne d'une justesse aussi exquise et même qu'elle n'ait point éclaté plus tôt.

Place Gaillon, dans le célèbre restaurant où l'on attendait de connaître les suffrages de l'Académie Mallarmé, un jeune journaliste racontait comment le nom de Gérard d'Houville était venu pour la première fois sous ses yeux de dix-sept ans, comment il en avait reçu l'amour de la poésie et comme un trouble enchanteur. Le Figaro avait interrogé plusieurs écrivains sur la plus belle phrase de Michelet et Gérard d'Houville
répondait :

La plus belle phrase de Michelet sera toujours pour moi, celle-là que mon père prononçait, jadis, en rian et posant sa main sur mes cheveux noirs : "Sombre comme la nuit et comme elle, peu sûre..."

On a discuté pour enlever, comme il le faut, cette phrase à Michelet et la rendre à Vigny, mais quel admirable devin :

Mon âme, fleur funèbre, ô nuit t'embaumera ;
Papillon ténébreux que le sort fit diurne,
Son aile d'ombre errante en l'ombre se perdra.
Et moi qui fus si grande, une très petite urne
D'argile ou de cristal transparent contiendra
Ma chair voluptueuse et mon coeur taciturne.

Gérard d'Houville est née à l'un des foyers mêmes de la poésie moderne. Elle est fille, ainsi que Mme René Doumic, de José-Maria de Heredia. Elle apporte à l'Académie de poésie deux grands souvenirs : celui d'Henri de Régnier et l'autre, de ces réceptions chez Mallarmé dont les témoins sont devenus rares et qu'elle a connues dans la fraîcheur d'une sensibilité d'adolescente.

Prise exquise du réel et des sentiments de l'âme, suavité et mélancolie, ressources somptueuses du verbe : tous ces dons, tous ces privilèges, nos lecteurs les connaissent mieux que d'autres : ils personnifient le talent de Gérard d'Houville. Ils ont marqué son oeuvre depuis les poèmes signés trois étoiles dans la Revue des Deux Mondes à la fin du siècle dernier, depuis l'Inconstante, l'Esclave, Le temps d'aimer, le Séducteur et les délicieux morceaux de Je crois que je vous aime.
***
M. Jean Cocteau est la poésie, même au théâtre - la poésie parisienne. Il est né en 1891, à Maisons-Laffitte, et il semble déjà occuper toute la littérature de ce bon tiers de siècle. Personne n'aura traduit autant que lui les changements, les inquiétudes, les recherches, les sauts du goût littéraire.

A vingt ans, il publiait la Danse de Sophocle et, à chaque oeuvre nouvelle depuis, un visage nouveau nous était offert, presque un art nouveau.

Qu'on se souvienne des égarements du Cap de Bonne-Espérance (1919), de Vocabulaire, de la sagesse malherbienne de Plain-chant, du Discours du Grand Sommeil, tant de cocasserie poétique, d'intention à en perdre haleine, de génie du goût et de l'émerveillement.

S'il passait pour un magicien peu amuseur et couturier, ce serait au mépris des beaux et grands vers que l'on a reçus de lui.

Qui n'a pas dans la mémoire ceux de Plain-chant, des plus insignes ? Il s'agit, par exemple, de l'être aimé dont la pensée finit dans le sommeil :
Mauvaise compagne, espèce de morte,
De quels corridors,
De quels corridors pousses-tu la porte,
Dès que tu t'endors ?

Je te vois quitter ta figure close,
Bien fermée à clef,
Ne laissant plus la moindre chose
Que ton chef bouclé.

Je baise ta joue et serre tes membres,
Mais tu sors de toi,
Sans faire de bruit, comme d'une chambre,
On sort par le toit.
L'Académie Mallarmé a voté avec honneur. - J. F.
(A suivre...)

Félicitations à l'heureux gagnant de notre jeu, Grégory Haleux, des éditions Cynthia 3000, qui viennent de faire paraître Triling de Jean-René Lassalle, que je commanderai bientôt, sans connaître l'auteur, tant les livres de cette maison sont beaux et originaux, avant les prochains ouvrages annoncés de Fagus & Tailhade - rien que ça ! Il recevra un prix surprise, et notre ami de Tomblands, aussi.

dimanche 4 janvier 2009

BULLETIN des AMIS de SAINT-POL-ROUX n°4 : APPEL à CONTRIBUTIONS

Appel à Contributions

N°4

« Saint-Pol-Roux, la lecture & le(s) livre(s) »

Le troisième numéro du Bulletin des Amis de Saint-Pol-Roux, à paraître début février, sera, comme annoncé dans la précédente livraison, un essai de reconstitution de la Bibliothèque du poète, où se côtoyèrent pêle-mêle, et entre autres, des œuvres de :

Aloysius Bertrand, Léon Dierx, Catulle Mendès, Leconte de Lisle, Mallarmé, Jehan Rictus, Céline Arnauld, Léon Bocquet, Armand Godoy, Henry Bernstein, André Antoine, Ernest Raynaud, Jean Royère, Segalen, Remy de Gourmont, Marinetti, Alexandre Mercereau, Charles Vildrac, Pierre Jean Jouve, Paul Féval (junior), Max Jacob, Alfred Jarry, André Breton, Roger Vitrac, Francis Jammes, Paul Fort, Milosz, Supervielle, Stuart Merrill, Vielé-Griffin, Gustave Kahn, Audiberti, Dujardin, Rachilde, Georges Hugnet, Giono, Fontainas, Mauclair, Carlos Larronde, Henri de Régnier, Vallette, etc.

Le N°4, ouvert à contributions, constituera un pendant créatif et critique à cet « essai de reconstitution », sur le thème de Saint-Pol-Roux, la lecture & le(s) livre(s). Les notions de lecture et de livre sont à considérer dans leur richesse sémantique : la lecture étant, certes, une activité (choisie ou nécessaire), mais également le préalable à une production personnelle, posant les questions des influences subies, lorsque le texte produit est œuvre dramatique ou poétique, et celle de l’autorité auctoriale, lorsque le texte produit relève du discours critique (comptes rendus, conférences, lettres, etc.) ; la notion de livre, quant à elle, renvoie aussi bien à l’objet, à sa matérialité, à sa composition, au souci bibliophile qui l’entoure ou dont il procède, qu’au mythe mallarméen du Livre, prospère à l’époque symboliste, et dont la Répoétique sapera les fondements.

De nombreuses pistes sont donc à explorer, qu’on envisage Saint-Pol-Roux comme lecteur s’assimilant ses lectures pour élaborer son œuvre ; ou comme lecteur-critique, dans des revues ou dans sa correspondance ; ou comme destinataire/dédicataire d’ouvrages (que nous révèle alors la dédicace autographe ou imprimée ?) ; ou bien qu’on envisage le rapport matériel de Saint-Pol-Roux au livre, à ses livres, à ceux des autres, au papier choisi, à la relation (étrangement) rare de l’illustration et du texte dans ses propres œuvres, ou qu’on envisage le Livre comme concept. Etc.

Toutes les formes, poétiques, narratives, critiques, graphiques seront considérées. Les contributions écrites ne devront pas excéder les 12.000 signes (espaces compris).

Les propositions (titre provisoire ou définitif et brève présentation) sont à renvoyer avant le 1er février 2009 à harcoland@gmail.com.

Nota : Notre ami, maître-entoileur et cinéphile de TOMBLANDS, - excellent blog que je vous conseille très-vivement de visiter, et pas seulement pour l'intéressant billet que l'auteur y a récemment consacré à Carlos Larronde, mais pour l'esprit baroque qui y préside -, a donné la première réponse à notre petit jeu-concours sur l'Académie Mallarmé (cf. commentaires de ce post). Je lui dirai ceci : l'un des deux poètes proposés fut effectivement nommé académicien aux élections de la fin 1937 ; quant à l'autre, son nom n'est pas étranger à la petite histoire de la jeune Académie Mallarmé.

samedi 3 janvier 2009

Une visite de Fernand Lot au plus Magnifique des Académiciens Mallarmé

Pour laisser le temps de la réflexion aux lecteurs fidèles qui seraient tentés d'avancer une réponse à notre petit jeu-concours, lancé hier, en fin de billet, je délaisse un peu l'institution pour recentrer mon propos sur l'un des académiciens, pas n'importe lequel puisque le plus magnifique d'entre eux, je veux dire : Saint-Pol-Roux. Aucun doute : sa participation à la fondation de l'Académie Mallarmé avait eu pour effet de rendre le nom du poète à l'actualité. Bien sûr, les célébrations du cinquantenaire du Symbolisme, l'année précédente, avaient déjà contribué à rappeler le Magnifique au bon souvenir de ses contemporains ; tout comme le décès de Gustave Kahn, qui l'avait propulsé au digne rang de "doyen des symbolistes". Mais c'est bien la naissance de l'Académie Mallarmé qui empêcha que ce retour médiatique fît long feu. Et on ne peut y voir que coïncidences, mais Saint-Pol-Roux, membre statutaire de la toute jeune académie de poésie, devint le mois suivant l'un des trente membres de la non mois jeune Académie de Bretagne, et le 28 juin, sociétaire de la déjà expérimentée Société des Gens de Lettres. L'amitié des Dujardin et Herold, en tous cas, ne fut pas pour rien dans cette dernière promotion. Bref, le petit monde des littérateurs et la presse redécouvraient Saint-Pol-Roux. Voilà même qu'on faisait le déplacement de Paris jusqu'à Camaret pour le voir et l'interviewer. Ce fut le cas de Fernand Lot, par exemple. Et le 8 septembre 1937, parut dans Marianne, aux côtés d'une "Visite à André Breton" par Edmond Jaloux, sur trois colonnes, ce compte rendu, par le journaliste, mais sur une demi-colonne, de sa visite à Saint-Pol-Roux.
Saint-Pol Roux
et les goélands
de Camaret
Un grinçant petit cri de poulie... Dans l'étrange salle à manger ornée de frises grecques et de bleus filets de pêche finistériens, Tored entre.

- Tored, cela veut dire cassé, en breton.

Voyez la pauvre aile abîmée... Ma fille soigne les goélands blessés. Guéris, ils repartent. Mais la plupart reviennent nous voir, n'est-ce pas, Divine ?

Je fais également connaissance avec Souris et Ténèbre - deux des huit chats familiers, et puis aussi avec plusieurs nièces, avec des visiteurs amis qui surgissent armés d'appareils photographiques : chacun désire saisir et emporter l'image de cette belle tête à longs cheveux blancs soulevés en auréole et à courte barbe fleurie, de ce visage dont les yeux clairs, emplis de ciel et de rêves marins, vous considèrent, si doucement.

Quelle romantique demeure, ce manoir de Coecilian - le prénom du fils tombé à Verdun - avec ses huit tourelles grises, son rideau de tamaris, entre la mer qui s'étale au pied de la falaise sur la plage du Toulinguet et la lande rase où, depuis toujours, un cromlech mène sa ronde !

- Depuis toujours... Moi, je ne suis ici que depuis trente-cinq ans. Et j'en ai soixante-dix-sept... Ah ! les touristes n'ont aucune idée de ce que ça peut être, l'hiver. Mes toits sont partis dix fois. Cela me convient. Lisez ma devise... Elle est inscrite ici : La solitude est la multiplication de soi-même.

Je n'ai pas encore osé importuner le poète de la Dame à la Faulx de questions d'ordre littéraire. Risquons pourtant :

- Si vous ne lisez pas toutes les lettres que vous recevez, je sais que vous suivez la production contemporaine... Que pensez-vous de la jeune poésie ?...

- Mais elle est parfaite... puisqu'elle est jeune.

- Votre activité de membre de l'Académie Mallarmé ?...

- Nulle.

- Des projets personnels ?...

- Je ferai paraître ce que j'ai - des poèmes, bien entendu - dans deux ou trois ans. Avant de mourir, quoi. Bien qu'on me dise que je deviendrai centenaire !

- Il est un point d'histoire que j'aimerais bien fixer... Qui donc le premier vous décerna la... magnifique épithète devenue inséparable de votre nom ?

Le doyen des poètes symbolistes me caresse de son regard ingénu, et, d'un ton limpide :

- Le premier ? Peut-être bien moi... Lorsque je répondis, jadis, à la fameuse enquête de Jules Huret (je séjournais alors, il m'en souvient, à Marseille...) je signai - tant pis ! - le Magnifique... Voilà.

... Et tous, nous approuvons, rétrospectivement, cet auto-sacre du lyrique inspiré, qui eût pu se dénommer aussi bien Saint-Pol Roux le Tendre, ou l'Ami-des-Oiseaux-Perdus, ou le Saint-François de Camaret, ou le Chevalier des Algues, ou le Prince des Sirènes et du Vent... ; nous tous qui sommes ici, nous approuvons, certes - et les visiteurs respectueusement attentifs, et Mlle Divine, et les tamaris qui dansent leurs vivats contre les vitres, et Tored qui, bien d'applomb sur ses pattes palmées, lève le bec et fait sa plainte de poulie.
Fernand LOT.
Nota : Je rappelle, pour les distraits, en quoi consiste notre petit jeu-concours ; il s'agit de trouver le nom des quatorzième et quinzième membres de l'Académie Mallarmé, élus au dernier trimestre de l'année 1937.

vendredi 2 janvier 2009

L'Académie Mallarmé : premières manifestations - et un petit jeu-concours...

Pour exister, notre poétique aéropage dut se montrer et donner de ses membres à diverses manifestations & célébrations ; bref, il fallait commencer par s'agiter, ce qui, naturellement, ne déplaisait pas à nos échotiers du Figaro, les André Billy et autres Alguazils. Voici donc quelques coupures de presse qui nous donnent une idée de ce que fut l'agenda de la vaillante Académie, au cours de ses premiers mois d'existence.

29 mai 1937
La jeune Académie Mallarmé brûle de faire parler d'elle et d'affirmer sa vitalité. C'est de son âge. il faut donc lui pardonner d'avoir accordé son patronage à une entreprise dont le titre avait pourtant de quoi la faire reculer : les Olympiades de la Poésie. Cela donne le frisson.

Ces Olympiades consisteront en une série de galas destinés à faire connaître au grand public la poésie de tous les pays. On nous fait entrevoir que les plus grands poètes et les plus grands artistes des cinq parties du monde y participeront. Ce serait magnifique. Il est à craindre, hélas ! que la réalité ne soit moins belle. Attendons.
André Billy.
On attendit. Et on n'en parla plus.

1er juin 1937
"Au calendrier des lettres"
Le cinquantenaire de la mort de Jules Laforgue : les membres de l'Académie Mallarmé le commémoreront en se rendant, dimanche prochain, à 16h. 45, au cimetière de Bagneux, sur la tombe du poète.
Les Alguazils.
5 juin 1937
"Le Souvenir des Poètes"
La commémoration du cinquantenaire de la mort de Jules Laforgue aura lieu demain, à 16h. 45 au cimetière de Bagneux sur la tombe du poète.

En voici le programme : allocution de M. Edouard Dujardin au nom de l'Académie Mallarmé ; poème de M. Francis Vielé-Griffin en l'honneur de Jules Laforgue, lu par M. Paul Fort ; discours de M. André Salmon ; discours de M. André Delacour au nom de la Société des Gens de Lettres ; lecture de poèmes de Jules Laforgue par Mme Jeanne Sully et M. Fernand Ledoux, de la Comédie-Française, et M. Jean Sarment.
12 juin 1937
"Le Tombeau du Poète"
Les membres de la nouvelle Académie Mallarmé qui s'en sont allés, l'autre dimanche, à Bagneux fleurir la tombe de Jules Laforgue y ont trouvé un tertre très humble, avec une croix noire sur laquelle ces mots étaient écrits : Sépulture Laforgue...
Guermantes.
28 septembre 1937
"L'Académie Mallarmé à l'Exposition"
L'Académie Mallarmé, la jeune Académie de Poésie, fraîchement entrée dans la carrière et dont on a vu les pas hésitants, occupera aujourd'hui à 5 heures au Studio des Champs-Elysées, 13 avenue Montaigne, la scène des Mardis littéraires de l'Exposition.

M. Edouard Dujardin, secrétaire de la Compagnie créée sous l'égide de Mallarmé, dira ce qu'elle est, ce qu'elle veut être, comment elle est née du symbolisme, etc... M. Jacques Copeau dira des poèmes de Paul Valéry, Paul Fort, Charles Vildrac, Valéry Larbaud, Léon-Paul Fargue, etc...
Les Alguazils.
Certes, voilà des débuts bien timides, mais pouvait-elle plus, cette imperturbablement jeune académie, dont certains de ses membres, - Saint-Pol-Roux, Mockel, Maeterlinck -, vivaient loin, relativement, de Paris, et qui n'avait pas le sou pour fonder le prix espéré qui permît de créer l'événement attendu autour de son nom ? Puis, il lui manquait encore deux poètes pour être complète. Mais lesquels ? Une récompense à qui, le premier, donnera, en commentaire, le nom des deux futurs élus mallarméens. Faites vos jeux, et vite, car il sera question des prochaines élections dans les billets de début de semaine.

(A suivre...)