mardi 30 août 2011

"Par la cage des escaliers, mon ronflement signifiait : le Manoir, c'est moi !"

Saint-Pol-Roux, qui admirait Hugo, eut aussi son Hauteville House. Ce fut le Manoir du Boultous (puis de Cœcilian) que son rêve dressa contre le vent, orgueilleux palais du Verbe qu'ébranla souventefois le Grand-Kornoc, ce démon de l'Ouest.
"Mes murs s'ébrouent, leurs pierres cherchant en quelque sorte à retourner chez la carrière natale. On crie : maman ! dans chaque cadre de mortier. Je glapis : tenez bon ! du plus profond de la cave où, travesti en cent-de-bouteilles faisant un raffut de toutes les frayeurs avecque les gouttières et les girouettes, je piaille, je grince, j'ahane et, ma foi ! je bêle par chaque fissure du Manoir effaré qui doit paraître de carton-pâte aux guetteurs du sémaphore et faire s'esclaffer de rire l'Océan par tous ses coquillages.

Qu'on est donc peu d'être Manoir !"
("Le Grand Kornoc" [novembre 1905], in Idéoréalités, Rougerie, 1987)
Le Magnifique savait habiter les lieux et les animer. Le Manoir devint sa demeure irrévocable. Les destins de l'homme et de son habitation furent intimement liés, on le sait. Saint-Pol-Roux ne put, malgré son désir - après la première guerre -, la quitter.
La seconde guerre émietta l’œuvre et les murs qui la protégeaient.

Soixante-dix ans après, les éléments continuent de balayer les ruines et d'effacer le rêve de pierre du Magnifique. Quelque jour prochain, nous nous réveillerons sur la dune, face à l'océan, et nous ne trouverons plus qu'une stèle érodée, comme un point final à la longue phrase lithique composée par les menhirs de Lagatjar il y a plusieurs milliers d'années, une stèle où, notre doigt, difficilement, lira le nom de Saint-Pol-Roux.
Illustrations : 1. Plan du Manoir dessiné par Saint-Pol-Roux, conservé à la BM de Châteaulin - 2. Carte postale représentant le Manoir (face océan) avant 1910 - 3. Carte postale représentant le Manoir (face terre) dans les années 1920 - 4. Photographie du Manoir prise dans les années 1950 (merci à l'ami D. B. qui nous la communiqua et qui nous inspira ce billet triste) - 5. Photographie du Manoir prise en août 2011 par l'auteur.

dimanche 28 août 2011

Plus qu'une biographie, avez-vous dit ?

Le lendemain de mon arrivée à Roscanvel, où j'ai passé une quinzaine de jours, je me procurai ce livre au titre étrange, publié à compte d'auteur à 1500 exemplaires ; j'en avais appris la parution quelques semaines plus tôt sur le site du Télégramme. L'auteur, Marie-Françoise Bonneau, guide sur la presqu'île de Crozon, avait participé, l'année dernière, à la commémoration camarétoise des 70 ans de la mort du Magnifique. Je m'attendais donc à lire un travail sérieux, assez précis, et riches en documents nouveaux - au moins s'agissant de la période "bretonne" de Saint-Pol-Roux - le bouquin comptant 222 pages d'un assez grand format. Disons-le sans tarder : je fus déçu. Il est vrai que Marie-Françoise Bonneau donnait, dans ses "notes" (p. 218), ces lignes pour le moins génériquement ambiguës :
"Ce livre est plus qu'une biographie du poète. Peu à peu en étudiant les documents d'archives je me suis imprégnée de la vie de cet homme hors du commun. C'est ainsi que je me permets de nouer des dialogues, qui ne sont pas très loin des paroles que le poète aurait pu dire.
Ce n'est pas un ouvrage scientifique. C'est tout simplement un livre que j'aie écrit avec mon cœur, tâchant de traduire le plus justement possible les sentiments éprouvés par le poète Saint-Pol-Roux, au travers des différentes périodes de sa vie littéraire, mais aussi et surtout de sa vie d'homme, de père et d'époux."
Plus qu'une biographie... voilà qui laisse perplexe : qu'est-ce donc qu'un livre qui est plus qu'une biographie ? Une biographie avec un petit quelque chose en plus ? Un objet littéraire qui relèverait du genre biographique mais qui serait mieux qu'une biographie ? Une hagiographie, peut-être ? Ou tout cela à la fois. Les précisions qui suivent cette première définition laissent à penser qu'il s'agirait plutôt d'une vie romancée ou d'un roman biographique, l'auteur revendiquant une part non négligeable d'invention fidèle : "je me suis imprégnée...", "je me permets de nouer des dialogues...", "j'ai écrit avec mon cœur, tâchant de traduire le plus justement possible les sentiments...". Un tel projet, mené à bien, eût été intéressant - quoique je ne croie pas qu'on écrive rien de valable avec son cœur et dans l'empathie - la terrestre existence de Saint-Pol-Roux n'étant pas dépourvue de romanesque. Mais encore faut-il, pour réussir dans ce genre plus-que-biographique, satisfaire à deux critères : connaître la vie du personnage mis en scène et le contexte historique, littéraire, artistique, etc., dans lequel cette vie s'inscrit ; être écrivain. Le livre de Marie-Françoise Bonneau ne témoigne, hélas, ni d'une bonne connaissance de la vie de Saint-Pol-Roux, ni d'un talent d'écrivain. L'auteur n'est pas plus à l'aise avec la biographie qu'avec le roman.

Le découpage, d'abord, ne doit rien à l'imagination : il est d'une biographie classique. Voici les titres des six premiers chapitres : "La Provence de ses ancêtres", "L'enfance du poète", "Les années parisiennes", "Exil en forêt des Ardennes belges", "Retour à Paris". Les cinq derniers n'offrent pas plus de fantaisie. Mais entrons dans le livre, et feuilletons. Marie-Françoise Bonneau retrace, dans le chapitre inaugural, l'histoire familiale et, plus particulièrement, celle du trisaïeul de Saint-Pol-Roux, Jean-Joseph Hours, né à Saint Julien le Montagnier. Vous ignorez Saint Julien le Montagnier ? Point d'affolement, l'auteur nous campe le patelin :
"Située au nord-ouest du département du Var, la commune de St Julien le Montagnier côtoie le Verdon, ses basses gorges et la retenue de Gréoux, sur plus de sept kilomètres. Culminant à plus de 600 m d'altitude, le village domine toute l'étendue des plateaux du Haut-Var. Nommé "Le Mont St Michel des garrigues" de par sa situation géographique, il conserve depuis le Moyen Age une architecture exceptionnelle. Ses maisons et ses rues concentriques par rapport à l'église et à l'ancien château, épousent magnifiquement les pentes du midi jusqu'au mur d'enceinte. Du haut de la table d'orientation, le regard se perd par-delà un océan de forêts et de plaines jusqu'aux glaciers des Alpes."
Ne dirait-on pas d'un habile rédacteur de plaquette pour office de tourisme ? C'est d'ailleurs, presque mot pour mot, ce qu'on peut lire sur le site officiel de Saint Julien le Montagnier :
"Située au Nord Ouest du Département du Var, la commune de Saint Julien le Montagnier côtoie le Verdon, ses basses gorges et la retenue de Gréoux sur plus de 7 km.
Dominant toute l’étendue des plateaux du Haut Var, "ce Mont Saint Michel des garrigues" possède depuis le Moyen-Âge une architecture urbaine d’exception.
Ses maisons et ses rues concentriques par rapport à l’église et à l’ancien château, s’agencent savamment afin d’épouser les pentes du midi jusqu’au mur d’enceinte. Du haut du balcon d’orientation, l’œil du visiteur se perd dans un océan émeraude de forêts et de plaines jusqu’aux glaciers des Alpes."
Mais point de plagiat ici, un simple oubli des guillemets plutôt, Marie-Françoise Bonneau n'ayant pas omis de citer l'office de tourisme de Saint Julien le Montagnier dans ses remerciements. Et elle en remercie du monde, Marie-Françoise Bonneau. Dommage qu'elle ne remercie pas Georges Reynaud et qu'elle ne le mentionne pas dans sa bibliographie : le premier chapitre et le suivant s'inspirant nettement des travaux de ce dernier sur la généalogie et sur les premières années du poète. Incontestablement, l'auteur a fait des recherches, a puisé les informations où elles se trouvaient, aux archives, en bibliothèques, dans des publications, sur internet aussi. Elle cite certaines sources, en omet d'autres. Mais elle s'excuse : "Ce n'est pas un ouvrage scientifique".

On peut donc manquer de rigueur. Et c'est bien là le défaut majeur du bouquin. La relation des faits y est très approximative. A l'évidence, Marie-Françoise Bonneau n'est pas à l'aise dans la fin de siècle et dans les milieux littéraires, qui compte parmi les amis parisiens du poète : Rémy de Gourmont, Emile Raynaud, Louis Dumour, Maurice Barbès, Jean Rictus. Et voici Saint-Pol-Roux qui fréquente assidûment Mallarmé, rue de Rome : "ce dernier lui consacre beaucoup de son temps, lui procurant de nombreux conseils" (p. 22). Or, jamais Saint-Pol-Roux n'assista aux "mardis", et point ne fut un familier du maître : il l'avouera à Guy Lavaud à la fin de sa vie. Autre amitié fort intime, celle que le poète a liée, d'après l'auteur, avec Alfred Vallette : le Magnifique et son éditeur sont à tu et à toi, deux bons vieux potes et, lorsque Saint-Pol-Roux est de retour à Paris, en 1909, voilà le bon Alfred qui vient à sa rencontre :
"- Pierre-Paul, je vais aller droit au but. Tu n'es pas sans savoir que nous avons formé un Comité d'écrivains et d'artistes, il y a quelques temps déjà. Sachant ta venue à Paris pour quelques jours, nous avons décidé d'organiser un banquet en ton honneur.
- Cela me touche beaucoup, merci Alfred.
- Ce n'est pas tout. Nous avons œuvré pour la "Dame à la Faulx" contacté des directeurs de théâtre, les journaux, les éditions littéraires.
- C'est formidable d'avoir fait tout ce travail, mais les réponses vont probablement être négatives comme d'habitude !
- Détrompe-toi, nous avons déjà des résultats positifs. Le Figaro nous a promis une première page avant le banquet.
- Et ce banquet où a-t-il lieu ?
- Ah ! oui, dans mon empressement, j'allais oublier de te remettre ton invitation."
N'est-il pas formidable ce dialogue qui n'est pas "très loin des paroles que le poète aurait pu dire" ? D'une touchante naïveté et d'une non moins touchante ignorance de ce que furent les relations réelles de Saint-Pol-Roux et du directeur du Mercure de France, qui, respectueuses, cordiales et d'amicale distance, n'aboutirent jamais au tutoiement. Le "vous" était de rigueur encore en 1935, l'année de la mort de Vallette. Il faudrait aussi rappeler que Saint-Pol-Roux n'était pas étranger à l'organisation du banquet qu'on lui offrit le 6 février 1909 et dont l'enthousiaste Alfred lui fait ici la surprise.

C'est qu'il est gentil, Alfred : il souhaite tellement être agréable à son ami qu'il ajoute : "Tu sais, Paul, personne ici ne t'oublie. Tes dernières parutions ont énormément plu." Marie-Françoise Bonneau nous apprendra un peu plus loin que ses livres, d'ailleurs, se vendent bien. Or, les cinq cents exemplaires des Féeries Intérieures mettront seize ans à s'épuiser ! Dans la même veine, il sera écrit (p. 134) que les représentations, par le Théâtre Idéaliste de Carlos Larronde, de L'âme noire du prieur blanc et des Personnages de l'Individu ont rapporté des "revenus [qui] ne sont pas négligeables". Quand, bien entendu, cette entreprise bénévole ne dégagea par définition aucun bénéfice ! A croire que le Magnifique fut moins infortuné qu'on le dit généralement. N'avait-il pas, dans son manoir du Boultous, quantité de domestiques ?!

La période bretonne est-elle mieux traitée ? Certes, n'oubliant pas son métier de guide, l'auteur ne manque pas de nous dresser un "historique de l'île longue", des fortifications de Quélern, de nous rappeler la Victoire de Camaret sur les Anglais en 1694, etc., sans parvenir à rattacher naturellement ces digressions à son propos principal. Malheureusement, là encore, concernant Saint-Pol-Roux, on n'apprend pas grand chose. On trouve même une très-étonnante erreur touchant la fort célèbre anecdote du Magnifique en Père Noël que Marie-Françoise Bonneau situe en 1911, alors que le poète débarqua avec sa hotte sur le quai de Camaret le 25 décembre 1909. Les approximations, là encore, sont nombreuses, et il me faudrait relire le bouquin, stylo en main, pour les relever toutes ; ce que je n'ai ni le temps ni l'envie de faire. Signalons toutefois, avant de conclure, le seul vrai document nouveau que produit l'auteur : l'acte de mariage de Lorédan Saint-Pol-Roux avec Irma Louise Stervinou, prononcé à Pont-l'Abbé le 9 décembre 1916.

Tel est donc le livre que les touristes et les presqu'îliens, qui souhaitaient connaître davantage le magnifique poète qui vécut dans le hautain manoir dominant Camaret, purent se procurer cet été, contre 20 €. Pour moins cher ou pour ce prix-là, sans doute auraient-ils mieux fait de dénicher un exemplaire de Saint-Pol-Roux le Crucifié de Pelleau (que Marie-Françoise Bonneau cite abondamment), du Tombeau de Saint-Pol-Roux de Bergot (que Marie-Françoise Bonneau fait paraître des années avant la mort du poète), ou du Saint-Pol-Roux de Théophile Briant qui demeure la référence. Leur connaissance de Saint-Pol-Roux en eût été plus assurée. "Plus qu'une biographie", avez-vous dit ?

mardi 9 août 2011

Cherchez Saint-Pol-Roux dans... L'Écho de la Mode

"La fille joue à la femme du monde en public, la femme du monde à la fille en cachette."
S.-P.-R.

L’ÉCHO DE LA MODE, n°11, 17 mars 1963

mercredi 3 août 2011

"Damné !... Oh ! mon Dieu !..." Pohol, a-t-il dit, passe... (petit conseil de lecture pour accompagner les orages)

C'est le génie d’Éric Dussert, maître-entoileur de l'Alamblog, que de (re)découvrir des auteurs inconnus ou méconnus, des maudits de l'histoire littéraire quoi, et de nous les faire aimer au point qu'ils finissent par nous devenir indispensables. Il y eut, récemment, Marc Stéphane et Jean Duperray. Voici Marc Michel ! Célèbre en sa maturité pour ses pièces de théâtre, des vaudevilles, des comédies bouffonnes, on a oublié qu'il fut aussi un petit romantique, et l'auteur d'un récit d'une noirceur très... noire : ce Pohol que j'ai trouvé dans ma boîte aux lettres ce matin et que j'ai lu d'une traite. Inspiré des romans gothiques alors en vogue, Marc Michel, en de courts chapitres qui sont comme des chants d'un poème archétypal, en outre les codes : "Il était grand, pâle et maigre ; il avait un front large et osseux, des cheveux noirs, des yeux noirs..." et, ironique, les met à distance : "Son père était mort, sa mère était morte ; il était seul au monde. - Il eut voulu mourir, lui aussi... Oh ! non ! je mens !" Cette distanciation, qu'avec humour il opère sur son récit et son héros, est déjà toute maldororienne. Certains accents même ne manquent pas de faire penser à l'épopée du Comte de Lautréamont :
"Oh ! maudit sois-tu, bourreau et tyran !... toi qui m'as jeté sur la terre pour me voir souffrir et te rire de mes angoisses. Maudit sois-tu de ce cœur qui voulait n'aimer que toi ! (...) Que du fond de l'abîme où ton pied me pousse mes blasphèmes t'atteignent dans le sein de ton bonheur et épouvantent tes anges !"
Marc Michel ne s'embarrasse pas de psychologie, de descriptions, de détails : comme nous lui en savons gré. Et, dans le même temps, l'histoire de Pohol présente une étrange parenté avec Le Rouge et le Noir qui parut deux ans plus tôt. Le ténébreux héros entre, dans l'attente de pouvoir accéder au séminaire, comme instituteur chez Mme de Bax qui s'éprend éperdument de lui ; Julien Sorel fut précepteur, aussi, chez Mme de Rênal qui ne devait pas moins se troubler de la présence du beau jeune homme ; mais quand Julien répond à l'amour de sa "bienfaitrice", Pohol la rejette violemment : "Arrière, démon !". Julien entrera au séminaire, Pohol en sera empêché. Julien s'introduira dans les milieux parisiens et dans la lumière où il rencontrera Mathilde de La Mole ; Pohol hantera le cimetière du Père Lachaise et les ténèbres où il rencontrera Marie et connaîtra, avec elle, l'amour. Dans les deux récits, il sera question de mariage ; dans les deux récits, le mariage sera empêché par une lettre de la femme blessée (Mme de Rênal et Mme de Bax) ; Julien et Pohol se vengeront, mais le second réussira où le premier échoua ; Julien et Pohol en perdront la tête. On le voit, la structure narrative est presque identique. Et, le sous-titre de Pohol, "Histoire de 1829", ne fait-il pas écho à celui du roman de Stendhal, "Chronique de 1830" ? Personnellement, je n'ai jamais pris plaisir à la lecture des aventures de Julien Sorel ; la fin du récit m'ayant toujours semblé particulièrement improbable. Ah, les interminables affres psychologiques du condamné à mort ! Rien de tout cela dans le récit vif, noir, très-noir, de Marc Michel, qui fut, le temps d'un roman, l'anti-Stendhal. Comme nous lui en savons gré.
Marc Michel, Pohol et autres textes terribles inédits, édition établie et présentée par Éric Dussert, Des barbares..., 2011 (16 €).