jeudi 27 décembre 2007

Et Saint-Pol-Roux fut aussi Père Noël...

Je ne pouvais pas, raisonnablement, en cette période spirituelle, ne pas consacrer un billet hivernal et barbu, chaudement drapé dans une poétique houppelande, au Père Noël. J'aurais pu et peut-être préféré reproduire "Saint Nicolas des Ardennes", ce conte merveilleux que Saint-Pol-Roux écrivit dans le Val-de-Poix, en 1896, et qui fut recueilli dans Les Féeries Intérieures (1907). Mais, ce petit chef-d'oeuvre fut admirablement réédité, il y a six ans, par une courageuse et minuscule maison d'édition : PASSAGE PIETONS, - dans sa collection pour enfants, - et non moins admirablement illustré par Renaud Perrin. J'ignore si ce petit album et les deux autres textes du Magnifique, L'arracheur d'heures (ill. par Michel Barréteau) et La poule aux oeufs de cane (ill. par Frédérique Ortega), publiés par Isabel Gautray, sont encore disponibles. Si c'est le cas, il faut les commander vite. L'existence de Saint Nicolas des Ardennes dans cette belle collection m'oblige en tous cas - plaisante obligation - à ne pas donner au beau texte du poète d'autre écrin, et à céder plutôt à l'anecdote enchantée.

On connaît, par les témoignages nombreux, la générosité de Saint-Pol-Roux envers les humbles dont ses exils ardennais ou bretons l'avaient conduit à partager l'existence. Cette générosité fut réelle, et les anecdotes ne manquent pas, qui l'attestent. La plus célèbre, sans doute, est celle de Saint-Pol-Roux, vêtu en Père Noël, débarquant sur le quai, le 25 décembre 1909, pour offrir des cadeaux aux enfants de Camaret. Ce geste naïf de poète fut relaté dans la presse locale, mais également, peut-être est-ce moins connu, dans Le Figaro. Aussi, laisserai-je la parole à Régis Gignoux, chroniqueur au quotidien et ami du Magnifique, qui fit un long compte rendu de cette journée idéoréaliste dans le numéro du dimanche 9 janvier 1910 :

La vie hors Paris.
Un véritable père Noël.

Une nouvelle histoire, une histoire vraie ! Quelle prodigieuse chance de pouvoir raconter une nouvelle histoire vraie ! Dès que vous reviendrez, cet été, dans votre villa bretonne, votre fidèle Maryvonne ou vieille Annaïc vous le diront, en se signant, avant même de récapituler les grandes tempêtes. A tous les petits gars d'Armor ou de Trégor ou de Cornouailles, encore pas assez grands pour être mousses, on leur raconte déjà, pendant les veillées, autour du lit clos.

Une nouvelle histoire de Noël... Ne nous plaignons pas de son retard. Pour juger les grands événements, il faut un peu de recul, comme pour juger les grands hommes. Afin que cette histoire vînt jusqu'à nous, on n'a pas perdu un instant, de soirée en soirée, de la Bretagne à la Normandie, à l'Ile-de-France, à Paris... Il n'y a que les faits-divers politiques ou criminels que l'on télégraphie instantanément... Mais voici l'histoire :

Dans la nuit du 24 au 25 décembre, les murs de Camaret et des villages voisins furent recouverts d'affiches bleues. - Vous connaissez le Camaret d'Henri Becque, Gustave Toudouze, où villégiaturent fidèlement MM. Charles Cottet, Antoine, Georges Ancey, Georges Lecomte, Gabriel Fabre, Jean Ajalbert, Jusseaume, Mmes Rolly, Devoyod, etc. - Les affiches bleues étaient ainsi libellées :
Célestogramme du père Noël

Mes chers enfants, apprenant votre souhait de ma venue en vos écoles le jour que porte mon nom, je souscris avec joie à ce voeu gracieux. Donc, prière à vous tous, filles et garçons, d'espérer sur le quai - chacun une branche de pin, de houx, de laurier, de tamaris ou de genêt à la main - vers trois heures un quart de l'après-midi, ce présent samedi vingt-cinq décembre de l'an mil neuf cent neuf : chiffre de mon âge. Ma hotte merveilleuse sur l'échine, j'arriverai par la mer, par terre ou par ciel. Gloire aux enfants de Camaret !

LE PERE NOËL.
Combien la matinée fut longue pour les enfants ! On les excusait d'être aussi distraits pendant la grand'messe. On ne pouvait les décider à rentrer à la maison. Par quelle lande le père Noël allait arriver ? Avec quel aéroplane, comme on en voit sur le calendrier offert par le marchand de café ? Sur quel bateau, puisque toutes les barques sont amarrées au port ? Enfin, il a donné rendez-vous sur le quai... Et chacun y courait, portant, comme au dimanche des Rameaux, des branches de pins, des touffes de genêts, des bouquets de houx. Et chacun s'exerçait à ne tenir son trophée que d'une main pour que l'autre soit libre, au bon moment...

Il vint, le bon moment. Soudain, un vieux pilote montra une petite tache noire sur la mer. Les yeux des petits Bretons n'eurent pas besoin de longues lunettes pour distinguer le patron de la barque mystérieuse qui s'en venait du bout de l'Océan : le père Noël !

C'était bien le père Noël, avec une longue barbe blanche, et une tunique bleue comme ce beau ciel de décembre. Pour se garer des embruns, il avait sur l'épaule un manteau de bure. Mais on voyait quand même sa hotte dorée. Et, dans la barque, comme une pêche miraculeuse, que de polichinelles, de musiques, d'automobiles, de chevaux, de poupées, de fusils, de trompettes, de ballons, et des sacs de perles, et des quilles, et des berceaux.

Les mamans, les papas et les maîtres d'école ont peine à retenir les enfants qui se précipitent au débarcadère, en levant leurs rameaux verts et dorés, en criant : "Vive le père Noël !" Heureusement, de grands gars arrivent, dégagent le vieux pèlerin et charge ses bagages sur cinq grandes civières. Le bon vieillard a de la peine à parler. Cependant, sans sa langue extraordinaire, il dit de bien jolies choses :
J'arrive du pays des naïves légendes
Où la neige éternelle habille les sapins
Pour apporter la joie aux enfants de ces landes
Où les menhirs sont habités par des lutins.

Tour à tour, je m'épands, selon la destinée,
A travers la bourgade et la ville en sommeil :
Je pénètre par l'huis ou par la cheminée,
Et l'enfant me bénit quand survient son réveil.

Car j'ai laissé dans l'âtre, où guette une étincelle,
Le bonheur dont l'enfant rêve en cette saison,
Sous l'aspect d'un poupard ou d'un polichinelle,
Et mon joujou fait rire toute la maison.
Il dit de bien jolies choses et il ne parle pas longtemps. Tout de suite, il demande qu'on se rende à la maison d'école. Le plus joli cortège s'organise et se déroule. Alors, grande distribution des joujoux, concert par les fifres, les tambours et les ocarinas, essais de tous les jeux, installation dans les préaux de trois gymnases et des balancelles. Récréation générale jusqu'au crépuscule. Et le père Noël reprend sa hotte vide et regagne le port. On veut le retenir, l'embrasser encore. Il ne peut pas rester. Il explique aux pêcheurs qu'il doit arriver, le soir même, en Amérique. Il lui reste à peine le temps de leur distribuer du tabac. Cependant, avant de partir, il dit adieu à ses petits filleuls :
Je retourne au pays de la froide avalanche,
Adieu mes chers mignons, vous ne me verrez plus !
Gardez bien la mémoire de la barbe blanche
Du rare pèlerin qui date de Jésus.

D'autres filles et gars, là-bas, parmi le monde,
M'espèrent, les yeux vifs ainsi que des bijoux;
Puisqu'il faut qu'aujourd'hui l'on s'amuse à la ronde,
Laissez-moi leur porter mon tribut de joujoux...

Regagnez le foyer où votre aïeule tremble,
Et dites-lui qu'aussi je souris aux vieillards.
Dites à tous enfin que sur eux tous ensemble
J'ai posé le divin baiser de mes regards.

Ainsi, petits et grands, soyez en allégresse,
Tous ayant votre part de mon passage bleu.
Souvenez-vous de moi comme d'une caresse.
Adieu, Camarétois, - je vais vers le bon Dieu !
Et sa barque s'éloigne, double la chapelle de Notre-Dame de Rocamadour, s'enfonce dans la nuit. Adieu, père Noël, disent les enfants, en obligeant leurs polichinelles ou leurs moutons à pousser eux aussi un petit cri, à faire un dernier salut... Puis, tous rentrent dans leurs maisons, et de village en village, la miraculeuse aventure se propage; c'est bien vrai, le père Noël, il est venu; je l'ai vu :
Il m'a parlé, grand-mère.
Il m'a parlé.
Ce qui suit n'intéresse que les grandes personnes, mais sert à compléter la nouvelle histoire. Une heure après la disparition du père Noël, un homme, transi par les embruns, débarquait dans une crique, traversait la lande, en emportant sous son bras une défroque dorée d'où sortaient les fils d'une barbe blanche. Il parvint chez lui sans être reconnu. C'était le poète Saint-Pol-Roux-le-Magnifique, un des maîtres de l'école symboliste auquel quatre générations littéraires offrirent l'année passée un banquet pour célébrer sa gloire. A cette occasion, Catulle Mendès et Verhaeren, Jules Renard et Henri de Régnier, Jean Moréas et Paul Adam, André Gide et Henry Bataille et à leur suite deux cents poètes, romanciers ou dramaturges adressèrent une requête à M. Jules Claretie pour que la tragédie de la Dame à la faulx soit représentée à la Comédie-Française...

Retiré à Camaret, Saint-Pol-Roux a accepté d'être délégué cantonal, comme M. Jules Renard est maire de Chaumot. Et c'est de cette admirable façon que le poète comprend son rôle. Après avoir écrit une oeuvre lyrique qui constitue le plus beau dictionnaire d'images de notre littérature, il rajeunit et réalise la plus heureuse légende et donne aux enfants, pour leurs étrennes, la facilité de croire et d'espérer.

Régis Gignoux.

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