vendredi 27 avril 2012

HOMMAGE A JEAN-PIERRE GUILLON

J'apprends avec tristesse le décès de Jean-Pierre Guillon. C'est l'ami Bruno Duval qui m'avait encouragé, il y a quatre ans, à lui écrire, car Jean-Pierre Guillon aimait Saint-Pol-Roux. Après les premiers échanges, il m'envoya la longue et belle lettre que je publiai, avec son autorisation, sur le blog, et à laquelle je renvoie le lecteur. Il faut y joindre le portrait-chinois du Magnifique qu'il voulut bien m'adresser quelques semaines plus tard et qui suffirait à prouver combien il était un familier de sa poésie. Il fut l'un des premiers adhérents à la S.A.S.P.R. ; il m'avait parlé, lors de notre seule conversation téléphonique, de son projet de rassembler en un volume, qui pût faire la matière d'un bulletin, tous les documents patiemment amassés sur l'historique banquet de 1925. Entre temps, il continuait de m'adresser les plaquettes qu'il publiait à compte d'auteur, à l'enseigne fictive de "Rose-Hôtel éditions" (il fut le fondateur et le président de l'Association des Amis de Maurice Fourré), et qu'il destinait à ses amis. J'eus le privilège de faire partie de ces happy few et j'eus aussi la grande joie de me voir confié, par ses soins, l'édition, pour un numéro spécial du Grognard, d'un recueil inédit de "polémiques surréalistes" : La main dans le sac. Le numéro parut il y a moins d'un an, en juin 2011. Voici le texte que je donnai en introduction. Qu'il redise en ces lieux l'admiration que je porte à Jean-Pierre Guillon.
Collage de Jean-Pierre Guillon (Du sommeil au collage par le rêve, Rose-Hôtel éditions, n°29)
« LES COUPS DE DÉ ET DE BÂTON DU RÊVEILLEUR »
Jean-Pierre Guillon a rejoint André Breton et le groupe surréaliste au début des années 1960. Autant le dire, surréaliste, il n’a jamais cessé de l’être, moins notoire, conséquemment, que foultitude de gendelettres pour lesquels la fréquentation d’André Breton constitua, après guerre, une opportune courte échelle permettant d’embrasser la croupe de l’âne littérature et de lui faire quelques enfants, bêtes à bâfrer du picotin. Ceux-là renièrent le surréalisme à la première occasion qui leur fut offerte de flatter leur ego, comme si un tel reniement ne revenait pas à abandonner l’essentiel. Certes, il n’est pas de bon ton, en notre époque de néo-post-modernisme, de se dire surréaliste. Aussi vaut-il mieux l’avoir été. Pourtant, dans la grande nuit des esprits, nul mouvement ne fut/ne demeure plus lucide, dénonçant très tôt et avec quelle inconfortable constance, les enrégimentements humains, moraux, politiques, au nom de la seule libération qui importait et importe encore : celle de l’individu. Le surréalisme est un anarchisme.

Aussi, Jean-Pierre Guillon, en ces temps de misère intellectuelle ou d’intellectuels misérables, nous apparaît comme un somnambule battant le pavé froid des idées de son pas particulier ; un errant aux yeux grand ouverts guidé par le hasard ; comme le Joueur de Redon, il arpente de modernes forêts d’indices, Rennes ou Paris, portant, sur son dos, le Dé, et le lançant contre des architectures qui, heurtées, parce que de carton-pâte, vacillent et s’effondrent, découvrant d’inédites perspectives. Jean-Pierre Guillon n’emprunte d’autre voie que celles, buissonnières, que lui ouvre son rêve et qui, invariablement, mènent à la poésie. Les titres de ses rares recueils témoignent de l’importance de l’activité onirique dans sa déambulation : Le Bourgeon-Corail, Château d’Os, L’État second, Les nuits du veilleur de nuit. Point n’est alors besoin de s’endormir, le somnambule rêve naturellement ; il est, d’ailleurs, à bien y regarder, le seul véritablement en état de veille. L’agitation des hommes, alentour, ne trompe pas ; leur gesticulation, bien apprise, vise à les abuser sur leur assoupissement réel. Jean-Pierre Guillon, imperturbable, passe. Il est un rêveilleur, solitaire promeneur, à qui le monde fait signes, et qui rapporte, neuves évidences, images ou collages, ses vues, comme autant de percées dans la toile peinte. Imperturbable, il passe, quand tout autour de lui, autour de nous, joue la comédie.

Sociale, humaine, divine, elle est universelle, la comédie. Les histrions de tout poil s’y donnent la main et la réplique. Tout y semble parfaitement réglé de toute éternité. Et c’est plutôt qu’une comédie, la farce hénaurme, où la Colombine plumitive indécemment se frotte au sabre du politique Matamore en même temps qu’au goupillon des Tartuffe œcuméniques ; au vu et au su d’un public monté sur scène et sur la tête hilare et consentante duquel pleuvent les coups répétés de la plume, du sabre et du goupillon. Il y a là toute une théorie de masques grotesques, monstrueux et risibles : menteurs, hypocrites, opportunistes, falsificateurs, girouettes, imposteurs, tous intellectuels. C’est la farce de l’esprit. Jean-Pierre Guillon n’est pas de ceux que le jeu amuse. La comédie, bien au contraire – car il en va de la liberté et de la poésie –, le pousse à s’armer du bâton, de ce bâton que les valets arrachent aux maîtres pour, leur administrant la volée de bois vert qu’ils méritent et jetant bas leurs masques ridicules, précipiter la fin de la représentation. Jean-Pierre Guillon nous adresse des cris lucides, de salubres indignations. Et les à-coups de son stylo (car son stylo est son bâton), qu’il assène aux acteurs de la farce, n’ont rien à voir avec la littérature, puisque s’y joue, répétons-le, rien de moins que l’essentiel. Avec la précision du somnambule, Jean-Pierre Guillon assomme les assommants qui voudraient, procustes nains, contenir entre les bornes étroites de leur esprit ceux qui les dépassent infiniment. Ces homuncules, pris la main dans le sac, Jean-Pierre Guillon les y fourre tout entier. C’est là faire œuvre de salut public, le public s’en foutrait-il. Et peu nous importe qu’au final, une fois la scène vidée des matamores de la pensée, ce soit eux, encore et toujours, que la foule réclame pour le dernier salut, dans l’espoir qu’on lui redonne la comédie le lendemain ; car nous serons quelques-uns, plus nombreux que la veille, à nous détourner du spectacle pour suivre du regard les coups de dé et de bâton du rêveilleur.
Mes pensées vont ce soir à sa famille, à Bruno Duval, à Jacques Simonelli, à Tristan Bastit, à tous les membres de l'Association des Amis de Maurice Fourré, à ses amis, à la poésie.