C'est le génie d’Éric Dussert, maître-entoileur de l'Alamblog, que de (re)découvrir des auteurs inconnus ou méconnus, des maudits de l'histoire littéraire quoi, et de nous les faire aimer au point qu'ils finissent par nous devenir indispensables. Il y eut, récemment, Marc Stéphane et Jean Duperray. Voici Marc Michel ! Célèbre en sa maturité pour ses pièces de théâtre, des vaudevilles, des comédies bouffonnes, on a oublié qu'il fut aussi un petit romantique, et l'auteur d'un récit d'une noirceur très... noire : ce Pohol que j'ai trouvé dans ma boîte aux lettres ce matin et que j'ai lu d'une traite. Inspiré des romans gothiques alors en vogue, Marc Michel, en de courts chapitres qui sont comme des chants d'un poème archétypal, en outre les codes : "Il était grand, pâle et maigre ; il avait un front large et osseux, des cheveux noirs, des yeux noirs..." et, ironique, les met à distance : "Son père était mort, sa mère était morte ; il était seul au monde. - Il eut voulu mourir, lui aussi... Oh ! non ! je mens !" Cette distanciation, qu'avec humour il opère sur son récit et son héros, est déjà toute maldororienne. Certains accents même ne manquent pas de faire penser à l'épopée du Comte de Lautréamont :
"Oh ! maudit sois-tu, bourreau et tyran !... toi qui m'as jeté sur la terre pour me voir souffrir et te rire de mes angoisses. Maudit sois-tu de ce cœur qui voulait n'aimer que toi ! (...) Que du fond de l'abîme où ton pied me pousse mes blasphèmes t'atteignent dans le sein de ton bonheur et épouvantent tes anges !"
Marc Michel ne s'embarrasse pas de psychologie, de descriptions, de détails : comme nous lui en savons gré. Et, dans le même temps, l'histoire de Pohol présente une étrange parenté avec Le Rouge et le Noir qui parut deux ans plus tôt. Le ténébreux héros entre, dans l'attente de pouvoir accéder au séminaire, comme instituteur chez Mme de Bax qui s'éprend éperdument de lui ; Julien Sorel fut précepteur, aussi, chez Mme de Rênal qui ne devait pas moins se troubler de la présence du beau jeune homme ; mais quand Julien répond à l'amour de sa "bienfaitrice", Pohol la rejette violemment : "Arrière, démon !". Julien entrera au séminaire, Pohol en sera empêché. Julien s'introduira dans les milieux parisiens et dans la lumière où il rencontrera Mathilde de La Mole ; Pohol hantera le cimetière du Père Lachaise et les ténèbres où il rencontrera Marie et connaîtra, avec elle, l'amour. Dans les deux récits, il sera question de mariage ; dans les deux récits, le mariage sera empêché par une lettre de la femme blessée (Mme de Rênal et Mme de Bax) ; Julien et Pohol se vengeront, mais le second réussira où le premier échoua ; Julien et Pohol en perdront la tête. On le voit, la structure narrative est presque identique. Et, le sous-titre de Pohol, "Histoire de 1829", ne fait-il pas écho à celui du roman de Stendhal, "Chronique de 1830" ? Personnellement, je n'ai jamais pris plaisir à la lecture des aventures de Julien Sorel ; la fin du récit m'ayant toujours semblé particulièrement improbable. Ah, les interminables affres psychologiques du condamné à mort ! Rien de tout cela dans le récit vif, noir, très-noir, de Marc Michel, qui fut, le temps d'un roman, l'anti-Stendhal. Comme nous lui en savons gré.
Marc Michel, Pohol et autres textes terribles inédits, édition établie et présentée par Éric Dussert, Des barbares..., 2011 (16 €).
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