Il faut se rendre à l'évidence, avec un léger regret bibliophilique : Saint-Pol-Roux ne collabora guère, pour l'élaboration de ses livres, avec les artistes de son temps. Certes, il y eut, en 1883 chez Ollendorff, Garçon d'Honneur !, une plaquette illustrée de dessins de Ricaud, dessinateur qui ne semble pas avoir marqué l'histoire de l'art ; puis, en 1932, les belles gravures de Saïk pour La Randonnée que le poète avait offerte à la Revue de l'Ouest. Les éditions posthumes connurent un dessein meilleur : en 1943, l'Amitié par le Livre put compter sur la collaboration de Mathurin Méheut pour donner vue à quelques-uns des poèmes du Magnifique réunis en Florilège ; au début des années 1950, André Masson manqua de peu illustrer un choix de textes, ce fut, finalement, Georges Braque qui donna de belles gravures pour Août, en 1958. L'absence de collaboration avec les peintres en période symboliste et post-symboliste étonne, alors même que l'essentiel de l’œuvre publiée le fut entre 1886 et 1907, alors même que Saint-Pol-Roux fut l'ami de Paul Signac, de Georges Rochegrosse, qu'il en admira d'autres, Puvis de Chavannes, Henry de Groux, Gauguin, Jeanne Jacquemin, etc., alors même que la plupart des auteurs de sa génération avaient fait illustrer au moins un de leurs livres par un peintre du mouvement. Est-ce donc que les recueils du "grand imagier de la poésie française" pouvaient se passer d'illustrations ? Les artistes savaient pourtant éviter la redondance...
L'apparition, dans le catalogue de vente de la succession Sylvain Laboureur, fils du peintre, graveur et illustrateur, Jean-Émile Laboureur, d'une lithographie intitulée "Les trois fiancées de porcelaine", est, par conséquent, un événement de taille pour qui s'intéresse à l’œuvre du Magnifique. Datée de 1897, le jeune artiste y a noté, à la suite du titre, le nom de "St Pol Roux" ; "les trois fiancées de porcelaine" semblent, en effet, empruntées au poème, fort apprécié de Remy de Gourmont et des contemporains symbolistes, "Le Pèlerinage de Sainte Anne", recueilli dans Les Reposoirs de la Procession (1893), à ceci près que le poème contait la légende de "cinq Promises de porcelaine".
Laboureur avait alors vingt ans. Il était monté, de Nantes où il naquit, à Paris, deux ans plus tôt. Il avait exposé ses premières œuvres gravées en 1896. Sans doute, fréquentait-il la bohème parisienne, toute la jeunesse artistique et littéraire. Il rencontra peut-être Saint-Pol-Roux dans le dernier trimestre de 1896, lorsque ce dernier revint de la forêt ardennaise armé de La Dame à la Faulx, ou dans les premiers jours de 1897. Peut-être encore avait-il simplement lu Les Reposoirs de la Procession ? Cette lithographie, qui réapparaît aujourd'hui, est-elle l'indice d'un projet de collaboration entre le graveur et le poète ? En ce cas, dans quel cadre ? Nous ignorons tout d'une éventuelle réédition du recueil de 1893 à cette époque, ou d'une édition du "Pèlerinage de Sainte-Anne" en plaquette de luxe illustrée ; à moins qu'il se fût agi d'une collaboration plus furtive pour quelque petite revue. Autre hypothèse : Laboureur, ayant particulièrement apprécié le poème, aura voulu l'illustrer librement, pour lui ou en vue d'exposition. Les premiers livres illustrés par l'artiste sont, en effet, plus tardifs. Quoi qu'il en soit, il apparaît désormais - et jusqu'à nouvelles trouvailles - que Jean-Émile Laboureur fut le premier illustrateur de la poésie de Saint-Pol-Roux.
Nota : La vente de la Succession Sylvain Laboureur, organisée par la Maison Ader, aura lieu le mercredi 12 octobre 2011 à 14h00, à l'Hôtel Drouot (salle 4).
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