vendredi 27 juillet 2007

Deux numéros de "COMOEDIA" : SPR à la Comédie-Française & SPR à Paris, en 1925 (2)

Je reçois, aujourd'hui, deux numéros du quotidien théâtral, littéraire et artistique : Comoedia. Dans les deux, il est question, et en première page, de Saint-Pol-Roux. Le Magnifique était abonné à ce journal, qui fut toujours attentif à son actualité et pour lequel il signa quelques articles. On sait quelle importance il attachait au théâtre. Sa première oeuvre signée, écrite à l'âge de 15 ans, était un drame : Raphaëlo le Pèlerin. Installé à Paris, il publia des monologues, genre à la mode. Symboliste, il participa au Théâtre d'Art de Paul Fort, puis, en 1892, brigua crânement, avec Gustave Charpentier et Georges Rochegrosse, la direction de l'Odéon. Vinrent ensuite l'Âme noire du Prieur blanc, l'Epilogue des Saisons humaines, le Fumier, que Lugné-Poe, en son théâtre de l'Oeuvre, pensa représenter, Les Personnages de l'Individu et La Dame à la Faulx. Mais Saint-Pol-Roux, s'il ne publiait plus, continuait à écrire pour le théâtre : les papiers inédits du poète, conservés à Doucet, révèlent quantité de projets; certains, grâce à René Rougerie, nous sont parvenus : Tristan la Vie, Les Ombres tutélaires, et prochainement l'étonnante Synthèse légendaire des pêcheurs de Camaret; des autres, nous n'avons plus que des brouillons ou des fragments (La Tour de Solitude, Les Funérailles du Soleil, Les Pêcheurs de sardines, La Dame en or, Le Triomphe du Soleil, Homo, le Grand Pèlerin, Le Triomphe de l'Océan, Le Serpent rouge, Sa Majesté la Vie, etc., et une traduction du théâtre d'Eschyle). A la lecture de cette liste, on conclurait aisément que Saint-Pol-Roux fut d'abord un dramaturge. Même si ses pièces n'eurent pas les honneurs des grandes scènes. Il n'y eut guère que le Théâtre Idéaliste de Carlos Larronde pour en oser - presque confidentiellement - la réalisation. Le Verbe du Magnifique entra néanmoins, d'autre manière, à la Comédie-Française.


C'est ce que nous apprend la livraison du dimanche 19 février 1922 de Comoedia, alors dirigé par Georges Casella - auteur, entre autres, d'un ouvrage sur La Nouvelle Littérature (1895-1905), éditée chez Sansot, en 1906. Il y eut, à la fin du XIXe siècle, les "Matinées poétiques" de l'Odéon, ordonnées par Catulle Mendès et Gustave Kahn, au cours desquelles, comédiens et comédiennes disaient des poèmes des auteurs anciens et nouveaux. Après guerre, la Comédie-Française reprit le concept à son compte. Et, lors de la 9e "Matinée Poétique", Mme Colonna Romano(1) récita des textes de Saint-Pol-Roux.

"Saint-Pol-Roux, Charles Derennes, Louis Tiercelin, Pierre Quillard formaient avec Sicard autour de Victor Hugo l'ancêtre, le chêne, la ronde des poètes que nous connaissons ou que nous connûmes. Mme Colonna Romano, avec une application constante et, à tous moments, les plus intelligentes trouvailles, parvint à dissiper parfois la complexité des images des poèmes de Saint-Pol-Roux, à éclairer le fouillis de ces petites futaies médiévales. Déjà M. René Rocher avait dit dans un joli ton de cantilène les vaporeuses "Vieilles du hameau" du même Magnifique.", écrit Gabriel Boissy en son compte rendu. Il ne donne pas le titre des textes récités. C'est dommage. D'autant que dans son anthologie des Matinées Poétiques de la Comédie Française, publiée en 1926 chez Delagrave, Louis Payen ne reproduit que "Les Vieilles du hameau", interprétées, précise-t-il, par Mlle Colonna Romano - ce qui semble ne pas avoir été le cas. En outre, ce poème n'est pas de ceux qui manifestent une complexité des images en un fouillis de petites futaies médiévales. Ils sont rares, par ailleurs, les "reposoirs" à emprunter au Moyen Age son folklore. Certains drames, par contre, peuvent aisément s'y situer. La Dame à la Faulx, notamment, dont on peut alors supposer que des extraits auront été lus lors de cette 9e "Matinée Poétique" - le monologue de la "Vendangeuse aux doigts d'octobre", par exemple.

A la suite du compte rendu de Boissy, figure une "Notice sur Saint-Pol-Roux", rédigée par Camille Mauclair, dont il a déjà été dit un mot, ici même, par Saint-Georges de Bouhélier, mais sur lequel il nous faudra revenir :

"Saint-Pol-Roux, qui vit depuis longtemps dans la retraite, fut une des personnalités les plus originales du symbolisme : et en 1892 (sic), dans l'enquête mémorable où le regretté Jules Huret révéla ce mouvement, le poète fit sensation en signant, avec faste et humour, son credo esthétique du nom de "Saint-Pol-Roux-le-Magnifique". Il se considérait alors comme l'annonciateur d'un âge de somptueuse littérature idéoréaliste. L'épithète de "magnifique" peut du moins être attribuée à son exceptionnelle faculté d'assembleur de métaphores ingénieuses, neuves et éclatantes. Il voit tout en images et en allégories, avec une grâce singulière et une inlassable imagination poétique. Saint-Pol-Roux a composé, un peu dans la tradition d'Axel, de vastes drames symboliques restés injoués, la Dame à la Faulx, les Saisons humaines, entre autres. Mais il a publié plusieurs recueils de poèmes en prose sous le titre collectif : Les Féeries intérieures (sic), où se trouvent des chefs-d'oeuvres de fantaisie ou d'émotion, et qui sont, dans les lettres modernes, équivalentes à l'art étincelant et diapré d'un Monticelli en peinture."

(Je signalerai également, toujours en ce numéro de Comoedia, un article sur une reprise d'Ubu Roi à la Maison de l'Oeuvre, qui intéressera peut-être nos amis du Royaume de Pologne, et que l'on retrouvera, comme il se doit, sur le groupe des "Amis de SPR".)


On se rappelle sans doute des événements houleux du Banquet Saint-Pol-Roux, qui eut lieu à la Closerie des Lilas le 2 juillet 1925. L'épisode est connu, tellement que quelques-uns, peu informés, ont pu croire que Saint-Pol-Roux fut le nom donné à quelque indigeste agape, concoctée à la façon surréaliste. Ce que l'on sait moins, et que nous apprend la deuxième livraison de Comoedia (directeur : Gabriel Alphaud), du dimanche 12 juillet 1925, c'est qu'un second banquet fut organisé, ce 12 juillet au soir, au Palais des Sociétés Savantes (8, rue Danton, Paris VIe). Le carton d'invitation était libellé comme suit :

"A l'instigation du poète

SAINT-POL ROUX

qui retarde à cet effet son départ, un groupe d'écrivains et d'artistes

a décidé de donner,

Dimanche soir, 12 juillet, à 20 heures, au

PALAIS DES SOCIETES SAVANTES

8, RUE DANTON (VIe)

UN BANQUET

en hommage à

LA BEAUTE FRANCAISE"

Cette expression de "Beauté française" aurait de quoi surprendre et même inquiéter. En réalité, il faut plutôt y voir une réaction affective contre les cris de "Vive l'Allemagne" lancés par les surréalistes, le 2 juillet, en réponse aux mots malheureux de Rachilde, parus le jour même dans la presse. Saint-Pol-Roux avait perdu un fils à la guerre; et si l'intellectuel dénigra toujours la bêtise des frontières et des nationalismes - quitte à se faire patriote lorsqu'il s'agit de liberté et de culture -, le père n'était pas prêt, probablement, à entendre une apologie de l'ennemi d'hier qui lui enleva Coecilian. D'ailleurs, le Magnifique tient à s'en expliquer à Gabriel Alphaud :

"Mon cher directeur,

Je ne voudrais pas qu'on fit dévier le sens inspirateur du banquet de la "Beauté française".

On n'y saurait faire entrer un soupçon de représailles, dont la seule évocation nous répugne, et même, par esprit d'apaisement, je conseille qu'aucune allusion n'aille à la mêlée récente où se heurtèrent des groupes contraires, dans chacun desquels je compte des amitiés.

Aucun discours ne sera prononcé, afin d'éviter la moindre parole agressive. Mais on dira des poèmes, dans une fraternité d'art souhaitée par tous.

Votre dévoué
SAINT-POL-ROUX."

L'objet de ce second banquet était de rendre à la poésie sa première place, à l'exclusion de toute considération politique et polémique. Le mot de Saint-Pol-Roux est sans ambiguïté. Malgré les violences du 2 juillet, qui l'ont dépassé et qui auraient dû le décevoir, lui à qui l'hommage des surréalistes promettait comme un nouveau départ, le Magnifique n'exprime aucune rancune. Se souvenait-il des manifestations scandaleuses de sa jeunesse ? Un beau poème inédit, intitulé "Allégorie du Banquet", conservé à Doucet, et dédié à Eluard, prouve qu'il ne s'agissait pas d'une posture - pour la presse.

(1) Saint-Pol-Roux rencontra à plusieurs reprises Colonna Romano et son mari Pierre Alcover, également comédien, à Camaret, chez Antoine. A la suite de cette "Matinée Poétique", le Magnifique lui dédia une "Romance", datée "Camaret 25 février 1922". Elle a été recueillie dans Glorifications (1914-1930), aux éditions Rougerie.

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Votre post est trés intérressant et me touche particulièrement car je suis un petit neuveu éloigné de Pierre Alcover et de Colonna-Romano sur lesquels j'essaie d'obtenir le plus d'information possible.Je m'interresse aussi au Symbolisme et à la Poésie et découvre votre Blog sur un poète mythique que je vais chercher aussi à mieux connaitre et à lire.

Mikaël Lugan a dit…

Merci pour votre commentaire. Êtes-vous en contact avec des descendants directs de Pierre Alcover et Colonna-Romano ? Si vous n'y voyez pas d'inconvénient, envoyez-moi votre adresse mail, je pourrai ainsi vous faire parvenir d'éventuelles "trouvailles".
Cordialement