Lorsque France 3, il y a quelques années, programma "Un siècle d'écrivains" présenté par Bernard Rapp, le portrait de Saint-Pol-Roux manquait. Il y eut bien, à la fin des années 70 et dans les années 80, quelques émissions littéraires radio ou télédiffusées qui lui furent consacrées, mais aucun réalisateur ne s'était réellement intéressé à la vie et l'oeuvre du poète. Chose faite, désormais. La société "Candela productions" vient de faire paraître le DVD de Saint-Pol-Roux et l'Inconnu, film écrit et réalisé par Gilles Jouault-Mouden en 2006, qui fut projeté en Bretagne, surtout, et à Paris - me semble-t-il - à l'occasion du Printemps des Poètes.
J'attendais beaucoup de cet "essai" audiovisuel... et c'est déçu que j'éteins mon poste, après un second visionnage du DVD auquel je voulais laisser une chance nouvelle de me séduire. Malheureusement, ma première impression n'a fait que se renforcer : c'est un film brouillon, ni vraiment documentaire, ni vraiment fiction, mais mêlant les deux en un montage maladroit. Tout avait pourtant bien commencé, par les images rares d'un film amateur où l'on découvre Saint-Pol-Roux devant son manoir, en compagnie de Rose, Divine, et d'un visiteur, cueillant une fleur et la glissant à la boutonnière de ce dernier. Puis, - après d'heureuses interventions de MM. Yves Peyré, Jean-Pierre Siméon, Jacques Goorma et Alistair Whyte, servant de préface -, des plans du Manoir ruiné de Coecilian, de l'océan, des landes camarétoises, de barbelés, de feux d'artifice, alternent sur une bande-son censée rappeler la guerre et la fin tragique du Magnifique, et plongent le spectateur dans l'imagerie d'Epinal qui colle au poète depuis sa mort et qui, pour une grande part, est responsable de la maigre place que lui concèdent les historiens de la littérature : celle d'un gentil (sic) poète breton (resic), mort en martyr durant les premiers jours d'occupation, et qui se déguisa en Père Noël pour distribuer des joujoux, le matin du 25 décembre 1909, aux enfants de Camaret. Anecdote que ne nous épargne pas le film de Jouault-Mouden, ponctuant son montage de plans d'un vieillard (en 1909, Saint-Pol-Roux n'avait que 48 ans), tout de rouge vêtu (quand le poète portait, pour l'occasion, "une simmare d'astrologue azur" prêtée par Antoine), et s'approchant du port sur une barque. Mais, bien entendu, il faut comprendre ce "fil rouge" comme une métaphore cinématographique manifestant la modernité du Magnifique et son actualité toujours vivante! Et ce n'est pas là l'unique fil conducteur fictionnel de cet "essai". Après le kitsch, le glauque : un homme entre dans un wagon désafecté (des années 30-40) et trouve une malle, remplie d'une guirlande (encore le Père Noël) et des oeuvres rééditées chez Rougerie; il prend la Dame à la Faulx et lit. VOIX OFF. Dès lors, de nombreux extraits de la tragédie, interprétés, servent de lien sonore à la juxtaposition de plans dont la cohérence a dû sembler trop peu évidente à leur réalisateur même. Disons-le : la part de fiction et la part de l'essai audio-visuel n'apportent rien, tant les ficelles sont grosses, et font que le film manque son objectif qui, je veux le croire, était de donner à découvrir Saint-Pol-Roux. Les indications biographiques sont trop rares et diffuses pour cela; quant à l'univers idéoréaliste, que cherche à réinventer le film, je n'en ai retrouvé ni la couleur, ni la voix(1).
De cette drôle de réalisation, décevante relativement aux espoirs dont je l'avais préalablement investie, je ne voudrais retenir que les images furtives de ces petits films amateurs où l'on voit le poète vivre parmi les siens, et les interventions - trop brèves - déjà citées, auxquelles il faut ajouter celles, émouvantes et justes, de René Rougerie, dont le courage d'éditeur est à juste titre mis en avant par Saint-Pol-Roux et l'Inconnu. Saluons donc, malgré toutes les réserves émises sur son "essai", Gilles Jouault-Mouden. Le premier, il a donné au Magnifique une existence dans le monde audio-visuel contemporain. Et c'est déjà beaucoup.
(1) Pour comprendre ce que j'entends par essai audiovisuel réussi, le lecteur visionnera de toute urgence le DVD indispensable qui vient de paraître : l'Ubu Roi, d'Alfred Jarry, réalisé pour la télévision, par Jean-Christophe Averty, suivi d'Un siècle d'écrivains : Alfred Jarry, par le même.
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