vendredi 26 décembre 2008

Naissance de l'Académie Mallarmé : et tout commença par un bon repas...

Le chroniqueur du Mercure de France alla un peu vite en besogne en présentant l'article de Jean Ajalbert comme le bulletin de naissance de l'Académie Mallarmé. Car l'académie des poètes naquit quatre jours après, le 19 février, place Gaillon, d'une réunion de huit hérauts du symbolisme, Edouard Dujardin, Francis Vielé-Griffin, Paul Valéry, André-Ferdinand Hérold, André Fontainas, Jean Ajalbert, Saint-Pol-Roux et Paul Fort. On aurait aimé être, ce jour-là, chez Drouant, laissant traîner l'oeil et l'oreille de quelque table voisine. On n'y fut pas, mais Maurice Noël, le bien-nommé, oui, qui en publia un compte rendu le lendemain dans les pages littéraires du Figaro.

D'autres dansent avec grâce. Comme M. Edouard Dujardin sourit joliment !

- Cette fondation de l'Académie Mallarmé, lui disait-on, signifie au moins que les poètes s'estiment frustrés des honneurs qui leur reviennent. Voyez pourtant : Paul Valéry a son fauteuil chez les Quarante...

M. Dujardin a donc souri avec la tristesse de l'ange qui frôle le péché mortel. On n'imagine guère un mimétisme plus vertigineux. Le poète des Lauriers sont coupés est au physique même une créature mallarméenne : la chevelure liliale sur des joues rose-bonbon et deux taches d'un bleu Immaculée Conception, l'une dans l'orbite et l'autre au cou, sous les espèces d'une cravate.

- Voilà que, vous aussi, vous soupçonnez l'Académie française d'être une compagnie ennemie de la poésie.

- Ma foi, un certain échec de Claudel nous a instruit. Ce n'est que l'exemple le plus récent.

Tout au fond de la conception de l'Académie Mallarmé, l'on surprend une revanche de la poésie vieille déjà et que n'ont pas éteinte les honneurs rendus avec épines à Henri de Régnier au début du siècle et à Paul Valéry dans l'après-guerre : la revanche Baudelaire-Mallarmé.
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L'Académie Mallarmé est née hier vendredi 19 février 1937. Il faut saisir les dates historiques. Elle est née à table, car, Dieu merci, ce n'est que par accident que les poètes se nourrissent de leur clef et rien n'assure la solidité d'une institution comme des hommes nourris avec magnificence. Et la place Gaillon, célèbre déjà parmi les fastes du roman, n'est-elle pas, au vrai, un berceau tout aussi prestigieux que le logis de Conrart rue des Vieilles-Etuves ?

Le déjeuner constitutif a réuni huit académies, ou, du moins, huit poètes qui se trouvèrent par génération spontanée académiciens au moment de la bombe glacée. MM. André Gide, poète comme on sait par les Cinq Traités et les effusions rythmées des Nourritures terrestres ; Maurice Maeterlinck et Albert Mockel, absents, n'en furent pas moins "intronisés".

Des symbolistes ? Sera-ce donc une Académie symboliste ? Si l'on avait fondé une Académie du Parnasse en 1890, sous le patronage de Leconte de Lisle et José-Maria de Heredia, où en serait aujourd'hui son recrutement ? Les parnassiens sont sans postérité valable. Y aura-t-il donc des symbolistes en 1950 ?

Les fondateurs de l'Académie Mallarmé n'en ont cure :

- Au vrai, nous ne constituons pas l'Académie d'une école. Les quatre élections qui vont porter à quinze membres notre Compagnie montreront que notre objectif est en fait une Académie de poésie. Toutes les écoles présentes et à venir y trouveront leur place. Mallarmé nous est un symbole, non pas pour sa conception propre de la poésie, mais pour l'exemple d'une vie entièrement donnée à la poésie. Ne vous étonnez pas si Cocteau, par exemple, ou un surréaliste appartiennent quelque jour à l'Académie Mallarmé...

En foi de quoi, le premier bureau a été baptisé au gaillard "blanc de blanc" : Francis Vielé-Griffin, président ; Paul Valéry et Jean Ajalbert, assesseurs ; Edouard Dujardin, secrétaire général. Si l'on ne sait guère où est l'argent, voici, pour l'accueillir, un trésorier, Ferdinand Herold.
On demande un Richelieu
- L'événement est assurément considérable, mais il faut compter avec les faiblesses de la nature humaine : une Académie ne prend pas un prestige durable par le simple rayonnement spirituel de ses membres. On a le coeur serré à imaginer les Quarante sans habits verts, sans épées, sans Coupole ni tambours de la garde républicaine, sans réceptions ! Quel candidat consentirait à de longues tortures pour le plaisir d'aller s'asseoir au café avec des hommes éminents ? Quant aux "Goncourt", ils ont la rente, la fondation du déjeuner mensuel et la bataille du Prix. A la durée d'une institution, il faut un socle et des rites.

M. Edouard Dujardin répond triomphant :

- Le déjeuner mensuel, nous l'aurons. Notre prix, nous l'aurons : ce sera un témoignage de satisfaction à un poète dont le mérite ne nous semblera pas suffisamment apprécié du public. Nos oeuvres mêmes pour cette aison de retraite des poètes dont donation vient d'être faite au département de Seine-et-Marne.

J'en ai assez dit pour faire luire la candeur d'un fondateur d'Académie.
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Les huit fondateurs ont déjeuné hier dans le salon aux murs illustrés de ces oiseaux, de ces poissons de rivière et de mer, de ces fruits de la terre qui font les grandes cuisines. C'est le salon des Goncourt.

Cette façon de naître dans le nid d'autrui fait bien augurer de l'avenir. Mais l'Académie Mallarmé - une rumeur a surgi hier des environs de la rue de Grenelle - trouvera peut-être une chance qu'ignorent encore M. Dujardin et ses confrères.

Elle trouvera peut-être un Richelieu. M. Jean Zay est impénétrable, mais l'on dit qu'il songe à offrir, comme le Cardinal, "une autorité publique" à la Compagnie née hier. On le dit par malice : le ministre est soupçonné de nourrir une répugnance pour l'appareil militaire - tambours et épées - qui s'étale à l'Institut. Et on le croit, car le gouvernement est très attaché aux signes de prospérité : or, il en est de la poésie comme du bâtiment dans l'économique : quand la poésie va, tout va dans la littérature. Enfin, les Français qui ont vu cette semaine, à la Comédie-Française, le doyen Dessonnes traverser en nacelle le ciel de la scène n'ignorent plus que nous sommes en révolution.

Tout est devenu possible : M. Jean Zay faisant le cardinal et l'Académie Mallarmé la nique à l'Académie française qui a rabroué souvent les poètes. Un logis, une dotation, le soin de distribuer les secours, cela est bien vite apporté. Et même un costume, s'il ne s'agit que d'une lavallière mallarméenne.

Voilà pourquoi nous désignons comme un événement important la naissance de l'Académie de poésie, ce vendredi 19 février 1937.
Académiciens fondateurs
Paul Claudel a été sollicité de prendre place dans la Compagnie. Sa réponse à Francis Vielé-Griffin fut laconique :

- Une Académie ? Jamais !

Francis Jammes, lui, est fâché. Un journal a publié l'autre jour son nom dans la liste des académiciens sans le faire suivre, comme il était nécessaire, de la mention : sous réserve d'acceptation.

- L'on dispose de mon nom ! a gémi le cygne d'Orthez.

Et le cygne boude - ce qui est inacceptable si l'on songe que nous avons souffert de ne pas le voir académicien.

Par contre, M. Jean Ajalbert, que fait-il dans ce salon des Muses ? Nous qui sommes un peu "jeunets" ne le connaissons que comme mémorialiste militant et aussi comme échotier des secrets de l'Académie Goncourt. Mais M. Ajalbert a eu une vie littéraire différente l'autre siècle : symboliste de la première heure, s'il vous plaît, fondateur avec Gustave Kahn, Paul Adam, Moréas, du journal Le Symboliste, qui a atteint le chiffre record de quatre numéros. Ce poète peu connu a raconté à Jules Huret, en 1891, qu'il fut "déshonoré dès l'apparition du journal".

"Le canard s'imprimait à Montrouge, dans une petite rue... Nous arrivons... l'imprimeur et sa femme se désolaient... Ils n'avaient guère pu composer le numéro : ils ne comprenaient pas ! Pensez : Moréas, en ce temps-là, "instaurait" Rabelais... "Je n'ai compris que ça : un article de M. Ajalbert", murmurait la vieille femme !... Tous les regards de mes cosymbolistes me fusillèrent... Evidemment, je n'étais pas un pur... je trahissais."

On voit combien les titres poétiques de l'écrivain de Raffin-Su-Su sont douteux en regard de l'étiquette mallarméenne. Mais ses titres administratifs viennent de resplendir. En vérité, M. Ajalbert a sauvé au berceau l'Académie naissante. Quel curieux exemple des aberrations de poètes ! MM. Dujardin, Fontainas et autres fondateurs n'avaient-ils pas imaginé de faire le déjeuner constitutif dans un "bistrot" :

- Un bon bifteck aux pommes, voilà qui sera dans la note ! répétaient-ils.

Sans M. Jean Ajalbert, quel désastre ! Il a surgi et a impérieusement entraîné ces Immortels en gestation vers le temple de la place Gaillon. Il a ainsi placé l'Académie Mallarmé dans une pompe bourgeoise qui est sa garantie de vitalité.
Maurice Noël.
"Une Académie ? Jamais !", avait répondu Claudel qui, après un échec en 1935 face à Claude Farrère, deviendra - sans avoir, il est vrai, cette fois candidaté - académicien français en 1946. Ne jamais dire "jamais"...

(A suivre)

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