L'Académie Mallarmé avait connu des débuts d'existence difficile, complétant laborieusement son quorum, participant poussivement à quelques commémorations et manifestations en ordre dispersé... La presse s'en était amusée. Puis il y eut enfin le prix, justification de toute vie académique, généreusement doté par Mme Vielé-Griffin, et qui fut décerné à Jacques Audiberti. C'était un juste choix, et judicieux, que d'élire pour lauréat inaugural un poète point trop âgé, bien que plus tout à fait jeune, dont le puissant lyrisme, aux images neuves, oxygénait la forme classique qu'il avait fait sienne. Audiberti, d'une certaine manière, synthétisait les différents courants assemblés en la jeune Académie. Ses membres allaient-ils être aussi bien inspirés en décernant leur deuxième prix, qui n'était pas tout à fait leur puisque de L'Âge nouveau ?
Le Figaro - 14 octobre 1938
On sait que la revue L'Age nouveau a fondé un prix de poésie et a chargé l'Académie Mallarmé de le décerner - ce qui n'est pas une mauvaise idée : la jeune Académie de poètes chevronnés manque d'occupations.
La revue en question communique elle-même en ces termes ses pronostics : "Parmi les possibles lauréats, on indique les noms de Mme Céline Arnauld, du jeune poète André Dez, de M. Jacques Dyssord, fantaisiste de grand talent ; de M. Wilfrid Lucas, l'auteur des Cavaliers de Dieu ; de M. Pierre Pascal, poète traditionnel et fécond, et surtout de MM. Henri Hertz et Marcel Martinet, qui, depuis longtemps, ont fait leurs preuves."
Trois semaines plus tard un supplément d'informations éliminait de facto de la liste, les Céline Arnauld, Jacques Dyssord, Wilfrid Lucas, Pierre Pascal, Henri Hertz et Marcel Martinet, trop âgés, et ne laissait plus planer qu'un faux suspense :
Journal des débats politiques et littéraires - 5 novembre 1938
Arts et Lettres
C'est le 8 novembre, chez Drouant, à midi trente, que sera désigné, le lauréat du prix de poésie, fondé par la revue l'Age nouveau. L'Académie Mallarmé doit décerner ce prix à un jeune.Il revient, bien sûr, à la revue organisatrice, de donner le résultat du vote.
L'Âge Nouveau - n°9 - novembre 1938
NOTRE PRIX DE POESIE
Après diverses réunions, l'attribution du prix de L'Age Nouveau a eu lieu, chez Drouant, au cours d'un déjeuner amical qui réunissait autour de la table ronde, MM. Jean Ajalbert, Jean Cocteau, Edouard Dujardin, Léon-Paul Fargue, Paul Fort, A. Ferdinand Hérold, H. Charpentier, Albert Mockel, Charles Vildrac et Marcello-Fabri. - MM. Maeterlinck, Saint-Pol-Roux, Paul Valéry, Fontainas et Valéry Larbaud avaient voté par correspondance. Mme Gérard d'Houville s'était excusée.
La presse avait annoncé que la lutte serait chaude, - les lauréats possibles indiqués après les premiers échanges de vue n'étaient pas moins de huit : Mme Céline Arnauld, - le jeune poète André Dez, - Jacques Dyssord, un fantaisiste de grand talent (v. notre N°8) - Wilfrid Lucas, le poète des Cavaliers de Dieu (v. notre N°4) - Pierre Pascal, poète traditionnel et fécond de qui nous donnerons quelques vers dans un de nos prochains numéros, - et surtout Henri Hertz et Marcel Martinet notoires depuis longtemps. - Un outsider : Roger Lannes, présenté par Jean Cocteau - et l'on sait avec quel tact et quelle flamme Jean Cocteau soutient une candidature.
Ce furent les deux plus jeunes qui furent choisis : MM. André Dez et Roger Lannes ont, l'un et l'autre, un bel avenir devant eux. L'un et l'autre ont leurs tiroirs garnis de manuscrits. Puisse le prix de "L'Age Nouveau" les mettre en selle. Jamais la position des jeunes poètes n'a été aussi difficile. - Mais Roger Lannes et André Dez ont de si grands mérites : le premier par une fraîcheur de timbre que notre époque ne nous apporte pas tous les jours, le second par une densité inhabituelle chez un poète de vingt-trois ans, - qu'il nous apparaît certain de les voir conquérir rapidement, grâce aux publications importantes qu'ils préparent, la place de choix que nous ambitionnons pour eux. L'Age Nouveau voudrait ne pas se contenter de les voir laurés, mais notre revue se propose de les aider le plus efficacement possible.
M. André Dez est l'auteur du recueil : "Exigences". Il était déjà celui de "Lame de fond".
M. Roger Lannes est l'auteur du recueil : "Les voyageurs étrangers". Il doit publier un roman cet hiver.
Le talent des deux poètes apparaissant égaux aux membres du jury, "L'Age Nouveau" a décidé de donner deux prix, (chacun de cinq mille francs), au lieu d'un seul.
A. N.
Le lendemain de la double consécration, Les Alguazils, devançant la postérité, ne donnaient plus, comme lauréat, que le protégé de Cocteau.
Le Figaro - 9 novembre 1938
L'Académie Mallarmé laure un front de poète
L'Académie Mallarmé, qui était chargée de décerner le prix de poésie fondé par une revue, L'Age nouveau, a couronné hier, à l'unanimité, le jeune poète Roger Lannes, parmi les candidats qui s'offraient à son suffrage.
MM. Jean Cocteau, L.-P. Fargue, E. Dujardin, Jean Ajalbert, P. Fort, A. Mockel, F. Hérold, Henry Charpentier siégeaient à table. Les autres membres de l'Académie avaient voté par correspondance.
M. Roger Lannes a publié Les Voyageurs étrangers, recueil de poèmes qui rassemble son oeuvre jusqu'ici venue au jour - art de poète, agile, ingénieux, aussi prompt à saisir et à créer les plus charmantes correspondances entre la nature et les êtres.
Des étoiles jeunes et fièresTraversent la chambre de la nuit.Le sommeil du dormeurS'ouvre à leur neige légère.Le printemps siffle dans le cielComme une lanière tranquille.
M. Roger Lannes est né à Paris en 1910.
Les Alguazils.
L'erreur fut néanmoins réparée deux jours plus tard, mais le pauvre André Dez, qui n'avait pas les honneurs d'un parrainage coctélien, n'eut pas non plus ceux de voir sa tête de poète exhibée dans le grand quotidien national.
Le Figaro - 11 novembre 1938
A l'Académie Mallarmé
Le prix de poésie qu'a décerné mardi l'Académie Mallarmé pour le compte d'une revue L'Age nouveau a eu deux colauréats, et par une erreur que nous réparons spontanément, nous n'en avions retenu qu'un.
M. André Dez a remporté en effet l'unanimité des suffrages pour son recueil Exigences (Ed. Corrêa). Le jeune poète qui a vingt-quatre ans et professe au lycée Lakanal avait publié déjà Lames de fond. Il prépare un roman Ligne courbe.
Roger Lannes rencontrera Saint-Pol-Roux au moins une fois : au cours du déjeuner organisé par René de Berval à la Brasserie Lipp le 19 juin 1939. Je doute que les événements leur laissèrent le temps de mieux se connaître, mais le jeune homme dut en garder un souvenir ému, qui décerna au Magnifique une belle couronne posthume en tête du onzième numéro de la revue Fontaine de Max-Pol Fouchet :
Fontaine - 2e année, N°11, oct.-nov. 1940
SAINT-POL-ROUX
L'exercice d'une magistrature poétique manque à notre temps. J'eusse volontiers revêtu de son infaillibilité le personnage sacerdotal qu'était Saint-Pol Roux. Lui, vivant dans la posture de Chateaubriand mort, à l'extrémité géographique de l'Occident, au lieu même de son embarquement océanique, symbolisait l'idée de cette fonction pure à laquelle notre époque a cru, impunément, qu'elle pouvait retirer le pouvoir exécutif.
D'autres loueront la sonorité ruisselante du verbe pol-rousselien. J'admire aujourd'hui surtout qu'il se soit identifié à ce point au silence que c'est à peine si on se rend compte maintenant combien ce poète ne disparaît pas, mais, d'horreur, se recule.
Roger LANNES.
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