mercredi 11 mars 2009

Et le premier prix Mallarmé est attribué à ...

Je reprends là où je l'avais abandonné le feuilleton mallarmacadémique. On se souvient qu'il avait été question dans les épisodes précédents de l'élection, après la mort de Francis Vielé-Griffin, de Saint-Pol-Roux à la tête de la jeune assemblée des quinze ; mais aussi de la fondation d'un prix, par Marcello-Fabri et son Âge Nouveau... Tout cela, plus quelques commémorations et agapes littéraires, nous avait déposé au beau mitan du printemps 1938. L'Académie Mallarmé achevait de souffler sa première bougie ; au fil de l'année écoulée, elle s'était essentiellement fait remarquer, à la grande joie des échotiers, par l'enivrant jeu de chaises musicales joué par ses membres, finalement plus verts que ne pouvait le laisser penser leur état-civil. Il était donc temps de renouer avec la poésie et d'attribuer enfin, grâce à Mme Vielé-Griffin, son prix - celui de l'Âge Nouveau étant différé à l'automne. Des noms circulèrent et on pronostiqua...
Le Figaro - 21 mai 1938
L'Académie Mallarmé, elle, votera le 2 juin. Qu'on le remarque : la jeune Compagnie de poésie prend corps, un corps social ; elle est sans dotation régulière, mais ses amis ont fait une tontine pour l'institution du prix.

Les poètes-électeurs se divisent tout comme les critiques, mais pour des raisons plus graves que l'âge des candidats.

Jacques Audiberti, poète d'un obscur génie qu'il faut lire dans La Race des Hommes, étonnant brasseur de symboles et de vocables, a les faveurs des électeurs les plus hardis en forme poétique. Et, avec lui, Paul Eluard, maître de l'école surréaliste.

Mais M. Louis Mandin, dont l'oeuvre principale vient d'être recueillie sous le titre L'Aurore du Soir, édition qui fait valoir soudain la valeur d'une carrière volontairement modeste, trouve les suffrages des "Mallarméens" de tradition plus reconnue.
La Girouette.
Le Figaro - 30 mai 1938
Jeudi, prix de poésie de l'Académie Mallarmé, qui sera décerné chez Drouant.

Tous les "candidats" ou plutôt les lauréats possibles, sont des poètes de valeur.

Jacques Audiberti garde les meilleures chances. Près de lui, André Breton, Pierre Reverdy, Patrice de La Tour du Pin auront des suffrages.

Du côté des poètes traditionnels, Jacques Dyssord et André Druelle.

L'on avait parlé aussi de Tristan Klingsor et de Louis Mandin, dont la carrière est accomplie déjà, en bonne partie. Or, il semble bien que l'Académie Mallarmé veuillet couronner un poète en pleine activité, ni un débutant, ni un ancien.
Les Alguazils.
Et le premier prix de l'Académie Mallarmé est attribué à ...

Figaro - 3 juin 1938
Un poète à l'honneur : Jacques Audiberti
L'Académie Mallarmé a tenu séance hier, place Gaillon, et a décerné pour la première fois son prix de poésie (5.000 francs), fondation de Mme Viélé-Griffin, destiné "à honorer le nom d'un poète dont l'oeuvre est assez importante pour être jugée".

Au second tour de scrutin, Audiberti a obtenu huit voix contre trois à André Druelle et trois à Jacques Dyssord.

Beau choix assurément : le poète Audiberti - né le 25 mars 1899 à Antibes - a publié deux livres : L'Empire et la Trappe (1930), Race des hommes (1937), qui révèlent un grand créateur poétique, d'accès difficile, hermétique parfois, du fait même que le langage, chez lui, court les aventures propres, mais un vrai poète dont l'obscur travail crée souvent des splendeurs uniques. Nous reparlerons de ce lauréat, désigné à l'attention, samedi, dans notre Figaro Littéraire.
Les Alguazils.
Le Figaro - 4 juin 1938
A L'OISEAU DE PARIS
L'Académie Mallarmé élisait avant-hier le premier lauréat de son Prix de Poésie : Audiberti - tout court - poète de L'Empire de la Trappe (1930) et de Race des hommes (1937). Il est né à Antibes en 1899.

L'occasion nous paraît excellente de mettre nos lecteurs en contact avec un exemple de cette expression poétique, encore nouvelle, déconcertante même, et hermétique pour beaucoup.

L'oeuvre de M. Audiberti ne figure pas une poésie ordonnée par l'intelligence et assez peu une poésie des images. De très lointaine et involontaire filiation mallarméenne, elle est d'abord une libre création du langage, du verbe, avec ses hasards, ses splendeurs et, on le verra, ses scories.

A l'oiseau de Paris - tumulte poétique devant un oiseau du square Louvois - est un poème inédit du lauréat de l'Académie Mallarmé.
Au nom du pire, au nom de l'herbe, au nom de toi,
oiseau, viens vers moi !
Je t'aime... Je t'aime...
Par les buis et les fous du jardin de Louvois,
accours à la voix
du fils du baptême.

Entre les oiseaux, oiseau,
tu cisailles le réseau
de l'espace qui sépare.
Sans patrie et sans péché,
du monde toujours caché
tu fends l'écorce barbare.

OEuf dont nul le nom ne sait,
Sauf, sous ton tendre corset,
une âme enfin détendue,
laisse mon chaste désir
dans la foule te saisir
Pour fixer mon étendue.

Je ne te connais pas. Tu ne me connais pas.
Ne vole là-bas.
Faisons connaissance.
S'unisse notre nid, requis par mon exil,
au fond du sourcil
D'une seule absence.

Flûteau taciturne où court
l'appel de mon coeur, plus lourd
que notre mère la brume,
ouvre, enfle tes capuchons,
et que l'ombre où nous marchons
se dissipe sous ta plume.

Comme l'aquilon, tu crois.
Les soleils, gros de leur croix,
ton aile, debout, les masques,
Et les dieux blancs et hideux
Tremblent dès que de nous deux
Surgit la bonne bourrasque.

J'exige et je supplie, ange de nos rameaux,
qu'en dépit des mots
à jour tu nous perces,
et qu'au bol de ma soif du sang très innocent
enfin tarissant
la tienne tu verses.

Le mal jamais je ne fis.
J'exaspérai de défis
l'atroce bal de la bombe.
Je passai le triste jour
à gémir devers l'amour...
Il vit derrière la tombe.

Espérez encore avant
de hurler contre le vent,
et de piétiner l'image.
Doux, le duvet des oiseaux
porte sur les sombres eaux
La promesse du ramage.
Audiberti.
Les échotiers ne disent pas qui fut l'académicien qui s'abstint (8 voix pour Audiberti, 3 voix pour Druelle, 3 voix pour Dyssord, font 14 et non 15). Mais il me plaît à penser que Saint-Pol-Roux, bien qu'en son temps André Rouveyre le représentât, sans concession, auprès de Louis Mandin, accorda son vote à cet autre outrancier lyrique dont l'oiseau qui cisaille le réseau de l'espace qui sépare n'est pas sans rappeler les alouettes, coups de ciseaux gravissant l'air, du Magnifique. Dans ses mémoires, le poète de Race des hommes laissera un souvenir de cette reconnaissance mallarméenne, souvenir que j'emprunte au site des Amis de Jacques Audiberti : "Avec Cocteau, Fargue, Paul Fort, Saint-Pol Roux, [Valéry] fut de ceux qui m'accueillirent, copain compagnon, dans je ne sais plus quel endroit de nappes et d'assiettes, vers la fin de l'année trente-huit quand j'avais des bosses aux genoux de mes pantalons, afin de me décerner un certain prix, le prix Mallarmé. Le montant du prix consistait, surtout, dans cet inestimable rendez-vous avec la poésie française en chair et en os."

Il y aura en novembre de la même année un deuxième prix décerné par l'Académie, celui concoté par l'Âge Nouveau, qui récompensera de plus jeunes poètes. Nous en reparlerons, après un détour par Saint-Brieuc et Camaret.
Nota : Le jeu-concours court toujours. Puisque ça sèche, voici donc un indice : à moins d'habiter en Barbarie, vous devriez trouver, ô fins amateurs de littérature de la Belle-Epoque et de l'entre-deux guerres, quelque volume exhibant le nom de notre mystérieux bonhomme dans vos bibliothèques, pour sûr...

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