Arsène HOUSSAYE, Du danger de vivre en artiste quand on n’est que millionnaire, postface d’Éric Vauthier et Illustrations d’Anne Careil, Éditions de L’Arbre Vengeur, 2008.
Le lecteur contemporain ne se souvient plus guère d’Arsène Houssaye (1815-1896), sinon comme l’heureux dédicataire des Petits Poëmes en prose de Baudelaire. C’est beaucoup et c’est néanmoins bien peu pour celui qui fut, à sa manière, un homme-siècle, débutant sa carrière de littérateur en pleine effervescence romantique, accueillant les générations réaliste puis symboliste dans ses revues, touchant à tous les genres, sans génie certes, mais non sans talent. Arsène Houssaye est une de ces nombreuses figures oubliées de l’histoire littéraire, vite classées parmi les minores, et qui joua pourtant un rôle de premier plan dans le petit monde des Lettres de son époque. Parce qu’il fut un animateur influent de la vie littéraire, mais aussi parce qu’il sut enregistrer en son œuvre certaines des tendances qui seront exploitées par ses jeunes confrères.
Les huit nouvelles – on dirait plus volontiers contes – réunies ici par Éric Vauthier en sont un témoignage assez convaincant. Au cours du XIXe siècle, le développement du récit bref, plus facile à insérer dans les journaux alors en plein essor, s’est accompagné presque immédiatement d’une revalorisation poétique du genre – surtout sous l’influence de Poe et de son traducteur Baudelaire. Chez Houssaye, excellent connaisseur du lectorat de la presse quotidienne, l’efficacité prime ; le récit est tout entier au service de l’effet à produire : l’effroi et/ou le rire. L’auteur ne s’embarrasse pas de psychologie ; « son style, écrit le postfacier, volontiers elliptique coïncide parfaitement aux exigences de concentration et d’efficacité du récit court ».
Ses personnages sont d’ailleurs plutôt des automates de chair, condamnés – car l’enfer (parisien) n’est jamais bien loin – à reproduire les mêmes gestes ou situations, comme Eugénie Rivoire l’une des « Deux Parisiennes aux bords du Missouri » jetant son enfant nouveau-né dans la Seine, puis en défenestrant un autre ; comme Wilfrid Milson revivant chaque nuit, dans « Nina et Mimi », la longue agonie de sa femme qu’il a empoisonnée ; comme Mlle de Montaignac, « Mademoiselle Salomé », rencontrant partout la tête d’Arthur Dupont, l’amant éconduit et suicidé. Il y a chez Houssaye une certaine complaisance dans le morbide, dans le cruel, où le sentimentalisme n’a pas sa part – qu’on se reporte à « Monsieur Paul et Mademoiselle Virginie », ironique et noire récriture du roman de Bernardin de Saint-Pierre. Houssaye est un montreur ; sa narration est exhibitionniste, spectaculaire. Il n’est pas anodin que le monde du théâtre ou du cabaret, plus rarement de l’art, serve de cadre à ces nouvelles ou que les personnages – en général les femmes – en soient issus. Le narrateur, en talentueux bonimenteur, montre et se montre, usant des présentatifs (« voici ce que raconta Eugénie Rivoire… »), servant de guide (« Il est huit heures moins un quart, nous sommes rue du Colisée… » ; « Voyez-vous là-bas, sur la terrasse de Saint-Germain… ? »), quand il n’est pas lui-même guidé (« Le marquis de Satanas m’avait entraîné chez Laborde… ») ou simplement narrateur-personnage (« Du danger de vivre en artiste… »). Aussi, ce petit recueil est-il une galerie de jolis monstres, Parisiennes fatales et insensibles, que l’auteur-exhibitionniste prend un évident plaisir à animer sous les yeux d’un lecteur, placé, avec un plaisir égal, dans la position du voyeur, dispositif qu’emploieront à leur tour les nouvellistes de la fin de siècle.
Nota : Il est vivement conseillé de feuilleter le catalogue des Editions de l'Arbre Vengeur, téléchargeable en ligne ici ; on y trouve fatalement son bonheur. Eric Vauthier est le collecteur de l'important Nuit rouge et autres histoires cruelles de Paris, dont il fut déjà rendu compte ici.
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