Ce fut incontestablement un événement que la tenue de ce colloque fort pertinemment intitulé "Saint-Pol-Roux, passeur entre deux mondes", les 27 & 28 février derniers à Brest. Evénement historique d'abord, puisqu'il s'agissait du premier entièrement consacré au poète ; et événement universitaire de haute tenue, tant les intervenants et les communications y furent de qualité. L'objectif avoué de la manifestation était de donner un aperçu global de l'oeuvre idéoréaliste et d'ouvrir des pistes de recherches. Mme Marie-Josette Le Han, qui l'organisa de belle manière, conçut un programme en trois temps.
"Fragments d'une vie". Voilà un titre bien trouvé pour une initiale approche, nécessairement kaléidoscopique, et qui colle à l'itinéraire si particulier du Magnifique. Certes, il ne fut pas question des premières années provençales et lyonnaises si décisives, de la conquête parisienne ou du séjour dans les Ardennes, - il fallait bien opérer un choix et l'une, au moins de ces stations, sera magistralement évoquée dans les Actes. Mais Marcel Burel nous entretint de l'enracinement breton de Saint-Pol-Roux, à Roscanvel d'abord ; enracinement dont témoigne l'usage de "bretonnismes" fréquents dans les poèmes écrits entre 1898 et 1905. N'est-ce pas d'ailleurs la Bretagne qui présida aux rencontres avec Victor Segalen et Théophile Briant ? Ce dernier, qui avait débuté comme galeriste d'avant-garde dans les années 1920, fut un important animateur de la vie littéraire de 1930 à sa mort, en 1956, ami de Max Jacob, Jehan Rictus, Céline et Saint-Pol-Roux, directeur du Goéland, qui sut braver la tempête, niché en sa Tour du Vent de Paramé. Dominique Bodin a relevé les nombreux points de rencontre, biographiques et littéraires, qui unirent les deux solitaires. M. Jean-André Le Gall, quant à lui, donna une relecture personnelle de l'amitié entre Segalen et Saint-Pol-Roux, déduisant une distance entre les deux hommes de l'absence de lettres échangées entre mars 1909 et avril 1915, d'après l'édition Rougerie. Distance que laissait déjà entendre l'hommage du jeune médecin-poète lors du banquet du 6 février 1909. Puis, pendant la guerre, il y eut l'affaire des bois de Gauguin, dont on parla beaucoup en ce colloque. Ce fut le cas notamment de Mme Renée Mabin qui fit un bel exposé, et fort bien illustré, sur "Saint-Pol-Roux frère des peintres : de Gauguin à Jim Sévellec", où il apparut clairement que la peinture, comme la poésie, ne pouvait être, pour le Magnifique, reproduction du réel, mais création nouvelle, projection d'une vision personnelle du peintre. "Fragments d'une vie", l'aperçu que donna l'excellent et érudissime Jean-Louis Debauve de la correspondance "générale" de Saint-Pol-Roux, elle-même fragmentaire, dispersée, lacunaire, se voit parfaitement coiffé d'un surtitre tel. Il fut question de lettres à Charpentier, Decourcelle, Royère, Vallette, Dujardin, et d'une rencontre inattendue, petite merveille de poésie, avec Renée Hamon, le petit corsaire de Colette. Mais, chut...
"Affinités littéraires et rencontres esthétiques". L'après-midi du vendredi, on entra plus avant dans la poésie et la pensée idéoréalistes. Ce fut d'abord M. Jean-Luc Pestel, qui analysa la lecture idéoréaliste de l'oeuvre rimbaldienne, lecture johannique, qui passe, chez Saint-Pol-Roux, par le prisme hugolien, synthétisant ainsi ces deux figures majeures, dans la généalogie de la poésie moderne, les mages Hugo et Rimbaud. Les deux communications suivantes posaient la question de la place du poète dans l'histoire littéraire ; "Saint-Pol-Roux symboliste ?" interrogea M. Julien Schuh, recontextualisant la notion d'idéoréalisme, terme issu probablement de la philosophie post-kantienne et de l'allemand ideal-realismus, adopté et théorisé par le Magnifique puis emprunté par Camille Mauclair en son Eleusis (1894), qui le fit sien - du moins finit-on par le croire. Mikaël Lugan se demanda ensuite si les relations entre Saint-Pol-Roux et les surréalistes ne pâtirent pas d'un "malentendu poétique". Mme Dominique Millet-Gérard fit une lecture très intéressante de "Chapelle de hameau", confrontant le poème à ceux de Jammes à qui il est dédié ; elle en tira d'importantes conclusions pour l'oeuvre entière. J'en dirai plus quand paraîtront les Actes. Puis ce fut le tour de M. Patrick Besnier, qui avait choisi d'étudier les rapports de Saint-Pol-Roux avec la musique ; on la trouve, à l'origine, liée à sa pratique de poète, puis réapparaît sous les traits de Charpentier, de Wagner dont il revient à M. Besnier d'avoir dégagé les traces de l'influence sur le dramaturge idéoréaliste... mais l'imprégnation wagnérienne, d'époque, ne doit pas cacher une autre influence moins hautaine, celle de la musique, libérée du conservatoire, populaire, humble, plus opérette qu'opéra. Mme Marie-Josette Le Han proposa, avec "Le poète, pèlerin de la charité", une analyse sensible, enfin, du dernier poème des Féeries Intérieures, "Le châtelain et le paysan", dans lequel elle voit - je crois : justement - un terme et la naissance d'une poétique renouvelée.
"Ambitions d'une oeuvre". J'attendais avec impatience l'intervention de Jacques Goorma, qui ouvrit bien des horizons à l'amateur de l'oeuvre saint-pol-roussine. Il est le premier à avoir soutenu une thèse sur le Magnifique, Poétique de Saint-Pol-Roux. Et Jacques Goorma est un grand poète. C'est donc en spécialiste et en poète qu'il nous entretint de "La poésie comme force d'union et d'émancipation", de la pensée idéoréaliste en son multiple mouvement. (Je vous souhaite d'entendre un jour la voix bouleversante de Jacques Goorma). La communication de Mme Odile Hamot illustra de fort belle façon l'intervention précédente, révélant le symbole idéoréaliste de l'échelle d'Ezechiel, récurrent dans l'oeuvre de Saint-Pol-Roux. La logique voulait que ces deux-là se suivent, puisque Mme Odile Hamot est l'auteure d'une autre thèse assez extraordinaire sur le poète, Obscur symbole de lumière (le mystère dans l'oeuvre de Saint-Pol-Roux), qui, a-t-on appris, devrait paraître d'ici un an. L'étude de Nicolas Tocquer consacrée à la correspondance SPR-Royère n'était pas moins attendue ; en effet, la Bibliothèque de Brest avait, il y a quelques mois, acquis 53 lettres adressées par le Magnifique à Jean Royère, et n'ayant eu l'occasion de la consulter, j'étais curieux de connaître les secrets qu'elle renfermait. Il en fut dévoilé quelques-uns, mais là encore : chut... M. Jean-Michel Kervran parla ensuite de l'éthique et de l'esthétique dans l'oeuvre de Saint-Pol-Roux, clarifiant bien, convoquant Platon et surtout Plotin (dont on causa beaucoup aussi durant ces deux jours), l'indissoluble rapport entre les deux notions dans la poésie idéoréaliste. Et comme il avait été question d'esthétique, Mme Françoise Daniel conclut le colloque en évoquant "l'idée de primitivisme" chez le Magnifique, et c'est une autre piste qui me paraît riche d'avenir.
Je n'ai, of course, donné ici qu'un rapide résumé - s'agit-il même d'un résumé ? - de ce jour et demi historiques. Le sujet avait inspiré les participants puisque tous dépassèrent le temps originellement imparti. Le vendredi, en fin d'après-midi, la parfaite organisation du colloque avait prévu une visite guidée de l'exposition Saint-Pol-Roux, dont je reparlerai bientôt. Qu'ajouter ? Eh bien, qu'il y aura des Actes et, sûrement, bientôt, des journées d'étude dans les universités, et d'autres colloques magnifiques.
Nota : Notre mystérieux bonhomme photographié est toujours inidentifié. Voici donc un indice : tout amateur de littérature belle-époque possède nécessairement un de ses livres dans sa bibliothèque, ou en a lus.
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