Paul FORT
(1872-1960)
On ne lit plus guère l'oeuvre de Paul Fort. A peine, est-elle connue aujourd'hui des enfants et de quelques rares spécialistes. On la snobe, et pourtant quelle somme ! quel impressionnant et ininterrompu flux lyrique que celui des tomes innombrables des Ballades Françaises ! J'aime le Prince des Poètes, sa naïveté, sa simplicité, son audace aussi. Car il fut audacieux ce jeune homme timide et inconnu de dix-sept ans, assis au Voltaire, qui, entendant Vallette dire qu'il manquait au symbolisme un théâtre, le prit au mot et créa, après maints porte-à-porte, l'avant-gardiste Théâtre d'Art. Il le dirigea pendant quatre ans et fonda une revue, du même nom, qui lui servait de programme et d'organe symboliste, sans jamais éprouver le besoin d'y publier lui-même. Les noms des meilleurs peintres et écrivains du mouvement s'y cotoyaient. Saint-Pol-Roux, bien sûr, était de l'aventure. Paul Fort estimait le Magnifique; on a étrangement peu mentionné l'influence probable des proses rythmées et assonancées des Reposoirs de la Procession sur la manière des Ballades Françaises. Pierre Louÿs, dans sa préface au premier recueil (Mercure de France, 1897), signalait les tentatives antérieures de Péladan (La Queste du Saint-Graal), Mendès (Lieder) ou Buffon, mais ignorait Saint-Pol-Roux. Pourtant, il n'y aurait qu'à lire, en regard l'une de l'autre, n'importe quelle ballade et "Le Pèlerinage de Sainte-Anne", pour noter des ressemblances. Reste que Paul Fort estimait le Magnifique et qu'il en devint rapidement l'ami. Cette amitié dura. Certaines de ses manifestations comptèrent dans la vie des deux poètes. Il y eut, d'abord, la fondation de Vers et Prose en 1905, revue de "Défense et illustration du lyrisme en prose et en poésie", dont l'ouverture aux tendances nouvelles signifiait paradoxalement la vitalité du symbolisme, et à laquelle Saint-Pol-Roux collabora dès la deuxième livraison. Lorsqu'au début de 1909, il fut question d'organiser un banquet en l'honneur de l'auteur de La Dame à la Faulx, Paul Fort fut parmi les plus actifs et zélés; et, un an plus tard, il fut, avec Guillaume Apollinaire, Alexandre Mercereau et Eugène Figuière, à l'origine d'une pétition pour réclamer que la légion d'honneur fût épinglée sur le veston du Magnifique. Quoi de plus naturel alors que ce dernier donnant, sans hésitation, sa voix au trouvère des ballades, lors de l'élection du Prince des Poètes (1912). Quoi de plus naturel, toujours, que l'apparition d'un poème de Paul Fort, "La Cathédrale de Reims", dans le dernier numéro de La France immortelle, le journal créé dans les premières semaines de guerre et entièrement rédigé par Saint-Pol-Roux. On multiplierait aisément ces signes d'une amitié humaine et littéraire. L'occasion sera belle d'y revenir. Je conclurai donc cette trop courte notice en précisant que le poème reproduit ici constitue la deuxième section de "Les fous et les clowns" qui ouvre le quatrième livre ("Mes légendes - II") des Ballades Françaises (Mercure de France, Paris, 1897).
A Saint-Pol-Roux.II Un trop grave problème occupait mon esprit, on riait au château, moi le Fou, je m'enfuis. - (La lune était pleine, l'étang était blême, et Coxcomb ordonnait un mignon stratagème...)- "Les rayons de la lune et les bulles de l'étang procréeront-ils sans honte à la face du monde ? Ah, ma pudeur s'afflige. Qu'on se marie, voyons. Pas de prêtre ? Allons donc. Je suis là, moi, Coxcomb."Or, j'ai marié ce soir la lune avec l'étang. Un fort beau mariage, avec beaucoup de gens. Autour du fils unique, un poupard de brouillard gros de tout un printemps, - ô cortège de noces ! - au clair de la lune, outre nos chats-huants, des étoiles battant neuf et des tétards d'argent fôlatraient aux bons coins de sa robe électrique, - humph ! avec aussi de notables personnes, moi, Coxcomb, mon Ombre et ma Bosse.Bon, la coquette, là-haut, se frottait les pommettes, du bout bleu d'un nuage, et polissait son nez. Bien, je fis la toilette, moi-même, du fiancé. Que ce fut de l'ouvrage ! Sa branlante perruque de joncs écartée, - je lui courbais d'un saule une raie de côté, - ma surprise fut énorme :- Qu'as-tu fait de ton nez ?- Hélas, gémit l'étang.- Foin, il te faut un nez.- J'ai ces drains, j'ai cent bras, j'ai cette source, j'ai une jambe.- Cent bras, c'est trop. Tu as assez d'une jambe, mais il te faut un nez.- J'ai des aulnes, j'ai des ailes...- Vois-tu, c'est qu'elle sent bon, la lune, les soirs d'été.- Je ne vois rien, monsieur, je suis aveugle-né.Humph, quel Adonis. - Sais-tu qu'elle vaut les yeux d'être vue la Phébé ? Tu auras des yeux, tu auras un nez. Comment donc a-t-elle pu s'amouracher de toi ? Ca, je n'y comprends rien. N'y a-t-il pas Coxcomb à chérir ici-bas ? Si de passer ma Bosse, un fluide se dégage ensorceleur en diable... comme deux reines me l'ont dit... Peste ! mon Ombre, vous nous tendez une ouïe ! C'est tout, madame, sachez que je n'ai rien dit.- Holà, mais je ne t'aperçois aucune bouche mon cher. Holà, l'étang, comment parles-tu ?- Avec le vent dans mes cheveux, monsieur.- Ca ne se passera pas comme ça. Tu seras comme un ange. Et tu auras une bouche encore pour la baiser...- Et lui souffler ces vers couleur de son visage, que pour elle ma cervelle cisèle de ses reflets, n'est-ce pas ?- Ta cervelle ?...- Oui, ma vase; et depuis si longtemps ils sont au moins quinze cents ! (conclurent galamment les joncs avec le vent.)Bref, crevé l'épiderme de ce beau ténébreux du coup d'éclair courbé de ma gaule, - bon, un oeil. Crevé par trois fois, - un oeil, un oeil, un nez. Puis trois éraflures, - les moustaches, la royale. Bref, au centre, planté ma gaule ! - une gueule superbe.Tandis que deux iris donnent la vie à ses yeux, la lune aux lents baisers colore d'or son nez. Cette façon de se passer d'anneau parut sans doute fort déplacée. J'entendis un frouifrouis, dans l'air, de mal augure. Deux chouettes de bon aloi fuyaient épouvantées, et je cherchais en vain mon Ombre à mes côtés. Ces trois dames, fort prudes, s'étaient désinvitées.- Du rythme ! - entends-je bruire - à ta cérémonie. On te paiera, Coxcomb.- Bien, bien.Je fais grogner mon nez et pleurer mes grelots, je me frappe la cuisse (en mesure toutefois), je siffle entre mes doigts, je fais humph ! je fais ha ! j'écrase les roseaux, j'escalade les aulnes - et ce sont des chants pieux qui dans la nuit résonnent.- Tu m'arraches les cheveux ! tu me déchires les ailes ! Oh, sale humanité, va, je te quitterai ! - hurle si fort l'étang, que j'en reste accablé.- Vous me semblez ému ? Vous nous ouvrez des ailes... Il y a de quoi, sans doute. Heureux mortel, voyons. Eh donc, vous vous troublez ? Peste, quel geste ! Holà, mon Dieu, ma tête ! Vraiment, un tel lourdaud tenterait-il de voler ?- A moi, mes aulnes ! à moi, mes ailes !- Holà, ma caboche ! Il s'envole, ma parole !... Ah, ah, réfléchissons.Lorsqu'un étang veut embrasser sa fiancéeEt que sa fiancée se trouve être la lune,Et que (depuis des temps) la lune est aux étoiles,Mais que l'étang prétend avoir de quoi voler,Il vaut mieux filerQue de contempler d'aussi absurdes choses.D'autant mieux que l'étang peut vous choir sur le nez,Sans préjudice de la lune,S'il l'a décrochée.Filons. Un gueux d'orage se drape sous la lune, qui d'une foudre oblique pourrait bien me pourfendre... Bah ! je suis de ces fous renaissant de leurs cendres.
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