J'ai déjà eu l'occasion de dire tout le bien que je pense du talent dénicheur de Zeb, le maître-entoileur de Livrenglob. Un billet sien, récent, m'oblige, dût-il en rougir, à le féliciter encore. Il a, en effet, eu l'excellente idée de reproduire, mardi dernier, un article de Georges Brandimbourg, "Les littéraires", paru dans le n°41 du Courrier Français (12 octobre 1890). Excellente, parce que l'auteur y passe au crible acéré certains des jeunes symbolistes, qui n'en ressortent pas indemnes : Louis Pilate de Brinn'Gaubast, l'ancien directeur de la seconde Pléiade (1889); Charles Morice, le théoricien du mouvement et de la Littérature de tout à l'heure; Léon Deschamps, le fondateur de La Plume. Excellente aussi, parce que certains ne s'en sortent pas trop mal, à juste titre : Moréas et l'équipe de rédacteurs du Mercure de France. Excellente, de surcroît, parce que, parmi ces derniers, Saint-Pol-Roux s'y voit accorder ces quelques lignes sympathiques :
"Ainsi [modeste], l'étrange Saint-Pol-Roux, une des physionomies les plus originales. On peut ne pas aimer l'outrance voulue de ses figures, mais on ne peut lui contester une force, une pensée puissante qui en font quelqu'un."
Excellente, surtout, parce que Brandimbourg eut la tout aussi excellente idée de citer un sonnet alors inédit du Magnifique, "Voici la vierge aux seins émus comme la vague...", pour illustrer son appréciation.
J'avais eu l'occasion de recopier ce poème lors d'une déjà ancienne consultation de la collection toulousaine du Courrier Français. C'est une lettre de Saint-Pol-Roux à Gabriel Randon qui m'avait poussé à parcourir les livraisons de l'hebdomadaire ; installé à Beg Meil (Finistère) depuis le 30 septembre 1890, aux frais de Pierre Decourcelle qui l'avait discrètement invité en Bretagne pour travailler à l'écriture des Clefs de la Citadelle, pièce originellement prévue pour le Théâtre de la Gaîté - mais qui ne sera jamais représentée -, le Magnifique demandait à son ami, le 11 octobre, de lui envoyer "le Courrier quand il paraîtra". Dans cette même épistole, il le remerciait pour la correction d'un sonnet, probablement celle des épreuves du poème publié par Brandimbourg. Huit jours plus tard, d'Audierne, Saint-Pol-Roux accusait réception du numéro, ajoutant : "J'ai adressé mes grâces à l'amène Brandimbourg".
C'était le deuxième séjour breton du poète. Le premier remontait à 1883. Il avait alors passé quelques jours sur la côte du Morbihan où il écrivit La Ferme, qui ne sera publiée chez Ghio qu'en 1886. Il en avait ressenti le charme et s'en souvenait avec enthousiasme :
"Oh ! s'abandonner à la vie, de la brise sur l'être et du matin dans l'âme ! S'étendre parmi les goëmons de la grève, et, ses regards, ses pensées, les engager à bord de la tartane blanche qui s'efface là-bas comme s'éloigne la jeunesse ! Saluer un calvaire ancien dont le christ est resté aux lèvres des pèlerins bariolés de Sainte-Anne ! S'enivrer de chants d'oiseaux ! Etre piqué par l'abeille, ce vivant écho d'or d'une lyre brisée autrefois ! Oh ! le soir regarder sortir du mois-de-marie les vierges qui chuchotaient à l'aube sur les margelles !" (Préface de La Ferme, 15 mai 1886)
Quatre ans plus tard, mais du Finistère cette fois, il décrit son périple avec le même lyrisme :
"Je me sens l'âme d'une jeune fille. Mon enfance me visite - en rose blanche - et j'oublie avoir souffert - devant ce réceptacle de larmes immortelles : l'Océan." (lettre à Gabriel Randon, Beg Meil, 3 octobre 1890)
"Enfin une saison exquise. Le soleil sourit et conseille : grande bonne Abeille de la Vie. Sur l'immensité glauque un ryhtme de romance pour âme. A la vesprée, là-bas, de rares hameaux se divulguent par leurs lumières : grappes de lampes copiant les grappes d'étoiles. C'est peu mais c'est Tout." (lettre à Gabriel Randon, Beg Meil, 11 octobre 1890)
"Je passe de charmes en charmes." (lettre à Gabriel Randon, Audierne, 19 octobre 1890)
"Ah ! que c'est joli la féerie dont je viens... Partout en Bretagne, des choses faites comme des âmes fanées depuis longtemps. Et cela nous raccroche ainsi qu'une prière de tombe. Ah ! et l'Océan, l'Océan... ce manteau parfois scabreux de la Vierge Marie..." (lettre à Alfred Vallette, Paris, 24 octobre 1890)
Hors la capitale, et loin des ennuis financiers que sa collaboration au Mercure ne parvient pas, seule, à régler, le poète renoue avec la nature et l'inspiration. Il compose, en trois semaines, de nombreux poèmes, parmi ses meilleurs de la période symboliste, ou annonciateurs des conceptions idéoréalistes. Citons, en prose, "Le pèlerinage de Sainte-Anne" et "Queue de Paon", écrits à Quimper, "Le Cimetière qui a des ailes" et "Chapelle de Hameau", à Fouesnant; en vers, "La tartane" (grève de Mousterlin, le 8 octobre), "La pluie purificatrice" (sur l'Ile Tristan, à Douarnenez, le 18), "Sur une diligence de Bretagne" (de Douarnenez à Audierne, le 19), "Sous un firmament d'Angélus" (Audierne, le 20), "A la chastelaine de la Forest" (baie des Trépassés, Pointe du Raz, le 20), et il achève à Beg Meil "La Magdeleine aux parfums", long poème commencé en 1887. Ajoutons à cette liste, composé au début de son séjour, le sonnet "Voici la vierge aux seins émus comme la vague...", publié par Brandimbourg.
En Bretagne, Saint-Pol-Roux retrouva l'énergie nécessaire, - que l'indifférence et le train de vie parisiens avaient entamée -, pour les batailles à venir, celles de La Femme à la Faulx (première version de la Dame) et du Magnificisme. Sans doute, son travail de ghost writer pour Decourcelle l'ayant réargenté pour quelque temps, pouvait-il espérer en l'avenir. Puis, encouragé par l'article de Brandimbourg, il lui avait envoyé un nouveau sonnet "sur Son Océan ma Douleur", misant sur de nouvelles publications dans l'hebdomadaire au lectorat plus nombreux que celui du Mercure. Le 20 octobre, il s'en était confié à Randon :
"Si le Courrier m'était ouvert une fois, j'y mettrais volontiers (sous le titre de Sonnets de Bretagne) mes deux sonnets 1° celui joint à ma lettre Brandimbourgeoise et 2° celui de l'Ile Tristan."
Mais le Courrier Français lui resta fermé, trop timoré - faut-il croire - à l'idée de compter parmi ses collaborateurs cet étrange Saint-Pol-Roux, dont la citation de quatorze vers dans un article était, à titre de curiosité littéraire, bien suffisante. Le Magnifique n'avait-il pas d'ailleurs ajouté parlant des deux poèmes soumis : "Mais peut-être, hélas, ne seraient-ils pas assez Blémont." Effectivement, les sonnets de Saint-Pol-Roux n'étaient en rien comparables aux vers d'Emile Blémont, poète-maison du Courrier Français : ils n'étaient pas assez fades.
Quoi qu'il en soit, le séjour breton lui permit d'envisager l'imminente croisade magnifique sous les meilleurs auspices. Le magnificisme s'appuyait désormais sur des oeuvres, la théorie sur des réalisations. Et les poèmes composés en Bretagne parurent, pour la plupart, en pleine Enquête sur l'évolution littéraire, précédant ou accompagnant la lettre à Jules Huret (17-18 juin 1891) :
- "Queue de Paon", Le Théâtre d'Art, n°3, 21 mai 1891.
- "La pluie purificatrice", Mercure de France, n°17, mai 1891.
- "La tartane", "Sur une diligence de Bretagne", "Sous un firmament d'angélus", Mercure de France, n°18, juin 1891.
Ainsi, bien que le Magnificisme naquit en Provence, la Bretagne y avait déjà laissé son empreinte. Et il y retournera quelques mois plus tard, durant l'été 1892, séjournant cette fois à Camaret. Mais remettons à plus tard car en parler aujourd'hui serait m'éloigner de cette glose sur l'excellent billet de Zeb.
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