samedi 11 juillet 2009

Le fac-simile de l'Almanach du Père Ubu offert : c'est la dernière tournée de L'Etoile-Absinthe

J'ai eu la merveilleuse idée, l'année du centenaire de l'éclipse jarryque, d'enfin adhérer à la Société des Amis d'Alfred Jarry et, depuis, je bénéficie tous les six mois des tournées de L'Etoile-Absinthe, qui fête, en 2009, ses trente ans d'existence. La dernière livraison est à la hauteur de la célébration : Commentaires pour servir à la lecture de L'Almanach du Père Ubu Illustré 1899, c'est son titre. Et c'est effectivement une glose des plus minutieuses, page après page, de cette oeuvre point très-connue de Jarry. Henri Béhar, Marieke Dubbelboer et Jean-Paul Morel en ont creusé le texte pour en déterrer la moindre source ou influence, les emprunts, les collages, identifier les personnes citées et mettre au jour certaines ténèbres textuelles. Bien sûr, ce travail critique pourra paraître vain et plus obscur encore à qui n'a pas l'original et rare petit livre en tête ou sous les yeux. Mais c'est mal connaître la SAAJ qui a eu le génie d'adjoindre à son herméneutique tournée le premier fac-simile de l'Almanach du Père Ubu illustré (janvier-février-mars 1899). De sorte qu'aucun commentaire ne se trouve orphelin.

L'almanach était alors à la mode. Les éditeurs en avaient fait un outil promotionnel et un rendez-vous annuel. Le lecteur, ou plutôt l'usager, pouvant y trouver, en plus d'un calendrier exhaustif, des bons plans, recettes de grand-mère, conseils pour la vie quotidienne, idées de loisirs, et publicités pour les dernières parutions. Le Mercure de France, lui-même, entre 1896 et 1898, eut son almanach, collectif et dirigé par Robert de Souza ; néanmoins il y avait là d'autres préoccupations et l'objet ordinaire de ce genre de publication y était poétiquement et supérieurement dévoyé. Certes, il s'agissait toujours de promouvoir la maison d'édition en réservant les douze mois à douze poètes publiés par la revue ; mais il s'agissait aussi, et surtout, d'illustrer et défendre le Symbolisme - Saint-Georges de Bouhélier et ses naturistes ne ménageaient alors pas leurs attaques - en exhibant, dodécuplée, une de ses conquêtes : le vers libre. Autant dire que le vulgaire en était exilé.

Jarry, quant à lui, se réclame explicitement de la tradition de l'almanach - tel qu'Hachette, par exemple, a pu le diffuser - multiplitant les emprunts à l'actualité ou à des livres anciens ; certains quasi sans retouche, tant ils sont conformes à l'esprit d'Ubu, à l'exemple des farfelues "connaissances utiles" des pages 12 à 15 qui reprennent les secrets du Seigneur Alexis Piémontais édités en 1564 ; d'autres, issus des almanachs traditionnels, sont détournés, ainsi de la classique annonce des éclipses solaires et lunaires, auxquelles Jarry ajoute une "Eclipse du Père Ubu" :
Eclipse partielle du Père Ubu les 29, 30 et 31 février.
Les pages promotionnelles ne manquent pas non plus, qui mettent en avant les oeuvres de l'auteur, des amis, Bonnard, Franc-Nohain, Claude Terrasse, et des revues éditrices, Mercure de France, Revue Blanche, ou hospitalières pour Jarry, La Critique.

Toutefois, derrière la forme et les emprunts traditionnels, cet Almanach du Père Ubu est incontestablement une oeuvre moderne. Par son tour parodique, évidemment ; non moins évidemment, parce qu'il se réclame (et les encarts publicitaires en sont un signe) d'un petit groupe, le Phalanstère de Corbeil, dont seuls quelques initiés connaissent l'existence, et plus largement des symbolistes (cf. la "nécrologie" de Mallarmé). L'Almanach s'inscrit donc à l'avant-garde et dans un en-avant des "lettres et des arts" qui permet à Jarry, guide idéal, d'en énumérer épithéthomériquement l'essentielle population :
Carrière celui qui vaporise.
Bergerat celui qui va-t-en guerre.
(...)
Rachilde celle qui hors-nature.
Vallette celui qui Mercure.
Natanson ceux qui Revuent Blanche.
(...)
Saint-Pol Roux celui qui magnifique...
L'apparition de ce dernier nom m'oblige à faire deux petites rectifications au sujet de la note que les commentateurs lui consacrent, en haut de la page 61 :
(39) Saint-Pol Roux, celui qui magnifique.
Saint-Pol Roux, dit le Magnifique [= Paul-Pierre Roux] (Saint-Henry/Marseille, 15 janv. 1861 - Brest, 18 oct. 1940), poète, auteur du "Manifeste du magnificisme" (1895).
"Saint-Pol-Roux", bien que Jarry et d'autres l'aient écrit ou continuent de l'écrire avec un trait d'union, en prend deux. Et il n'existe pas, dans l'oeuvre de Saint-Pol-Roux, de texte qu'il intitulât "Manifeste du magnificisme", comme il ne parut pas d'écrit du poète pouvant s'apparenter à un manifeste dans le courant de l'année 1895 ; les trois textes qui pourraient relever de ce genre et qui, d'ailleurs en relèvent, sont : la réponse à l'enquête de Jules Huret (1891), De l'art Magnifique (1892) et le "Liminaire" des Reposoirs de la Procession (1893), tous trois antérieurs. C'est une erreur qui se retrouve quelques fois. C'est la seule ou l'une des rares qu'on trouve dans cette intéressante tournée de L'Etoile-Absinthe. Il fallait la signaler : non pas point noir, mais grain de beauté.
L'ETOILE-ABSINTHE - tournées 121-122 - Société des Amis d'Alfred Jarry : COMMENTAIRES POUR SERVIR A LA LECTURE DE L'ALMANACH DU PERE UBU ILLUSTRE 1899, par Henri Béhar, Marieke Dubbelboer et Jean-Paul Morel - SAAJ (Laval) & Du Lérot éditeur (Tusson), 2009. Accompagnée du fac simile de L'Almanach du Père Ubu illustré. Pour tout renseignement ou pour commander : schuh(at)noos.fr.
Nota : Je vais sans doute devoir faire une pause de quelques jours dans mon défi "une recension par jour". Jusqu'à mercredi.

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