Nous arrivons, lentement mais sûrement, à la fin de notre feuilleton mallarmo-académique. Car nous voici déjà en 1939. On se souvient que l'année précédente, les Quinze avaient lauré le front d'Audiberti, puis, soutenus par l'Âge nouveau de Marcello-Fabri, ceux d'André Dez et Roger Lannes, en novembre. Le rythme était soutenu ; il ne fallait pas le perdre d'autant que le mois de juin, le joli mois de remise du prix Mallarmé, approchait à grands pas.
Le Journal des débats politiques et littéraires - 27 mai 1939
Le prix Mallarmé sera décerné le mardi 6 juin. Une réunion préparatoire des membres de l'Académie Mallarmé vient d'avoir lieu au restaurant Drouant et a été consacrée à un premier examen des candidatures assez nombreuses qui ont été posées.
Une réunion préparatoire était bien nécessaire, les académiciens, assez divers, n'étant pas toujours d'accord sur la conduite à tenir. C'est ce que nous apprend l'entrefilet suivant.
Le Figaro - 3 juin 1939
La couronne du poète
L'Académie Mallarmé décernera mardi prochain son prix de Poésie.
C'est une jeune compagnie. Elle ne peut s'offrir des drames sur la grande scène - et puis la poésie ne se prête qu'à demi à la passion sportive.
Le jury est pourtant bel et bien divisé par le cruel débat : jeunes ou vieux ? Le prix encourage-t-il un jeune talent qui fait sa première preuve ou apporte-t-il un rayon à l'une de ces têtes chenues mais méritantes que la première ombre assaille ?
Au camp de la jeunesse M. Patrice de la Tour du Pin, le poète de Quête de joie, a des chances. M. Jean Follain aussi. M. Ivan Goll idem.
Si les vétérans devaient emporter la couronne, ce serait pour le front de M. Henri Hertz.
La Girouette.
Un peu de suspens ne messied pas à ce genre d'affaires. Les chamailleries, les coups d'éclat, les copinages, les scandales font l'histoire des académies et de leur prix ; ils font même les grandes académies et les grands prix. Jeune ou vieux ? la question du lauréat devait être tranchée. Allait-on couper couper la poire en deux, ou les cheveux blancs en quatre ? Non, on fit mieux, on découpa le prix en trois.
Le Figaro - 7 juin 1939
L'académie Mallarmé fait trois lauréats
L'académie Mallarmé a décerné hier son prix de poésie annuel, avant un déjeuner qui réunissait ses membres place Gaillon.
Le mérite poétique n'est pas plus facile qu'un autre à découvrir.
Dès midi MM. Dujardin, Mockel, Vildrac, Ferdinand Herold se serraient autour du président Saint-Pol-Roux et commençaient à causer sérieusement devant les sandwiches-apéritifs. Peu après, M. Ajalbert, qui avait les airs de qui a épousé le printemps ; Paul Fort, le béret basque en bataille ; M. Fontainas, l'air déjà brisé, et M. Cocteau, caracolant, rejoignaient leur assiette respective. Les délibérations promettaient d'être longues.
Pourquoi ? Ce n'était qu'une impression née du peu d'enthousiasme affiché par le jury. Non plus réconfortantes furent les arrivées de M. Henry Charpentier et de Mme Gérard d'Houville. Quant à M. Léon-Paul Fargue, surgi bon dernier de l'ascenceur, il eut un geste las et déclara : "Je n'ai pas faim", sans qu'on sût à quelles nourritures il faisait allusion. On savait que MM. Maeterlinck, Paul Valéry et Valéry-Larbaud étaient empêchés. Le jury n'avait plus qu'à voter.
Les résultats furent acquis à 13h. 15 et M. Dujardin prit soin de les commenter d'abord.
L'Académie était en proie à un double scrupule : couronner un jeune poète ou un aîné ? Un poète classique ou un moderne ? La générosité de Mme Vielé-Griffin et celle du groupe, en formation, des Amis de l'Académie Mallarmé lui ont permis de résoudre ces difficultés. Disposant de 9.000 fr., elle a réparti cette somme en trois prix de 3.000 fr. L'un à un aîné, M. Henri Hertz ; les deux autres à des jeunes, MM. Jean Follain et André Bellivier.
L'Académie eût aussi couronné l'auteur de Quête de joie, M. Patrice de la Tour du Pin. Mais ce dernier s'est récusé, préférant que quelqu'un d'autre bénéficiât de cet encouragement.
M. Henri Hertz est né le 17 juin 1875, à Nogent-sur-Seine. Il débuta en 1895 à la Revue générale. Son premier volume parut en 1906, chez Messein, sous ce titre : Quelques vers. En 1909 parut chez Grasset les Mécréants, mystère civil en quatre actes. En 1912, à la Phalange, un nouveau recueil de poèmes : Apartés. Un autre en 1921 : Lieux communs. Citons deux livres de prose : Sorties et Vers un monde volage, qui sont des séries de croquis de la vie moderne ; un ouvrage mixte, vers et prose, Le Guignol horizontal et, enfin, son dernier recueil de poèmes : Passavant, qui reste dans la veine fantaisiste.
M. Jean Follain, dont on fait généralement précéder le nom de l'épithète de "délicieux", est avocat. Il donne des chroniques savoureuses à la N.R.F. avec des trouvailles de mots dont son ami Audiberti dit "qu'ils font froid dans le ventre". On lui doit les Epiceries d'Enfance et les Chants terrestres. Son lyrisme est familier, ironique et bien en chair.
Placides, les maçons de la CreuseEn longues bandes silencieusesRetraversaient Paris le soirJusqu'à leurs dortoirs de barrière.
Un, puis deux, puis trois lauréats, en trois remises de prix, la jeune Académie Mallarmé fut, à ses débuts, bien prodigue, aimant les poètes. Etait-ce en pressentiment des années noires qui allaient suivre ? Peut-être, on en profitait d'ailleurs pour organiser un (dernier) pèlerinage à Valvins, le dimanche 9 juillet, et banqueter à l'occasion de l'ultime séjour du Président Saint-Pol-Roux à Paris. Ce fut, quelques jours après la remise des prix, le 19 juin à la Brasserie Lipp. J'en dis quelques mots déjà dans un précédent billet consacré à René de Berval, mais un article retrouvé par mon ami Christopher Todd me donne l'occasion d'allonger ce feuilleton.M. André Bellivier, l'auteur d'un recueil, Poèmes, où il s'inspire de Saint-Jean de la Croix. - L. E.
L'Intransigeant - 4 juillet 1939
LA VIE LITTERAIRE
Saint-Pol-Roux à Paris
Un dîner en l'honneur de Saint-Pol-Roux n'est, certes, pas chose commune. On se souvient encore - et l'histoire littéraire anecdotique en conservera longtemps le souvenir - du dernier qui eut lieu à la Closerie des Lilas en 1925, dîner où les Surréalistes cassèrent force vaisselle et brisèrent maints carreaux. Un seul écrivain n'avait pu se résoudre à venir ainsi flétrir la majesté de celui qui, au temps du Symbolisme, mérita le surnom de Magnifique. Aussi Paul Eluard, affectueux et discret, s'était-il fait représenter par une magnifique gerbe de lys.
Toute l'année, Saint-Pol-Roux habite dans son manoir au fond d'une Bretagne que ne hantent que les goélands - apprivoisés par la fille du poète, Divine - et les lames d'une mer souvent périlleuse. Il ne vient à Paris qu'une fois l'an, et cela pour présider le déjeuner de l'Académie Mallarmé, au cours duquel celle-ci décerne son prix de poésie. Aussi l'arrivée du doyen de la poésie française émut-elle profondément ses amis intimes qui résolurent de se réunir pour, en un dîner, témoigner de leur attachement et à la grande poésie, et au Magnifique.
C'est ainsi que, l'autre soir, une des brasseries les plus littéraires de la rive gauche groupait, autour de Saint-Pol-Roux et de sa fille Divine, des Académiciens Mallarmé : Edouard Dujardin, Charles Vildrac, et Henry Charpentier, qui fraternisèrent avec de nombreux jeunes poètes : Jean Follain, Fernand Marc, Claude Sernet, Roger Lannes, A. Rolland de Renéville, Marcel Sauvage, etc.
Un message de Paul Fort qui, souffrant, s'excusait de n'avoir pu venir et rendait hommage à son "Maître Saint-Pol-Roux, le Goethe-à-images" fut fort applaudi. On prépara en commun le pèlerinage du 9 juillet à Valvins, à l'occasion de l'anniversaire de la mort de Mallarmé et on se sépara en s'embrassant fraternellement.
A l'heure actuelle, Saint-Pol-Roux a rejoint son manoir enchanté. Il a abandonné Paris sa Dame à la Faulx qui, montée au cinéma par Abel Gance, serait un des plus grands films lyriques et mystiques qu'on ait jamais représentés.
Les Treize.
Il est significatif, me semble-t-il, que le Magnifique soit parvenu à réunir autour de son nom toutes les générations poétiques ; en 1909 : les parnassiens, les symbolistes, les groupes de la Phalange, de l'Abbaye ; en 1925 : les symbolistes et les surréalistes ; en 1939 : les académiciens Mallarmé et Roger Lannes, Jean Follain, primés, Fernand Marc, Claude Sernet, etc. C'est sans doute la meilleure preuve qu'il se joua et se joue encore, dans l'oeuvre de Saint-Pol-Roux, une part essentielle de la poésie.
(à suivre...)
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