samedi 2 février 2008

Du Portrait au Masque : une photographie retrouvée de Saint-Pol-Roux

Il y a quelques mois, Bruno Leclercq, de la librairie "La Ligne & le Lien", me dénichait un document rare : un portrait photographique du Magnifique, datant de l'époque symboliste. Il fut réalisé dans les salons du photographe E. Voisin du 148bis, rue du Faubourg Poissonnière, dans le Xe arrondissement de Paris. Sans doute, Saint-Pol-Roux, alors âgé d'une petite trentaine d'années - ce qui permet de dater le portrait de la première moitié des années 1890 -, en fit tirer plusieurs exemplaires qu'il devait joindre à son courrier et à l'envoi de ses livres. Celui en ma possession fut offert au directeur du Mercure de France et porte, au dos, une chaleureuse dédicace : "à mon ami Alfred Vallette / Sympathiquement / Saintpolroux". Le portrait semble postérieur à celui qui figure en tête des Reposoirs de la Procession (1893); le gilet et la chemise paraissent identiques, mais la veste a changé et la longue chevelure a été coupée; en outre, un monocle - accessoire symboliste - a fait son apparition. Il est, néanmoins, antérieur à l'exil ardennais, ce qui me permet une datation plus précise encore et de situer sa réalisation en 1894.


En plus de sa rareté et de son originalité, cette photographie présente un indéniable intérêt littéraire et artistique. Car il servit de modèle au masque dessiné par Vallotton pour illustrer le portrait symboliste que fit Remy de Gourmont de Saint-Pol-Roux pour son Livre des Masques (Mercure de France, Paris, 1896). On sait que le peintre travailla peu d'après nature, en faisant poser son modèle (ce fut le cas pour Schwob), et qu'il préféra faire appel à sa mémoire (Mallarmé et Fénéon) ou user de représentations dont il n'était pas l'auteur : dessins, bustes (Claudel) ou photographies. C'est Gourmont lui-même qui, la plupart du temps, lui fournissait ces dernières. Daniel Grojnowski, dans sa présentation d'une réédition récente chez Manucius, cite une lettre de l'écrivain à Vallotton qui nous fournit un bon exemple de leur collaboration :
"Ci-joint Retté et un croquis assez ressemblant, - mais l'oeil est SOURIANT, ironique ou gouailleur, quoique bon enfant - et non pas fixe."
Saint-Pol-Roux envoya-t-il à Gourmont, qui le lui avait demandé, son portrait ? Ou l'avait-il déjà fait spontanément quelques mois plus tôt ? A moins que l'éminence grise de la rue de l'Echaudé l'empruntât, simplement, à Vallette... Et voici que je me prends à rêver follement... mes empreintes se superposant à celles du Magnifique, d'Alfred Vallette, de Remy de Gourmont et de Félix Vallotton...

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Le rêve de tout chercheur: trouver un portrait inédit de l'auteur sur lequel il travaille! En plus de sa qualité, celui-ci confirme ce que j'avais cru voir sur le portrait qui orne les Reposoirs: un léger strabisme convergent!