jeudi 28 février 2008

La Petite Anthologie Magnifique : le poème de René de Berval

René de BERVAL
(1911-1986)


Je ne reviendrai pas sur la vie de René de Berval dont j'ai dit le peu que je savais hier dans le billet sur l'édition japonaise de ses Souvenirs. En attendant mieux, je me contenterai de présenter le poème qu'il dédia au Magnifique. On se souvient peut-être que le jeune poète préparait, au moment où il participait à la deuxième "Exposition de Poésie contemporaine" de 1937, un livre de poèmes qui aurait dû s'intituler Aurore Boréale. Le projet devait être suffisamment avancé pour que René de Berval en fît rédiger la préface par son ami O.-V. de L. Milosz, mais le recueil ne parut point. Il conserva néanmoins le texte de l'auteur des Arcanes et l'inséra au seuil des Terres de Vigilance. Le poète s'en explique dans une note :
"Cette préface a été écrite en 1937 par le très grand poète, exégète et métaphysicien que fut O.W. de L. Milosz. C'est la seule qu'il ait jamais daignée faire. Elle parut, pour la première fois et intégralement, dans LA PHALANGE du 15 Août 1938.

Les poèmes d'Aurore Boréale ne paraîtront jamais. Ce serait une trahison vis-à-vis de moi-même que de les publier, maintenant qu'ils ne concordent plus avec mon attitude poétique actuelle. Je ne le ferai donc pas. Néanmoins j'ai tenu, au seuil de ce drame, à poser le témoignage d'un des hommes les plus étonnants qui aient jamais existé.

C'est un suprême hommage que je rends à M. de Milosz, lui que j'ai tant aimé et admiré. J'ai voulu que ce texte remarquable fût compris dans un de mes recueils de poèmes qu'Oscar Wenceslas de Lubicz Milosz me faisait le grand honneur de goûter.

Grâces lui soient rendues pour l'amour qu'il m'a inspiré et l'exemple unique qu'il m'a toujours montré. Il m'a, de la sorte, indiqué la voie qui mène aux larges et lointaines TERRES DE VIGILANCE."

Le recueil, achevé d'imprimer le 28 mai 1939, parut aux éditions Denoël, illustré de quatre dessins en couleur, hors texte, de Pierre Ino. Il fut précédé d'une plaquette, Les Ruines du Temps, aux Editions Sagesse (Librairie Tschann), constituant le 76e numéro de la petite "collection anthologique" qui accueillit, entre autres, des poèmes de Fernand Marc (l'initiateur de l'entreprise), Jean Rousselot, Camille Bryen, Gisèle Prassinos, Jean Follain, Roger Lannes, Tristan Tzara, Jean Arp, Jean Scutenaire, Claude Sernet, Léo Malet, Georges Hugnet, Vicente Huidobro, Maxime Alexandre, Ilarie Voronca, René-Guy Cadou, Marcel Béalu, Guillevic, Jean de Bosschère, Audibert, Maurice Henry, etc. Une bien belle collection, riche de 82 numéros publiés à compte d'auteur entre 1935 et 1939. La plaquette de René de Berval fut donc parmi les dernières; aussi dut-elle paraître à la fin de 1938 ou au début de l'année suivante. Imprimée, fors les 6 exemplaires sur Chine numérotés, sur papier Alfa Navarre, elle se compose de six poèmes, dont les cinq derniers sans titre et dédicacés, à, par ordre d'apparition, Jules Supervielle, Saint-Pol-Roux-le-Magnifique, O.V. de L. Milosz, Jean Cocteau et Max Jacob. Ces six textes furent recueillis dans Terres de Vigilance et intercalés parmi d'autres dédiés "au lecteur", à Léon-Paul Fargue, à Puzant, à Zadkine, au docteur J.-C. Mardrus, à Raymond Faure, à Myana Duport, à Paul Eluard, à René Aubert, à Roger Lannes, à Fernand Marc et à Marcel Sauvage. Dans le recueil, la dédicace au président de l'Académie Mallarmé se fait plus sobre, puisque son nom est amputé de l'attribut magnifique. Mais interrompons ce bavardage litanique et lisons plutôt le poème de René de Berval :
A Saint-Pol-Roux
Tout au long de la grève palpite l'amertume de la mer
Entreprenant le voyage irréel.
La raison trouble des espaces navigue,
Ivre de solitude,
Dans la maturité d'un coucher de soleil
Pour sombrer dans les limites inflexibles
D'un horizon entrouvert comme un livre.
L'Ile attend ses merveilles.
Elle a reçu l'absoute du Grand Veneur
Qui, un soir, la vint veiller comme une agonisante,
Et repartit, le lendemain, en emportant
Avec son âme
Ses rêves emprisonnés.
Et depuis lors, le Temps germe
Dans ce rêve de pierre qu'elle fait chaque nuit
Pour ne pas désespérer dans son attente anxieuse
D'un avenir incertain.
Mais les arbres ont vécu, les rocs ont poussé,
Les oiseaux ont secoué le pollen dans les becs de sable,
Sans que le nuage sauveur soit venu s'abriter
Dans son anse candide.
Comme la pierre éclatait de pensée,
L'Ile partit pour retrouver sa vérité
Par ces mondes antérieurs
Qu'elle avait entrevus dans un soir de sable,
Dans un soir de démence aux senteurs lunaires.
Rappel : Et le Grand Jeu du Mois de Mars ? Allez, un indice pour vous être agréable. Le poète du "Faune" n'est pas René de Berval.

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Voici l'histoire de la préface de Milosz telle que René de Berval la rapporte dans ses Souvenirs :

En 1937, après avoir achevé son recueil Aurore Boréale, Berval l'envoya par la poste à Milosz qu'il vénérait du fond du coeur et qu'il n'avait jamais vu personnellement. Il n'espérait guère une suite favorable à son acte audacieux, mais Milosz lui répondit et l'invita à le rencontrer dans son bureau. Sous le coup d'un tel miracle, le jeune poète se rendit à la Délégation lituanienne. Milosz lui fit l'éloge de ses poèmes et lui conseilla d'y ajouter des "commentaires philosophiques". Mais cette tache, lui fit comprendre Berval, dépassait ses forces. Le poète-diplomate lui fit alors une proposition inattendue : "Je comprends bien ce que vous éprouvez. Dans ce cas-là, j'écrirai la préface à votre place". (pp.152-155)
René de Berval poursuit : "Et puis il m'a écrit une merveilleuse préface pour mon recueil de poèmes, comme promis. Cependant, ces poèmes d'autrefois me déplaisaient de plus en plus, et je pris finalement la résolution de les déchirer. Milosz en eut vent et se mit en colère. Affolé, je m'excusai : "Vous avez surestimé mes poèmes, et l'on ferait mieux de publier votre préface indépendamment, puisqu'elle vaut mieux que ces poèmes maladroits..." Sa fureur s'accrut à cet instant. Milosz me coupa sévèrement la parole, m'enjoignant de ne pas faire une telle chose, et, sans me laisser le temps de protester, m'ordonna de les publier avec de nouvelles pièces. Ainsi, grâce à Milosz, mon recueil de poèmes, Terres de Vigilance, parut enfin." (p.156)

Kensaku Kurakata