samedi 9 février 2008

Deux numéros de LA PLUME : Hugo, Saint-Pol-Roux et la poésie en toute simplicité...

J'ai reçu, cette semaine, de Bruno Leclercq, deux numéros, parus en 1902, de LA PLUME dirigée par Karl Boès. 1902 fut l'année du centenaire de la naissance de Victor Hugo. Les célébrations prévues à cette occasion causèrent quelques remous dans le petit monde des lettres qui batailla ferme - comme on dit dans le Béarn - pour décider de la juste qualification à coller sur l'auteur des Misérables, d'Hernani et des Contemplations. Grand poète, grand penseur, grand politique, grand pacifiste, grand-tout-court, etc., il n'est pas un périodique qui ne se posa la question et trancha, ou presque. La Plume, opportunément éclectique, préféra donner un numéro spécial où chacun de ses collaborateurs pût exprimer, sans bornes, ou avec réserves, son admiration. C'était une bonne idée. Le sommaire de la livraison impressionne, tant il réunit de belles signatures :
  • "Victor Hugo", Stuart MERRILL, pp. 258-260.
  • "A Victor Hugo", poème, Adolphe RETTE, pp. 261-262.
  • "Victor Hugo patron de la langue française", Remy de GOURMONT, p. 262.
  • "La première femme", poème, SAINT-POL-ROUX, pp. 263-264.
  • "Victor Hugo", préface pour le Victor Hugo jugé par son siècle, de M. Tristan Legay, Pierre QUILLARD, pp. 265-266.
  • "Trois jours pour un article sur Victor Hugo !...", Eugène DEMOLDER, p. 266.
  • "Chant séculaire de la jeunesse/A Victor Hugo", poème, Paul SOUCHON, pp. 267-268.
  • "[Sans titre]", André FONTAINAS, p. 269.
  • "A Victor Hugo", poème, Louis Le CARDONNEL, p. 270.
  • "Victor Hugo fut au XIXe siècle le plus grand poète du genre humain...", Charles van LERBERGHE, p. 270.
  • "Un hommage à Victor Hugo...", Robert SCHEFFER, p. 271.
  • "Cri sacré", poème, Saint-Georges de BOUHELIER, p. 271.
  • "A Hauteville-House", Eugène MONTFORT, p. 272.
  • "A Victor Hugo", poème, Francis JAMMES, pp. 273-274.
  • "La Glorification des surhumains", Charles SAUNIER, p. 275.
  • "Hugo", poème, Edmond PILON, pp. 276-278.
  • "[Sans titre]", Pierre JAUDON, p. 278.
  • "Le génie de l'hallucination", FAGUS, pp. 279-281.
  • "Au génie de Victor Hugo", poème, F.-T. MARINETTI, pp. 282-285.
  • "Le Maître (Fragment)", Charles DOURY, p. 286.
  • "Hommage à Hugo", poème, Yvanhoé RAMBOSSON, p. 287.
  • "A Victor Hugo", poème, Henri AIME, p. 287.
  • "Stances", poème, Emile DESPAX, p. 288.
  • "[Sans titre]", Laurent TAILHADE, pp. 289-291.
  • "Libérés des hugolâtries vieillotes et des ridicules dédains...", Edouard DEVERIN, p. 291.
  • "Au sein d'un chaos énorme...", poème, Albert SAINT-PAUL, p. 292.
  • "Si je ne vénérais pas Victor Hugo...", Frantz JOURDAIN, pp. 292-293.
  • "Victor Hugo, géant de baudruche, histrion...", poème, Marcel REJA, p. 294.
  • "Il n'y a pas vingt ans qu'il est mort...", Judith CLADEL, pp. 294-295.
  • "[Sans titre]", Robert de MONTESQUIOU, pp. 295-296.
  • "[Sans titre]", Gérard de LACAZE-DUTHIERS, pp. 296-297.
  • "Quand le soir d'Austerlitz Bonaparte parla...", poème, Pierre QUILLARD, p. 297.
  • "[Sans titre]", Léon BAZALGETTE, p. 298.
  • "Victor Hugo libertaire", Jean RODES, p. 299.
  • "A Victor Hugo", poème, Georges PIOCH, pp. 300-301.
  • "Le Verbe s'est fait homme...", Marcel BATILLIAT, p. 301.
  • "La Maison de l'Exil", Albert LANTOINE, pp. 302-305.
  • "Vingt-quatre ans sont passés bientôt...", Louis DUMONT, pp. 306-307.
  • "Chez lui", Léon RIOTOR, pp. 307-308.
  • "Une page d'amour", Henri DEGRON, pp. 308-310.
  • "De tous les noms humains, seul le nom d'homme est grand...", poème, Paul GILBERT, p. 311.
  • "La plume de Zoïle", poème, Tristan LEGAY, pp. 312-313.
  • "Puisque ton fier exil vers la Mort s'est mué...", poème, André THEVENIN, p. 314.
  • "Mise au Tombeau", poème, Pierre LOUYS, p. 315.
  • "Avènement", poème, Albert MOCKEL, p. 316.
  • "A Hugo", poème, Emile VERHAEREN, pp. 317-318.
  • "Pieusement", poème, Francis VIELE-GRIFFIN, p. 319.
Saint-Pol-Roux choisit, plutôt que de lui consacrer un article, de dédier à Victor Hugo, un assez long poème composé de dix quatrains de décasyllabes, qui sera repris, l'année suivante, seul en ce mètre, dans Anciennetés (Mercure de France, 1903). Les vers ne furent pas rédigés pour la circonstance, mais douze ans plus tôt. "La première femme", qui appartient à ce vaste ensemble de poèmes mythologiques ou bibliques des années 1885-1891, s'inspire, à l'évidence, du "Sacre de la Femme" (La Légende des siècles). Hugo fut le premier des maîtres du jeune Paul Roux, qui lui dédia, à 22 ans, l'une de ses plaquettes : Poète ! Il serait aisé de montrer combien le Magnifique a, dans ses premières années de lutte idéoréaliste, fondé sa stratégie littéraire sur le modèle hugolien, et combien il n'a eu de cesse de reformuler et d'enrichir le message romantique des Contemplations, une fois celui-ci passé au crible symboliste. Je me contenterai de citer Edmond Pilon qui reproduisait quelques lignes d'une lettre que le Magnifique lui adressa, dans son "Carnet des oeuvres et des hommes", consacré à Hugo (La Plume, ibid., p. 350) :
"Je vénère plus que personne le grand aïeul. Je suis de ceux qui ont bougrement pleuré lorsque les journaux annoncèrent sa mort..." Voilà qui nous rachète de bien des hontes, de bien des fanfares et qui vaut bien tous les discours.
Car pour Saint-Pol-Roux, Hugo ne constitua pas un terminus ad quem, mais le terminus ad quo de la modernité :
"N'ai-je pas - çà et là, cherchez bien - n'ai-je pas devancé le magique frisson du profond Baudelaire ? Né dans mes bois, Verlaine n'a-t-il pas grapillé les refrains de mes rues, et n'a-t-il pas versé les pleurs que j'ai versés sous le marteau divin de Villequier ? L'ivresse illuminée de mon Satan n'a-t-il pas déchaîné Rimbaud qui devait l'incarner dans l'écarlate enfer de ses vingt ans ? Puis, tous les vents de mon esprit n'ont-ils pas provoqué l'éclair impérissable au front sacré de Mallarmé ?"
Cet extrait de la "Tristesse de Victor Hugo", que Saint-Pol-Roux lut au Théâtre Municipal de Brest, à l'occasion de cinquantenaire de la mort du poète (14 juin 1935), est d'un disciple qui n'a cessé d'aimer son maître, mais d'un disciple qui s'est assimilé le lyrisme magistral et, d'une voix nouvelle, l'actualise.

D'une certaine manière, l'outrance métaphorique du Magnifique trouve sa source dans la poétique hugolienne. Mais il est un autre aspect de l'oeuvre de Saint-Pol-Roux, plus méconnu, qui doit peut-être plus encore à Hugo : c'est la naïveté, apparente, le lyrisme populaire qui se lisent dans nombre de proses post-symbolistes, à destination des humbles et des enfants, et dont certaines furent recuellies dans les trois tomes des Reposoirs de la Procession, nouvelle série. C'est le cas d'"Ambition", parue dans le n°313 de La Plume, qui s'ouvre sur ce modeste voeu de poète :
"Oh ! quelque jour, plus tard, lorsque j'aurai depuis longtemps fini de vivre et que la fille de ma fille sera mère ou bien grand'mère, oh ! quelque jour, plus tard, avoir mon nom dedans les menus livres des classes primaires !"
N'est-ce pas d'une simplicité hugolienne, celle des Chansons ou de l'Art d'être grand-père ? C'est enfantin comme une comptine... et ça en a le charme. Cet exemple d'art poétique naïf valut d'ailleurs à Saint-Pol-Roux une jolie lettre de Monsieur A. Dupré, instituteur, qu'Edmond Pilon - encore - reproduisit dans La Plume du 1er juin (n°315) :
"Monsieur,

Je viens de lire à l'instant votre bel article de La Plume : Ambition et je ne puis me retenir de vous écrire à ce sujet.
Je ne connais malheureusement de vous que peu de choses mais j'ai admiré, il y a quelques mois, dans l'Ermitage, votre superbe : Magdeleine aux parfums. Peu au courant, alors, de notre littérature d'aujourd'hui, votre poème a été pour moi une révélation. Je le récitais à haute voix au cours de mes solitaires promenades, chaque vers était pour moi une merveille; cette richesse inouïe d'images, surtout, m'enthousiasmait. Enfin, c'était donc de la vraie Poésie !
A tous ceux de mes amis qui lisent j'ai communiqué ce numéro de l'Ermitage, tâchant de leur faire partager mon enthousiasme; et, depuis, c'est avec un plaisir rare que j'ai savouré dans le Mercure le fragment (trop court) de La Rose et les Epines du Chemin.
Cette Ambition si légitime (cette gloire là vous est bien due) dont vous nous parlez si délicieusement dans La Plume, on pourrait tenter déjà de la satisfaire en partie. Je suis instituteur dans une commune de la Beauce et nous avons, ma femme et moi, chacun une soixantaine de bambins et de fillettes à instruire. Nous avions pensé, comme exercices de récitation, à faire apprendre quelques très simples de vos poèmes ou quelque page de votre riche prose, à nos élèves. Et puisque ceux qui font la vogue semblent vouloir ignorer les vrais poètes, du moins les enfants de nos villages connaîtront leurs noms et rediront, le soir, à la veillée, dans le silence de la maison, quelques-unes de leurs belles pages fraîchement apprises.

A. Dupré,
Instituteur."
Il serait intéressant de retrouver les descendants de cet instituteur de la Beauce qui, peu au courant de la "littérature d'aujourd'hui", lisait l'Ermitage, la Plume et le Mercure de France. Ils auront peut-être conservé la réponse que le Magnifique ne manqua pas de faire à leur aïeul. Ses descendants ou ses anciens élèves qui, eux, se récitent peut-être encore, réalisant le voeu du poète, après avoir fredonné "Gastibelza", cette primitive "Ambition".

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