jeudi 2 août 2007

Saint-Pol-Roux, collaborateur de "La Plume"


En rangeant de nouvelles acquisitions dans le rayonnage de ma bibliothèque, consacré aux petites revues, je remets la main sur le n°125 de La Plume (du 1er au 15 juillet 1894). Voilà une livraison qui mérite bien un billet nouveau. Parce qu'elle est historiquement d'importance. C'est de ce numéro que date la première collaboration de Saint-Pol-Roux à la revue de Léon Deschamps (1864-1899). La Plume en était déjà à sa sixième année d'existence, et il semble presque étonnant que des textes du poète y aient paru si tardivement. Bien sûr, le nom de Saint-Pol-Roux y avait déjà été cité à maintes reprises auparavant - toujours avec bienveillance; mais sa signature n'apparaît bien qu'à partir de cette livraison.

Il n'est pas impossible que le Magnifique aura voulu demeurer fidèle au Mercure de France auquel il avait souscrit, pour deux parts, dont il était l'un des rédacteurs réguliers, et qui s'annonçait comme une concurrente sérieuse de La Plume. L'examen de ses collaborations pour les années 1890, 1891 et 1892 semble confirmer cette hypothèse. Trois poèmes en vers paraissent dans les Mercure de février, août et décembre 1890; le nom de Saint-Pol-Roux figure ensuite au sommaire de tous les numéros, parus entre janvier 1891 et juin 1892, à l'exception du numéro d'août 1891. Et la plupart des autres revues auxquelles il collabore, dans cette période, sont dirigées ou rédigées par des fidèles du Mercure : Le Théâtre d'Art et le Livre d'Art de Paul Fort, revues-programmes du théâtre symboliste dirigée par le même et dont Saint-Pol-Roux, avec Vallette, Rachilde, Hérold, et quelques autres, est membre du comité de lecture; l'Echo de France, les Essais d'Art Libre, dont le directeur littéraire - pour la première - et co-directeur littéraire - pour la seconde - est Remy de Gourmont. Citons enfin l'Echo de Paris et l'En-dehors de Zo d'Axa et Roinard, pour clore la liste. On le voit, outre ces derniers périodiques, le nom du Magnifique reste, entre février 1890 et juin 1892, attaché au groupe du Mercure de France.

Il faut attendre octobre 1892 pour que Saint-Pol-Roux donne des textes à ses consoeurs et concurrentes : il signe, ce mois, six "tablettes de voyage", dans la Revue Blanche des frères Natanson. Ses affinités anarchistes l'en auront naturellement rapproché. Puis, à partir d'août 1893, il collabore à L'Ermitage, d'Henri Mazel, à L'Art littéraire, de Louis Lormel, aux Entretiens politiques et littéraires, de Paul Adam et Francis Vielé-Griffin - sans qu'aucun texte de lui ne paraisse au Mercure de France. Aucune contribution de Saint-Pol-Roux ne figure dans la revue de Vallette, entre juillet 1892 et décembre 1893 compris. L'explication ? la phynance. Dès le premier trimestre de 1892, le Magnifique, en mal d'argent, avait pris du retard dans le paiement de ses cotisations et avait finalement dû vendre ses parts puis démissionner du comité de rédaction du Mercure. Même s'il était resté en bons termes avec Vallette, Rachilde et Gourmont - qui lui adressa son Latin Mystique en novembre, malgré une souscription impayée -, il avait préféré ne plus rien proposer à la revue. Il faut néanmoins noter que les trois volumes publiés en 1893 le seront aux "Editions du Mercure de France".

Mais refermons cette longue parenthèse explicative et revenons-en à La Plume. Suite à l'enquête sur l'évolution littéraire, et à l'article "La Gent irritable. La Trève", paru dans le Mercure d'octobre 1891, Léon Deschamps avait proposé à Saint-Pol-Roux de constituer un numéro Magnifique pour sa revue. Les numéros spéciaux n'étaient pas rares à La Plume; il y en eut sur l'anarchie, sur l'Ecole Romane, puis sur le Naturisme, et bien d'autres sujets, qui constituent des documents d'un grand intérêt. Un manuscrit conservé à Doucet prouve que le Magnifique travailla à la réalisation de son numéro : il y donne une liste des textes à reproduire, un sommaire (I- Saint-Pol-Roux II- Théâtre Magnifique III-Bibliographie IV-Les Magnifiques dans l'histoire V-Souvenirs), une liste des collaborateurs magnifiques envisagés (Camille Mauclair, Gabriel Randon, Jules Méry, Remy de Gourmont - le nom est barré -, Louis Denise). Mais cette livraison spéciale ne parut pas. Est-ce le poète qui ne mena pas ce projet au bout - il avait certains scrupules à présenter le Magnificisme comme une école nouvelle, et un numéro spécial l'aurait consacré telle - ou le directeur de la revue, au dernier moment, le refusa-t-il ? Il est difficile de trancher. Quoi qu'il en soit, nous savons que Deschamps demeurait assez sceptique à la lecture des exposés théoriques de Saint-Pol-Roux. Dans sa chronique sur "La jeune littérature" de la Revue encyclopédique, il accorda, le 1er janvier 1893, quelques lignes laconiques et sèches au Magnificisme :

Plus restreinte est la tapageuse école de M. Saint-Pol-Roux-le-Magnifique. Elle ne comporte que deux membres : le maître, M. Saint-Pol-Roux, et son disciple, M. Jules Méry.
"Dans l'art magnifique, la forme est le rayonnement de l'essence; l'arbre de l'oeuvre a ses racines dans l'idée infinie et foncière, ses fleurs et ses fruits éclos et mûris dans l'espace et le temps sont les manifestations formelles et finies de l'idée.
"Le magnificisme est l'art de la recherche de l'absolu : l'être présenté à travers l'orchestration de ses phénomènes."
Ainsi soit-il.
Léon Deschamps préférait aux théories les oeuvres elles-mêmes. Et c'est lui qui se chargea du compte rendu élogieux, malgré des réserves sur le fond, de l'Epilogue des Saisons humaines, dans La Plume du 15 novembre 1893; il y relevait "une richesse d'expression poétique inouïe qui dénote en l'auteur de ce drame un rare et pur poète". Voilà qui devait, deux ans après le projet avorté du numéro Magnifique, inciter Saint-Pol-Roux à proposer des textes à Deschamps.

Dans le numéro de la première quinzaine de juillet 1894, on trouve deux poèmes des Reposoirs de la Procession, tome second (le premier venait de paraître) : "Oiseaux" et "Chèvres parisiennes", dédiés respectivement à Catulle Mendès et Lucien Descaves. Etrangement, aucun compte rendu du recueil ne sera fait dans La Plume. Il faudra attendre le 1er août pour lire, sous la plume élogieuse d'Emmanuel Signoret, ces quelques lignes qui concluaient sa lettre sur "Les destinées de l'idée poétique" :

"Saint-Pol-Roux n'est point comme Jean Moréas, un parfait écrivain. Mais je salue en lui toutes les fougues et tout le ruissellement de sang et d'or d'un homme de génie. Sa parole est évocatrice et s'épanche - tonnante et éblouie - comme un torrent qui tombe de haut. Ses vastes conceptions me passionnent. Sa prose a parfois le vertige d'accent des plus beaux vers.
C'est en lisant les Reposoirs de la Procession que vous pourrez assister, Monsieur, à l'insensible transition qui va nous conduire à la génération de vingt ans."

Signoret admirait Saint-Pol-Roux. Déjà, dans le numéro présenté ici, il avait donné sa préface à Daphné, recueil de vers, dans laquelle il comptait le Magnifique parmi les meilleurs représentants des générations nouvelles : "Saint-Pol-Roux vient de se dresser étrangement, élevant des livres noyés de mystère".

Malgré ces marques enthousiastes, La Plume de Deschamps n'accueillit aucun autre de ses poèmes. Et on ne relève plus le nom de Saint-Pol-Roux qu'au bas de réponses à des enquêtes ou d'articles. Voici la liste de ces contributions :
  • n°132, 15 octobre 1894 : "Vote du Congrès des poètes qui élut Verlaine", réponse.
  • n°163, 1er février 1896 : "Sur Verlaine", réponse aux questions posées sur Verlaine lors du Congrès des poètes à l'issue duquel Mallarmé fut élu Prince des Poètes. - "Origines de la famille Verlaine", article.
Et c'est tout. Il est vrai que Saint-Pol-Roux avait quitté Paris pour les Ardennes et que ses collaborations aux revues s'étaient sensiblement raréfiées. La personnalité de Deschamps, plus proche poétiquement de Moréas et adhérent, politiquement, à l'antidreyfusarde Ligue de la Patrie Française, pourrait cependant expliquer la faible somme de textes du Magnifique, publiés entre 1894 et 1899 dans La Plume. Ce n'est, d'ailleurs, sans doute pas un hasard si, peu après la mort du directeur, le 28 décembre 1899, la revue, tombée aux mains de Karl Boès, accueillera les contributions du poète plus qu'aucune autre, et ce jusqu'en 1905, sa dernière année de parution(1). Amusons-nous à en dresser la liste. Il suffira alors de la comparer avec la précédente pour se convaincre que Boès estimait probablement plus la poésie de Saint-Pol-Roux que son prédécesseur :
  • n°268, 15 juin 1900 : "Le Mai", poème en prose.
  • n°272, 15 août 1900 : "Les Vieilles du Hameau", poème en prose.
  • n°276, 15 octobre 1900 : "Sarah la tragédienne", sonnet.
  • n°281, 1er janvier 1901 : "Sa Majesté la Foi", poème en vers libres.
  • n°289, 1er mai 1901 : "Enquête sur le Mariage", réponse.
  • n°309, 1er mars 1902 : "La première femme", poème en vers.
  • n°313, 1er mai 1902 : "Ambition", poème en prose.
  • n°335, 1er avril 1903 : "Coecilian le sauveteur", poème en prose.
  • n°345-346, 1er-15 septembre 1903 : "Colombe", poème en prose.
  • n°365-366, 1er-15 février 1905 : "Madame la Vie", poème en prose.
D'aucuns jugent que la mort de Deschamps précipita le déclin de La Plume. Nul doute, c'était, comme Vallette, un excellent directeur de revue. Mais il faut rendre hommage à Karl Boès. Sa Plume eut, tout de même, quelques numéros magnifiques.

(1) La Plume ressuscita en 1911 et vécut sa deuxième vie jusqu'à la veille de la guerre. On n'y trouve aucun texte de Saint-Pol-Roux.

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