- Le poète Saint-Pol-Roux ?
- Oui, celui qui vit aujourd'hui à Camaret...
- Je le connais. Il vivait ici, avant, n'est-ce pas ?
- C'est cela. Dans "la Chaumière" est née Divine.
- Et ici, Coecilian sauva Mentine.
- Et dans cette maison on célébra les noces d'or de Da.
- Oh !... Et vous aimiez Saint-Pol ?
- Les pâtres, les pêcheurs, les villageois, tout le monde...
- Je dois lui rendre visite, un de ces jours prochains, à Camaret.
- Pourriez-vous lui transmettre nos souvenirs ?
- Avec grand plaisir : dites-moi votre nom.
- Je m'appelle Marie Kerandren, des Kerandren de Roscanvel...
En entendant ces noms, parviennent en hâte à ma mémoire des réminiscences des œuvres du poète. Toutes ces choses grandes ou petites que je vous rapporte ici sont les sources d’inspiration de ses livres. Il fit partie du groupe primitif des symbolistes et du «Mercure de France», mais l’obscurité de son œuvre – malgré d’exceptionnels byzantinismes de style – était plus extérieure qu’intrinsèque, et elle se trouvait plus dans le préjugé ambiant que dans le travail lui-même, comme il arriva aussi pour Verlaine, pour Baudelaire et pour Darío lui-même. Ses livres affichent des titres ésotériques, mais en les ouvrant, vous découvrez en eux des allitérations de vague marine, l’ingénuité de chants d’oiseau et le parfum d’herbe sylvestre : ce sont de modernes et hautains écrins incrustés de perles et de fines nacres, mais qui renferment uniquement en leur sein des fleurs des champs et d’humbles bijoux héréditaires. Dans son livre La Rose et les épines du chemin, il décrit ce même village de Roscanvel, et nous parle des crucifix qui se dressent à l’entrée des églises bretonnes, ou interprète «L’écho de la caverne» et «Le mystère du vent». De la colombe au corbeau par le paon, – un autre de ses livres, – rapporte des souvenirs de famille ou chante «les litanies de la mer». Dans Les féeries intérieures, – le dernier des volumes publiés, – il narre des scènes domestiques comme celles qui le montrent, jouant avec les poupées de sa petite fille, ou quittant l’humble «chaumière» de Roscanvel, pour aller vivre dans son Manoir du Boultous, le château de Camaret qui s’élève sur la dune désolée, proche de la mer résonnante. Né en la bruyante Provence, il est, assurément, aujourd’hui, le véritable poète de la silencieuse Bretagne, dont les ambassadeurs en littérature furent successivement Chateaubriand et Flaubert. Mais, abstraction faite de toute comparaison intellectuelle, personne n’a su comme lui se créer une existence plus simple et plus belle, ni unir aussi adroitement l’art et la vie. Sa lyre est éolienne et le souffle qui la fait vibrer, c’est le vent du champ ou la brise marine… De sorte que le souvenir de ses livres peut s’associer à une conversation avec une villageoise bretonne. La «chaumière» dont elle parle, est la masure où il vécut comme un pêcheur de Roscanvel, et nombre de ses écrits y sont datés, certains composés il y a déjà plus de dix ans. Divine et Coecilian sont ses enfants, et l’autre se nomme Lorédan ; et tous trois apparaissent ainsi, sous leur propre nom, dans les récits paternels. Da, la bonne qui s’occupait de Divine est également un personnage de ces livres, et Mentine est la fille d’un batelier du village à qui Coecilian sauva la vie. Le garçon qui est robuste comme un marin avait alors dix ou douze ans, et, voyant Mentine se noyer loin de la plage, il se jeta dans la mer et réussit, en nageant, à ramener sur la terre ferme le corps semi-agonisant. Cet épisode héroïque s’est, plus tard, transformé en un conte recueilli dans le tome II des Reposoirs de la Procession, et que concluent ces mots : «Or, brave petit sorti de moi, j’ai voulu que ton acte ignoré restât dans un de mes livres, afin que sa sublime ingénuité lui portât bonheur et le fît durer peut-être, – afin aussi que son souvenir te protège et te conseille plus tard, mon fils bien-aimé, oui, plus tard, alors que, pantelant, tu hésiteras, comme chaque homme à son tour, entre les lâchetés humaines et les sacrifices divins…» De la même manière, au moment de me séparer de Marie Kerandren pour rentrer à Quélern, je me souviens que les Kerandren pêcheurs figurent aussi dans le même livre, dans le récit où le poète décrit « la coupe de goémon en Roscanvel », et je répète les cris des paysans qui se saluent par leurs noms, lorsqu’ils se retrouvent après tant de temps pour le travail annuel sur les rives : «ohé Gongard !.. ohé Pacific !.. ohé Herrou !.. ohé Balc’h !.. ohé Kersit !.. ohé Thomas !.. ohé Madec !.. ohé Ely !.. ohé Monze !.. ohé Lecœur !.. ohé Kerdoncuff !.. ohé Carn !.. ohé Pandolph !.. ohé Rion !.. ohé Bizien !.. ohé Postic !.. ohé Boussard !.. ohé Jaffé !.. ohé Le Breton !.. ohé Kerandren !..»
Saint-Pol-Roux est le poète qui a su trouver l’aventure dans la simplicité quasi rustique de sa vie. Aux temps du symbolisme et des faits d’armes extraordinaires, il signait «Saint-Pol-Roux-le-Magnifique», et c’est sous ce nom qu’il figure dans la célèbre enquête de Huret sur la littérature moderne française. Malgré cela, il n’existe pas de vie plus simple et plus sincère. On retrouve son nom dans la bouche de villageois et de paysans et de pêcheurs. Comme d’autres écrivains dont parle Albalat dans un de ses livres, il a fui Paris la funeste pour chercher la paix de la nature. La réalité et le rêve se mêlent de telle manière dans son existence personnelle et dans sa création littéraire, qu’après les avoir connus par ses livres, j’ai rencontré, chez lui, Divine, Coecilian et Lorédan. Je les connus le jour où il nous organisa, à Darío et à moi, une fête dans sa résidence de Camaret. Ce jour fut réellement magnifique. Le Manoir du Boultous, à chacun de ses angles, élève quatre tours d’architecture médiévale; on y entre par un salon orné d’objets rares et d’allégories fantastiques. Il n’y a pas de luxe dans cette demeure, mais tout évoque ici une image ou une idée, et tout esprit enclin au rêve, se sent comme au milieu d’une opulence d’illusions. En entrant dans la maison de l’homme vous reconnaîtrez la résidence d’un poète de la même manière qu’en entrant dans l’œuvre du poète vous reconnaîtrez la confession d’un homme.
Voilà un texte rare qui, en plus d'apporter un point de vue inédit - excentré - sur l'oeuvre idéoréaliste, nous donne d'importants renseignements sur la vie bretonne du poète, et sur ses admirations littéraires. J'ignore si les relations entre Rojas et Saint-Pol-Roux se poursuivirent; il faudrait, pour cela, consulter les archives de l'Argentin. L'ami Darío, par contre, conserva toute son admiration au Magnifique à qui, de Bretagne, il avait consacré deux articles, l'un dans La Nacion, l'autre dans El Figaro (La Havane), un mois auparavant. Grâce à lui, à Rojas, à quelques autres, le symbolisme pénétra le continent sudaméricain, et le nom de Saint-Pol-Roux n'y fut pas tout à fait inconnu.
(1) Cet article me fut aimablement communiqué par le Pr. G. Sch. - qu'il en soit, une nouvelle fois, remercié. On trouvera prochainement l'intégralité du texte traduit sur le groupe des "Amis de SPR".
Rappels : Je signale aux visiteurs l'apparition d'un sondage mensuel sur notre blog (à gauche de la barre latérale); ce mois-ci : "Qu'avez-vous lu de Saint-Pol-Roux ?" Prenez dix secondes pour répondre... et n'oubliez pas de tenter votre chance au Grand Jeu du Mois d'Août.