dimanche 18 janvier 2009

Dans les Ardennes belges, avec Saint-Pol-Roux : suivons le guide...

Ce fut une bonne semaine biblio-saint-polienne ou saint-pol-roussine - il est encore temps pour les linguistes de trancher ici -; après le catalogue du Salon des peintres de la Bretagne de 1937, c'est au tour du Guide Cosyn des Ardennes Belges de rejoindre le rayonnage magnifique. Bien que sans date on peut aisément estimer sa publication au premier semestre de 1932. C'est un guide, tout ce qu'il y a de plus sérieux, avec son lot d'illustrations et de descriptions, et son incontournable église. Mais il présente l'originalité de donner quelques textes littéraires bien choisis. Et parmi ceux-ci d'accorder une place d'honneur à Saint-Pol-Roux, dont une présentation, adornée de deux portraits photographiques, justifie la présence en ce guide :
Saint-Pol-Roux
Le grand poète français Saint-Pol-Roux passa les années 1895, 96 et 97 dans la VILLA DES FORGES, située entre Saint-Hubert et Poix. Ce séjour dans la Forêt des Ardennes lui inspira des pages d'une puissante originalité et lui laissa un souvenir profond. C'est à Poix qu'il écrivit la Dame à la Faulx.

Nous avons publié, dans notre guide BOUILLON, des renseignements précis relatifs aux origines ardennaises de Paul Verlaine. M. Saint-Pol-Roux conta, dans des pages inoubliables intitulées VERLAINE LE PÂTRE, reproduites plus loin, une rencontre peu banale : il découvrit, pendant son séjour à Poix, dans un simple berger d'Arville, un cousin du célèbre poète.

M. Saint-Pol-Roux rentra en France en 1897 et se retira à Camaret-sur-mer, en Bretagne ; les circonstances devaient raviver les souvenirs qui le liaient à l'Ardenne : en 1914, des milliers de soldats bretons tombèrent et furent enterrés à Maissin, à quelques kilomètres de la Villa des Forges ; un peu plus tard, un malheur déchirant frappa le poète : son fils Coecilian mourut en héros à Verdun...

Les quatre années de malheur unirent les Français et les Belges par des liens étroits. Les tombes bretonnes de Maissin furent soignées pieusement par des mains belges et des relations cordiales se nouèrent : une délégation des anciens combattants du XIe corps d'armée française se rendit, le 22 août 1929, jour du XVe anniversaire de la bataille, en pèlerinage au cimetière de Maissin. Elle fut reçue le lendemain à l'Hôtel de Ville de Saint-Hubert, où M. Pierre Massé, secrétaire de l'Amicale des Anciens Combattants du 19e Régiment d'Infanterie (Brest), récita le MESSAGE A LA FORÊT, composé par M. Saint-Pol-Roux à cette occasion. Le Maître était l'interprète de choix de la fraternité de la Bretagne et de l'Ardenne, dans le cadre de l'amitié franco-belge. Nous publions le MESSAGE A LA FORÊT dans le présent guide.

En 1930, une délégation de combattants du Luxembourg belge fut reçue à Brest par les anciens combattants du 19e R. I. ; l'Ardenne rendait à la Bretagne la visite de l'année précédente. Une fois de plus, M. Saint-Pol-Roux apporta l'éclat de son talent à la cérémonie et prononça le TOAST A LA BELGIQUE, que nous donnons plus loin.

M. Pierre Massé et ses camarades brestois, donnant suite à une suggestion de leurs amis belges, décidèrent d'ériger en août 1932 un vieux calvaire breton au cimetière de Maissin ; c'est le vénérable calvaire du Tréhou qui a été choisi. Ainsi que l'écrivit M. le Colonel Mercier, délégué du Gouvernement français aux Fêtes du Centenaire de Maissin, ce sera "une vraie croix bretonne qui portera avec elle le goût des brumes salées qui la patinèrent, l'écho des prières touchantes qu'elle entendit souvent".
Cette notice n'est malheureusement pas signée ; on aurait aimé en connaître l'auteur, admirateur belge du poète. Elle dit assez justement, en tous cas, l'importance qu'eut, pour Saint-Pol-Roux, ce séjour en Belgique, moins long en réalité que ne le laisse entendre le Guide ou que ne l'écrira plus tard le Magnifique lui-même dans ses souvenirs.

Pourquoi le poète s'exila-t-il chez nos voisins belges ? On sait qu'il connaissait alors des difficultés financières et avait dû vendre ses parts du Mercure de France. Les huissiers et les créanciers pressants le contraignaient à quitter son appartement du 28, rue Saint-Vincent. Les dettes étaient-elles à ce point signifiantes que Saint-Pol-Roux se sentît forcé à l'exterritorialisation, menacé de poursuites judiciaires ? Peut-être, mais il ne faut pas oublier que cette période (1894-1895) fut celle où son engagement anarchiste atteignait son plus haut période. Il avait publié LE FUMIER dans la Revue Blanche et avait proposé à cette dernière un texte sur Sante Caserio, l'assassin de Sadi-Carnot, qui ne parut pas, mais qui n'avait pas échappé aux indicateurs de la police. Ces écrits n'avaient pas plu, sans doute, aux parents du poète, qui gelèrent ses rentes, accroissant encore sa précarité financière. Et les lois scélérates, qui envoyaient, sans distinction, criminels de droit commun et intellectuels en prison ou devant les tribunaux, compliquaient la situation. Pour ceux qui sentaient alors l'étau se resserrer, la Belgique s'offrait comme un idéal pays d'accueil. Et, comme beaucoup de ses confrères, le poète-anarchiste ruiné, Saint-Pol-Roux, s'y rendit tout naturellement dans les premiers jours de mars 1895.

Il s'installa d'abord à Bruxelles, 8, Montagne des Géants, puis quelques jours plus tard, au 42, avenue des Villas. Le 3 juin, il est à Bruges. Puis il élit domicile dans la Forêt des Ardennes luxembourgeoises où il occupe la Maison des Forges, dite aussi Château d'Arville ; en août, il revient à Saint-Henry pour fêter les noces d'or de son oncle et de sa tante, Pierre & Anne Roux. Il rentre dans le Val-de-Poix en septembre. Son séjour y durera un an. Il retournera à Paris (4, place Monge), avec le manuscrit de la Dame à la Faulx dans ses malles, en septembre 1896.



Séjour relativement bref donc, mais séjour qui fut capital dans la vie et pour l'oeuvre du poète. Il y composa non seulement sa tragédie, mais aussi quantité de poèmes, qui sont parmi ses plus beaux et ses plus intéressants. Si c'est à Camaret qu'il affirmera avoir découvert la vérité du monde, c'est dans la Forêt des Ardennes qu'il en eut l'intuition. La "crise pas drôle" traversée à Paris se résoud dans la simplicité et la rudesse naturelles du Val-de-Poix. Saint-Pol-Roux y développe un naturisme personnel ; ils sont nombreux les textes de cette période ardennaise à reposer sur une thématique de la purification et de la renaissance. Jacques Goorma & Alistair Whyte en ont publié plusieurs dans Idéoréalités (Rougerie, 1987) ; d'autres, en prose, furent recueillis dans les tomes des Reposoirs de la procession. Rassemblés, avec quelques inédits conservés çà et là, ils feraient une anthologie remarquable. Car, paradoxalement, c'est loin de Paris, dans le silence et l'obscurité des bois, où il est venu traquer la dame à la faulx, que le lyrisme de Saint-Pol-Roux se veut le plus lumineux, le plus naïvement orgueilleux :
"Je me sens pur comme l'enfant qui vient de naître.
Une brise a passé qui m'ôta le péché.
Géranium du simple au coin de la fenêtre,
Un sourire fleurit sur ma lèvre perché.
[...]
Je m'apprends dans l'oubli de la machine humaine
Afin d'édifier mon naïf monument.
L'esprit que l'on découvre désormais nous mène :
Un poète absolu n'est qu'un commencement." (Primitivité)
"Il sied à l'évadé de vivre un vierge monde
Afin d'en revenir au soir d'un vieil été
Muni des épis neufs de sa propre beauté." (En attendant notre pain quotidien devant le four du garde-forestier)
"Pèlerin de retour, déposant le manteau, les sabots, le bâton et la chaîne embaumée devant les ailes saintes de la repentie, Forêt adorable en toi, je m'agenouillerai pour l'accomplissement sacré de ma venue ; alors, afin de me permettre un monument digne de mon destin, Forêt, tu donneras à ma transfigurée l'enchantement de tes orgues profondes, et comme pointe au fin roseau cueilli par le poète aux lèvres d'un ruisseau, Forêt, tu donneras le bec épanoui de ton sublime rossignol." (Au seuil des Ardennes)
"Par la soudaine initiation de la baie spontanée, la Vie m'est apparue dans sa plénitude première d'instincts et de passions. L'âme bée devant la symphonie des choses et l'apothéose des êtres, je chancelle et m'agenouille, adoration après le viol." (Le poète au vitrail)
"Alors, fier comme un dieu, le suprême orgueil d'avoir créé de la Vie l'incendiant, le poète se dressa pour inscrire sur sa porte, en naïve dédicace à ses contemporains :
LE STYLE, C'EST LA VIE." (Le Style, c'est la Vie)
"Routinière marâtre, longtemps la Tradition me tint entre ses pattes sous ses ailes épaisses d'où l'Infini n'apparaissait qu'oblitéré par la barbe des plumes, mais un jour, mère première, l'éclatante Beauté vint à passer non loin de ma prison, si souveraine et si libératrice que toutes les ambitions de mon âme s'en furent dans le sillage de la lumière - pour ne plus revenir jamais sous les ailes si sombres d'autrefois." (La poule aux oeufs de cane)
Et l'on pourrait multiplier les citations, qui prouvent que quelque chose s'est produit dans la Forêt des Ardennes, qui a oxygéné la poésie de Saint-Pol-Roux et orienté son écriture vers une esthétique nouvelle ; esthétique nouvelle que théorise la préface de La Dame à la Faulx, rédigée justement en octobre 1895, où l'on peut lire : "La présente époque assiste non pas à une Renaissance, mais à une Naissance."

Cette période fut essentielle dans l'évolution idéoréaliste ; et Saint-Pol-Roux, comme le signale l'auteur de la notice du Guide Cosyn, ne manqua pas une occasion de (se) rappeler ses attaches dans les Ardennes belges. S'étonnera-t-on que le souvenir y accompagnât toujours, en 1915, en 1929, en 1930 & 1932, la danse macabre de l'Ennemie que le poète était venu forlancer à la fin du siècle précédent ?

Aucun commentaire: