mercredi 31 décembre 2008

J'oubliais : les timbres... et mes voeux !

2009

Bons voeux et cartes de voeux

C'est la Saint Sylvestre, jour de voeux échangés. On sort, pour l'occasion, sa plus belle plume, celle dont on se servait du temps de la calligraphie, son encrier plein d'une encre spéciale et festive, le beau papier à lettres filigrané, les cartes consciencieusement choisies en fonction des destinataires ; et on trouve une formule joliment tournée qui n'aura guère l'originalité pour qualité première.

En bon saint-polâtre ou saint-pol-roussophile - linguistes en herbe, prononcez-vous ! -, la monomanie qui me possède devrait me pousser à magnifier mon courrier de fin d'année, à y idéoréaliser mon intérêt obsessionnel pour l'oeuvre et la vie du poète. Et je pourrais pousser le vice idéoplastique assez facilement... En effet, les supports ne manquent pas. Pour les Amis de Saint-Pol-Roux et les abonnés au Bulletin, je choisirais quelque exemplaire parmi les cartes postales, assez rares, éditées du vivant du poète, pour certaines assez anciennes, la première d'entre elles représentant Saint-Pol-Roux (au centre), son épouse Amélie (à gauche), et sa fille Divine (à droite) devant le Manoir de Boultous, bâti en 1905 et rebaptisé Manoir de Coecilian à la mort de ce dernier en mars 1915. L'habitation est ici photographiée face océan.


La carte suivante est plus tardive et doit dater probablement du milieu des années 1920. On voit Divine, au centre, jeune femme, apprivoisant son goéland - image que les surréalistes avaient contribué ou allaient contribuer à populariser -, devant le Manoir photographié cette fois face "alignement de menhirs", c'est-à-dire : côté entrée principale. En médaillon, bien sûr : le poète.


La troisième carte - la première reproduite en ce billet - est un portrait photographique de Saint-Pol-Roux, réalisé par G.-L. Arlaud, dans les années 1930. Le milieu s'efface pour laisser place entière à l'homme. C'est d'ailleurs le parti que prendront les représentations ultérieures, posthumes. Et il y en eut beaucoup. En 1968, les sociétés philatéliques ou leurs maisons d'éditions, associées aux P.T.T., diffusèrent des cartes dites "philatéliques" ou "de premier jour", représentant le poète. C'était il y a quarante ans. On y trouvait - ma collection est incomplète - des dessins faits à partir de photographies existantes (à gauche), un portrait original signé Chesnot (en bas, à droite), ou encore ce beau cliché de Saint-Pol-Roux (en bas, à gauche). Ces cartes modernes, je les réserverais plutôt aux confrères, aux contacts plus ou moins réguliers, à ceux qui découvrent à peine l'oeuvre idéoréaliste. Le nombre de ces destinataires est, évidemment, plus important, et c'est donc une aubaine si l'on trouve assez facilement et régulièrement, sur ebay ou dans les vide-greniers, ces cartes pas toujours du meilleur goût.


De très bon goût les enveloppes, qui furent aussi éditées il y a quarante ans, ne le sont pas toujours non plus. Qu'on en juge par ce premier lot...


... et par cet autre.



Les portraits du poète, en dehors de celui réalisé par Chesnot mentionné plus haut, furent dessinés par Clément Serveau, à partir de la dernière photographie citée. Ces enveloppes-là pour les officiels et autres institutionnels, avec, accompagnant mes voeux, un bon d'abonnement pour le Bulletin des Amis de Saint-Pol-Roux. Et hop !...

mardi 30 décembre 2008

Elections à l'Académie Mallarmé : de onze à dix & de dix à treize

J'entoile aujourd'hui la série d'entrefilets, de brèves et d'articles parus, du 3 avril au 8 mai 1937, dans Le Figaro, qui enregistra scrupuleusement - et malicieusement parfois - les moindres faits et gestes de la jeune Académie. Le premier acte important de cette dernière fut d'élire les trois nouveaux membres qui devaient porter son quorum à 14 - mais l'un des fondateurs, un mois à peine après avoir donné son accord, avait démissionné. Décidément, cette Académie Mallarmé, tout entière, constituée de septuagénaires, ne tenait pas en place...

3 avril 1937
L'Académie qui naît...
"Accueille une horrible naissance..."
Quand Mallarmé écrivit ces mots, avait-il le pressentiment de l'Académie qui porterait son nom, et du mal qu'elle aurait à entrer dans la vie ?

Non que sa naissance soit horrible, ce n'est pas tout à fait le mot. A tout le moins est-elle laborieuse. On sait qu'il y a eu des défections. L'Académie Mallarmé devait compter parmi ses membres des écrivains comme Paul Claudel, André Gide, Francis Jammes, qui se sont dérobés. Alors on est prudent devant les élections à venir, et l'on s'assure à l'avance que les candidats ne refuseront pas de s'asseoir dans le fauteuil qu'on leur offrira.

Enfin la préparation électorale serait sur le point d'aboutir. Il semble que M. Léon-Paul Fargue et M. Jules Supervielle puissent être élus bientôt. Et si un fauteuil doit être offert à une femme, Mme Amélie Murat serait prête à l'accepter.

Dans ces conditions, les urnes ne tarderont pas à circuler probablement. Et comme on ne pourvoira cette fois qu'à deux fauteuils, sur cinq qui sont vacants, il y aura même trop de candidats pour finir.
10 avril 1937
Petits malheurs
A qui le laurier mallarméen ? Les déjà glorieux rejetons de l'Académie Mallarmé sont rentrés de vacances pour la plupart. L'on prépare des élections, à la bonne franquette, au café, en attendant les fastes du scrutin qui aura lieu à son siège, rue de Richelieu, à la Bibliothèque nationale. Sans doute un jour de mai.

Les académiciens nouveau-nés se réuniront dans une semaine pour fixer la date et circonscrire leur choix.

Léon-Paul Fargue, Jean Cocteau et André Spire sont, parmi les poètes, ceux que les recruteurs de l'Académie de poésie désirent s'adjoindre.

On verra à l'automne pour le reste, c'est-à-dire, pour les deux chaises disponibles. Et la quinzaine atteinte, en route pour la grande destinée !
*
L'Académie Mallarmé a eu, au berceau, ses malheurs, ses contempteurs et même ses dédaigneux.

Tel poète, chargé d'honneurs officiels, engagé sans succès dans la poursuite de l'habit vert et de l'épée, méprise la petite compagnie de la rue de Richelieu, crainte d'être méprisé par celle du quai de Conti. Ce n'est qu'un pari, et les paris parfois se perdent.

M. André Gide est jusqu'à présent le seul démissionnaire. Il a dit oui d'abord, peut-être le lendemain de l'assemblée constitutive et il dit non aujourd'hui où l'Académie Mallarmé a pris vie.

- Gide nous traite comme une simple U.R.S.S., remarqua avec humeur un poète déçu.

Petits malheurs qui n'empêcheront pas l'Académie Mallarmé de grandir et de s'imposer.
1er-2 mai 1937
Les urnes de l'Académie Mallarmé
Première solennité, mercredi prochain, midi sonnant, à l'Académie Mallarmé : la naissante Académie de poésie élira trois membres, ce qui portera son effectif à treize. Les deux autres sièges, puisqu'elle en comporte quinze, seront pourvus à l'automne : qui va doucement va sagement.

Selon un noble exemple, l'Académie Mallarmé votera place Gaillon, chez Drouant.

Les candidatures n'étant pas reçues, le débat des électeurs sera circonscrit sans doute entre MM. Léon-Paul Fargue, Jean Cocteau, Valery Larbaud, André Spire et Charles Vildrac.
*
Les premiers pas sont difficiles... La constitution de l'Académie Mallarmé a suscité, dans le monde des poètes, ces passions violentes que l'on constate plus souvent dans les campagnes électorales d'arrondissement. On veut déjà la mort du nouveau-né.
6 mai 1937
A L'ENSEIGNE DU NOMBRE 13
L'ACADEME
MALLARME
A VOTE
Je ne jurerais pas que l'Académie Mallarmé - qui sera dans quelques lustres, il faut l'espérer, une prestigieuse Académie de la Poésie française - ne soit née du désespoir.

Une épée, un habit brodé : c'est une tentation que peu de poètes sans doute sauraient repousser d'une âme sereine. Mais MM. les Quarante ont la toise si sévère ! On les a vus ajuster leurs lorgnons, l'autre année, sur M. Paul Claudel et le réformer pour insuffisance.

Tous les poètes ont compris, ce jour-là, l'humble rang de la poésie.

L'Académie Mallarmé est fondée sur cette humilité. Elle vote au restaurant, sans épée ni habit brodé. Faute d'illustrations, peut-être arrivera-t-elle, après les premiers pas chancelants, à réunir les poètes marqués de cette véritable gloire dont parle Paul Valéry à propos de Mallarmé - "qui est chose cachée et non point rayonnante".

La jeune Académie a fort bien ouvert la voie hier. Elle a désigné trois membres nouveaux : avec M. Charles Vildrac, déjà célèbre au théâtre, M. Léon-Paul Fargue, M. Valery Larbaud, un père de la littérature moderne, un homme important.

Ainsi a-t-elle atteint le nombre de treize membres. Un bon chiffre, une occasion de bonheur. Il pourrait lui venir toutes sortes de bonheurs. Le ministre de l'éducation nationale, M. Jean Zay, songerait, par exemple, à accorder à la poésie l'esprit qu'il a montré pour le Théâtre-Français ; il songerait à lui déléguer une part des soins de protection en faveur des poètes. Ces soins aujourd'hui s'égarent un peu dans les bureaux sous la poussée des recommandations d'arrondissement.

Les élections ont eu lieu chez Drouant qui, pour aimer le roman, ne boude pourtant pas les vers. Les académiciens se sont penchés sans dégoût sur le blanc de blanc et sur un foie gras qu'illuminait le pommard de 33. Le malheureux Gilbert, traqué par la faim, a avalé sa clef et en est mort. On a vu hier que Vigny eut grand tort de le donner pour symbole du destin poétique. - M. N. [Maurice Noël]
COURRIER DES LETTRES
Léon-Paul Fargue
M. Léon-Paul Fargue est connu de nos lecteurs. Le Figaro a le plaisir de le compter parmi ses chroniqueurs. Voilà qui évite d'expliquer tout au long que s'il existe une académie de Poésie, il est bien évident que privée d'un tel poète elle accuserait un manque.Nous avons trouvé hier M. Fargue satisfait des suffrages de ses pairs :

- Sous le nom de Mallarmé, dit-il, que ce soit une académie, une société, un club, le plaisir est grand de se réunir chaque mois avec des poètes comme Paul Valéry, Paul Fort, Herold, Fontainas, Saint-Pol-Roux, tous des amis que j'ai connus au Mercure, au cher vieux Mercure, en 1893... Et l'Académie Mallarmé a du bon : elle va rappeler de temps en temps au public que la poésie existe et les poètes aussi, ces malheureux poètes que l'on considère volontiers comme des êtres nébuleux, distraits, en somme des grotesques, comme si écrire juste impliquait obligatoirement du désordre dans la vie...

L'oeuvre poétique de M. Léon-Paul Fargue est un peu dispersée. Il a semé à tous vents comme les riches. Mais deux volumes, en particulier, la représentent avec honneur : Espaces et Sous la lampe, édités à la N.R.F.
Valery Larbaud
M. Valery Larbaud est un être de mystère. Peut-être a-t-il atteint aujourd'hui l'âge de cinquante-cinq ans, mais personne ne le sait très sûrement. Sans doute a-t-il mis plus de poésie dans sa vie de voyage, que dans Barnabooth même : l'avenir donnera assez de loisirs pour fouiller et retracer l'existence d'un homme curieux qui a été un véritable centre moteur de la littérature d'après-guerre.

"Larbaud, a écrit dans des pages critiques M. Benjamin Crémieux, est le premier écrivain français de ce temps qui ait eu le sens de l'Europe. Europe pour lui synonyme d'Empire. Il n'y discerne pas de frontières." Il sait douze langues et connaît bien vingt nations. Le lecteur français lui doit de connaître Samuel Butler et James Joyce. Il a fait aimer Walt Whitman, et Chesterton, et Conrad, et Francis Thompson, et Gomes de la Cerna [sic], et combien d'autres.

M. Valery Larbaud poète est dans son volume, les poésies de Barnabooth, mais il est difficile de ne pas le trouver dans les célèbres oeuvres en prose Amants, heureux amants ; Beauté, mon beau souci ; Ce Vice impuni, la Lecture.

Le nouvel académicien-poète vit dans la solitude, rue Cardinal-Lemoine ou dans son domaine de Valbois, dans l'Allier.
Charles Vildrac
M. Charles Vildrac est un auteur dramatique célèbre : le Paquebot Tenacity, Madame Béliard ont eu des centaines de représentations.

Mais c'est un poète venu au théâtre, un poète né qui, dans sa jeunesse, fut du phalanstère de l'Abbaye et a gardé fidèlement l'esprit de ce temps : la compassion pour les hommes, l'espoir d'une libération telle que l'a fait briller notre socialisme de 1848. M. Vildrac rattache, de son mieux, ses inspirations à la politique d'extrême gauche.

Ses premiers poèmes ont paru en 1905 aux éditions du Beffroi. Son premier recueil Images et mirages est de 1908. Il a depuis publié à la N.R.F. le Livre d'amour (1910), Découvertes (1913), Chants du désespéré (1920). - M. N. [Maurice Noël]
8 mai 1937
Le scrutin Mallarmé
Etaient-ils six ? Etaient-ils sept ? Il y aura là quelque mystère pour l'historiographe des premiers scrutins de l'Académie Mallarmé.

Les académiciens nouveau-nés votaient mercredi pour la première fois. Saint-Pol-Roux n'a pu venir de Bretagne et Maurice Maeterlinck ne s'est pas décidé à rompre sa solitude de Villennes.

Quant à Paul Fort, on le vit arriver à midi et demi et bien surpris d'apprendre que les élections étaient faites.

- Après tout, on connaissait mon vote...

Et le poète se consola. Il faut du sérieux pour fonder un foyer, surtout celui de la poésie.
*
Le sérieux a du moins inspiré les choix : Léon-Paul Fargue, Charles Vildrac et cet homme curieux qu'est Valery Larbaud.

Les couloirs de Drouant offraient un criant contraste de paix idyllique avec le tohu-bohu du déjeuner du Prix Goncourt. L'Académie Mallarmé n'a pas encore droit aux opérateurs de cinéma et au micro. Il faut qu'elle conquière ses grades - et les grades de la poésie ne peuvent être, hélas ! aussi populaires que ceux du roman !
(A suivre...)

lundi 29 décembre 2008

Homériques, Rousseauistes, Hugoliens, Mallarméens, Jarryques, et Saint-Pol-... ?

L'excellent Jean-Claude Morisod me demandait, il y a quelques jours, dans l'un de ses derniers courriels, comment se déclinait, grammaticalement parlant, Saint-Pol-Roux ? C'est une question que, bien évidemment, en tant que chercheur amené à articuler et conférencer sur le poète, et fort soucieux d'économiser de disgracieuses répétitions, je me suis posé. Sans y avoir jamais répondu, cependant, sinon par une pirouette syntaxique. En effet, j'ai toujours contourné le problème en remplaçant l'adjectif dérivé du nom propre, Saint-Pol-Roux, que tout amateur de littérature critique est en droit d'attendre, par le moins acrobatique et plus rassurant groupe prépositionnel : "de Saint-Pol-Roux" ; mais il m'est toutefois arrivé de pousser le goût de l'aventure lexicographique jusqu'à user des adjectifs "magnifique" et "idéoréaliste" pour incarner tel ou tel substantif.

En vérité, je n'ai guère été convaincu jusqu'ici par les différents adjectifs qui ont été avancés ou dont se sont servis les commentateurs et critiques. Soit parce que, comme on dit en Espagne, "suenan mal" et, conséquemment, écorchent l'oreille ; soit parce qu'ils produisent de la confusion. Dans la première catégorie, relevons les "saint-pol-rouxiens" ou les "pol-rouxiens" culs-de-jatte ; dans la seconde, le "saint-polien" décapité dont le chef enflammé roule vers Damas.

La dérivation semble difficile pour deux raisons morphologiques : la longueur du nom propre et sa structure composée d'abord, sa dernière syllabe en "roux" enfin, qui, dans nos cerveaux modernes, induit "rouquin". A ma connaissance, il n'existe pas d'autre nom de personne présentant cette configuration ; un nom de ville, néanmoins, s'en approche. C'est "Châteauroux" : trois syllabes et la dernière posant la même difficulté. Or, ses habitants sont les Castelroussins. Voilà qui pourrait conduire au plus naturel et logique des adjectifs dérivés de Saint-Pol-Roux : l'adjectif saint-pol-roussin.

Pourquoi ne suis-je pourtant toujours pas convaincu ? Et vous, chers lecteurs, amateurs ou non de linguistique, qu'en pensez-vous ? Faites vos propositions, vos remarques, en commentaires ou par courriels postés à harcoland@gmail.com. Je ne manquerai pas de les publier. A suivre...

SPiRitus S'entRetient avec Jacques Simonelli

SPiRitus S'entRetient avec

Jacques Simonelli
[Chroniqueur d’art, éditeur, a publié plusieurs titres de Georges Ribemont-Dessaignes, et les Voyages en kaléidoscope d’Irène Hillel-Erlanger aux éditions Allia. Dans le domaine romantique, il a édité les Lettres d’Algérie de Petrus Borel aux éditions de la Barbacane, les Mémoires et autres écrits de Pierre François Lacenaire, et Un roman pour les cuisinières d’Emile Cabanon à la librairie José Corti. Ses études sur l’inspiration alchimique chez Irène Hillel-Erlanger et Emile Cabanon se prolongent dans une série d’articles sur le romancier Maurice Fourré, confiées régulièrement au bulletin de l’AAMF (Association des Amis de Maurice Fourré, 10 rue Yvonne Le Tac, 75018 Paris). Il prépare une étude sur les fresques symboliques du monastère de Cimiez (Nice) et un livre d’artiste avec le peintre Jean-Jacques Laurent.]
SPiRitus : Vous souvenez-vous de votre première rencontre de lecteur avec la poésie de Saint-Pol-Roux ? Quel était le titre de l’œuvre, du poème, etc. ? Connaissiez-vous déjà, avant cette première lecture, son nom, son histoire, sa légende (si oui, comment ?) ?

Jacques Simonelli : J’ai connu la poésie de Saint-Pol-Roux à la fois par la belle anthologie d’Alain Jouffroy (1966), parée des prestiges novateurs du surréalisme, et par le Florilège paru en 1943, avec sa couverture à la corbeille de fleurs imprimée en vert sur fond blanc - blanc, autant que pouvait l’être le triste papier des années de guerre - et les illustrations de Méheut, rendues plus désuètes par la qualité médiocre du support. Ces deux livres, présentant sous des aspects si contrastés et des éclairages si différents un même poète, m’ont tout de suite rendu sensible le grand écart que manifeste l’œuvre de Saint-Pol-Roux, écart entre lui-même et la littérature, entre la Bretagne choisie (et combien, méridional que je suis comme Paul Roux, me touche ce choix : oui, Bretagne est Univers !) contre Paris où ses premières œuvres ne furent pas sans accueil, écart surtout entre les formes si variées de son écriture, des cimes les plus hautes du Symbolisme à des antiennes de gens de mer et de paysans que n’auraient pas reniées Morven le Gaélique.

Avant d’avoir lu ces livres, je ne savais du poète que ce qu’en disait, dans ses Entretiens, André Breton, auquel je dois, évidemment, bien d’autres lectures.

SPiR. : Qu’avez-vous éprouvé au cours de cette lecture ?

Jacques Simonelli : Ayant d’abord lu et relu les poèmes d’Anciennetés, la fascination que l’on éprouve à découvrir une mélodie nouvelle, dont les harmonies éveillent pourtant les échos d’une mémoire souterraine, puis l’admiration pour la richesse et la maîtrise verbales et - mais on l’a dit si souvent - la nouveauté des métaphores.

SPiR. : A ce jour, qu’avez-vous lu de son œuvre ? Quels sont les titres qui figurent dans votre bibliothèque personnelle ? Dans quelle édition, etc. ?

Jacques Simonelli : A part les deux choix de textes cités, et celui de Théophile Briant (collection Poètes d’aujourd’hui), je possède, et j’ai lu, les titres suivants :
  • Les Reposoirs de la procession, Mercure de France, 1893
  • La Dame à la faulx, Mercure de France, 1899, mention de deuxième édition (mon exemplaire appartenait au poète et critique belge Georges Marlow)
  • Anciennetés, Editions du Seuil, 1946
  • Les Reposoirs de la procession, Rougerie, 1980-1981 (trois volumes)
  • La Dame à la faulx, Rougerie, 1979
  • Le Trésor de l’Homme, Rougerie, 1970
  • Correspondance avec Victor Segalen, 1975
SPiR. : Quels sont, parmi ses ouvrages (parutions posthumes comprises), ceux que vous préférez ? Sauriez-vous dire pourquoi ?

Jacques Simonelli : Anciennetés, pour la perfection de l’ensemble du recueil. Les Reposoirs, qui contiennent quelques très beaux poèmes, me paraissent n’être pas toujours d’aussi haute tension, même si bien souvent « l’étincelle (y) jaillit du baiser des pôles contraires » (pour citer l’importante réponse du poète à l’Enquête sur l’Evolution littéraire, de Jules Huret, Bibliothèque Charpentier, 1891).

SPiR. : Pouvez-vous citer, pour les visiteurs du blog, quelques vers ou lignes de votre volume préféré ?

Jacques Simonelli :
La chevelure en pleurs à la façon des saules,
L’intruse se leva comme on sort de la mer
(La Magdeleine aux parfums)
Ou :
Le désert s’oubliait dans l’urne des margelles,
La palombe ramait par les ors du matin
(Lazare)
SPiR. : Quelle première œuvre conseilleriez-vous à un jeune homme ou à une jeune fille qui voudrait découvrir Saint-Pol-Roux ?

Jacques Simonelli : Le choix d’Alain Jouffroy.

SPiR. : Pouvez-vous nous raconter une anecdote personnelle, de lecture, de recherche, de chine, ou autre, où Saint-Pol-Roux joue un rôle important ?

Jacques Simonelli : Allant volontiers en Bretagne, j’ai souvent eu le désir, toujours contrarié par les circonstances, de me rendre à Camaret. Aussi ferai-je exprès le voyage, afin de saluer, en même temps que les tours d’Elven qui les préfigurent si étrangement, les ruines du manoir aboli, pour moi symbole de la destruction des formes sensibles du monde qui achève de s’opérer sous nos yeux, non plus « au seuil » mais au beau milieu « du marché de la Bêtise Humaine » ("Le panier de fruits", in La rose et les épines du chemin).

SPiR. : Comment définiriez-vous sa poésie ? Vous semble-t-elle « datée » ?

Jacques Simonelli : La poésie de Saint-Pol-Roux, comme il l’écrit lui-même, va « d’un reflux de siècles passés en un flux de siècles épanouis ». En perpétuel devenir, elle tend, d’orbe en orbe, vers l’universel. Datée certes (comment un texte ne le serait-il pas) par tels aspects de son écriture, elle dépasse en fait toute question d’époque, si elle débouche parfois (un peu comme certaines proses de Gaspard de la nuit) sur la suggestion d’un temps hors temps, dilaté au-delà de la durée ("Les deux serpents qui burent trop de lait", "Soir de brebis", le final de "Nocturne", dans De la colombe au corbeau par le paon).

SPiR. : Pensez-vous que son œuvre a pu influencer certains des mouvements du XXe siècle poétique ? Lesquels ? Dans quelle mesure ?

Jacques Simonelli : Le futurisme italien, pour l’exaltation de la technique, de la vitesse ("L’œil goinfre", La randonnée) – et c’est ce qui me touche le moins dans son œuvre, et bien sûr, le surréalisme, qui se réclame de son influence, pour sa conception de l’image poétique, « diamant extrait de deux contraires » et de l’inspiration comme « dictée intérieure » ("Le poète", in De la colombe au corbeau par le paon). Fait moins connu, un poème de lui figure dans le premier numéro du Grand Jeu, et Rolland de Renéville lui consacre une étude importante dans son Univers de la parole. Son influence sur des poètes ne participant à aucun mouvement est aussi sensible, par exemple dans les essais théâtraux de Victor Segalen.

SPiR. : Comment expliquez-vous le relatif silence qui entoure actuellement son œuvre ?

Jacques Simonelli : Son retrait volontaire de la vie littéraire, le fait qu’après le troisième volume des Reposoirs de la procession (1907), ses textes ne soient plus publiés qu’en Bretagne, de manière presque confidentielle, l’avaient déjà marginalisé. Depuis, l’esprit de routine, rétif à toute originalité formelle - et celle de Saint-Pol-Roux est grande, parfois déroutante - aura fait le reste.

SPiR. : Faites le « portrait chinois » du Magnifique.

Jacques Simonelli : 1. un animal : « Goéland : œil de corsaire ! » ("Oiseaux", in De la colombe au corbeau par le paon). - 2. un végétal : Fougère. - 3. une pierre (semi)précieuse : Sardoine. - 4. un objet : Lampe. - 5. un moyen de locomotion : Rapide. - 6. un lieu : Rochers sculptés de Rothéneuf. - 7. une couleur : Auburn. - 8. un parfum : Cèdre. - 9. un être mythologique : Protée. - 10. une heure du jour : Les deux crépuscules. - 11. un événement historique : La visite des Rois-Mages. - 12. un péché capital : Aucun. - 13. un sentiment : Amour (voir Germain Nouveau). - 14. un artiste : Adolphe Monticelli, ou, presque à l’opposé, César Franck. - 15. un vers : « A la matière même un verbe est attaché » (Nerval, Vers dorés).

SPiR. : Pour finir, à quelle question sur le poète ou son œuvre, non posée ici, auriez-vous aimé répondre ? Répondez-y.

Jacques Simonelli : L’alchimie traditionnelle fut-elle, pour le poète aux « mains philosophales » ("Midas", in Les féeries intérieures), sans cesse préoccupé de transmutations, un peu plus qu’une allégorie de l’acte poétique ? C’est ce que donne à entendre le titre du deuxième volume des Reposoirs de la procession, De la colombe au corbeau par le paon, qui ne peut qu’interpeller, et surprendre, l’amateur de littérature hermétique. En effet, si ces trois oiseaux que viennent judicieusement compléter les Coqs mercuriels (déjà présents dans "La diane" de La rose et les épines du chemin) sont des figures essentielles du bestiaire alchimique, l’œuvre progresse invariablement du corbeau à la colombe et de celle-ci vers le paon, dont les couleurs paraissent dans le régime de Mars, sixième des sept régimes planétaires de l’ultime coction. La modification de cet ordre, dans le titre même du livre, ne doit pas être dépourvue de signification. D’autres textes ("Le sexe des âmes", in La rose et les épines du chemin, ou "Le style c’est la vie", in De la colombe au corbeau par le paon) paraissent inspirés par la Kabbale, telle que l’exposaient Eliphas Lévi, Stanislas de Guaita ou le Sâr Péladan, aux activités « rosicruciennes » duquel Saint-Pol-Roux collabora. Une recherche des emprunts du poète aux doctrines ésotériques qui semblent avoir souvent nourri sa méditation, enquête trop vaste pour l’esquisser ici, ne serait sans doute pas vaine.
Nota : Pour lire les Entretiens précédents, cliquez ici.

samedi 27 décembre 2008

La "Mallarmé" dans ses meubles et dans les urnes...

Malgré les flottements et les valses-hésitations, la mayonnaise académique prit assez rapidement. Les commentateurs s'y intéressèrent, ironiquement parfois ; on suivit de près l'évolution de cette nouvelle académie, qui devait jouer des coudes pour faire sa place entre la "Française" et la "Goncourt". On ne manqua ni ses premiers mots, ni ses premiers pas, ni ses premières chutes ou ses premiers succès.

Dans les jours qui suivirent sa fondation, la "Mallarmé" gagna un siège officiel dans l'enceinte de la Bibliothèque Nationale, et les onze devaient préparer déjà des élections pour compléter le Quinze de poètes. C'est ce que nous apprend le Figaro du 27 février 1937.

L'ACADEMIE MALLARME
A LA
BIBLIOTHEQUE NATIONALE

La protection ministérielle
Le ministre de l'éducation nationale a été timide.

M. Jean Zay n'est pas un Richelieu mais a tout de même déposé son petit cadeau dans le berceau de l'Académie Mallarmé : la jeune compagnie des poètes septuagénaires aura son siège officiel à la Bibliothèque nationale. Cela s'est fait sur la proposition de M. Julien Cain et voilà, du même coup, l'Académie Mallarmé introduite - si petite que soit la porte - au rang des institutions.

En restera-t-on là ? Auquel cas la France n'aura jamais la rayonnante Académie des poètes qu'on lui souhaite.
Il y faut des honneurs, de l'or, des rubans.

Un ministre a tous ces biens dans ses tiroirs. Qu'une dotation soit prise annuellement sur le budget, qui y trouverait à redire ? La République se doit d'apporter aux poètes une juste compensation aux malheurs qu'elle leur a créés en supprimant la royauté, la cassette royale et les princes protecteurs.

Enfin qu'on songe aux ressources de l'ordre de la Légion d'honneur. S'il est entendu qu'il n'y aura pas moins que "le macaron" pour un membre de l'Académie Mallarmé, les ambitions prendront de la vigueur.
L'épreuve des élections
- Pourquoi pas moi ? Je ne crois pas avoir fait de plus mauvais vers que X... ou Z...

On dit cela avec une assurance polie d'être la seule étoile qui compte au firmament. Ah ! les poètes sont bien agités par la naissance de l'Académie Mallarmé !

La critique étincelle chez les allaités des Muses :

- Des "copains" de Dujardin, voilà ce qu'est cette Académie !... Et Gide, un poète illustre, n'est-ce pas ?

Ce sont les Godeau, les Gombauld, les Giry, les Malleville, les Habert qui se réunissaient en 1630 rue des Vieilles-Etuves : la fortune de l'Académie française en a-t-elle été moins belle ?

Deux ou trois poètes sont parmi les plus torturés. Il y a des alternatives vraiment cruelles. Ils aspirent depuis longtemps à un fauteuil sous la Coupole. Mais, n'est-ce pas ? espérer et tenir font deux... Ne vaudrait-il pas mieux se contenter des lauriers de la Bibliothèque nationale ? Mais, en ce cas, adieu l'habit vert, car les Quarante risquent de se montrer ombrageux !

Ce n'est gai, la recherche des honneurs.
***
L'Académie Mallarmé procèdera, à l'automne, aux quatre élections qui doivent la compléter.

Ce sera son épreuve cruciale.

Si elle cède à la camaraderie, elle aura droit à l'auréole d'un groupe d'habitués dans un café de Saint-Germain-des-Prés.

Les poètes ne manquent pas, qui sont dignes de la lavallière mallarméenne : Léon-Paul Fargue, Henry Michaud, Jean Cocteau, Patrice de La Tour du Pin, Philippe Chabaneix, Charles Maurras, Audiberti, Marie Noël, Jules Supervielle, Francis Carco, Benjamin Péret, François-Paul Alibert, etc...

Toutes les écoles et tous les âges.

Car c'est une hérésie que de souhaiter aux septuagénaires l'exclusivité de l'Académie. La raison la plus simple est toujours la meilleure : passe une épidémie de grippe, passe une rafale de mortalité... et la compagnie risque de s'éteindre.
Certes, et on imagine la belle ambiance en une académie improbable qui aurait assis à la même table, chez Drouant, Michaux, Maurras, Péret et Cocteau... Diantre, ça aurait été un banquet Saint-Pol-Roux à chaque repas !

vendredi 26 décembre 2008

Naissance de l'Académie Mallarmé : et tout commença par un bon repas...

Le chroniqueur du Mercure de France alla un peu vite en besogne en présentant l'article de Jean Ajalbert comme le bulletin de naissance de l'Académie Mallarmé. Car l'académie des poètes naquit quatre jours après, le 19 février, place Gaillon, d'une réunion de huit hérauts du symbolisme, Edouard Dujardin, Francis Vielé-Griffin, Paul Valéry, André-Ferdinand Hérold, André Fontainas, Jean Ajalbert, Saint-Pol-Roux et Paul Fort. On aurait aimé être, ce jour-là, chez Drouant, laissant traîner l'oeil et l'oreille de quelque table voisine. On n'y fut pas, mais Maurice Noël, le bien-nommé, oui, qui en publia un compte rendu le lendemain dans les pages littéraires du Figaro.

D'autres dansent avec grâce. Comme M. Edouard Dujardin sourit joliment !

- Cette fondation de l'Académie Mallarmé, lui disait-on, signifie au moins que les poètes s'estiment frustrés des honneurs qui leur reviennent. Voyez pourtant : Paul Valéry a son fauteuil chez les Quarante...

M. Dujardin a donc souri avec la tristesse de l'ange qui frôle le péché mortel. On n'imagine guère un mimétisme plus vertigineux. Le poète des Lauriers sont coupés est au physique même une créature mallarméenne : la chevelure liliale sur des joues rose-bonbon et deux taches d'un bleu Immaculée Conception, l'une dans l'orbite et l'autre au cou, sous les espèces d'une cravate.

- Voilà que, vous aussi, vous soupçonnez l'Académie française d'être une compagnie ennemie de la poésie.

- Ma foi, un certain échec de Claudel nous a instruit. Ce n'est que l'exemple le plus récent.

Tout au fond de la conception de l'Académie Mallarmé, l'on surprend une revanche de la poésie vieille déjà et que n'ont pas éteinte les honneurs rendus avec épines à Henri de Régnier au début du siècle et à Paul Valéry dans l'après-guerre : la revanche Baudelaire-Mallarmé.
***
L'Académie Mallarmé est née hier vendredi 19 février 1937. Il faut saisir les dates historiques. Elle est née à table, car, Dieu merci, ce n'est que par accident que les poètes se nourrissent de leur clef et rien n'assure la solidité d'une institution comme des hommes nourris avec magnificence. Et la place Gaillon, célèbre déjà parmi les fastes du roman, n'est-elle pas, au vrai, un berceau tout aussi prestigieux que le logis de Conrart rue des Vieilles-Etuves ?

Le déjeuner constitutif a réuni huit académies, ou, du moins, huit poètes qui se trouvèrent par génération spontanée académiciens au moment de la bombe glacée. MM. André Gide, poète comme on sait par les Cinq Traités et les effusions rythmées des Nourritures terrestres ; Maurice Maeterlinck et Albert Mockel, absents, n'en furent pas moins "intronisés".

Des symbolistes ? Sera-ce donc une Académie symboliste ? Si l'on avait fondé une Académie du Parnasse en 1890, sous le patronage de Leconte de Lisle et José-Maria de Heredia, où en serait aujourd'hui son recrutement ? Les parnassiens sont sans postérité valable. Y aura-t-il donc des symbolistes en 1950 ?

Les fondateurs de l'Académie Mallarmé n'en ont cure :

- Au vrai, nous ne constituons pas l'Académie d'une école. Les quatre élections qui vont porter à quinze membres notre Compagnie montreront que notre objectif est en fait une Académie de poésie. Toutes les écoles présentes et à venir y trouveront leur place. Mallarmé nous est un symbole, non pas pour sa conception propre de la poésie, mais pour l'exemple d'une vie entièrement donnée à la poésie. Ne vous étonnez pas si Cocteau, par exemple, ou un surréaliste appartiennent quelque jour à l'Académie Mallarmé...

En foi de quoi, le premier bureau a été baptisé au gaillard "blanc de blanc" : Francis Vielé-Griffin, président ; Paul Valéry et Jean Ajalbert, assesseurs ; Edouard Dujardin, secrétaire général. Si l'on ne sait guère où est l'argent, voici, pour l'accueillir, un trésorier, Ferdinand Herold.
On demande un Richelieu
- L'événement est assurément considérable, mais il faut compter avec les faiblesses de la nature humaine : une Académie ne prend pas un prestige durable par le simple rayonnement spirituel de ses membres. On a le coeur serré à imaginer les Quarante sans habits verts, sans épées, sans Coupole ni tambours de la garde républicaine, sans réceptions ! Quel candidat consentirait à de longues tortures pour le plaisir d'aller s'asseoir au café avec des hommes éminents ? Quant aux "Goncourt", ils ont la rente, la fondation du déjeuner mensuel et la bataille du Prix. A la durée d'une institution, il faut un socle et des rites.

M. Edouard Dujardin répond triomphant :

- Le déjeuner mensuel, nous l'aurons. Notre prix, nous l'aurons : ce sera un témoignage de satisfaction à un poète dont le mérite ne nous semblera pas suffisamment apprécié du public. Nos oeuvres mêmes pour cette aison de retraite des poètes dont donation vient d'être faite au département de Seine-et-Marne.

J'en ai assez dit pour faire luire la candeur d'un fondateur d'Académie.
***
Les huit fondateurs ont déjeuné hier dans le salon aux murs illustrés de ces oiseaux, de ces poissons de rivière et de mer, de ces fruits de la terre qui font les grandes cuisines. C'est le salon des Goncourt.

Cette façon de naître dans le nid d'autrui fait bien augurer de l'avenir. Mais l'Académie Mallarmé - une rumeur a surgi hier des environs de la rue de Grenelle - trouvera peut-être une chance qu'ignorent encore M. Dujardin et ses confrères.

Elle trouvera peut-être un Richelieu. M. Jean Zay est impénétrable, mais l'on dit qu'il songe à offrir, comme le Cardinal, "une autorité publique" à la Compagnie née hier. On le dit par malice : le ministre est soupçonné de nourrir une répugnance pour l'appareil militaire - tambours et épées - qui s'étale à l'Institut. Et on le croit, car le gouvernement est très attaché aux signes de prospérité : or, il en est de la poésie comme du bâtiment dans l'économique : quand la poésie va, tout va dans la littérature. Enfin, les Français qui ont vu cette semaine, à la Comédie-Française, le doyen Dessonnes traverser en nacelle le ciel de la scène n'ignorent plus que nous sommes en révolution.

Tout est devenu possible : M. Jean Zay faisant le cardinal et l'Académie Mallarmé la nique à l'Académie française qui a rabroué souvent les poètes. Un logis, une dotation, le soin de distribuer les secours, cela est bien vite apporté. Et même un costume, s'il ne s'agit que d'une lavallière mallarméenne.

Voilà pourquoi nous désignons comme un événement important la naissance de l'Académie de poésie, ce vendredi 19 février 1937.
Académiciens fondateurs
Paul Claudel a été sollicité de prendre place dans la Compagnie. Sa réponse à Francis Vielé-Griffin fut laconique :

- Une Académie ? Jamais !

Francis Jammes, lui, est fâché. Un journal a publié l'autre jour son nom dans la liste des académiciens sans le faire suivre, comme il était nécessaire, de la mention : sous réserve d'acceptation.

- L'on dispose de mon nom ! a gémi le cygne d'Orthez.

Et le cygne boude - ce qui est inacceptable si l'on songe que nous avons souffert de ne pas le voir académicien.

Par contre, M. Jean Ajalbert, que fait-il dans ce salon des Muses ? Nous qui sommes un peu "jeunets" ne le connaissons que comme mémorialiste militant et aussi comme échotier des secrets de l'Académie Goncourt. Mais M. Ajalbert a eu une vie littéraire différente l'autre siècle : symboliste de la première heure, s'il vous plaît, fondateur avec Gustave Kahn, Paul Adam, Moréas, du journal Le Symboliste, qui a atteint le chiffre record de quatre numéros. Ce poète peu connu a raconté à Jules Huret, en 1891, qu'il fut "déshonoré dès l'apparition du journal".

"Le canard s'imprimait à Montrouge, dans une petite rue... Nous arrivons... l'imprimeur et sa femme se désolaient... Ils n'avaient guère pu composer le numéro : ils ne comprenaient pas ! Pensez : Moréas, en ce temps-là, "instaurait" Rabelais... "Je n'ai compris que ça : un article de M. Ajalbert", murmurait la vieille femme !... Tous les regards de mes cosymbolistes me fusillèrent... Evidemment, je n'étais pas un pur... je trahissais."

On voit combien les titres poétiques de l'écrivain de Raffin-Su-Su sont douteux en regard de l'étiquette mallarméenne. Mais ses titres administratifs viennent de resplendir. En vérité, M. Ajalbert a sauvé au berceau l'Académie naissante. Quel curieux exemple des aberrations de poètes ! MM. Dujardin, Fontainas et autres fondateurs n'avaient-ils pas imaginé de faire le déjeuner constitutif dans un "bistrot" :

- Un bon bifteck aux pommes, voilà qui sera dans la note ! répétaient-ils.

Sans M. Jean Ajalbert, quel désastre ! Il a surgi et a impérieusement entraîné ces Immortels en gestation vers le temple de la place Gaillon. Il a ainsi placé l'Académie Mallarmé dans une pompe bourgeoise qui est sa garantie de vitalité.
Maurice Noël.
"Une Académie ? Jamais !", avait répondu Claudel qui, après un échec en 1935 face à Claude Farrère, deviendra - sans avoir, il est vrai, cette fois candidaté - académicien français en 1946. Ne jamais dire "jamais"...

(A suivre)

jeudi 25 décembre 2008

Jean Ajalbert - entre Goncourt & Mallarmé - souffle le chaud et le froid...

L'implication d'Ajalbert dans la fondation de l'Académie Mallarmé avait de quoi surprendre les échotiers, qui savaient que l'auteur avait prospéré surtout dans le roman de veine naturaliste et avaient oublié ses débuts de poète dans les petites revues symbolistes. On pouvait donc trouver naturel son appartenance à l'Académie Goncourt - n'avait-il pas adapté pour la scène la Fille Elisa - et proportionnellement suspect son engagement auprès d'Edouard Dujardin. Ajalbert avait-il quelque compte à régler avec les autres membres de la Goncourt ? Cet entrefilet du Figaro, du 16 octobre 1937, permettra-t-il de tirer de justes conclusions ? Le lecteur en jugera...

Le meneur de jeu
On est redevable à M. Jean Ajalbert de mouvements divers fort passionnés.

L'écrivain de Raffin-Su-Su portait-il envie à l'honneur que s'est réservé M. Roland Dorgelès d'introduire à la table de la place Gaillon un écrivain aussi excellent et aussi "Goncourt" que M. Carco ? Etait-ce jalousie amoureuse ? En est-il arrivé à une sombre détestation de ses collègues ? Le fait est que M. Ajalbert s'est institué le conseiller technique de M. Edouard Dujardin pour la mise en marche de l'Académie Mallarmé et, depuis ce temps, s'il déjeune chez "Mallarmé", il se refuse à s'asseoir chez les Goncourt. Est-ce goût de bouillant mousquetaire des Lettres à moustaches et à vaste chapeau ? M. Jean Ajalbert s'est mis sur le pied de guerre - inquiétant condottiere de presse, alertant les journalistes, semant le trouble et l'incertitude, Achille affamé de carnage...

Il faisait procès au président Rosny aîné d'avoir décidé l'élection pour le mercredi 13. Il orchestrait la presse en vue de faire reporter la cérémonie à huitaine, il découvrait des candidats, en changeait trois fois le jour, brouillait des traces et des chances. Une activité magnifique.

- Ajalbert a dit qu'il votait pour Benjamin, déclarait un journaliste.

- ... Pardon ! pour Marius Leblond, et je le sais de source directe, répliquait un confident.

- Non ! avec Léo Larguier pour Suarès, c'est sûr !

- Vous n'y êtes pas : pour Pierre Mille ! Il me l'a dit à moi-même...

Et il semblait bien vrai que l'auteur de Raffin-Su-Su avait dit tout cela... Dans le Petit Journal, le jour de l'élection, il annonçait même un bulletin pour M. Carco !

Ce fut un éclat de rire dans le salon de la place Gaillon lorsqu'on apprit comment se terminait ce tohu-bohu vertigineux : par l'envoi d'un bulletin blanc !

M. Jean Ajalbert a porté à une haute saveur les vertus électorales.
(A suivre)

mercredi 24 décembre 2008

Jean-Pierre Guillon m'écrit...

[Jean-Pierre Guillon fut l'ami d'André Breton et un compagnon de route, toujours actuel, du Surréalisme. Ses affinités poétiques et artistiques l'ont porté vers les oeuvres de Sade, Yves Tanguy, Maurice Fourré dont il a publié des textes inédits ou devenus rares. C'est avec un fort retard que j'entoile la longue et belle lettre qu'il m'écrivit le 25 octobre en réponse au questionnaire qui servit de base aux entretiens du printemps. Qu'il veuille bien m'excuser et accepter mes remerciements pour le témoignage de haut intérêt qu'il nous livre.]

Bain de Bretagne, le 25 octobre 2008,
Durant toute ma scolarité (primaire et secondaire), les cahiers changeaient d'année en année, selon le niveau et l'enseignant(e) : maths, français, rédaction, histoire-géographie, sciences... Un seul était immuable et me suivait, malgré les changements de salle et de classe : le cahier de "Poésies" (je crois même qu'on ne mettait pas de "s" au mot, comme s'il s'agissait d'une matière en soi : la Poésie !). J'y recopiais à la main (*) les poèmes qu'il fallait ensuite apprendre par coeur et savoir réciter debout devant l'ensemble de la classe. (Les petits malins, hésitants, se faisaient "souffler" les mots manquants par leur voisin de derrière, mais personne n'était dupe). Dans mon souvenir, outre des bribes de fables de La Fontaine, reviennent ainsi "Nous n'irons plus au bois" (de Banville, je crois), "Les pauvres gens" de Victor Hugo, "La Mort du loup", "La Conscience", "Demain, dès l'aube...", "L'Isolement" de Lamartine (**)... en tous cas rien de Saint-Pol-Roux, encore inconnu au bataillon, puisqu'à la fin des années 1950, le programme de la poésie s'achevait non sans mal (et encore, il faut voir comme !) sur "Fantaisie" ou "le dormeur du val" de Rimbaud, présenté d'abord comme un petit voyou ou un garnement bien doué, mais qui avait mal tourné.

Comme ensuite, à l'Université, j'avais choisi la filière "Lettres classiques" (en vue du professorat, et le plus vite possible - pour être indépendant), mes connaissances en poésie moderne (Apollinaire - Jarry - Péret - Breton et le surréalisme en bloc...) se firent à la diable, tout seul (car j'étais curieux de nature), ou dans le petit trio de trublions que nous formions (même sur le plan syndical et politique) Annie Le Brun, Hervé Delabarre et moi. Tout en restant nous-mêmes, il n'y avait alors guère de mal à choquer le public, puisque dans l'ensemble, les familles rennaises, la ville, son Université... etc, y étaient on ne peut plus réactionnaires/rétrogrades (?). En cours de littérature française, j'entendis parler de Diderot, de Maupassant, de Péguy (pouah !) mais de Saint-Pol-Roux jamais. Ca, je puis vous l'assurer. Tout cela pour vous dire qu'avant l'âge de 20 ans, je n'avais jamais rien lu de lui, connaissant peut-être, mais par des voies alors très détournées, son nom et son existence. Restons-en là, qui m'amène à l'année 1963.

C'est de ce moment, pour répondre à votre question de départ, que "date ma première rencontre avec la poésie de Saint-Pol-Roux" et vous comprendrez vite pourquoi elle est restée fixée dans ma mémoire et que je ne l'oublierai jamais, un homme valant - parfois - tous les livres du monde à lui tout seul.

Cet été-là, Régine, Hervé Delabarre et moi avions loué pour le mois de juillet un petit appartement à Morgat, dans la presqu'île de Crozon (farniente, plaisirs de la mer, balades, pique-niques dans ce beau coin du Finistère, pas encore envahi par les touristes...). Début août, comme prévu, nous traversâmes en "deux-chevaux" une partie de la France pour rejoindre à Saint-Circq La Popie dans le Lot, André et Elisa Breton qui nous y attendaient (il y avait là aussi Jean Benoît et Mimi Parent, Toyen, Robert Lagarde en famille, et par ci par là, de passage, Jehan Mayoux, Raymond Borde de Toulouse, Adrien et Simone Dax : une partie de l'égrégore surréaliste en somme !). J'avais loué une chambre chez l'habitant ; Régine et Hervé logeaient au dessus, et Toyen juste à côté, comme j'étais seul je n'avais nulle envie de faire des courses journalières pour me mettre à manger, reclus, en tête-à-tête avec moi-même. Tous les midis, je retrouvais donc Toyen, André et Elisa Breton, "auxquels" se joignaient les amis de passage, dans la charmante petite auberge du village. Il pouvait y avoir des propos sérieux, mais c'était selon l'humeur des uns et des autres, et suivant le temps. Aucun sujet, en tous cas a priori, n'était tabou. Apprenant que nous arrivions de Morgat et de la presqu'île de Crozon, en Bretagne, "comment, s'étonna Breton, vous n'êtes même pas allés à Camaret ! Vous étiez à deux pas, et vous n'avez pas été voir " le château" du grand poète Saint-Pol-Roux, les ruines qu'il en reste aujourd'hui tout au moins !" Et à la surprise générale, sans nul souci du ridicule, il se mit à réciter à haute voix, devant tout le monde, un long poème de Saint-Pol-Roux : "Frappez, et l'on vous ouvrira."
"J'allais plein d'Elle.
Son nom ?
Le sais-je !
L'inconnue.
Existait-elle seulement ?
Elle, sans plus.
J'allais...

(...)

Toc...
Eh laissons-lui le loisir de se blottir en la tulipe d'une robe !
Enfin !
Dieu, la belle dame !
Le moment est propice
Toc toc...
J'entre."
Il le connaissait par coeur, et quand il eut fini, s'arrêta, là encore le plus naturellement du monde. Les choses reprirent ensuite, et il dit quelques mots de ce que représentait pour lui la poésie de Saint-Pol-Roux (sans évoquer - cela ne m'étonne qu'aujourd'hui, 40 ans plus tard - ses propres visites dans les années 20 au manoir du Toulinguet, ni le scandale qu'occasionna le banquet Saint-Pol-Roux de 1925).

Ainsi mis brillamment sur la voie, "initié" au plein sens du terme, je profitai de la chance qui voulut qu'on reparla un peu du vieux solitaire pour me procurer l'étude (avec photos et florilège) que lui consacrait Théophile Briand chez Seghers dans sa collection "Poètes d'aujourd'hui", et - par l'intermédiaire d'amis parisiens - d'introuvables Anciennetés. Ma femme et moi qui habitions tout près, à Quimper, connaissant mieux maintenant l'existence terrestre du poète, nous sommes rendus très souvent, seuls à deux ou avec d'autres, dans son manoir sans toit et en ruines, entre les menhirs de Lagatjar et l'Océan en contre-bas, à perte de vue. Puis ce fut l'abondante anthologie donnée au "Mercure de France" (***) par Alain Jouffroy qui ouvrait plus largement les allées où étaient rangés les reposoirs de la procession, et enfin les éditions successives d'inédits, toujours riches en trouvailles, proposées au fil des ans par René Rougerie. (Je crois bien que je me les suis procurés tous, au fur et à mesure de leur parution - mais je n'avais aucun mérite à cela, moi qui n'avais même pas à les chercher, un de mes amis ayant ouvert à Quimper une librairie nommée "Calligrammes", où tous les livres de Rougerie se trouvaient d'office en dépôt. Même pas de commande à faire, et le tour Saint-Pol-Roux était joué !)

Des vers ou des lignes préférées ? Le qualificatif "préférées" n'a ici pour moi pas grand sens. (Je suis depuis un bout de temps et encore pour un bont de temps, dans un hôpital, et je n'ai aucun livre avec moi ! Alors, vous pensez bien, un recueil de S.P.R., sur la table de nuit, entre le téléphone et le verre à médicaments !). De tête, me revient surtout "La charmeuse de serpents", écrite à la foire de Montmartre et dédicacée à Jarry : "Sur l'orteil, nichons de proue, publique, elle se cambre, à poils... - en sa maligne apothéose de révolutions, un sifflet de vipère entre ses lèvres de cerise". Là se condense pour moi tout Saint-Pol-Roux, capable de passer du langage le plus populaire, voire le plus cru ("Les Trous-du-cul, ce sont maints critiques modernes", n'est-ce pas ?) aux déliciosités symbolistes et au tour volontiers décadent, très "fin de siècle" (le XIXe bien sûr !). En ce sens, on peut bien dire que son style, son art est très daté, et c'est la chose qui lui a le plus nui. (Remarquez que "daté", le vôtre l'est aussi : si "les visiteurs du soir" m'évoquent quelque chose, par contre une expression comme "les visiteurs du blog" ne me dit, à moi, rien, mais vraiment rien du tout !)

Une anecdote personnelle ?.. Pendant une dizaine d'années, j'ai été professeur de français-Histoire dans un collège rural du Centre-Finistère. Une fois par an, j'accompagnais ma collègue de sciences qui amenait nos élèves voir les curiosités géologiques de Camaret et des environs (les étonnants "rippel-mark" de la plage - dont j'ai oublié le nom - en particulier), tandis que le reste du groupe venait avec moi explorer les ruines du château de S.P.R. et les alentours. A midi, rencontre des 2 mini-groupes, pique-nique sur la plage en bas de la falaise et baignade pour les volontaires et les amateurs. Un jour, à marée basse, avec quelques enfants, nous avons exploré le champ de galets que la mer en se retirant avait laissés sur le sable. Quelle ne fut pas, ce jour-là, ma surprise d'en trouver deux côte à côte, "marqués" très distinctement des chiffres 6 et 9 (69) juste en bas du château !



"Pour M. Guillon", lança, l'air amusé, l'un des adolescents qui connaissaient tous au moins la chanson de Serge Gainsbourg : "69, année érotique". On en resta là, mais je ramenai précieusement ces deux trouvailles à la maison...

Par la suite, tant en vers qu'en prose, j'ai fait appel à St.P.R. quand j'en avais besoin, et je peux dire que - même dans son côté parfois "maniéré" -, j'aime sa poésie.
Bien à vous,
J.-P. Guillon.
Pour le "portrait chinois", je verrais peut-être plus tard...
* Dans le 2e tome de L'Alchimie expliquée sur ses grands textes classiques, Eugène Canseliet parle incidemment, au départ, des "vertus" de la pratique manuscrite, au regard des facilités de la photocopieuse, qui est de règle aujourd'hui (mais je n'ai pas les références exactes en tête ! Il serait facile de les retrouver...) - pour éviter la condamnation rapide de "réactionnaire".
** Je revois notre jeune professeur de français de l'époque transcrivant mot à mot "L'Isolement" au tableau noir. Nous en suivions la progression sur notre cahier, strophe par strophe :
"Souvent, sur la montagne, à l'ombre du vieux chêne,
Au coucher du soleil, tristement je m'assieds...
Un seul être vous manque, et tout est dépeuplé."
(Je connais encore ce texte "sur le bout des doigts"). Quelques heures plus tard, je retrouve ce jeune prof dans la rue, avec une femme - "sa" femme peut-être. Il m'annonce alors que nous aurons un remplaçant la semaine suivante, puisqu'il vient de recevoir "sa feuille de route" militaire pour partir à la guerre en Algérie. En me la montrant, il ne peut retenir ses larmes. La femme essaie de le calmer et de le consoler, mais c'est peine perdue. Je suis très ému et je n'oublierai jamais cette scène (je revois même le coin de la rue).
*** On y trouvait, entre autres, un long texte en prose La Randonnée qui pourrait être conseillé à qui voudrait entrer dans l'univers de S.P.R. : "Nous entrons en couteau dans le pain (ou le fruit) des villages", dit-il pour traduire son étonnement devant cette nouveauté, engendrée par l'automobile : la vitesse dans le mouvement ! En sens inverse, comme le signale quelque part Julien Gracq, le type de maison moderne se trouve amputé de nos jours de la cave et du grenier : la poésie à venir s'en trouvera, par rapport à celle d'hier et d'aujourd'hui, toutes chamboulée...

mardi 23 décembre 2008

L'Académie Mallarmé, d'après Jean Ajalbert & "Le Mercure de France"

Jean Ajalbert, qui siégeait déjà à l'Académie Goncourt, parce qu'il avait sacrifié très-jeune, après quelques velléités poétiques, ses talents de versificateur impressionniste à la romanogénèse post-naturaliste, dut ressentir, au moment où l'on fêtait le cinquantenaire du symbolisme, un peu de nostalgie, et trouver que d'appartenir à une académie unique était insuffisant. Aussi devint-il le logisticien zélé de l'Académie Mallarmé et le conseiller d'Edouard Dujardin, l'âme de cette digne entreprise. En réalité, il ne devait pas faire preuve de beaucoup d'imagination puisqu'il décalqua le protocole de la Mallarmé sur celui de la Goncourt, lui empruntant même son célèbre restaurant, le Drouant de la Place Gaillon, comme quartier général et électoral.

Ajalbert fut donc très-actif dans les semaines et les jours qui précédèrent la naissance officielle de l'Académie des poètes. Le 15 février 1937, il donna à Paris-Soir un article, "Douze de la poésie créent l'Académie Mallarmé", dont le Mercure de France fit un compte rendu dans sa rubrique des "Journaux" ; c'est ce dernier que je reproduis ici :

Bulletin de naissance de l'Académie Mallarmé
(Paris-Soir, 15 février)
Académie, dit le "Quillet" : Société de personnes qui se réunissent pour s'occuper de littérature, de sciences, de beaux-arts, etc.
Académie, dit le "Larousse" : Ecole philosophique fondée à Athènes, dans les jardins d'Académos, par Platon.
M. Jean Ajalbert, qui dans Paris-Soir cite ces définitions, ajoute :
Laissons tous les dictionnaires, de Vapereau et de Bescherelle à Littré. Aucun ne nous fournirait une définition pertinente de l'académie qui vient de se fonder. C'est une sorte de monument vivant et perpétuel, un temple du culte à la mémoire du poète crucifié par la foule de ses contemporains, écouté avec une ferveur comme religieuse par une jeunesse croyante autour de son enseignement, aujourd'hui, - je ne voudrais pas être divinisé, - mais dressé comme l'image la plus pure, comme le symbole même de la poésie...
Ce poète, comment ne serait-ce pas Mallarmé ? L'Académie Mallarmé prolongera son souvenir, tant sous le toit du Val-Changis, la propriété de M. Edouard Dujardin à Avon-Fontainebleau, vouée à être aménagée en "Maison de Retraite des Poètes", que dans les salons de chez Drouant, où nos Mallarméens décerneront un prix, et à la Bibliothèque nationale.

Douze de la poésie créent l'Académie Mallarmé, ainsi est intitulé l'article de M. Jean Ajalbert. Douze, pas longtemps. M. Francis Jammes, puis M. Paul Claudel, puis M. André Gide, avons-nous lu, ont fait connaître qu'ils ne seraient pas de la nouvelle académie. Ce n'est pas qu'ils se réservent pour l'Académie française : parmi les membres de l'Académie Mallarmé, on remarque M. Paul Valéry, qui, pour être des Quarante, n'a pas craint un double emploi. Et l'article de Paris-Soir est signé, précisons : "Jean Ajalbert, de l'Académie Goncourt et de l'Académie Mallarmé."

C'est tant mieux qu'un certain nombre des familiers de la rue de Rome, au lendemain du cinquantenaire du Symbolisme, songe à perpétuer la mémoire du poète d'Hérodiade. Nous venons de nommer Ajalbert, Valéry, Dujardin. Nommons Vielé-Griffin, Saint-Pol-Roux, Albert Mockel, Maeterlinck, A.-Ferdinand Herold, Paul Fort, André Fontainas.
Deux jours après que parut l'article d'André Billy, les Treize, futurs Quinze, étaient en voie de perdre trois de leurs membres, pour n'être plus que Dix. Ils auraient d'ailleurs pu/dû n'être que les Neuf, car l'un d'entre eux, et pas des moindres, ne remplissait pas l'essentielle condition pour appartenir au groupe des fondateurs, celle d'avoir fréquenté chez Mallarmé. L'un des dix n'était pas un familier de la rue de Rome et n'y mit même jamais un doigt de pied. Nous verrons lequel bientôt...

(A suivre)

lundi 22 décembre 2008

Petite histoire de l'Académie Mallarmé : les préparatifs...

J'entame aujourd'hui une série de billets qui retraceront, pas nécessairement de manière chronologique, l'histoire de l'Académie Mallarmé, dont Saint-Pol-Roux fut l'un des fondateurs puis, à la mort de Francis Vielé-Griffin, le deuxième président. Il y sera question des toutes premières années, qui sont celles qui nous intéressent, et, dans la mesure du possible, je m'effacerai pour laisser place aux documents et commentaires d'époque.

C'est à la suite du beau succès obtenu auprès du public par le Cinquantenaire du Symbolisme qu'Edouard Dujardin eut l'idée, avec quelques camarades, - au premier rang desquels : Jean Ajalbert & André-Ferdinand Herold -, de fonder une Académie Mallarmé, qui fût à la poésie ce que l'Académie Goncourt était pour le roman. Dès le 20 décembre 1936, le poète d'Antonia avait écrit à Saint-Pol-Roux pour le mettre au courant du projet et l'inviter à y participer :
"Nous comptons sur ton adhésion, cher ami ; on tâchera de t'avoir un permis pour que tu puisses venir participer à notre réunion de fondation l'année prochaine..."
Une semaine plus tard, le Magnifique répondait à son vieil ami qu'il pouvait compter sur lui. Et le 13 février 1937, André Billy divulguait, dans ses "Propos du Samedi" des pages littéraires du Figaro, la naissance imminente de l'Académie nouvelle :
Le 5 décembre dernier, j'annonçais ici que les poètes auraient bientôt, dans le département de Seine-et-Marne, leur maison de repos. Le Conseil général de ce département avait en effet, sur la proposition de MM. Pierre Mortier et Jacques-Louis Dumesnil, sénateur, voté une somme annuelle de vingt-cinq mille francs destinée à assurer la vie matérielle d'un vieux poète dans un domaine appartenant présentement à un écrivain dont je ne me croyais pas autorisé à dire le nom, domaine qui deviendrait la maison de repos des poètes, des poètes symbolistes de préférence.

Rien ne s'oppose plus aujourd'hui à ce que je sorte de la réserve qui s'imposait encore il y a deux mois. Disons donc que la propriété donnée au département de Seine-et-Marne, à charge pour lui d'y faire les frais d'un "lit" auxquels seront joints d'autres "lits" entretenus par d'autres bienfaiteurs, n'est autre que le Val-Changis d'Edouard Dujardin. Depuis trente-cinq ans tout ce qui compte dans la littérature symboliste, post-symboliste et même dans le roman et le journalisme, tous les pèlerins de Valvins ont passé sous les beaux ombrages du Val-Changis et dîné aux flambeaux dans la grande salle à manger au mur de laquelle s'enlève, peint par Anquetin, un nébuleux mais vraiment triomphal triomphe d'Apollon.

"Nous aurons probablement l'occasion d'en reparler, disais-je le 5 décembre en fin d'article. On m'assure qu'il s'agirait de quelque chose de mieux encore qu'une maison de retraite." J'étais en réalité plus précisément informé que je ne voulais en avoir l'air. Je savais qu'il s'agissait d'une Académie destinée à être à la poésie symboliste ce que l'Académie Goncourt a été, et qu'elle est encore, au roman naturaliste. Ce sera l'Académie Mallarmé. Sa réunion constitutive aura lieu vendredi prochain, 19 courant, dans un restaurant, autour d'une table généreusement servie. Là ne s'arrêtera pas d'ailleurs sa ressemblance avec l'Académie Goncourt. Elle décernera chaque année un prix, mais il est vrai que cette récompense sera purement honorifique et qu'au lieu d'aller à un jeune romancier d'avenir elle ira à un vieux poète méconnu.

Plus nombreux que les Dix, les membres de l'Académie Mallarmé seront quinze ; ce seront les Quinze. Ils ne sont pour le moment que douze, peut-être même que onze, car l'acceptation de l'un d'eux n'est pas certaine à l'heure où j'écris. Tous les douze, ils ont connu Mallarmé et se sont assis sous la suspension familiale, dans la légendaire salle à manger de la rue de Rome. Par rang d'âge, voici leur liste : Saint-Pol-Roux, Edouard Dujardin, Maurice Maeterlinck, Jean Ajalbert, Francis Vielé-Griffin, André Fontainas, Ferdinand Hérold, Albert Mockel, Francis Jammes, André Gide, Paul Valéry et Paul Fort.

On remarquera que cette liste comprend un membre de l'Académie française, un membre de l'Académie Goncourt, trois Belges et un Américain du Nord. D'où il est permis de conclure déjà que chez les Quinze ne règnera pas un exclusivisme jaloux. L'Académie Mallarmé aura l'esprit large et accueillant.

Les douze participants de l'assemblée constituante auront à élire, l'automne prochain, les trois collègues qui leur manquent encore afin que leur nombre effectif soit porté à quinze, mais ils ne se croiront pas obligés d'aller les chercher parmi les anciens familiers de la rue de Rome et de la petite maison de Valvins. Ils pourront choisir trois poètes n'ayant pas connu Mallarmé. A MM. Robert de Souza et Camille Mauclair, ils pourront préférer M. Royère, par exemple. Je ne sais si le nom de M. Paul Claudel a été mis en avant. C'est probable. Mais M. Claudel accepterait-il ? Au surplus, les candidats ne manqueront pas, on peut être tranquille à ce sujet. Encore devront-ils remplir cette condition essentielle d'être, moralement du moins, sinon esthétiquement, dans la pure tradition mallarméenne ; ils devront avoir été, par leur vie comme par leur oeuvre, des exemples de désintéressement et de dévouement à la cause de l'Art et de la Poésie.

L'Académie Mallarmé ne se réunira pas obligatoirement à la maison de repos du Val-Changis, à Avon ; elle y sera néanmoins chez elle, car cette maison de retraite sera placée sous son patronage.

Comme on le voit, les Quinze ne se donnent pas pour plus jeunes qu'ils ne sont et l'idée de retraite et de repos ne leur fait pas peur. Ils sont parfaitement décidés à ne pas prendre en mauvaise part les plaisanteries faciles que les échotiers ne manqueront pas de faire sur leur moyenne d'âge, plus élevée sans doute que celle de l'Académie Goncourt. Ils auront raison. La vie académique a pu, autrefois, s'accomoder de la jeunesse ; c'était quand les académies travaillaient et qu'on exigeait d'elles une certaine activité intellectuelle. Il n'en est plus ainsi. Le rôle des académies est devenu simplement décoratif. Aussi ne sommes-nous point partisans du rajeunissement de l'Académie française. Nous réclamons au contraire son vieillissement et souhaitons de ne plus y voir jamais entrer des écrivains aussi jeunes que Jacques de Lacretelle. Il faudrait que tous ceux qui entrent à l'Académie fussent assez âgés pour ne pouvoir courir le risque d'y vieillir prématurément.
André Billy.
Quelques petits commentaires : l'article d'André Billy reprend, en les développant, les informations que Dujardin avait communiquées le 20 décembre 1936 à Saint-Pol-Roux ; on peut donc supposer que le journaliste avait été mis au parfum par l'auteur des Lauriers sont coupés lui-même. Certains détails sont néanmoins suspects et semblent inventés ou extrapolés par André Billy : la maison de repos du Val-Changis était destinée aussi bien au poète retraité qu'au jeune poète fatigué, et non au seul usage du premier ; le prix devait bien être doté et son lauréat, contrairement à ce qu'affirme l'article, désigné parmi les poètes ayant publié un recueil au cours de l'année, jeune plein d'avenir ou vieux méconnu. En ce qui concerne Claudel, il avait bien été pressenti pour faire partie des fondateurs : dans sa lettre dactylographiée à Saint-Pol-Roux, Dujardin avait ajouté son nom à la main, entre Mockel et Gide. Celui dont l'acceptation n'était pas certaine à l'heure où Billy écrivit ces lignes, c'était Francis Jammes, qui fera d'ailleurs faux bond à ses amis symbolistes. Mais il ne sera pas le seul...

(A suivre)

dimanche 21 décembre 2008

Francis Jammes & Saint-Pol-Roux, de Paris et Bretagne en Béarn...

On a trop peu dit, en cette année de célébrations aurevillienne et gourmontienne, qu'il y avait aussi de nombreuses raisons de fêter Francis Jammes, qui naquit le 2 décembre 1868, publia, au Mercure de France, son recueil le plus illustre en 1898, et mourut le 1er novembre 1938. Bref, 2008 n'est pas seulement le cent-quarantième anniversaire de sa naissance ; 2008 est aussi le cent-dixième anniversaire de la parution de De l'Angelus de l'aube à l'Angelus du soir et le soixante-dixième anniversaire de sa mort. Trois bonnes raisons en vérité de ne pas terminer l'année sans saluer ce singulier poète.

Ce n'est pas que je sois un fervent lecteur et amateur du Béarnais, mais il faut concéder que son entrée, discrète d'abord, non dénuée d'ironie ensuite, sur la scène littéraire de la fin du XIXe siècle, ne fut pas sans conséquence sur l'évolution de la poésie. Jammes fut, en son temps, une figure majeure des lettres ; on lui doit, à coup sûr, d'avoir accéléré le retour à la Vie et à la simplicité que pensaient avoir ressuscité les naturistes de Saint-Georges de Bouhélier, et que chantèrent, avec plus d'assurance, après l'avènement de Francis Jammes, nombre de symbolistes de la première génération. Il n'est que de lire la Simone de Remy de Gourmont pour constater que l'influence du jammisme toucha même le plus indépendant des écrivains. Le poète béarnais apportait avec lui sa petite révolution, bousculant les cadres de l'alexandrin, estompant, avec le génie qui manquait au pauvre Coppée, les frontières entre le vers et la prose. Un vent salubre descendait des montagnes, mouillé des postillons du gave, pour éventrer les fenêtres de la Ville et rafraîchir ces messieurs de Paris...

Voilà qui devait séduire Saint-Pol-Roux, dont les théories idéoréalistes avaient, cinq ans plus tôt, dénoncé les dérives nombrilistes et sur-idéalistes du symbolisme. Et voilà qui séduisit Saint-Pol-Roux à qui Jammes avait adressé De l'Angelus de l'aube à l'Angelus du soir, et qui le remercia en des termes qui célèbraient la fraîcheur et la liberté du poète :
"Des aristarques émettront que Francis Jammes déconcerte parfois, souriez à ces propos, le génie n'est-il pas une gifle perpétuelle à l'humanité ou du moins aux habitudes humaines, ces allusions amassées par les pédants et autres constructeurs de digues, de chaînes et de carcans ?" (lettre du 28 avril 1899)
Le Magnifique aimait la spontanéité de Jammes, sa bonté, sa naïveté, c'est-à-dire son sentiment de la nature. Quelques mois avant sa lettre, il avait d'ailleurs écrit, à l'occasion de l'élection du nouveau Prince des Poètes : "Je soupçonne [Francis Jammes] de prendre, pour encre, de l'eau de source, et, pour papier, des ailes de libellule".

Il n'y eut pas, à proprement parler, amitié entre les deux hommes, mais un respect jamais démenti qui les conduisit à s'échanger leurs publications et à s'écrire quelques fois. Malheureusement, de leur correspondance, nous ne connaissons que deux lettres : la première, fort belle, de Saint-Pol-Roux à Jammes, dont j'ai extrait les lignes ci-dessus, est conservée à la Bibliothèque Littéraire Jacques Doucet sous la cote Ms-alpha 3656 ; la seconde, de Jammes à Saint-Pol-Roux, est, me semble-t-il, conservée par la très-active Association Francis Jammes, où je crois l'avoir consultée, à moins qu'il ne s'agît d'une photocopie, auquel cas l'originale pourrait bien se trouver aussi à Doucet. Cette dernière, qui a été reproduite à plusieurs reprises, prouve que le Magnifique avait envoyé De la Colombe au Corbeau par le Paon (Mercure de France, 1904) à son confrère, comme il avait dû lui faire parvenir, trois ans plus tôt, La Rose et les épines du Chemin où se trouve "Chapelle de Hameau", court poème en prose qui lui est dédié. Aucun recueil de Saint-Pol-Roux ne figure hélas dans la bibliothèque de Jammes reconstituée dans la maison Chrestia à Orthez, siège de l'association. Mais ce billet, daté de la Noël 1934, confirme bien que le volume des Reposoirs de la Procession avait rejoint les rayonnages béarnais, en excellente compagnie :
"Mon cher Saint-Pol-Roux,

Votre livre est tellement beau que je vais le placer dans ma toute petite bibliothèque, et sur un étroit rayon de miel réservé à très peu, sur le même rayon où voisinent La Fontaine, Rousseau, Cervantès, et quelques très rares modernes dont : Maeterlinck, Rimbaud, Gide et Claudel.

Vous voyez que, de tout cœur, et passionnément j’aime votre poésie.
Francis Jammes"
Et ce n'étaient pas de simples mots puisque ce dernier, en retour, lui offrira, ornés d'affectueuses dédicaces, de nombreux volumes. Le prochain Bulletin des Amis de Saint-Pol-Roux, qui est un essai de reconstitution de la bibliothèque de Saint-Pol-Roux, en recense déjà six.

Ce n'étaient pas de simples mots puisque la poétesse Jeanne Perdriel-Vaissière, rendant visite à Francis Jammes le 22 mai 1914, écrivit dans son journal : "Nous parlons ensuite de Saint-Pol-Roux qu'il admire, sur la vie privée duquel il aimerait à savoir quelques détails..." Témoignage important, difficilement contestable, et l'on se prend à rêver d'une rencontre entre les deux poètes, rencontre qui ne se fit pas, physiquement. Il aurait pourtant suffi d'un coup du destin, après-guerre. Le Magnifique, dont la famille et les finances n'avaient guère été épargnées par le conflit, avait alors entrepris de quitter la Bretagne et tenté de vendre le manoir pour retourner dans le Midi ; le hasard lui fit porter son dévolu sur Pau où venait de se libérer le poste de conservateur du Musée national. Saint-Pol-Roux présenta sa canditature par lettre à M. Honnorat, alors ministre de l'Instruction publique et des Beaux-Arts, aidé dans sa démarche par André Antoine qui usa de sa notoriété auprès des influents Béarnais, Louis Barthou et Léon Bérard. En vain. Le poète n'obtint pas le conservatorat du Musée national de Pau et fut contraint de demeurer en Bretagne, où sa condition finit par s'améliorer, un peu. Mais si Saint-Pol-Roux avait migré dans le Béarn, on imagine assez bien qu'il n'aurait pas manqué de rendre visite à Jammes, à Orthez ; les deux poètes auraient sans doute lié, malgré leurs différences, nombreuses, amitié - et je les vois parfaitement randonnant sur quelque sentier pyrénéen ou le long du gave, accompagnés de leurs chiens respectifs, - pendant que Divine joue les grandes soeurs auprès des sept enfants Jammes -, bataillant, comme on dit dans le coin, à propos de l'évolution de la poésie, de la religion et du bon vieux temps du symbolisme... Oui, j'en suis persuadé, ces deux-là, non sans disputes et brouilles, n'auraient pas manqué d'être amis.

Ils auront fini par se rencontrer, à Paris, au milieu des années 1930, peut-être lors des festivités du cinquantenaire du symbolisme en 1936. Mais c'était un peu tard... Jammes refusa, parce que son nom avait été cité parmi les académiciens sans son acceptation officielle, de participer à la fondation de l'Académie Mallarmé. Saint-Pol-Roux, lui, en était. Dernière occasion manquée. Il fallut attendre la mort du poète béarnais pour que leurs deux noms fussent de nouveau réunis ; Saint-Pol-Roux donna, dans un numéro spécial de LA PHALANGE (n°36-38, 15 novembre 1938-15 janvier 1939), un sonnet, sobrement intitulé "A Francis Jammes" où se lit le fraternel salut du Magnifique à l'humble éolien d'Hasparren...
Cygne précipité des neiges de Navarre
Avec un chant d'amour au nid de marbre noir,
Sois béni d'amender notre plaine barbare
Où ton miracle va lever de l'aube au soir...
N'est-il pas significatif de retrouver, en cet hommage, comme ultime preuve de fidélité, une référence au premier recueil important de celui qui, digne du poète idéoréaliste, vécut "parmi la Rose des Sensations - lesquelles ne sont que le frémissement des Idées" ?

Aussi était-il naturel, quoique sa poésie - à l'exception de quelques rares poèmes - ne m'émeuve guère, de saluer, en ce triple anniversaire, sur ce blog dédié à Saint-Pol-Roux, l'un de ses frères cadets en poésie : le poète Francis Jammes.

Nota : L'Association Francis Jammes ne m'a évidemment pas attendu pour célébrer son poète ; la maison Chrestia (7, avenue Francis Jammes, à Orthez) accueille depuis le 17 octobre une grande exposition présentant panneaux, tableaux, documents originaux et deux petits films sur Jammes. L'exposition est visible du lundi au vendredi de 10h à 12h et de 15h à 17h jusqu'au 28 février 2009. Plus d'informations ici.