dimanche 30 août 2009

"Mes souvenirs" sur le Théâtre-libre, réédités par Patrick Besnier chez Du Lérot

"La Vérité Dramatique n'a rien de commun avec ce qu'on est convenu de nommer la Réalité. Mais le théâtre, sapristi, c'est une seconde création faite de la combinaison de ce qui est et de ce qui devrait être. La loi du théâtre c'est le Meilleur. Le théâtre est donc un art au-dessus. Le Théâtre-libre restera donc la plus grande erreur du siècle. Antoine a tué, momentanément, Shakespeare. Et voyez comme à sa suite ils ont tous théâtrisé, ceux qui n'ont pas pour un sou le sens du théâtre, ah les calices des lettres y sont allés d'une telle diarrhée que les dramaturges, les vrais, en furent constipés". (Poésie Présente, n°85, octobre-décembre 1992, p. 25-26)
Les poètes symbolistes - et Saint-Pol-Roux - ne furent pas toujours des plus bienveillants envers André Antoine et l'entreprise théâtrale qui le rendit célèbre. Pour le moins. La citation donnée plus haut en est un exemple. On en trouverait d'autres chez d'autres poètes, et d'autres encore dans les écrits de Saint-Pol-Roux. Et pourtant, quelques lignes plus bas, le Magnifique pouvait écrire en toute honnêteté : "Je suis, je crois être un sincère ami d'Antoine, et toutes ces choses je les lui ai à peu près dites durant un mois que je voisinais avec lui à Camaret". Car aussi étrange et contre-nature que cela puisse paraître, le créateur du Théâtre-libre et le héraut du Magnificisme étaient amis. D'une amitié qui n'allait pas sans disputes et sans brouilles durables, mais qui fut comme fraternelle : l'aîné et le cadet se reprochant respectivement leurs choix opposés et se retrouvant finalement chaque été devant la réconciliatrice bouillabaisse. Car ils étaient aussi voisins ; Saint-Pol-Roux demeurant à Camaret toute l'année et Antoine y villégiaturant estivalement depuis les premières années du Théâtre-libre pour s'y reposer des saisons de luttes et d'inquiétudes. Bref, humainement ces deux s'appréciaient beaucoup et se reconnaissaient d'indéniables qualités. Ainsi, Saint-Pol-Roux pouvait dire d'Antoine, à la suite du texte cité : "j'ai une grande estime pour son énergie, comme j'apprécie toutes les énergies d'en haut ou d'en bas..."

L'énergie d'Antoine, voilà bien ce qui ressort de la lecture de "Mes souvenirs" sur le Théâtre-libre, qui parurent en 1921, et que Patrick Besnier vient juste de rééditer chez Du Lérot. Est-ce d'avoir commencé comme employé de la Compagnie du Gaz qui lui en donna tant ? Antoine, passionné de théâtre, lisant tout, fréquentant les salles en tant que spectateur d'abord, puis comme acteur et directeur, fut avec une admirable constance un acharné, un combattif entêté, un révolutionnaire. A l'origine, il y eut le Cercle gaulois, association d'amateurs, qu'il avait rejoint après avoir échoué à l'examen d'admission du Conservatoire ; très-vite le répertoire lui avait semblé vieillot et il entreprit de le moderniser en ne programmant que des pièces inédites. Au Cercle gaulois, on prit peur un peu de l'audace d'Antoine et de ce chamboulement, et on se retira. Il fallait donc créer une compagnie : ainsi naquit le Théâtre-libre. Le premier programme, qui avait effrayé la petite association, annonçait quatre pièces, parmi lesquelles : "Jacques Damour, drame en un acte tiré par M. Léon Hennique d'une nouvelle de M. Zola" & "Mademoiselle Pomme, farce en un acte, par Duranty et Paul Alexis", qui à elles deux réunissaient trois des hommes de Médan. Voilà qui suffisait à lancer la légende durable d'un Antoine, metteur en scène naturaliste. Non pas qu'elle fût entièrement infondée. Car il est vrai que le répertoire du Théâtre-libre propose de nombreuses oeuvres issues de ce mouvement, car il est tout aussi vrai que le génie d'Antoine fut de tordre le cou à quelques conventions théâtrales ridicules et désuettes, imposant naturel au jeu d'acteur et forçant tant qu'il put l'illusion du réel : et ce furent les fameux quartiers de viande des Bouchers de Fernand Icres, mais aussi l'apparition de foules sur scène, des accessoires et costumes empruntés au quotidien, etc. Pour autant, on aurait tort de voir en Antoine l'homme ou le défenseur d'une doctrine. Le Théâtre-libre joua aussi les poètes : Banville, Mendès, des parnassiens certes mais qui donnèrent des féeries, des vers bien éloignés des bas-fonds et prostituées naturalistes, puis Ephraïm Mikhaël, dont le Cor fleuri fut sifflé par les spectateurs parce qu'il jurait justement dans une programmation plus réaliste ; Antoine ne s'était-il d'ailleurs pas attaché la collaboration de Rodolphe Darzens ? Et la liste est longue des auteurs, de tous courants, qui furent accueillis par le Théâtre-libre : Ajalbert, Alexis, Ancey, Banville, Barrès, Becque, Bergerat, Björnson, Céard, Coolus, Courteline, de Curel, Darien & Descaves, Duranty, de Goncourt, Guiches, Hauptmann, Hennique, Ibsen, Jullien, Lecomte, Margueritte, Mendès, Méténier, Porto-Riche, Strindberg, Tolstoï, Zola, etc. Et ils furent joués surtout parce qu'on ne les jouait pas ailleurs. Le Théâtre-libre, ce fut une sorte de dramatique salon des refusés. Preuve qu'Antoine fut une énergie doublée d'une haute intelligence. Ceux que la Comédie-Française ou l'Odéon décidaient, après lecture et attermoiements, de ne pas représenter, le jeune directeur leur ouvrait les bras et le rideau, profitant tout à la fois d'une publicité gratuite, de la curiosité suscitée par le refus, et de l'effet de nouveauté. Le Théâtre-libre, en outre, pouvait se permettre toutes les audaces ; ses spectacles étant donnés pour un public d'abonnés lors d'une soirée unique, il échappait à la Censure.

Antoine fut un courant d'air qui balaya bien des habitudes poussiéreuses du théâtre embourgeoisé du XIXe siècle. Point d'étonnement, donc, si l'oncle Sarcey fut son plus fidèle opposant. Le Théâtre-libre imposa une nouvelle manière de penser la dramaturgie, la mise en scène, une nouvelle façon de jouer. Son succès - non pas financier, et la fin de l'entreprise est à ce propos pathétiquement significative - est indéniable. Preuve en est que les refusés de la veille devinrent progressivement les officiels du lendemain et que nombre des comédiens d'Antoine furent débauchés du Théâtre-libre pour faire carrière sur de plus hautaines scènes. Car c'était une bonne école de comédie et on pourrait presque avancer que le Théâtre de l'OEuvre en est sorti, en la personne d'Aurélien Lugné-Poe qui débuta réellement chez Antoine. Ce dernier ne rendit d'ailleurs pas aux symbolistes leur hostilité quand ils décidèrent de créer leur propre entreprise théâtrale ; ainsi peut-on lire à la date du 17 janvier 1891 :
"Un comité de poètes s'est formé pour créer un Théâtre d'art qui donnera bientôt, à la salle Montparnasse, des pièces de Pierre Quillard, Rachilde et Stéphane Mallarmé. C'est fort bien, car le Théâtre-libre ne suffit plus, d'autres groupements deviennent nécessaires pour jouer certaines oeuvres que nous ne pouvons pas réaliser chez nous. Je n'y vois pas une concurrence, mais un complément dans l'évolution qui s'accélère."
Antoine se trompa souvent, certes, en ne jouant pas La Dame à la Faulx de son ami Saint-Pol-Roux notamment, mais on ne peut lui enlever ceci, que la postérité doit retenir : il vivait le théâtre et il en fut un dévoué serviteur.

"Mes souvenirs" sur le Théâtre-libre retrace les huit années d'existence de cette aventure. Le livre se présente sous la forme d'un journal que l'auteur a complété pour la première édition chez Fayard (1921) ; il y a parfois des erreurs de dates, des confusions, que corrigent les annotations fort utiles et savantes de Patrick Besnier. Les notes contribuent, en outre, à nous rendre plus familières les coulisses de la fin-de-siècle théâtrale, et la première d'entre elles (p. 27) - gloire à Patrick Besnier pour cette information nouvelle ! - me donna la probable réponse à une question improbable que je me posais depuis quelques mois : que diable faisait donc Paul Roux, futur Saint-Pol-Roux, à l'inauguration du monument funéraire de Duranty, fin avril 1887 ? Eh bien, figurez-vous qu'il appartenait simplement à un groupe montmartrois d'alors, La Butte, où fréquentèrent aussi Randon-Rictus, Aurier, Ajalbert, Alexis, etc.
ANTOINE, "Mes souvenirs" sur le Théâtre-libre, édition établie et annotée par Patrick Besnier, DU LEROT, éditeur, Tusson, Charente - 272 p. (35 €).

vendredi 28 août 2009

M. Jules Claretie, l'administrateur du Français, ne manque pas d'humour...

C'est là une fatalité de la recherche : elle ne s'achève jamais. Et les documents, parfois, surgissent quand on ne les attend plus, ou pas, car rien n'en laissait supposer l'existence. Un exemple. On sait que le dernier numéro du Bulletin des Amis de Saint-Pol-Roux, qui vient de paraître, relate les tentatives malheureuses du poète de faire représenter La Dame à la Faulx sur plusieurs scènes importantes et sur la première d'entre elles : la Comédie-Française. Poussé par une pétition que signèrent près de 500 artistes et écrivains, Jules Claretie, son administrateur, accepta l'idée - c'était dans les premiers mois de 1909 - mais non sans avoir au préalable demandé au Magnifique de revoir son drame afin de le rendre jouable en quatre heures, et non sans avoir, profitant que l'ouvrage fût remis sur le métier, oeuvré au rétablissement du Comité de Lecture, supprimé quelques huit ans plus tôt. Inutile de dire quel fut le sort réservé à La Dame à la Faulx après que Saint-Pol-Roux eut essuyé les plâtres du Comité restauré. Le bon Claretie, bien sûr, se fendit d'un communiqué élogieux à la presse regrettant toutefois que ce "poème dramatique" demeurât "irréalisable". Ce que j'ignorais et que m'apprend une trouvaillette récente dont la présence dans le BASPR4 aurait été pertinemment cocasse, c'est que le bon Claretie était très bon et que son refus programmé de jouer la damalafalcique tragédie lui avait étrangement donné mauvaise conscience - preuve que le bon Claretie en avait une. Ne s'entremit-il pas, en effet, auprès des autorités, alors qu'un mois plus tôt il avait opposé une fin de non recevoir à Saint-Pol-Roux, pour que ce dernier obtînt (en compensation ?) la légion d'honneur. La première page du Figaro du 14 décembre 1910 relate cette "initiative" avec, va sans dire, un meilleur esprit que le mien :
"Une démarche...
Au nom de la Comédie-Française et par une élégance personnelle d'artiste qui ne surprendra aucun de ceux qui le connaissent. M. Jules Claretie vient de faire "quelque chose de tout à fait joli", pour employer l'expression de Cyrano. Un groupe de littérateurs et d'artistes a demandé la croix de la Légion d'honneur pour le poète Saint-Pol-Roux, l'auteur de la Dame à la faulx, dont le comité de lecture reconnaissait le génie, en regrettant les obstacles matériels qui ne lui permettaient pas de retenir son oeuvre.
Parmi ces littérateurs, on peut citer MM. Maurice Donnay, Marcel Prévost, Jules Lemaître, Paul Margueritte, J.-H. Rosny, Henry Bataille, Emile Verhaeren, comtesse Mathieu de Noailles, Henri de Régnier, Laurent Tailhade. A leur suite, tous les jeunes littérateurs groupés par M. Figuière, les plus hardis, de Paul Fort à Alexandre Mercereau... Or, M. Jules Claretie, qui fut l'avocat du poète Saint-Pol-Roux devant le comité de lecture, a fait une démarche personnelle auprès du bienveillant ministre de l'instruction publique, a exposé ce labeur de quinze années dans la modestie et le silence, si éloquemment, que tous les artistes espèrent fêter prochainement la croix de l'auteur de la Dame à la faulx."
L'excellent "avocat" qui plaida si vivement la cause du chef-d'oeuvre idéoréaliste devant le comité de lecture dut défendre avec autant d'efficacité cette nouvelle cause puisqu'on épingla bel et bien une croix sur le revers du veston magnifique... en juillet 1932.

jeudi 27 août 2009

L'anthologie poétique d'Emile Boissier, par Jean-Pierre Fleury

Jean-Pierre Fleury a fait oeuvre utile en réunissant quelques-uns des plus beaux vers d'Emile Boissier dans cette anthologie. Car les recueils du Nantais étaient devenus introuvables depuis trop longtemps et les florilèges poétiques des cinquante dernières années, y compris ceux entièrement dédiés au symbolisme, les avaient superbement ignorés.

Ce livre est le fruit d'un long travail de lectures et de recherches ; livre d'un amateur passionné qui y consacra du temps, beaucoup, et de l'énergie, autant. Alors, bien sûr, on pourra trouver la préface un peu confuse, trop riche d'informations nous éloignant du sujet principal, trop généreuse en citations, Jean-Pierre Fleury ayant préféré livrer l'ensemble de ses recherches et trouvailles plutôt que d'y opérer une castratrice sélection. Et finalement, si elle ne répond pas aux canons éditoriaux hérités de l'université et perd un peu de sa clarté informative, cette préface, où le moindre nom rencontré est glosé assez longuement, présente le grand intérêt de rendre justement le milieu dans lequel évolua Emile Boissier, ses influences, ses amitiés, ses relations littéraires, etc. C'est de l'impressionnisme préfaciel : l'homme apparaît grâce aux touches de couleur qui le cernent, à la lumière jetée sur son environnement plus qu'à la sûreté du trait.

La postface est plus précise, étudiant quelques-unes des relations et amitiés littéraires de Boissier : Han Ryner et Saint-Pol-Roux, surtout, à partir des échanges que nous avons eu, mon ami maître-entoileur du blog Han Ryner, Jean-Pierre Fleury et moi, échanges qui donnèrent lieu à des billets sur nos blogs respectifs. Mais l'originalité de la postface est la révélation qui est faite de la collaboration anonyme de Boissier à la petite entreprise Willy. Sans doute l'auteur est-il injuste envers l'habile ouvreuse qu'il définit : "un paon à grande queue et un fumiste, doublé d'un escroc littéraire" - injuste, je l'ai été aussi dans un ancien billet ; car notre ami Zeb, de Livrenblog, a su montrer, à plusieurs reprises, le talent littéraire de Willy, et cette incontournable figure de la petite république des lettres de la fin de siècle et de la Belle Epoque mérite bien qu'on lui restitue un peu de sa complexité. Reste que Jean-Pierre Fleury a raison de rendre à Boissier ce qui est à Boissier : le livret de Bastien et Bastienne, adapté de Mozart, et signé du seul Willy.

On l'aura compris, il y a dans l'appareil critique de l'anthologie poétique d'Emile Boissier, quantité d'informations intéressantes. Et préface et postface font un cadre utile au recueil proprement dit. Jean-Pierre Fleury a choisi de classer les poèmes thématiquement plutôt que chronologiquement ; et ce sont autant de stations dans la procession lyrique du poète auxquelles il nous convie. Et ce sont surtout de beaux vers. J'en ai déjà cité quelques-uns à d'autres occasions. Je me contenterai donc des premiers, qui synthétisent magnifiquement le sacerdoce du beau poète Emile Boissier, qu'aimait Saint-Pol-Roux :
"Je suis le doux semeur des nobles vérités,
L'apôtre de la vie, épris de la Nature,
Le frère des vaincus et des déshérités,
Celui qui croit encore à l'aurore future.
Je pardonne le crime et la haine aux méchants
Qui courbent leur fierté sous un labeur servile.
Ivre de l'Infini, je déserte la ville
Pour aller vers la mer et les soleils couchants.
Suivras-tu mon voyage, ô ma soeur solitaire ?..."
Nota : Le volume contient aussi un beau cahier central et un CD-Rom d'illustrations. Pour toute information complémentaire, contactez l'auteur ici.

jeudi 13 août 2009

DE LA COLOMBE AU CORBEAU PAR LE PAON : "Cette inquiétude sans nom" (chroniques de la poésie contemporaine, par Nicolas Servissolle)

Après Eric Vauthier, je suis heureux, particulièrement, d’accueillir en ce blog un nouveau contributeur. Nicolas Servissolle(*), doctorant en littérature française, est un excellent connaisseur de la poésie contemporaine, et il est mon ami. A ce double titre, nos conversations ne sont guère consensuelles ; et aucune ne s’achève – mais s’achève-t-elle jamais ? – sans qu’elle ait donné lieu à des débats contradictoires, à des désaccords, à des réserves. Mon désintérêt pour une grande part de la production poétique des quarante dernières années n’y est pas pour rien – malgré Jude Stéfan, et ne viens-je pas de lire LE SEJOUR de Jacques Goorma, qui est admirable ? – bien que je sente, confusément, que la poésie contemporaine se rencontre souvent avec la poésie moderne initiée à l’époque symboliste. Ne se reconnaît-elle pas d’ailleurs les même maîtres, incessamment glosés : Mallarmé, Lautréamont, Rimbaud ? Une rupture indéniable, certes, demeure. Quelque chose s’est brisée à la fin des années 1960. C’est cette brisure, sans doute, que je n’excuse pas. Pourtant, il semble bien que des ponts soient tacitement jetés entre les deux rives, historique et actuelle, de la poésie. Les poètes continuent de creuser la langue et, dans cette béance, résonnent soudain des échos qu’on croyait, à jamais, étouffés. La notion de « baroque », que Nicolas Servissolle interrogera, appliquée à la poésie contemporaine, dans cette nouvelle rubrique fort opportunément intitulée « De la colombe au corbeau par le paon », est l’un de ces ponts, peut-être le plus paradoxalement solide.
(*) Nicolas Servissolle est l’auteur d’un recueil singulier, à la lice (coll. « Poètes des cinq continents », L’Harmattan, 2003), et d’une belle étude sur la première œuvre de Saint-John Perse, Eloges Palimpseste (L’Harmattan, 2008).
[Les reproductions des tableaux de Ronan Barrot, artiste que Nicolas m'a fait récemment découvrir et avec lequel je m'accorde volontiers pour reconnaître qu'il est un très-grand peintre contemporain, ont été empruntées à divers sites d'art référencés en pied de billet. Par ordre d'apparition, ce sont Marie-Madeleine, Femme, Le Cerf & La Main]
Cette inquiétude sans nom
De quoi parle la poésie ? (…) Peut-être ne sait-elle pas
ce qu’elle dit, ce qu’elle dira, ce qu’elle veut dire.
Ne le sachant pas, elle entre dans l’inquiétude.
Jean-Marie Gleize
(La poésie. Textes critiques, XIVe-XXe siècles, Larousse, 1995, p.13)
De la crise à l’inquiétude

On a coutume, depuis un demi-siècle, d’aborder la poésie moderne – et la littérature même dans son ensemble – sous un éclairage « crisologique », et certes, la poésie se trouve bien, à l’évidence, dans un état critique depuis la fin des années cinquante, tant dans la théorie que dans la pratique. Un des symptômes les plus flagrants, et qui constitue le nœud gordien de chacun de ses récents Etats généraux, est qu’il n’y a plus désormais d’écoles dominantes mais un éparpillement poétique où coexistent les tentatives les plus avant-gardistes comme les formes les plus convenues, et qui, s’il dégénère le plus souvent en querelles de chapelle, témoigne notamment d’un profond désarroi, peut-être inédit dans toute l’histoire littéraire, quant à l’avenir de l’écriture.

Assiste-t-on à la fin, tant annoncée, de l’art ? – car c’est là qu’immanquablement mène l’idée de crise : à la déjà vieille question vivace ressurgie…

Cette notion de crise, cependant, si récurrente dans la littérature[1], n’est-elle pas qu’un pis-aller devant l’absence de critères propres, pour approcher la spécificité de ce qui se joue dans ce que l’on désigne communément sous le terme – à la compréhension fort large – de « modernité » ? Ce qui est certain, s’il faut bien convenir du fait que la poésie qui naît à la fin des années soixante-dix – de la fin des avant-gardes – retrouve les questions de la poésie initiatrice du « moderne » et en creuse les insurrections[2], c’est que ce qui distingue la poésie actuelle de la poésie qui la précède (l’avant-gardiste), comme, au fond, de celle dont elle serait issue (l’initiatrice du « moderne ») n’est pas tant le concept de crise, finalement commun à toute modernité, que celui d’inquiétude, signe de la conscience qu’elle a de « la fin des grandes illusions »[3] – à tous les niveaux de l’entreprise poétique.

Cette inquiétude, qui se dirige notamment, sous la forme d’une interrogation permanente, vers l’origine et la puissance du poème, la rapproche ainsi du mouvement baroque, qui naît à la littérature dans le courant du vingtième siècle mais demeure encore très mal connu – le plus souvent réduit à une vulgate qui ne vaut surtout que pour l’architecture et la sculpture – et dont elle retrouve le fond du questionnement : la contention autour de « quelque chose qui échappe » et qu’on ne peut plus appeler désormais – quand la vue « réelliste »[4] ou néo-réaliste remplace la vision métaphysique ou eschatologique – l’Idéal.

La perle et l’écheveau

On parle souvent des « vertiges du baroque »[5] où tout tremble, l’homme et le monde, dans un questionnement sans fin. « [L]e sentiment, ou plutôt l’idée baroque de l’existence, (…) n’est rien d’autre que le Vertige, mais un vertige conscient et, si j’ose dire, organisé »[6], écrit Gérard Genette dans le premier de ses Figures. La poésie contemporaine partage ces vertiges. Lorsqu’elle s’inscrit avant tout contre une certaine idéologie qui a fini par représenter « l’esprit français », afin d’en dénoncer l’erreur, le rapport trop transparent à une « vérité » dont le baroque refusait déjà d’admettre l’évidence aveugle, elle retrouve le fond de son questionnement.

Le baroque, en effet, notion « sale », notion polémique, qui fit son apparition dans le monde des Lettres au XXe siècle, d’abord en opposition au classicisme, pour désigner l’entre-deux siècle obscur qui précède la période d’archétypique clarté, outre qu’il soit l’art d’un temps, lamé de crises, qui ne manque pas de faire écho au nôtre sur le plan des bouleversements idéologiques et culturels, porte lui-même le doute à tous les étages de l’art et de la pensée, jusqu’à explorer ce qui constitue le drame de toute parole moderne qui est le drame de la fin de la transcendance et de la conception, inhérente, d’un temps cyclique.[7] De sorte que si la fin du Moyen Age – « humaniste » dans un sens qui reste à définir et qui ne se réduit pas à celui de la doctrine optimiste de la Renaissance – inaugure bien cette crise de la conscience – du temps, du sujet – qu’est la modernité historique, le Baroque constitue, quant à lui, les véritables linéaments de notre modernité – cette conscience de la crise.

Pour autant, cette conscience balbutiante, en laquelle se recueille la fin de la transcendance comme celle de la transparence, répand moins de lumière qu’elle ne distille plus d’obscurité. Aussi est-ce dans ce sens que l’on parlera d’une recrudescence, dans la poésie contemporaine qui l’exacerbe, après une longue rémission due à l’essor hégémonique de l’idéologie classique, d’un « esprit » baroque, dont l’un des principes fondamentaux consisterait dans cette inquiétude diffuse où prévaut le sentiment, confinant au vertige, d’un insaisissable obsédant.

Nous tâcherons, ainsi, au long des billets qui suivront, de mettre en évidence que l’inquiétude qui ressurgit gravement au seuil de notre modernité, à la fin du XIXe siècle, est, plus encore que le sentiment de crise qui l’accompagne, la principale caractéristique de la conscience contemporaine, de même que ce qui conditionne l’écriture ainsi désignée ; comme si cette inquiétude, dont le postulat de départ est qu’elle « agirait » toute écriture « vraie » – du moins pour un moderne – en était devenue le centre même, l’horizon, le point focal. En mesure de quoi la poétique contemporaine apparaîtra comme une poétique doublement en vertige, dans la mesure où sa tentation est, pour paraphraser la formule rimbaldienne, de « fixer » le sien, dans le comble du retournement. Gérard Genette nomme « complexe de Narcisse » ce retournement – typique du baroque – qui est aussi un dédoublement : « [Narcisse] ne vit pas son abîme, il le parle, et triomphe en esprit de tous ses beaux naufrages. »[8] Certes, la poésie contemporaine, qui semble, quant à elle, vivre son abîme autant qu’elle le parle, ou tente de le parler, offrirait du complexe un avatar en négatif, n’étant ni triomphante, pas même « en esprit », ni son vertige organisé, partageant avec le baroque – de la même manière que l’inconstance baroque se dédouble en inconstances blanche et noire – le même schème « narcissique », dont la formule se résumerait à ce que la fin de sa poétique soit, en fin de compte, son origine[9], dans le mouvement réflexif qui l’anime. En sorte que l’une et l’autre s’opposent manifestement à la poétique classique dont l’origine, pourrait-on dire, est la fin même : plaire – toute de transparence :
Faire beau, maladie de la littérature, plaire – même origine –, prétexte racinien à sa cruauté et à son ambition infuses dans les personnages parlant en vers charmeurs (…)[10]
Or, cette préoccupation, plus ou moins assumée, plus ou moins consciente, apparaît bien comme le plus petit dénominateur commun de très nombreuses et très diverses entreprises poétiques de notre époque, en telle sorte que, pour ceux qui voudront du bloc d’ombre approcher la lueur de telle chandelle, il apparaîtra de plus en plus clairement que ce vers quoi la poésie fait signe, avec de plus en plus d’évidence depuis la fin des années soixante-dix, n’est pas, quoi qu’on en ait, la poésie elle-même, ni même une quelconque « essence » poétique, mais une sorte d’au-delà ou d’en deçà vers lequel elle cherche vainement à accéder, et dont elle pourrait bien procéder.

Et l’on verra alors combien le petit concept polémique et labile s’impose effectivement comme un accès privilégié à la poésie moderne – et, surtout, contemporaine. Même, pour peu que l’on se souvienne de ses origines étymologiques, le baroque, puisqu’il faut l’appeler par son nom, se découvrira par surcroît l’image même de l’utilisation que nous aimerions faire d’une notion dont les œuvres actuelles, nous en engageons le pari, en dépit de l’avis de Frédéric Darras qui préface la réédition du Baroque de d’Ors, auteur lui-même de L’illusion baroque, « ont encore besoin »[11] : perle avec laquelle nous chercherons à dénouer l’écheveau de la poésie contemporaine, dans la révélation de ses points nodaux, rencontrés grâce à elle, et que nous nous appliquerons à défaire en remontant ainsi jusqu’à une « source » supposée, dont l’intelligence serait porteuse, au-delà de l’éclairage généalogique[12], d’une certaine conception de l’homme et de l’art.

Enfin, aux méchants, qui s’étonneraient que l’on ressuscite ce petit monstre, il faut rappeler, avec Jean Rousset, combien les multiples scrupules que des générations de spécialistes ont pu développer à l’encontre du baroque sont à ajouter à son crédit, lui dont l’essence est d’être indéterminé[13], multiple, et de lutter contre toute étiquette, toute tentative de définition réductrice, dans une tension vers une connaissance autre qui résiste à toute connaissance positive. Et certes, ne conviendra-t-on pas que jamais, sans doute, ce que l’on appela longtemps « l’esprit français » fut autant qu’à notre époque battu en brèche : inachèvement, indicible, écriture du silence, du fragment, du désastre…

C’est dans cette brèche que s’engouffre le baroque, de cette brèche qu’il ressurgit, comme la lumière parvient, réfractée, dans la chambre close et noire de la monade de Leibniz.

L’énigme de cela

« Le poème moderne a cherché, cherche encore son centre de gravité », écrit Yves di Manno dans « endquote »[14]. Du moderne au contemporain, c’est-à-dire de la mise en cause de l’Idéal puis du matériau qui permet d’y atteindre – le langage – jusqu’à la mise en perspective de l’idée même d’Idéal, la quête d’un centre éclairant et structurant s’intensifie. La résurgence des thèmes de l’obscurité et de la lumière chez Yves Bonnefoy, Philippe Jaccottet et Salah Stétié, le sentiment de déréliction qui émane de leur écriture, l’inversion du sens de l’écriture – cette « montée vers le bas » que l’on y surprend, là et dans les recueils de poètes comme James Sacré ou Jude Stefan – de même que la valeur particulière, chez tous, du déictique cela pour renvoyer à une « réalité » équivalente, quelque obscure qu’elle demeure encore, et vers laquelle un large pan de la poésie actuelle procèderait[15], amène à considérer la possibilité que, désormais, ce qui est au centre de l’inquiétude – fondamentalement – c’est l’homme. Moderne, l’écriture contemporaine se trouve être également, par voie de conséquence, humaniste[16] ; baroque, son humanisme, loin de reproduire la foi « classique » en l’homme avec laquelle il est souvent confondu, s’ouvre sur un abîme d’opacité. L’impuissance du langage, la résistance du réel, de même que les rares moments d’épiphanie auxquels, comme dans la fugacité d’un éclair, ils conduisent parfois le poète, ne cessent de faire signe en direction de cette opacité.

Philippe Jaccottet, dont l’œuvre évolue précisément vers une mise en question de l’homme, incline parfois à cette perspective « intérioriste » :
En fait, de toutes mes incertitudes, la moindre (la moins éloignée d’un commencement de foi) est celle que m’a donnée l’expérience poétique ; c’est la pensée qu’il y a de l’inconnu, de l’insaisissable, à la source, au foyer même de notre être. Mais je ne puis attribuer à cet inconnu, à cela, aucun des noms dont l’histoire l’a nommé tour à tour. [17]
Ailleurs, il écrit encore :
La poésie surgit […] au moment où le monde extérieur est reconnu comme le miroir de ce qu’il y a en nous de plus caché et de plus personnel, le révélateur d’une réalité invisible. [18]
La notion d’« extime », qui a fait récemment son entrée dans la critique de poésie[19], se trouve sans aucun doute au centre d’un tel azimut, et l’écriture de James Sacré, construite elle aussi autour de cette préoccupation, donne parfois le sentiment que le monde invoqué n’est qu’un panneau destiné à cet insaisissable dont on aura saisi l’origine définitivement humaine – l’impuissance du langage qui tente d’y atteindre n’ayant d’égale que l’opacité de l’homme :
S’approcher du feu, faut faire attention : est-ce qu’on en dit ce qu’on croit dire ?[20]
Pour Jean Tortel, précisément, la poésie baroque « n’a qu’un objet : c’est l’homme qui est au monde et qui puise, dans ses forces, sa loi »[21], ce que Michèle Clément écrit en des termes similaires, observant un « changement de focalisation […] entre Du Bartas et d’Aubigné » : « ce n’est plus le monde mais l’homme qui est au centre du message. »[22]

Certes, chez la plupart, il n’est pas question encore de la « mort de Dieu », seulement de son absentement du monde, mais cette attention nouvelle à l’homme et son mystère a tout à voir avec la double fin de la transcendance et de la transparence, que retrouve le moderne avec une acuité accrue. Depuis l’échec mallarméen, en effet, la transcendance s’est inversée dans un mouvement de creusement, et ce qu’elle donne aujourd’hui à lire, à travers une poétique que l’on aura reconnue moins comme un art du renouement que du retournement, sont les indices d’une intuition typiquement baroque : celle de l’irrationnel, en l’homme. Or, la poésie contemporaine toute entière, des néo-lyriques aux partisans de la « modernité négative », semble faire fond sur cet insaisissable, cet inconnu de l’homme, dont le statut et le mode d’existence restent à déterminer, sinon que, devant la défection de toute transcendantale Essence, il semble plutôt de l’ordre d’un fondamental immanent.

Cette inquiétude, où se rencontrent tant de poétiques éparses habitées par la conscience du mystère de vivre et d’écrire dont elles aimeraient soulever le voile, ce vaste mouvement qui voudrait bien répondre à la question – dont la simplicité n’est qu’apparente et qui est la version actuelle de celle, intemporelle, qui a donné son titre à tel ouvrage de Jean-Paul Sartre[23] – « Vers quoi les mots font signe ? », pourrait s’éclairer d’un terme marquant moins l’appartenance corporatiste – tendance qui appartient encore à la modernité « historique » – qu’il n’indiquerait une contention éclatée et inquiète, c’est-à-dire encore informulée – plus caractéristique de ce que certains appellent la post-modernité – le fondamentalisme, terme neuf que nous proposons pour désigner cette tension autour de laquelle se retrouve un certain nombre de poètes actuels vers un fondamental qu’ils cherchent sans cesse à produire et qui leur échappe toujours.

Fondamentale étant cette poésie aiguillonnée – au point d’en être piquée – par un centre qui se confond avec de « lointains intérieurs » : béants, liminaux et néanmoins prospectifs – fondamentale de toucher au fondement non de l’être mais du sujet, non de la lettre mais du langage. Fondamentalistes étant enfin ceux-là qui se demandent, avec James Sacré, La poésie comment dire ?[24], c’est-à-dire, en somme : quel est donc cela que la littérature, depuis qu’elle existe, représente et qu’elle échoue toujours à présenter ?

La réponse à cette question, la conscience de cette véritable démangeaison de savoir et de dire qui traverse le siècle, éclairerait, selon nous, à la fois la crise du sujet et la crise de la représentation, caractéristiques de la modernité, de même que cette étonnante coalescence des voies poétique et critique chez un certain nombre de poètes contemporains, et qui semble être une réponse méprise à l’injonction baudelairienne d’être à la fois poète et critique.

Aussi est-ce à cela que nos billets s’attacheront : l’approche d’un mouvement qui n’en est pas un ; la réflexion – autour des notions de paradoxe et d’aporie – sur les raisons d’un échec qui n’en est pas un ; la tentative de définir cela dont s’obsède obstinément le poème contemporain, comme une vérité qui n’en serait pas une…

Recrudescence de l’esprit baroque dans la poésie contemporaine

C’est ainsi que nous porterons notre attention sur les écritures et pensées critiques de Philippe Jaccottet, James Sacré, Yves Bonnefoy, Salah Stétié, Jude Stefan et quelques autres[25] pour ce qu’elles nous semblent dessiner un spectre allant de ce que l’on peut nommer le néo-lyrisme jusqu’à ce que l’on a pris l’habitude de désigner par l’expression de « modernité négative ». Quant à la triade à laquelle font souvent référence ces différents auteurs – Baudelaire, Rimbaud, Mallarmé – nous nous proposons d’y faire également retour.

D’être représentants de cette inquiétude à laquelle la notion de crise fait moins pièce que place dans la réflexion poétologique, ces auteurs se trouvent être symptomatiques de cet esprit baroque dont nous croyons déceler la recrudescence dans la poésie contemporaine toute entière. Ce rapprochement ne va pas de soi. Au fil des billets, cependant, les œuvres des poètes du corpus trouveront, nous l’espérons, à s’éclairer de ce lien, quitte à ce que l’appréhension que l’on avait des poètes des seizième et dix-septième siècles en sorte sensiblement modifiée.

Philippe Jaccottet, que l’on pourrait caractériser par la certitude de l’incertitude, est baroque par son sens du mystère de la nature, par son goût pour le paysage, par sa pratique de la contradiction dont il pousse le principe à son comble, par une écriture dont l’emblème pourrait être la spire. Yves Bonnefoy, qui de tous a le plus écrit sur l’art pictural et architectural du Seicento – notamment dans Rome, 1630 et dans L’improbable et autres essais – découvre, dans le baroque, le signe et l’exemple du fonctionnement paradoxal de cette « vérité de parole » qui fonde son approche de la présence et dont le postulat, nimbé de mystère, innerve son écriture toute entière – poète doublement baroque, même, puisqu’il y a en lui un Bernin ayant trouvé la formule du lieu et un Borromini cherchant toujours le lieu de la formule, ainsi qu’il le suggère à la fin de L’Arrière-pays. James Sacré, qui a fait paraître en 1977 une étude structurale intitulée Un sang maniériste où se font jour certaines accointances de sa pensée avec le baroque, se rapproche des poètes « attardés » par son parti pris de la grammaire – comme il le souligne lui-même dans une introduction aux poésies complètes de Jean de Sponde en 1989 – par le retour, obsédant, des isotopies du « rouge » et du « cœur », perceptibles dès le recueil Cœur élégie rouge, mais surtout par ce sens de la déréliction, ce « parti pris heureux de l’humain » dont parle Renée Ventresque[26] et qui s’abouche à cette inquiétude d’un envers qu’il donne comme le fond de toute expérience, notamment celle du langage, le poème étant ce « mouvement de ruse autour d’une impossible vérité (en nous, dans le monde, en ce poème même) qui n’existe peut-être pas »[27]. Quant à Jude Stefan, il est sans doute celui dont l’œuvre offre les rapprochements les plus évidents, par l’idéologie – « la perfection cherchée dans l’imperfection même » -, les thèmes, l’écriture de tension, les questionnements, les audaces, lui-même se plaçant parmi
les excentriques, bizarres, « baroques », c’est-à-dire imparfaits, qui traitent des thèmes trop singuliers pour les régents de collèges et faiseurs de manuels qui vous placent un siècle après Sainte-Beuve dans le « Kamtchatka » charognard : chat, gibet, mangeaille, fagots, tavernes, filles – où l’on voit pointer le cauchemar des bien-pensants biblisés : le sexe, la mort. [28]
Pour ce qui est de Salah Stétié, ce sont d’abord les motifs de la lampe, de l’arbre, de la colombe, du raisin, qui autorisent le rapprochement avec les poètes de l’entre-deux siècles, mais aussi, et surtout, ses réflexions sur le centre manquant qu’il associe au mirhab islamique – et qu’il fasse enfin de cet autre côté invisible le spectaculaire théâtre d’une impossible représentation, son écriture, pour parvenir à le parler, favorisant l’arabesque. Au point que l’on pourrait même proposer, comme symbole de son écriture, l’ellipse, cette figure mathématique fascinante possédant deux foyers.

Or, l’ellipse, et nous terminerons par cette proposition, pourrait bien également constituer l’emblème de la poésie contemporaine toute entière, enfiévrée, plutôt que du centre, d’un deuxième – introuvable.


[1] Pierre LEPAPE, dans « Le nouveau désordre littéraire » y a encore recours : « Résumons : plus d’écoles, plus de maîtres, plus d’idéologies critiques, plus de théories, plus de repères stables ni de critères collectifs partagés. La littérature, comme la société, paraît entrer dans l’ère de l’hyper-individualisme et de l’atomisation infinie des consciences. Peut-être même n’y a-t-il plus de littérature au sens classique du terme : juste des auteurs, des œuvres et des lecteurs », in Le Magazine Littéraire n°459, décembre 2006.
[2] C’est le point de vue de Christian Prigent (Ceux qui merdRent, P.O.L., 2000) et de Jean-Marie Gleize (« Nous n’irons plus aux bois… », in Zigzag Poésie. Formes et mouvements : l’effervescence, revue mensuelle, avril 2001, Mutations n°203, éditions Autrement, p.39 ; A quoi bon encore des poètes, P.O.L., 1996).
[3] PINSON Jean-Claude, A quoi bon la poésie aujourd’hui ?
[4] Néologisme forgé par Michel SICARD pour désigner la poésie de Jude Stefan : « Dans l’écriture de Stefan quelque chose se colle et nourrit à la chienne de vie, comme un lierre. Son langage y a des adhérences partout. C’est pourquoi il passe très bien les genres, mêlant poésie et réel, ce réellisme [c’est nous qui soulignons] qui fait la quotidianité », in Jude Stefan, coll. « Poètes d’aujourd’hui », Seghers, Paris, 1994, p.31.
[5] Le « Dossiers et documents littéraires » n°22 du Monde, de janvier 1999, porte ce titre.
[6] GENETTE Gérard, Figures I, op. cit., p.28.
[7] « La modernité, écrit Gérard RAULET, souffre de l’absence de divin, de cette « mort de Dieu » que Nietzsche à moins proclamée que diagnostiquée et dont la sécularisation a fait son moment constitutif. C’est pourquoi le geste de rupture se double dans la plupart des cas d’une aspiration messianique ou apocalyptique au Salut et à la rédemption et s’accompagne de la conscience de l’unité perdue. » : « Le concept de modernité », in Modernités 5, p. 119 et suivantes.
[8] GENETTE Gérard, Figures I, op. cit., p.28.
[9] Pour reprendre un mot de Jude Stefan, in Variété VI, Le temps qu’il fait, p.101.
[10] Variété VI, p.157.
[11] DASSAS Frédéric, « Présentation » de Du Baroque, Eugenio d’Ors, op. cit., p.XXIII.
[12] Bien qu’il représente pour Nietzsche la base même de l’analyse et qu’il ne fut jusqu’alors, entre le contemporain et le baroque, entre le baroque et la modernité, qu’entrevu par la critique sans jamais être systématisé. En effet, si l’idée de la recrudescence d’une inquiétude baroque peut offrir à la poésie actuelle une voie d’accès intéressante c’est dans le sens où elle l’ouvre à une perspective systématique d’approche et qu’elle situe toute parole contemporaine, contre l’idée de rupture généralement admise, au sein d’un devenir historique.
[13] ROUSSET Jean, Dernier regard sur le baroque ?
[14] DI MANNO Yves, « endquote ». digressions, Mayenne, Flammarion, 1999.
[15] Nous songeons tout particulièrement au recueil Obscure lampe de cela, de Stétié, et d’un certain nombre d’occurrences du pronom démonstratif cela chez d’autres poètes comme Bonnefoy ou Jaccottet.
[16] Cette conséquence, qui se propose telle, n’est certes pas une évidence ; elle pourrait aussi bien, il est vrai, apparaître comme un paradoxe. En effet, on associe bien plus volontiers la modernité à un certain antihumanisme, mais c’est que l’antihumanisme et la modernité dont nous parlons ne sauraient se comprendre, dans notre analyse, sans être envisagés en relation étroite avec un humanisme « historique » que nous définirons, et qui a tout à voir avec l’ère de la laïcisation de l’art qu’évoque Luc Ferry dans Le Sens du Beau. Aux origines de la culture contemporaine, LGF, Paris, 2001.
[17] C’est nous qui soulignons.
[18] JACCOTTET Philippe, Une transaction secrète, Gallimard, 1987, p.71.
[19] Cette notion, inventée par Jacques Lacan dans L’éthique, est évoquée notamment par Serge Martin dans son article « Les poèmes-relation de James Sacré : au cœur de la relation amoureuse dans et par le langage », supplément Triages, Actes du colloque James Sacré tenu les 17-18-19 mai 2001 à l’Université de Pau, textes réunis et présentés par Christine Van Rogger Andreucci, Tarabuste Editions, 2002, p.114.
[20] SACRE James, « Au feu dans les mots (c’est pas vrai) ! », in La poésie comment dire ?, coll. Ryôan-ji, André Dimanche, Marseille, 1993, p.64.
[21] TORTEL Jean, Un certain XVIIe, André Dimanche, Marseille, 1994, p. 14.
[22] CLEMENT Michèle, Une poétique de crise : poètes baroques et mystique (1570-1660), Honoré Champion, Paris, 1996, p.43.
[23] SARTRE Jean-Paul, Qu’est-ce que la littérature ?, Gallimard, Paris, 1948.
[24] SACRE James, La poésie, comment dire ?, op.cit.
[25] Citons, entre autres, Lorand Gaspar, Michel Deguy, Jacques Dupin, Jacques Roubaud, Denis Roche, André du Bouchet, Emmanuel Hocquard, Dominique Fourcade.
[26] VENTRESQUE Renée, « La jarre, comment dire ? », supplément Triages, op.cit., p.65.
[27] SACRE James, « Langues et le monde qu’on regarde. Entretien avec Antoine Emaz », Nu(e) n°15, Mars 2001, p.22.
[28] STEFAN Jude, « Douze réponses à Ph. Di Meo sur la poésie », Variété VI, Le temps qu’il fait, Cognac, 1995, pp.11-12.

Références des sites internet auxquels furent empruntées les reproductions des tableaux de Ronan Barrot :

mercredi 12 août 2009

Laurent Tailhade contre les gendelettres ou en ballade au pays du mufle (Edition revue, augmentée et annotée par Gilles Picq, chez Cynthia 3000)

Saint-Pol-Roux, on le sait peu, comptait Laurent Tailhade comme l'un de ses maîtres. Certes, il ne pratiqua pas aussi souvent l'invective que son aîné, même si on lui connaît des textes aiguisés et violents et drôles. Ce qu'il lui emprunta plutôt, c'est le goût d'une certaine crudité s'immisçant, par touches, dans le corps du poème et le déstabilisant. On en trouve plusieurs, de ces touches, dans Anciennetés (Mercure de France, 1903), qui rassemble des vers de jeunesse. Citons-en, pour le plaisir, quelques-uns :
"..............................................., le Rêve de la Reine
A l'air d'un tas de paille où pourrissent des fruits." (Le
palais d'Ithaque)
"Il attend, magistral, officiel, avide,
Et son sexe fâné dort sous des caleçons." (Bouc émissaire)
"Et la foule, béante, ainsi qu'un boeuf mugit." (Lazare)
Les poèmes en prose en recèlent aussi, et, même s'il est connu, je veux citer le refrain de cette ballade saint-pol-roussine qui a pour titre : "Air de trombone à coulisse".
"Les Trous-du-cul, ce sont maints Critiques Modernes. Ils ont deux fesses, disons faces, l'une de miel pour les faiseurs d'ignominie, l'autre de fiel pour les beaux gestes du génie. Les Trous-du-cul, ce sont maints Critiques Modernes. Et ce qui sort de ces princes en us, lorsque grince l'anus qui leur tient lieu de bouche, quelquefois c'est du vent, des crachats plus souvent, de la merde toujours."
Comme son maître ès-férocité poétique, Saint-Pol-Roux eut à séjourner au pays du mufle. Mais, alors qu'on ne pourra guère qu'émettre des hypothèses sur l'identité de ces Critiques Modernes au fécal faciès dénoncés par le Magnifique, l'impitoyable Tailhade, qui n'avait pas froid aux yeux, puis à l'oeil, lui, n'hésite pas à nommer et à foncer dans le lard bourgeois ou littéraire.

Qui aurait la fort excellente idée de se procurer l'un des cent exemplaires de la réédition, chez Cynthia 3000(1), de ce recueil qui n'en connut plus depuis 1920 - je veux dire Au pays du mufle -, n'éprouverait aucune difficulté à se convaincre du génie si terriblement particulier de Laurent Tailhade. Un génie d'empaleur. Nombre des gloires et gloriolettes de la petite république des lettres y sont brandies sans ménagement, dénudées, au bout d'une rime. Le poète a ses têtes-à-gifle : Loti, Jean Rameau, Maizeroy, Ajalbert, Baju... et ses pieds-à-écarbouiller : ceux de Péladan, à qui, avec un peu d'humour, il n'aurait pas dû déplaire que ses arpions fumeux servissent de leitmotif wagnérien aux cinglantes ballades tailhadiennes. Et, à l'occasion, ni Banville, ni Zola, qu'il rejoindra toutefois lors de l'Affaire Dreyfus, ne sont épargnés. Au pays du mufle est un bûcher des vanités contemporaines. Citons :
"Toi qu'un dieu fit, en sa miséricorde,
Imperméable au style, gros foireux
Qui des duels aimes le seul exorde,
Ajalbert ! comme un fessier plantureux,
Haut le vis ! Marche à l'ombre de ces preux !
Sous les fanons aux lances adornées,
Albert Delpit louche des deux cornées,
Et Jean Rameau, très innocent baudet,
Clame des vers pour deux ou trois guinées.
C'est Maizeroy qui torche le bidet."
Citons, citons :
"Voici la rue et le plantain,
Le jus de taupe et la merd'oie ;
Voici la graisse de putain,
Le cloporte, le ver à soie
Et le bol que Fagon emploie.
Ci la Bête du Gévaudan,
Ecco le fiel de la baudroie :
Voici les pieds de Péladan !"
Les prudes et les adeptes du politiquement correct regretteront sûrement certaines saillies du poète à l'encontre des moeurs des uns et des autres, de Loti notamment, surnommée la "Tante Viaud" par Tailhade, ou à l'encontre de tel ou tel défaut physique ou physiologique ; ils auront tort, car c'est le principe même de la satire que de tourner en ridicule les célébrités du monde en exhibant ce que, par ailleurs, elles cachent d'ordinaire si mal.

Plus sérieux me semblerait le reproche stylistique d'un lexique coruscant et de références qui, pour beaucoup, nous sont devenues étrangères. Et ce serait raison, pour l'un peu curieux, de ne pas entrer dans le recueil, si Gilles Picq, le haut spécialiste de Tailhade, le maître-entoileur des Commérages de Tybalt, n'avait donné, en plus d'une belle préface, des notes nombreuses élucidant mystères lexicaux et socio-culturels dont regorgent les poèmes. Car Cynthia 3000 nous offre là la première édition scientifique d'Au pays du mufle, et une édition augmentée de plusieurs sections et textes retrouvés, et une édition rare. Bref, une édition définitive.

Citons, citons encore cette :
Parabase symbolique
Dans la manière des plus accrédités rimeurs de ce temps-ci
Pour un exode gagaïque,
Nous nous embarquerons en la
Jonque de plate mosaïque,
Sur l'étang vert du ton de la.

Le trombone fauve, à coulisses,
Pleure l'hymen du nénuphar
Et les délices des lis lisses.
Innocence, ô le premier fard !

La brique cède à la turquoise
Dans l'occidentale splendeur :
Tour chinoise ! Rive narquoise !
Mont Tai-chan noir de verdeur !

La lune luit. Hors de sa cage,
L'ibis (qu'on incrimine à tort)
Fuit le sinistre marécage
Hanté du noir bombinator

Et dans la vasque où la cuscute
Mire ses pistils gracieux,
Le croissant d'or fin répercute
La courbe exquise de tes yeux.
"Le trombone fauve, à coulisses" ! quand je vous disais que Tailhade fut, pour Saint-Pol-Roux, un maître...
(1) Le catalogue des éditions Cynthia 3000 s'est joliment étoffé. Il y eut, pour la période qui nous occupe, IL*** de Léo d'Arkaï, l'extraordinaire Omajajari, aujourd'hui, Au pays du mufle, et demain de très-belles choses. N'annonce-t-on pas la réédition prochaine du Colloque sentimental entre Emile Zola et Fagus ?

mardi 11 août 2009

L'ANARCHIE, par Elisée Reclus, le géographe anarchiste (éd. Mille et une nuits, avec une postface de Jérôme Solal)

"L'homme qui roule dans un char ne sera jamais l'ami de l'homme qui marche à pied !"


Anarchie. C'est, avant une belle idée, un beau mot. Il m'a toujours évoqué une rose, noire, au parfum d'une sélective subtilité que seuls les nez les plus fins savent sentir et goûter. Bien sûr, il n'en pousse qu'une sur chaque rosier, fragile, et ne vivant qu'une vie brève ; car les plantes voisines, fort gloutonnes, ne lui laissent guère de quoi s'alimenter et se développer. Toutefois, malgré cette hostile promiscuité, il n'est pas rare de la voir poursuivre, contre la nature elle-même, sa course au soleil. L'anarchie est une belle fleur.

Les fragrances en traversent les siècles historiques et poétiques ; mais c'est, sans doute, à la fin du XIXe siècle qu'on les perçut le mieux, en leur raffinée agressivité, le museau empâté du bourgeois étant peu accoutumé à renifler autre chose que sa propre sueur. Je ne reviendrai pas sur les liens étroits qui unirent les meilleurs poètes symbolistes aux milieux anarchistes. J'eus l'occasion déjà de les rappeler dans un ancien billet. Mais il convient de dire un mot rapide d'Elisée Reclus, le grand géographe, une de ces roses noires qui embauma le siècle. Ce fut un homme en perpétuel mouvement, en raison de son activité scientifique, certes, mais du fait aussi de son activisme politique. Un mouvement physique, car moralement, une seule idée l'anima très tôt et toujours, l'anarchie. Contraint à l'exil en Angleterre, après le coup d'état du petit napoléon, il revient en France, vingt ans plus tard, pour participer au rêve communard et résister, armes à la main, au siège versaillais. On l'arrête. On le condamne à un bannissement de dix ans. En 1894, les lois scélérates le poussent à se réfugier à Bruxelles. C'est en Belgique désormais qu'il vivra puis mourra le 4 juillet 1905.

C'est à l'occasion de son séjour à Bruxelles, en 1894, qu'Elisée Reclus donna, devant une loge maçonnique, la conférence que Jérôme Solal a eu l'excellente idée de faire paraître, postfacée et anotée, aux éditions Mille et une nuits, où, depuis quelques années, on trouve de beaux textes devenus introuvables - Marinetti, Valentine de Saint-Point, Fernand Divoire n'y furent-ils par récemment réédités ? Reclus fut un penseur et un théoricien ; il parle ici simplement, mêlant aperçu historique général et anecdote personnelle symbolique. Il dit même des évidences, mais des évidences qui ne le sont vraiment que pour qui sait l'absurdité du discours religieux :
"chaque individualité nous paraît être le centre de l'univers, et chacune a les mêmes droits à son développement intégral, sans intervention d'un pouvoir qui la dirige, la morigène ou la châtie."
et l'affaisement de tout discours politique dans l'exercice du pouvoir :
"La conquête du pouvoir fut presque toujours la grande préoccupation des révolutionnaires, même des mieux intentionnés. L'éducation reçue ne leur permettait pas de s'imaginer une société libre fonctionnant sans un gouvernement régulier, et, dès qu'ils avaient renversé des maîtres haïs, ils s'empressaient de les remplacer par d'autres maîtres, destinés, suivant la formule consacrée, à faire le bonheur de leur peuple."
C'est l'escalier shakespearien, toujours fondamentalement descendu, toujours précipitamment gravi. L'analyse d'Elisée Reclus s'avère intéressante, parce que le constat sur lequel elle s'appuie nous est étrangement familier : exploitation des plus pauvres par une poignée de puissants, répression des voix marginales, cynisme des dirigeants. "Mais défendez donc notre société !" demanda, un jour, le géographe à un haut fonctionnaire. "Comment voulez-vous que je la défende, elle n'est pas défendable !", lui rétorqua ce dernier. Bref, rien de nouveau sous les nuages du monde. Et ce constat inchangé ne nous laisse pas sans une amère tendresse en l'esprit lorsque nous lisons avec quelle confiance Elisée Reclus croyait, en 1894, dans un bouleversement social imminent, à portée d'existence :
"Notre monde nouveau point autour de nous, comme germerait une flore nouvelle sous le détritus des âges. Non seulement il n'est pas chimérique, comme on le répète sans cesse, mais il se montre déjà sous mille formes : aveugle est l'homme qui ne sait pas l'observer."
Sans doute oubliait-il qu'il n'est de possible transformation sociale qu'à la condition que chaque individu ait fait sienne la formule définitive de Stirner : "Rien n'est, pour Moi, au-dessus de Moi !" Et au début du XXIe, comme à la fin du XIXe siècle, nous en sommes formidablement loin. La lecture de la conférence d'Elisée Reclus nous en rapprochera tout de même, peut-être, un peu. Et l'exemple de l'auteur dont Jérôme Solal brosse un beau portrait, "Reclus à l'air libre", peut-être, plus encore.

mardi 4 août 2009

Le BULLETIN des AMIS de SAINT-POL-ROUX sur la toile

Le Bulletin des Amis de Saint-Pol-Roux bénéficie d'une confraternelle sympathie qui me ravit. La toute fraîche parution du dernier numéro a ainsi été relayée par quelques sites et blogs, qu'il m'est agréable de mentionner, tant ils me sont devenus, depuis longtemps, incontournables.

Voici d'abord les Feuilles d'automne, où le livre, dans sa matérialité, est mis à nu ; et Yves Letort, qui est libraire, est un passionné qui ne sacrifie pas exclusivement à la haute bibliophilie, mais commente tout aussi bien des éditions populaires, les keepsakes romantiques chers à Emma Bovary, ou les petits papiers qui truffent quelquefois, lui ayant sans doute servi de marque page, le bouquin récemment chiné. Yves Letort est un passionné, ai-je dit, et il n'hésite pas à donner de sa personne physique pour promouvoir les bonnes causes.

Est-il utile de présenter l'excellent Livrenblog ? Je ne le crois pas, et je me contenterai de dire ceci : lorsqu'il sera passé dans les moeurs de la critique et de l'université de citer leurs sources puisées en l'internet, notre ami Zeb connaîtra, en ces petits milieux, une gloire universelle.

On pourrait en dire tout autant de Christian Buat et du site des Amateurs de Remy de Gourmont, qu'on pourrait passer plusieurs semaines à visiter sans jamais en épuiser la matière.

On retrouve sans difficulté, dans les billets des Ames d'Atala, le mauvais esprit délicieux d'Amer. Et lire le blog permet d'attendre moins impatiemment la parution du troisième numéro de la "revue finissante".

Achevons, momentanément, ce petit tour de l'horizon virtuel, avec le Cabinet de curiosités d'Eric Poindron, que les fidèles des Féeries intérieures connaissent déjà puisqu'il nous fit l'honneur et l'amitié de nous donner un beau texte sur Paul Fort. L'esprit des lieux y fut très-récemment accueilli et s'y dévoila le temps de répondre à l'étrange questionnaire.