lundi 21 novembre 2011

L'Académie Mallarmé à la libération - dernier (?) épisode de notre feuilleton

Notre feuilleton, décidément, n'en finit plus de finir. Ce n'est pas moi qui le regretterai. L'histoire de l'Académie Mallarmé, ainsi, s'étoffe et le lecteur avisé, que la vie poétique du premier demi XXe siècle passionne, ne se plaindra pas de découvrir ces fragmentaires chroniques. L'article qu'on va lire a paru dans le Figaro - plus précisément dans les pages "littéraires" - du samedi 2 septembre 1944, sous le bel hommage que Charles Vildrac, membre de l'Académie, rendit au Magnifique et dont il nous faudra parler. Ce dernier était lui-même précédé du récit du drame par Divine. L'auteur, anonyme, revient sur l'activité d’Édouard Dujardin pendant l'occupation et sur ses relations compromettantes avec les autorités allemandes. J'ignore si le président de l'Académie Mallarmé fut inquiété à la libération et s'il dut rendre des comptes. Il mourra en 1949, à l'âge de 88 ans.
Fastes présidentiels
à l'Académie Mallarmé
Nous avons reçu l'adresse que voici :

Les membres soussignés de l'Académie Mallarmé présents à Paris qui, dès le premier jour de l'occupation, ont clairement compris que nulle haute inspiration n'était possible sous le régime de la servitude,
Rendent un hommage ému à la mémoire de Saint-Pol Roux, leur président, victime des envahisseurs;
et en plein accord avec tout le Peuple de France, proclament leur enthousiasme et leur reconnaissance envers tous ceux qui, au prix de leur sang, ramènent avec la Liberté tout ce qui donne sa valeur à la vie humaine et lui permet d'exprimer, par la Poésie, sa vérité la plus profonde.
Ils n'ont jamais oublié que Stéphane Mallarmé refusa toujours, après 1870, de franchir la frontière allemande.
MM. Henry CHARPENTIER, André FONTAINAS, Henri MONDOR, Paul VALERY, Charles VILDRAC, Gérard d'HOUVILLE, Léon-Paul FARGUE, Jean COCTEAU.
***
C'est M. Henry Charpentier, secrétaire général de cette Compagnie de poètes, qui a pris l'initiative d'une manifestation de sentiments aussi louables.

M. Charpentier, pourtant, ne satisfait pas complètement à notre attente. Il nous doit quelques nouvelles du président de l'Académie Mallarmé, M. Édouard Dujardin.

Durant l'occupation, l'Académie Mallarmé n'a été illustrée ni par un Valéry, obstinément silencieux et méprisant, ni par un Charles Vildrac, vrai combattant de la Résistance.

Dans les journaux allemands de Paris, on ne parlait de la jeune Académie qu'en association avec le nom de M. Édouard Dujardin, fleuron de l'Institut allemand et personnage choyé du Dr Karl Epting qui, ne réussissant pas toujours à rabattre les proies de son goût et de son choix, finissait par imiter le héron de notre La Fontaine.

Tandis que les Français payaient tribut, cet astucieux président qu'était et qu'est toujours M. Dujardin opérait des reprises. C'est assurément le seul titre de gloire que lui laissent les noires années.

En 1941, il se faisait offrir un magnifique banquet par l'occupant ! L'oiseau est de haut vol, M. Paul Fort apporta à cette fête solennelle des égarements de cœur que les années ne devaient pas décourager et, partant, la preuve que les poètes même authentiques ont parfois une vue plus charmante que droite de leurs devoirs.

L'intérêt très vif du trait que nous citons de l'activité de M. Édouard Dujardin réside en ceci : à la Présidence de son Académie ce banqueteur et commensal de l'occupant avait succédé à Saint-Pol Roux, le poète assassiné par un membre de la Wehrmacht...

Nous n'avons, bien sûr, rien à souffler à l'oreille de M. Henry Charpentier. Il est déjà si tard, si tard... Comment n'a-t-il pas deviné que, dans Paris libéré, une Académie ne saurait élever la voix sans avoir d'abord satisfait aux devoirs de l'hygiène ?

lundi 14 novembre 2011

A Bruno Leclercq

La nouvelle est tombée en début de semaine dernière : Bruno Leclercq est mort. Il avait cinquante ans. Il me serait bien difficile de préciser ce que ma bibliothèque doit au libraire qui s'était spécialisé dans la fin de siècle - ou l'avant-siècle, pour reprendre l'expression mieux choisie d'Hubert Juin. Car je fus d'abord son client ; mais la gentillesse, la pudeur, la culture de Bruno vous incitaient naturellement à devenir mieux que cela. Je me souviens qu'il trouva mon premier autographe de Saint-Pol-Roux : son portrait photographique dédicacé à Alfred Vallette, celui-là même qui servit de modèle au masque réalisé par Vallotton pour l'ouvrage de Remy de Gourmont. Il me dégotta aussi plusieurs numéros de revues qui furent à la base de ma collection : six livraisons de l'Ermitage, une vingtaine de la Revue Blanche, une dizaine de Livrets du Mandarin, des numéros de La Plume, des Manuscrit Autographe, et combien d'autres. Et je ne parle pas des bouquins de Roinard, de Willy, de Lorrain, de Retté, de Vielé-Griffin, de Fontainas, etc., etc.

Puis il y eut Livrenblog qui nous rapprocha davantage encore. Parce que Les Féeries Intérieures devaient naître six mois après l'apparition du premier billet de Zeb - c'était le pseudonyme de Bruno - premier billet dont le titre annonçait l'éclectisme, l'exigence, l'extraordinaire culture que les 857 autres billets entoilés en quatre ans sur Livrenblog n'allaient cesser de manifester. Je dis "manifester" et non "illustrer" car il n'était pas question pour Bruno de se faire, par son site, de la réclame ou d'en remontrer aux autres. Il n'avait rien à vendre, rien à prouver. Il ne s'agissait que de partager ses découvertes, ses chines, son amour d'une littérature des marges qui n'est pas loin d'être la seule acceptable. Je me souviens qu'il accueillit avec enthousiasme, et son enthousiasme il le partageait, la naissance de mes blogs, celui-ci et cet autre, plus récent, consacré aux Petites Revues. Il fut d'ailleurs le seul à collaborer aux deux. De sa générosité, nous fûmes nombreux, sur la toile, et dans la vie, à en profiter, et les hommages se multiplient depuis une semaine, qui sont là pour en témoigner.

Géographiquement éloignés, je ne l'ai vu que deux fois, mais je conserve de ces deux rencontres un souvenir vif. Ce fut d'abord, en hiver, il y a cinq ans, près du Luxembourg où nous nous étions donnés rendez-vous. Je sortais d'une séance de travail chez Doucet. Il faisait nuit et froid. Nous nous sommes assis autour d'un café dans le premier bistrot et nous avons parlé plus d'une heure, tout naturellement. Puis, profitant d'un long week-end parisien, je l'ai revu en avril dernier avec quelques amis que j'avais souhaité réunir le temps d'une soirée. Je le revois, souriant comme sur la belle photo qu’Éric Dussert a publié en tête de l'émouvant billet qu'il lui a consacré sur son Alamblog. Nous nous sommes quittés vers minuit. Je ne pouvais imaginer alors que je ne le reverrai pas. Sa disparition crée un manque dans notre petite communauté. La toile, désormais, est trouée. Son absence me bouleverse et je pense à sa fille et aux siens. Et je pense aussi qu'il nous a laissé une œuvre formidable qui doit continuer à vivre, qu'il revient à ses amis de la faire vivre pour qu'on entende parler encore longtemps de Bruno Leclercq.