vendredi 25 décembre 2009

C'est noël : trois albums de Saint-Pol-Roux pour les enfants (ceux qui le sont et/ou ceux qui le sont restés)

Il n'aura pas échappé aux personnes sages, petites et grandes, qui, se levant, ce matin, auront découvert sous leur sapin des Vosges ou de plastique, un nombre plus ou moins quantifiable de cadeaux, que nous sommes jour de noël. Il m'est arrivé de dire, déjà, combien cette fête revetit d'importance dans la légende saint-pol-roussine. Aujourd'hui, je veux simplement attirer l'attention des quelques fidèles de ce blog sur le travail d'un petit éditeur parisien, qui eut la magnifique idée, il y a huit ans, de faire illustrer trois poèmes en prose ou contes de Saint-Pol-Roux et de les publier. Je ne m'attarderais pas plus sur les éditions Passage piétons si ces trois albums n'étaient merveilleusement réussis. S'ils n'étaient, emmi une production littéraire pour la jeunesse trop souvent insipide, de poétiques pavés dans la mare.


Le choix, d'abord, des trois textes idéoréalistes, fut pertinent. Non pas que le poète fût aussi hermétique qu'on veut parfois, faute de l'avoir bien lu, le dire ; mais il fallait assurément sélectionner ceux, plus narratifs, qui pouvaient le plus directement s'adresser aux enfants. La poule aux oeufs de cane, L'arracheur d'heures, Saint Nicolas des Ardennes, sont de ceux-là.


Il était, en outre, courageux de parier sur des oeuvres dont la poésie submerge de toutes parts le narratif.
"Et quel pieux soin la couveuse a de son devoir ! Comme tacitement elle suit la graduelle évolution qui s'opère en le temple de ses plumes ! Ne dirait-on pas qu'elle officie, ou plutôt n'a-t-elle pas l'allure grave d'une divinité qui va réaliser des créatures ? Elle sait que dans l'œuf après le premier jour des lignes déjà se dessinent, qu'après le second jour le cœur tiquetaque, qu'après le troisième le sang s'est canalisé, qu'après le quatrième le corps se distingue, qu'après le septième le col émane du corps, qu'après les neuvième et dixième les plumes frisent dans leurs gaines, qu'après le dix-huitième le squelette est complet, qu'au dix-neuvième le poussin rompra la membrane qui l'enveloppe, qu'enfin du vingtième au vingt et unième jour les parois de la coquille éclateront sous la vitalité du reclus, et qu'autant de grelots vivants sonneront Petit-Noël."

Les illustrations, enfin, de Frédérique Ortega, Michel Barréteau et Renaud Perrin, sont rien moins que formidables ; à l'instar du texte, elles ne prennent pas nos chères têtes blondes, brunes ou rousses pour d'insuffisantes imaginations auxquelles il faudrait pré-mâcher le sens de toute lecture. Les éditions Passage piétons font de beaux livres pour les enfants de tous les âges. Je les ai eus dans ma bibliothèque avant d'être père ; ils m'ont ravi. Et je me réjouis déjà du jour où je les lirai à mon fils... pour l'éveiller.
La poule aux oeufs de cane, version dessinée par Frédérique Ortega, collection "conte à rebours", éd. Passage piétons, 2001 (48 p., 9 €)

L'arracheur d'heures, version dessinée par Michel Barréteau, collection "conte à rebours", éd. Passage piétons, 2001 (48 p., 9 €)

Saint Nicolas des Ardennes, version dessinée par Renaud Perrin, collection "conte à rebours", éd. Passage piétons, 2001 (48 p., 9 €)

mardi 22 décembre 2009

Un petit reportage de France 3 sur Saint-Pol-Roux

Une fois n'est pas coutume : taisons-nous et laissons parler les images. Il s'agit d'un petit sujet d'août 2008, réalisé pour le journal de France 3 Bretagne, qui fut apparemment recyclé à l'occasion de la belle exposition Saint-Pol-Roux de l'hiver dernier dont on voit quelques vues dans les premières secondes.


Saint-Pol-Roux
posté sur dailymotion par brest44.

Il y a bien dans ce petit sujet quelques raccourcis et erreurs, mais j'ai promis de me taire. Alors, j'abandonne aux lecteurs mués en spectateurs le soin de les découvrir et de les rectifier.

lundi 21 décembre 2009

Un nouvel addendum au "Bulletin des Amis de Saint-Pol-Roux" n°4

Il faut se rendre à l'évidence, l'exhaustivité est impossible. J'avais déjà pu m'en apercevoir il y a quelques mois lorsque l'ami C. Arnoult dénicha, dans Les Loups de Belval-Delahaye, l'apologie par Ryner de La Dame à la Faulx, courte mais intéressante apologie dénichée bien trop tard pour figurer dans le dernier Bulletin des Amis de Saint-Pol-Roux consacré à l'impossible représentation damalafalcique. Je reproduisis donc, ici même, l'addendum publié d'abord sur le blog Han Ryner. Or, ne voilà-t-il pas que je trouve dans un numéro de la belle revue, Les Argonautes, revue mensuelle de poésie fondée et dirigée par Camille Lemercier d'Erm (Secrétaire de rédaction : Paul Tort), le n°8 pour être précis, étonnamment daté de janvier 1909, un article de tête du directeur-fondateur lui-même, qui mérite d'être à son tour versé au dossier de l'impossible représentation..., et de se muer en un autre addendum. Il y est question, comme on va le lire, du banquet Saint-Pol-Roux et de la mort de Catulle Mendès.
La Toison d'Or
Les vivants et les morts
Samedi 6 Février, un banquet réunissait à la taverne Grüber les amis et admirateurs du grand poète Saint-Pol-Roux, surnommé "le Magnifique", à cause peut-être de sa prestance de mousquetaire, à cause surtout de ses théories littéraires. M. Léon Dierx présidait, assisté de M. Catulle Mendès. Et c'était, de la part des deux grands Parnassiens, un geste touchant et peu banal que d'honorer de leur présence et de leur parrainage cette manifestation en l'honneur du Symbolisme. Toute l'élite de la nouvelle génération était là, trépidante... A l'heure des toasts, curieux spectacle ! La salle prend un aspect de réunion publique. Des bohèmes ivres poussent des cris d'animaux et se livrent à des démonstrations d'un "symbolisme" effréné. MM. Léon Dierx, Gustave Kahn, Catulle Mendès, Max Anhély (sic), le bon poète Paul Fort, Jean Royère, directeur de "LA PHALANGE", prennent successivement la parole au milieu d'un tumulte varié. M. Saint-Pol-Roux parle enfin, remercie, disserte fort élégamment et déclare, entre autres choses, que la Poésie date du Symbolisme, est née avec lui, ce qui peut paraître sensiblement exagéré.

Finalement, on nous fait signer une adresse à M. Claretie, l'invitant à représenter "La Dame à la Faulx" de Saint-Pol-Roux sur la scène du Théâtre Français. Nous avons tous signé, mais M. Claretie, je le crains, n'a pas encore contresigné.

Or, voici qu'au lendemain de cette mémorable soirée où M. Catulle Mendès donnait, par sa seule présence, un bel exemple de tolérance artistique à ses jeunes confrères, nous venons d'apprendre la mort tragique du grand poète.

Catulle Mendès fut pendant un demi-siècle l'une des plus hautes illustrations des lettres françaises. Depuis l'époque de ses débuts vers 1860, il a produit avec une incroyable fécondité et une supérieure maîtrise plus de cent ouvrages de tous genres littéraires, et l'on pouvait attendre encore de l'infatigable écrivain des oeuvres belles et nombreuses, puisque Réjane devait jouer de lui un drame napoléonien "L'Impératrice", l'Opéra monter le "Bacchus" qu'il avait écrit pour M. Massenet et que, la veille de sa mort, il travaillait encore à son ballet "La Fête chez Thérèse" dont M. Reynaldo Hahn composait la musique.

On a reproché à Catulle Mendès de n'être point un créateur. Il demeure cependant l'un des grands initiateurs du Parnasse. Or, le Parnasse qui nous semble bien vieux aujourd'hui, et qui l'est en effet, était, ne l'oublions pas, une audace en 1860, de même que le Symbolisme fut une audace en 1885. Et la gloire des Parnassiens n'a pas été étouffée par les colères des "Symbolos", comme disait Verlaine dont ils ont tenté depuis d'exploiter le cadavre.

L'an passé, Coppée ! récemment Sardou et Mérat ! aujorud'hui, Mendès ! et parmi les comédiens, les deux Coquelin ! C'est toute une génération qui s'éteint en peu de temps.

Que sera la nouvelle, celle qui se rue bruyamment au pouvoir ? Que sera la Poésie du XXe siècle ? Les célébrités de demain vaudront-elles les gloires d'hier ? Espérons-le, croyons-le, veuillons-le avec Saint-Pol-Roux. Mais, ce soir, oublions nos luttes sans merci pour rendre un impartial et juste hommage à nos grands devanciers du Parnasse, François Coppée et Catulle Mendès.
Tous deux sont morts ! Seigneur, votre droite est terrible !...
CAMILLE LEMERCIER D'ERM

Et Lemercier d'Erm (1888-1978), dont on appréciera le beau maintien, pouvait à juste titre regretter les querelles d'écoles puisque Les Argonautes fut une revue véritablement hospitalière qui accueillit toutes les générations. Elle compta ou annonça parmi les collaborateurs de ses dix livraisons : Catulle Mendès, Léon Dierx, Charles Le Goffic, Emile Blémont, Jean Richepin, Remy de Gourmont, Verhaeren, Gustave Kahn, Jean Moréas, Tristan Klingsor, Léon Riotor, Albert Saint-Paul, Victor-Emile Michelet, Fernand Gregh, Ricciotto Canudo, Valentine de Saint-Point, Guillaume Apollinaire, Marinetti, etc. Ce qui n'est pas rien. La revue vécut peu. Camille Lemercier d'Erm devait réorienter sa quête vers une toison d'or plus politique ; celui qui avait sous-intitulé ses Argonautes, "Revue Anthologique de Poésie française" fonda le Parti nationaliste breton et devint le héraut de la cause séparatiste.
Nota : On trouvera le détail des sommaires des dix premiers numéros de la revue sur le site des Amateurs de Remy de Gourmont.

dimanche 20 décembre 2009

Du nouveau sur Edgar Tant...

Il y a plus d'un an, j'introduisais en ces lieux le nom fort inconnu d'Edgar Tant, poète belge dont le principal génie fut de se reconnaître en Saint-Pol-Roux un maître. On se souvient peut-être des deux dédicaces qu'il fit imprimer en tête du Rythme de la Vie et de La Sagesse du Poète : "A SAINT-POL-ROUX / LE MAGNIFIQUE / Grand comme Shakespeare, / Grand comme l'Humanité, / Grand comme Pan" et "A Saint-Pol-Roux le Magnifique, / le Michel-Ange de la Poésie". On ferait difficilement moins nuancé comme aveu d'admiration.

J'ai, depuis, fait l'acquisition de deux nouvelles plaquettes de Tant. La première, EXODE - octobre 1914 (J. Lebègue & Cie, Libraires-éditeurs à Bruxelles et Paris, 1919) est un récit très probablement autobiographique, que l'auteur présente en quelques lignes :
"En ces pages nous souhaitons retracer les impressions d'un poète belge exilé et les péripéties amenées par les difficultés d'une langue à peine entendue.

Lors de l'invasion allemande, il se rend à pied de Bruges à Breskens, passe l'embouchure sud de l'Escaut et poursuit de Flessingue à Veere, où il croit pouvoir se loger."
En résumé, l'histoire d'un poète wallon, amoureux de littérature française et francophone, cherchant refuge en pays flamand, soit, pour lui, en plein domaine étranger. Le passage le plus intéressant de ce récit est celui où, à Middelbourg, après nous avoir appris qu'il est un cousin de feu Georges Rodenbach, il fait la rencontre du directeur francophile de la bibliothèque, qui lui ouvre la réserve. Il se retrouve alors en pays familier :
"Il mit la main sur Femmes, par Paul Verlaine, appartenant à la trilogie Chair : femmes, hommes, amies, série de poésies licencieuses qu'on ne lui délivra que sur son insistance et principalement en qualité d'auteur d'un recueil de vers érotiques : l'Amour bande. Il emporta l'album Masques d'André Gill, admirables portraits-charges gravés à l'eau forte, préfacés par Jean Richepin, les Mois, par François Coppée, grand in-quarto illustré par un procédé de reproduction spécial, et Saintes du Paradis, petits poèmes de Remi (sic) de Gourmont avec bois de Félix Vallotton (sic)."
Il n'existe pas, à ma connaissance, dans la bibliographie d'Edgar Tant, de recueil intitulé L'Amour bande, mais ce titre en cache peut-être un autre. L'auteur fait, en outre, une erreur lorsqu'il mentionne des bois de Vallotton illustrant la plaquette de Gourmont ; l'illustrateur des Saintes du Paradis fut Georges d'Espagnat. L'extrait ne nous renseigne pas moins sur les goûts littéraires du poète belge, entre parnasse et symbolisme. Une autre figure, plus ancienne, apparaîtra un peu plus loin, que nous avions déjà rencontrée, celle de La Fontaine : "M. Sw. [le bibliothécaire] installe confortablement l'exilé dans la salle de lecture et lui montre une superbe édition ancienne des oeuvres complètes de La Fontaine, illustrées de fines et malicieuses gravures admirablement appropriées au texte imprimé en caractères antiques sur Van Gelder à large marge. L'écrivain manipule religieusement cet ouvrage d'élite et délecte la salutaire convalescence des âmes qu'un rayon d'art à nouveau illumine !..."

De Saint-Pol-Roux, point n'est question dans le récit de cet exil. Son nom n'apparaît pas plus dans la plaquette suivante : QUATRAINS (Editions de la Revue Littéraire et Artistique, Paris, 1923), imprimée sur papier bouffant à 250 exemplaires in-8° couronne. Le quatrain, décidément, fut la forme poétique que Tant avait élue. On n'y trouvera pas de révolution métrique, d'innovations rimiques, mais le même élan lyrico-philosophique déjà relevé dans Le Rythme de la Vie.


J'ai dit que le nom de Saint-Pol-Roux n'y apparaissait pas ; sa présence tutélaire, toutefois, n'est pas improbable dans tel quatrain :

Au bord de l'océan, loin de la foule humaine
De simples coeurs encor savent le Paradis
Dont l'angélique paix semble toujours lointaine
A ceux que la rumeur n'a que trop étourdis !

et évidente dans l'épigraphe qui ouvre le recueil :
"Celui qui n'a égard, en écrivant, qu'au goût de son siècle, songe plus à sa personne qu'à ses écrits : il faut toujours tendre à la perfection, et alors cette justice, qui nous est quelquefois refusée par nos contemporains, la postérité sait nous la rendre."
En effet, cette citation extraite des Caractères de La Bruyère épigraphie tous les volumes des Reposoirs de la Procession de Saint-Pol-Roux, du premier paru en 1893 jusqu'au dernier publié en 1907. La retrouver ici, en tête des QUATRAINS d'Egar Tant, nous conforte dans l'idée que notre poète belge s'était choisi le Magnifique comme idéal modèle.