mercredi 30 avril 2008

SPiRitus S'entRetient avec Jacques Goorma

SPiRitus S'entRetient avec

Jacques Goorma
[Le premier à avoir soutenu une thèse sur l'oeuvre de Saint-Pol-Roux, il édita, en collaboration avec Alistair Whyte, la plupart des volumes parus chez Rougerie à partir de 1983. Jacques Goorma n'est pas seulement l'un des meilleurs connaisseurs du Magnifique, il est également l'auteur d'une douzaine de recueils, dont le dernier paru, Le Vol du loriot (Arfuyen, 2005), m'a découvert un beau poète. Evénement trop rare pour ne pas être signalé]
SPiRitus : Vous souvenez-vous de votre première rencontre de lecteur avec la poésie de Saint-Pol-Roux ? Quel était le titre de l'oeuvre, du poème, etc. ? Connaissiez-vous déjà, avant cette première lecture, son nom, son histoire, sa légende ? Si oui, comment ?

Jacques Goorma : Le premier livre, acheté 3 francs d'occasion en 1965 : Le Saint-Pol-Roux par Théophile Briant chez Seghers. J’ai 15 ans, je l’ouvre et tombe sur le poème "Frappez et l’on vous ouvrira". Je "dévore" l’ouvrage d’une seule traite. Le lendemain, à l’école, je demande à mon professeur de français où l’on peut trouver d’autres livres du poète. Elle ne connaît pas et m’indique le nom d’un prof de fac susceptible de m’informer. Celui-ci me dira "oui, c’est un symboliste, un poète mineur". Deux ans plus tard, c’est un bibliophile qui me prêtera L’Ancienne à la coiffe innombrable et me donnera un peu plus d’informations.

SPiR. : Qu’avez-vous éprouvé au cours de cette lecture ?

Jacques Goorma : Un choc énorme. La confirmation d’intuitions non formulées. Une véritable révélation. Le fond autant que le style provoque un vif enthousiasme, une surprise, une exaltation.

SPiR. : A ce jour, qu’avez-vous lu de son œuvre ? Quels sont les titres qui figurent dans votre bibliothèque personnelle ? Dans quelle édition, etc. ?

Jacques Goorma : L’intégralité des ouvrages (livres et revues) en édition originale et tous les titres parus chez Rougerie.

SPiR. : Quels sont, parmi ses ouvrages (parutions posthumes comprises), ceux que vous préférez ? Sauriez-vous dire pourquoi ?

Jacques Goorma : Difficile de faire un choix ! Les 3 tomes des Reposoirs pour l’extraordinaire maîtrise (unique dans l’histoire littéraire) de cette forme de prose poétique (j’ai bien sûr mes textes préférés dans cette vaste trilogie). Les nombreux "métaphorismes" rattachables au projet de la Répoétique (Vitesse, Vendanges…) J’ai aussi un faible pour Les personnages de l’individu.

SPiR. : Pouvez-vous citer, pour les visiteurs du blog, quelques vers ou lignes de votre volume préféré ?

Jacques Goorma :
"L’univers n’est qu’un grain de sable auprès de la grandiose basilique épanouie dans le cerveau même d’un enfant."
"On pourrait être quelqu’un de l’Univers mais on veut être quelqu’un du Tout Paris. L’homme s’use à trop croire à soi seul, à se limiter à son égoïsme. Au lieu qu’il doit océaniser sa goutte d’eau. Notre regard est un bandeau flamboyant, aussi fermer les yeux à jamais et mourir, c’est avoir du génie soudainement et pour toujours."
"Le vrai génie c'est la bonté."
SPiR. : Quelle première œuvre conseilleriez-vous à un jeune homme ou à une jeune fille qui voudrait découvrir Saint-Pol-Roux ?

Jacques Goorma : Le Saint-Pol-Roux chez Seghers, La Rose et les épines du chemin.

SPiR. : Pouvez-vous nous raconter une anecdote personnelle, de lecture, de recherche, de chine, ou autre, où Saint-Pol-Roux joue un rôle important ?

Jacques Goorma : Ma première rencontre avec Divine Saint-Pol-Roux qui parlait toujours de son père au présent.

SPiR. : Comment définiriez-vous sa poésie ? Vous semble-t-elle "datée" ?

Jacques Goorma : Le somptuosité verbale et la luxuriance d’images. Une certaine préciosité baroque peut sembler "datée". Mais il faut souligner l’extraordinaire modernité tant dans l’inspiration visionnaire que dans la forme des "œuvres futures".

SPiR. : Pensez-vous que son œuvre a pu influencer certains des mouvements du XXe siècle poétique ? Lesquels ? Dans quelle mesure ?

Jacques Goorma : Influence indéniable et directe sur le surréalisme et le simplisme (les poètes du Grand Jeu)

SPiR. : Comment expliquez-vous le relatif silence qui entoure actuellement son œuvre ?

Jacques Goorma : La valorisation d’une forme d’excès, d’un baroque fort peu dans le goût classique des français et des "eternels tradionnaires malherbiens".

SPiR. : Faites le "portrait chinois" du Magnifique.

Jacques Goorma : 1. un animal : un centaure. - 2. un végétal : les immortelles. - 3. une pierre (semi)précieuse : l'escarboucle. - 4. un objet : un encrier. - 5. un moyen de locomotion : l'automobile. - 6. un lieu : la "salle verte", son "rêvoir". - 7. une couleur : celle (sic) de l'arc-en-ciel. - 8. un parfum : celui de l'océan. - 9. un être mythologique : Amphion. - 10. une heure du jour : l'aube. - 11. un événement historique : la post-histoire. - 12. un péché capital : l'orgueil. - 13. un sentiment : la joie. - 14. un artiste : Gustave Moreau. - 15. un vers : (inutile de résister au bonheur d'en choisir quatre !)
La chevelure en pleurs à la façon des saules
L'intruse se leva comme on sort de la mer
Un frisselis subtil à fleur de ses épaules
Indiquait que deux ailes germaient de sa chair.
Nota : Pour lire les entretiens précédents, cliquez ici ; pour répondre à votre tour au questionnaire, demandez en un exemplaire .

mardi 29 avril 2008

SPiRitus S'entRetient avec Bruno Leclercq

SPiRitus S'entRetient avec

Bruno Leclercq

[Zeb de Livrenblog, amateur d'histoire littéraire, chineur, collectionneur, acheteur et vendeur de livres]
SPiRitus : Vous souvenez-vous de votre première rencontre de lecteur avec la poésie de Saint-Pol-Roux ? Quel était le titre de l'oeuvre, du poème, etc. ? Connaissiez-vous déjà, avant cette première lecture, son nom, son histoire, sa légende ?

Bruno Leclercq : Ma première rencontre avec Saint-Pol-Roux c'est à Gourmont et à son Livre des Masques que je la dois. Ma première lecture est sans doute celle de La Dame à la faulx. Sa légende : le titre rosicrucien de Magnifique, le scandale "Rachilde" du banquet, son influence sur Breton et le surréalisme, son travail de "ghostwriter" pour Louise de Charpentier, le manoir de Camaret et sa fille Divine... Toutes ces histoires et la réputation d'un poète fortement original étaient arrivées jusqu'à moi par la lecture des souvenirs des uns et des autres, par les essais de Royère ou les écrits de Théophile Briant.

SPiR. : Qu'avez-vous éprouvé au cours de cette lecture ?

Bruno L. : La sensation de découvrir un poète unique, une oeuvre complètement originale, à saisir dans son ensemble et dans sa progression, le contraire d'un poète d'anthologie. La sensation qu'avec lui s'ouvre un monde à explorer, une oeuvre à déchiffrer.

SPiR. : A ce jour, qu'avez-vous lu de son oeuvre ? Quels sont les titres qui figurent dans votre bibliothèque personnelle ? Dans quelle édition, etc. ?

Bruno L. : La Dame à la Faulx, La rose et les épines du chemin 1885-1900 (Les Reposoirs de la procession I), sont les deux premiers volumes trouvés aux éditions du Mercure de France, puis au hasard des trouvailles quelques volumes aux éditions Rougerie, Cinéma Vivant, La Répoétique...

SPiR. : Quels sont, parmi ses ouvrages (parutions posthumes comprises), ceux que vous préférez ? Sauriez-vous dire pourquoi ?

Bruno L. : La Dame à la Faulx, bien que je ne sois pas féru de théâtre et parce qu'il me semble difficile de mettre en avant un titre dans ses recueils poétiques.

SPiR. : Pouvez-vous citer, pour les visiteurs du blog, quelques vers ou lignes de votre volume préféré ?

Bruno L. : "Poètes, la poésie s'étiole de fabriquer des chaussons de lisière, fussent-ils de vair ou de diamant."

SPiR. : Quelle première oeuvre conseilleriez-vous à un jeune homme ou à une jeune fille qui voudrait découvrir Saint-Pol-Roux ?

Bruno L. : Laissons-les découvrir par eux-mêmes. L'important est que le nom de Saint-Pol-Roux soit arrivé jusqu'à eux, qu'ils fassent leur chemin comme nous avons fait le nôtre.

SPiR. : Pouvez-vous nous raconter une anecdote personnelle, de lecture, de recherche, de chine, ou autre, où Saint-Pol-Roux joue un rôle important ?

Bruno L. : Dans ma quête de chineur invétéré, trouver une édition ancienne de Saint-Pol-Roux reste un événement, et une joie, toujours trop rare.

SPiR. : Comment définiriez-vous sa poésie ? Vous semble-t-elle "datée" ?

Bruno L. : Illisible, datée... On entend trop souvent ces commentaires à propos des oeuvres un peu ardues, un bon moyen de se dédouaner de les lire. Datée ? La poésie de Saint-Pol-Roux l'est moins que celle de nombreux "symbolistes", pas plus "datée" que le Surréalisme ou Dada, toujours considérés comme théories d'avant-garde et pourtant centenaires, déjà. Définir sa poésie, n'est-ce pas définir la poésie ? Une quête d'absolue ?

SPiR. : Pensez-vous que son oeuvre a pu influencer certains des mouvements du XXe siècle poétique ? Lesquels ? Dans quelle mesure ?

Bruno L. : Un certain Mikaël Lugan répondrait mieux à cette question que moi-même. Une réflexion, pourtant : j'ai pu constater l'aura dont dispose Saint-Pol-Roux auprès des lecteurs d'Apollinaire, de Max Jacob ou des amateurs de poésie surréaliste, l'importance accordée à son rôle fantasmé ou réel de précurseur.

SPiR. : Comment expliquez-vous le relatif silence qui entoure actuellement son oeuvre ?

Bruno L. : Il ne me semble ni plus ni moins important que le silence entourant la poésie en général : un silence relatif...

SPiR. : Faites le "portrait chinois" du Magnifique.

Bruno L. : Désolé, seule l'amitié a été capable de me pousser à produire les quelques lignes qui précèdent, mais le portrait chinois est au-dessus de mes forces.

SPiR. : Pour finir, à quelle question sur le poète ou son oeuvre, non posée ici, auriez-vous aimé répondre ? Répondez-y.

Bruno L. : Faire la question et la réponse ? Je laisse ça aux politiques.
Nota : Mes remerciements à Bruno Leclercq qui répondit à cet interrogatoire malgré une grippe coriace. Pour lire les précédents "entretiens", rendez-vous ici ; pour répondre à votre tour au questionnaire, demandez-le simplement .

vendredi 25 avril 2008

SPiRitus S'entRetient avec Bernard Barral

SPiRitus S'entRetient avec


Bernard Barral
[Agrégé de philosophie, professeur dans un lycée de Seine-et-Marne, également chargé de cours d'esthétique à l'Université Inter-Âges de Melun (Paris II), Bernard Barral donne parfois des conférences, sur Verlaine et Rimbaud notamment, sous la forme singulière de dialogues avec un comédien, Maxime Daniel. Bernard Barral est aussi poète]
SPiRitus : Vous souvenez-vous de votre première rencontre de lecteur avec l'oeuvre de Saint-Pol-Roux ? Quel était le titre de l'oeuvre, du poème, etc. ? Connaissiez-vous déjà, avant cette première lecture, son nom, son histoire, sa légende ? Si oui, comment ?

Bernard Barral : Je connaissais par coeur la dédicace du Silence de la mer de Vercors : "A la mémoire de Saint-Pol-Roux, Poète assassiné". J'étais frappé par le P, lettre capitale.

Le premier texte lu se trouvait dans... le Lagarde et Michard : Soir de Brebis.

SPiR. : Qu'avez-vous éprouvé au cours de cette lecture ?

B. Barral : A l'époque, au lycée, j'admirais Mallarmé et Apollinaire, et je trouvais, de façon évidemment inadéquate, que Saint-Pol-Roux "tenait des deux".

SPiR. : A ce jour, qu'avez-vous lu de son oeuvre ? Quels sont les titres qui figurent dans votre bibliothèque personnelle ? Dans quelle édition, etc. ?

B. Barral : Je fréquente surtout La Rose et les épines du chemin (Poésie/Gallimard) et le choix de textes par Théophile Briant (Seghers).

SPiR. : Quels sont, parmi ses ouvrages (parutions posthumes comprises), ceux que vous préférez ? Sauriez-vous dire pourquoi ?

B. Barral : Par simple commodité, le Seghers.

SPiR. : Pouvez-vous citer, pour les visiteurs du blog, quelques vers ou lignes de votre volume préféré ?

B. Barral : "Mer ancienne et jeune, gracieuse et farouche, reine des pavois de fête, souveraine des tempêtes, ô Mer accorde ta miséricorde à ces pêcheurs venus pour déposer la caresse ingénue de leurs yeux sur la risée de ta joue bleue !" (Prière à la Mer)

SPiR. : Quelle première oeuvre conseilleriez-vous à un jeune homme ou à une jeune fille qui voudrait découvrir Saint-Pol-Roux ?

B. Barral : Le recueil Vitesse.

SPiR. : Pouvez-vous nous raconter une anecdote personnelle, de lecture, de recherche, de chine, ou autre, où Saint-Pol-Roux joue un rôle important ?

B. Barral : Sans cuistrerie aucune, le sentiment de vivre ce qu'est le sublime pour Kant, en découvrant le Manoir de Coecilian, au lever du soleil, en 2003.

SPiR. : Comment définiriez-vous sa poésie ? Vous semble-t-elle "datée" ?

B. Barral : La question est révélatrice que le doute plane... La poserait-on à propos d'Apollinaire ou d'Eluard ?

Ma méconnaissance de Saint-Pol-Roux est trop grande pour oser "définir" sa poésie. J'emploierais cependant l'image du vitrail. C'est une poésie dont la luminosité fixe le regard comme celle du vitrail.

SPiR. : Pensez-vous que son oeuvre a pu influencer certains des mouvements du XXe siècle poétique ? Lesquels ? Dans quelle mesure ?

B. Barral : Le surréalisme (voir ce qu'en dit Breton lui-même); le poème en prose.

SPiR. : Comment expliquez-vous le relatif silence qui entoure actuellement son oeuvre ?

B. Barral : Le silence entoure tous les poètes. Saint-Pol-Roux est desservi par une diffusion restreinte de ses oeuvres dans les librairies "grand public". Le drame du "Poète assassiné" occulte l'oeuvre.

SPiR. : Faites le "portrait chinois" du Magnifique.

B. Barral : 1. un animal : un goéland. - 2. un végétal : la fleur de bruyère. - 3. une pierre (semi)précieuse : non, un simple caillou. - 4. un objet : le bâton du pâtre. - 5. un moyen de locomotion : une barque engloutie. - 6. un lieu : la lande. - 7. une couleur : lapis-lazuli. - 8. un parfum : le varech. - 9. un être mythologique : Glaucos de Béotie. - 10. une heure du jour : l'aurore. - 11. un événement historique : ??. - 12. un péché capital : la gourmandise. - 13. un sentiment : la bonté. - 14. un artiste : un verrier. - 15. un vers : "Le Temps récite le rosaire du Soleil".

N.B. : On tombe vite dans les clichés.

SPiR. : Pour finir, à quelle question sur le poète ou son oeuvre, non posée ici, auriez-vous aimé répondre ? Répondez-y.

B. Barral : Des textes de Saint-Pol-Roux seront-ils un jour au programme de l'épreuve de Littérature de Terminale série L (avant qu'elle ne disparaisse) ? C'est évidemment une question intempestive, sans réponse ici.
Nota : Les deux poèmes de Bernard Barral, hommages à Saint-Pol-Roux mis en musique par Françoise Sauclières, figureront au programme du concert lyrique (harpe, chant & piano) qui aura lieu le 30 mai prochain, à 20h30, à la Cité Internationale Universitaire de Paris (Maison du Cambodge - 17, bd Jourdan - 75014 Paris)
Nota(bis) : Pour lire l'intégralité des "entretiens", cliquez ici; pour répondre, à votre tour, au questionnaire, il suffit de le demander .

jeudi 24 avril 2008

SPiRitus S'entRetient avec Martine Monteau

SPiRitus S'entRetient avec

Martine Monteau
[La poésie découverte à sept ans par un cousin poète et dans sa bibliothèque, lui a permis d'accepter le monde. La révélation fut Dante : la Divine comédie lue enfant, et l'Anthologie des troubadours d'André Marie. Lectrice attentive des poètes, elle écrit (publie très peu dans les revues). Martine Monteau publie sur la peinture et l'estampe. Elle travaille à la bibliothèque nationale.]
SPiRitus : Vous souvenez-vous de votre première rencontre de lectrice avec la poésie de Saint-Pol-Roux ? Quel était le titre de l'oeuvre, du poème, etc. ? Connaissiez-vous déjà, avant cette première lecture, son nom, son histoire, sa légende ? Si oui, comment ?

Martine Monteau : J'ai appris son nom par une Chanson de Ferrat... Puis sa dernière année tragique... Je l'ai retrouvé dans le sillage des Cahiers du Sud, à Marseille. Puis ma rencontre avec Marcou Ballard (début des années 1980). Allé sur sa trace à Saint-Henry (Marseille).

SPiR. : Qu'avez-vous éprouvé au cours de cette lecture ?

Martine Monteau : Un enchantement. Lectrice des troubadours j'avais l'impression de lire leur ancêtre, barde.

SPiR. : A ce jour, qu'avez-vous lu de son oeuvre ? Quels sont les titres qui figurent dans votre bibliothèque personnelle ? Dans quelle édition, etc. ?

Martine Monteau : La Répoétique, la trilogie [des Reposoirs] chez Rougerie et d'autres chez cet éditeur.

SPiR. : Quels sont, parmi ses ouvrages (parutions posthumes comprises), ceux que vous préférez ? Sauriez-vous dire pourquoi ?

Martine Monteau : C'est plutôt une atmosphère d'ensemble : de l'oxygène pur...

SPiR. : Pouvez-vous citer, pour les visiteurs du blog, quelques vers ou lignes de votre volume préféré ?

Martine Monteau : Tous. Mais pas tout. Il y a des passages très forts, d'autres moins prenants.

SPiR. : Quelle première oeuvre conseilleriez-vous à un jeune homme ou à une jeune fille qui voudrait découvrir Saint-Pol-Roux ?

Martine Monteau : Oser partir seul à la découverte...

SPiR. : Pouvez-vous nous raconter une anecdote personnelle, de lecture, de recherche, de chine, ou autre, où Saint-Pol-Roux joue un rôle important ?

Martine Monteau : Lors d'une exposition sur S. PARADJANOV, chez Marie Jouannic, Poésie dans un jardin à Avignon, je parlais de Sayat Nova à l'étudiante qui tenait la librairie et nous en sommes arrivés à Saint-Pol-Roux : je lui ai prêté les volumes que j'avais. Lorsqu'elle me les a rendus elle m'a demandé de les lui laisser, et devant son émotion sincère à cette lecture je lui ai donné ces livres.

SPiR. : Comment définiriez-vous sa poésie ? Vous semble-t-elle "datée" ?

Martine Monteau : Intemporelle. Elle semble être celle d'un initié aux mystères antiques, à la tradition des aèdes-vatès-bardes, à la leçon d'un Boehme et Paracelse... Elle touche au "sacré" des sources...

SPiR. : Pensez-vous que son oeuvre a pu influencer certains des mouvements du XXe siècle poétique ? Lesquels ? Dans quelle mesure ?

Martine Monteau : André Breton y fut sensible. Un J. Supervielle ? Lanza del Vasto sûrement.

SPiR. : Comment expliquez-vous le relatif silence qui entoure actuellement son oeuvre ?

Martine Monteau : Sa voix est inaudible au matérialisme contemporain... Il n'est pas le seul poète hélas au château du silence...

SPiR. : Faites le "portrait chinois" du Magnifique.

Martine Monteau : 1. un animal : l'hippocampe. - 2. un végétal : la violette. - 3. une pierre (semi)précieuse : la pierre philosophale. - 4. un objet : un alambic. - 5. un moyen de locomotion : un vaisseau spatial. - 6. un lieu : Camaret. - 7. une couleur : ambre. - 8. un parfum : lavande. - 9. un être mythologique : Merlin l'Enchanteur (ou Orphée). - 10. une heure du jour : l'aube. - 11. un événement historique : l'invention du langage. - 12. un péché capital : le luxe. - 13. un sentiment : l'empathie. - 14. un artiste : Nicolas Poussin. - 15. un vers : "M'illmino / d'immenso" (Ungaretti).

SPiR. : Pour finir, à quelle question sur le poète ou son oeuvre, non posée ici, auriez-vous aimé répondre ? Répondez-y.

Martine Monteau : Saint-Pol-Roux est une sorte de Tibet qui nous est spirituellement nécessaire. De l'ordre du menhir ou des espèces fragiles menacées. Je pense que bien des pépites de l'or du temps sont cachées dans son oeuvre. C'est un poète à toujours découvrir. Tel le secret caché, révélé de la nature.
Nota : Pour lire les entretiens précédents, cliquez ici. Pour répondre à votre tour au questionnaire, demandez-le .

mercredi 23 avril 2008

Feuilleton critique (2ème partie) : Chapitre II.- Pré-textes de rupture

CHAPITRE II. - PRE-TEXTES DE RUPTURE
(pour lire la première partie et le chapitre précédent, cliquez ici)
"La révolte est la loi vive du génie."
Mont de Piété signale un fort changement d'orientation poétique. L'année de parution du recueil voit la mort de Jacques Vaché et les premières expériences d'écriture automatique qui constitueront Les champs magnétiques, le premier ouvrage surréaliste. Les trois chapitres initiaux paraissent dans les numéros d'octobre et décembre de la revue Littérature, créée au printemps (celui de "Façon" ?) par Aragon, Soupault et Breton. Ce dernier trimestre correspond également à l'adhésion des jeunes parisiens au mouvement Dada; le groupe s'agrandit; les noms de Tzara, Ribemont-Dessaignes, Picabia, Max Ernst complètent désormais le sommaire des premières livraisons de la revue en 1920. Jusqu'alors "de très bonne compagnie(18)", recueillant entre autres les contributions de Gide, Valéry, Fargue, Salmon, Max Jacob, Reverdy, Cendrars, Morand et Giraudoux, Littérature devient l'organe dadaïste à Paris et rompt, définitivement semble-t-il, avec la génération symboliste. Parallèlement aux manifestations scandaleuses de Dada, Breton et ses amis entrent dans la période des sommeils, initiée par Crevel. La richesse poétique qu'ils y découvrent, associée à la pratique de l'automatisme, s'adapte assez mal au nihilisme de Tzara. En février 1922, le travail systématique du négatif a assez duré pour le futur fondateur du Surréalisme qui appelle à la réunion d'un "Congrès international pour la détermination des directives et la défense de l'esprit moderne(19)". C'est un échec. Littérature, dont les livraisons s'étaient interrompues après le compte rendu du "Procès Barrès" en août 1920, reparaît alors avec de nouveaux noms (Desnos, Vitrac, Morise) dans un format nouveau et sous la direction de Soupault et Breton. Les numéros 2 à 5 de la nouvelle série procèdent à la liquidation de Dada. Mais, au début de 1923, les liens se distendent à l'intérieur du groupe. Desnos supporte mal l'arrêt des expériences de sommeil; Aragon est critiqué pour avoir accepté de rejoindre la rédaction de l'hebdomadaire Paris-Journal de Jacques Hébertot; Soupault s'éloigne de plus en plus pour se consacrer à ses condamnables activités de journaliste et de romancier; Crevel a rejoint Tzara. C'est dans ce contexte d'intense démoralisation et de doutes quant à l'avenir que Breton confie à Vitrac son intention de ne plus écrire(20). En juillet, pourtant, il compose quelques-uns des plus beaux poèmes de Clair de Terre, son prochain recueil qu'il achève en vacances à Lorient durant le mois d'août.

***

Profitant de son séjour en Bretagne, il écrit, le 1er septembre, à Saint-Pol-Roux pour lui demander un rendez-vous. Dans sa lettre, le directeur de Littérature assure le Magnifique de sa plus "profonde admiration" et lui signifie sa volonté d'écrire sur lui "le premier article de réparation, lequel trouverait place dans le second volume de [son] livre : Les Pas perdus, qui va paraître à la Nouvelle Revue Française(21)". La rencontre a lieu le 7 dans le manoir de Camaret. Nous n'avons que peu d'indications sur la teneur de la conversation, en dehors de celles fournies par Breton dans sa deuxième lettre, datée du 18 septembre. Le jeune poète y regrette sa réserve : "Le malheur est que j'ai trop conscience de certaines barrières et que, désireux de préserver nos premiers rapports, cette heure pour moi sans prix, et ce qui pouvait s'y introduire de factice, je ne me livrais pas assez"; revient sur le sort fait à son aîné : "j'ai été profondément remué par tout ce que vous m'avez dit, révolté aussi par ce que vous m'avez tu : cette fatalité sur vous, la lâcheté de vos amis"; et, après avoir réitéré, avec ferveur, sa proposition de service, il demande au poète de Camaret d'accepter la dédicace qui doit ouvrir le recueil à paraître "dans une quinzaine de jours" :
Au grand poète
SAINT-POL-ROUX
A ceux qui comme lui
s'offrent
LE MAGNIFIQUE
plaisir de se faire oublier(22)
A partir de cette date, Saint-Pol-Roux entre explicitement et de son vivant dans le panthéon surréaliste. Alors que son nom ne figurait pas dans la liste des personnalités notées de -25 à +20 par les collaborateurs dadaïstes de Littérature, il trouve place dans la double page, intitulée "ERUTARETTIL(23)", de la livraison du 15 octobre 1923.


Saint-Pol-Roux s'y voit entouré, en haut par Lautréamont, en bas par Fantomas, à gauche par Ghil et Louys, à droite par Péladan, et non loin de Rimbaud, Vaché, Apollinaire, Nouveau, Jarry, Maeterlinck, Roussel et Reverdy. Des auteurs symbolistes qui y apparaissent - en plus de ceux déjà mentionnés, citons Huysmans et remarquons l'absence de Mallarmé -, le nom du Magnifique se détache par la taille et la police de caractères utilisée qui l'apparente, entre autres, à Cros, Reverdy, Borel, Nerval, Roussel, Radcliffe et Laclos. Cette liste, qui compte soixante et onze noms de poètes, philosophes, romanciers, alchimistes ou personnages de fiction, élabore, un an avant le Manifeste, le premier arbre généalogique du Surréalisme. Ce qui unit tous ces auteurs ou titres, c'est leur capacité à prendre poétique à contresens la littérature, à en brouiller les règles du jeu, les niant peut-être, pour accéder à une nouvelle réalité. Cette reconnaissance d'une ascendance poétique, aux nombreuses ramifications, appelle un élan positif et annonce déjà une reconstruction prochaine sur les cendres littéraires de Dada.

Tel est le sens du dernier "numéro démoralisant" de la revue Littérature qui paraît, huit mois après le précédent, en juin 1924. Au sommaire, des fragments d'Un coeur sous une soutane de Rimbaud, un poème d'Apollinaire, des articles de Vitrac, Desnos et Baron, le "Carnet" d'André Breton, une "lettre à Francis Vielé-Griffin sur la destinée de l'homme" d'Aragon et, pour finir, un court texte de la rédaction - mais qui selon Henri Béhar serait du seul Breton - intitulé "Nouveauté". Dans ce bref paragraphe, les futurs surréalistes exposent leur décision de délaisser la critique, jugée insignifiante :
"Comme un certain nombre des modes de l'activité humaine, la critique a cessé de nous intéresser : elle est trop bête. Nous renvoyons donc nos lecteurs, comme tu dis, au comptoir de l'épicerie (Revue universelle, Revue hebdomadaire, N.R.F., Le Temps, Le Figaro, etc...). Nous nous bornerons désormais à publier quelques extraits des livres et de la conversation de nos contemporains les plus remarquables, aussi bien que des personnages qui ont su par eux-mêmes ou par la bonne volonté d'un éditeur garder au-delà de la mort un semblant d'actualité.(24)"
Et les extraits qui suivaient ce préambule étaient signés Gauguin, Sade, Delteil, Soupault, Rabbe et Saint-Pol-Roux. De ce dernier, Breton reproduisait un passage de la lettre que le Magnifique lui avait adressée, et dont j'ai précédemment cité le brouillon publié par Rougerie. L'extrait présente certaines différences avec ce dernier :

"SAINT-POL-ROUX : "C'est la crainte et l'amour de la Beauté, les deux servantes qui firent mes malles, voilà 30 ans. Ayant élu le long silence, je ne saurais être un envieux, et j'accepte ma modeste destinée... Laissez-moi regagner cette solitude où je vins creuser jusqu'à l'os, bien avant le silex et l'ambre. Voyez-vous, nous sommes les prisonniers de la Raison. La Belle à délivrer, c'est l'Imagination : grande reine du Monde. Elle est la géniale Aventure, dont la Raison est le corps-mort."
La lettre de Saint-Pol-Roux rejoint les autres extraits proposés en ce qu'elle postule une certaine attitude littéraire, libre et peu soucieuse de la critique raisonnante. Elle manifeste également le choix devant lequel se trouvent alors les jeunes écrivains parisiens de Littérature : le silence ou l'aventure poétique.

***

Un mois plus tôt, le recueil Clair de Terre exprimait déjà cette tension. Les textes qui le composent, de formes variées, font probablement partie des plus beaux que Breton ait écrits. On l'a vu, la dédicace à Saint-Pol-Roux inaugure l'ouvrage. Loin d'être anodine ou circonstancielle, adressée à son unique destinataire, elle traduit le sentiment profond de son auteur et de ses amis, désireux de s'offrir "le magnifique plaisir de se faire oublier". A l'autre bout du recueil, lui répond le court poème "A Rrose Sélavy(25)", avec en épigraphe le titre de l'article de Vitrac paru dans le Journal du Peuple en avril 1923 : "André Breton n'écrira plus"; ce dernier poème, en réalité un seul alexandrin - "j'ai quitté mes effets, / mes beaux effets de neige !" -, exprime un renoncement à l'artifice littéraire, tout en l'utilisant ironiquement, et promet l'adoption d'une attitude nouvelle. "C'est comme une invitation à l'espérance(26)" remarqua Saint-Pol-Roux dans une lettre du 29 décembre 1923. Car, finalement, ce n'est pas le silence qui a été choisi, mais bien l'aventure poétique qui doit mener à la libération de l'imagination. Aussi, Clair de Terre se compose-t-il de cinq récits de rêves, d'une page d'annuaire recensant tous les Breton de Paris moins l'auteur, sans doute à chercher ailleurs, de proses et de poèmes automatiques. Si le nom n'est pas encore trouvé, lors de la parution du recueil, il n'en reste pas moins que la poésie qui s'y fait jour est surréaliste, et rompt totalement avec le dadaïsme.

En outre, écrit, en grande partie à Lorient, alors même que Breton éprouve le désir de rencontrer son aîné, il n'est pas impossible que Clair de Terre se souvienne de la poésie du Magnifique. A l'époque Dada, les proches du directeur de Littérature voyaient d'un mauvais oeil son admiration pour le poète de Camaret; Picabia, notamment, qui déclara : "Saint-Pol-Roux, j'ai horreur de tout ce qu'il a pu faire et il a eu raison de foutre le camp en Bretagne(27)". Mais certaines déclarations du poète, faites deux ans plus tôt, avaient annoncé, sur un ton amusé, le danger de pétrification qu'encourait le mouvement de Tzara. En novembre 1920, L'Esprit nouveau avait lancé, à la fin de son deuxième numéro, l'enquête : "Faut-il brûler le Louvre ?", à laquelle s'ajouta, en mars 1921, la question posée dans le numéro 15 de La Revue de l'Epoque : "Faut-il fusiller les dadaïstes ?". Saint-Pol-Roux fit d'une pierre deux coups et répondit, avec un humour proche de celui des dadas eux-mêmes : "Ne pas fusiller Louvre / Ni brûler Dada / Car Dada est dans Louvre / Et Louvre dans Dada.(28)" Il serait cependant trop simple de ne voir dans cette réponse qu'une plaisanterie astucieuse. Sous l'aspect du paradoxe, voire du nonsense, le Magnifique affirme, d'une part, que l'oeuvre d'art est par nature révolutionnaire - "Dada est dans Louvre" - et point, d'autre part, l'institutionnalisation, la banalisation imminente, en germe dans les productions dadaïstes - "Et Louvre dans Dada". Cette critique, Breton la fera sienne 18 mois plus tard. Réintroduire le nom de Saint-Pol-Roux dans le panthéon pré-surréaliste, c'est donc l'investir, comme le remarque Gérard Legrand, "du renversement que laissait percer la distance prise à l'égard de Dada(29)". Et dans la mesure où Clair de Terre représente la première manifestation éditoriale post-dadaïste, les poèmes qui y renversent la vapeur poétique renouent avec des influences jusque-là un peu délaissées.

L'usage quasi systématique de la dédicace - fait assez peu courant pour attirer notre attention - se rappelle peut-être justement les recueils de Saint-Pol-Roux dont presque tous les poèmes sont dédiés à des amis ou des contemporains. Comme le Magnifique, pour qui cette pratique tendait à constituer autour de son nom une communauté idéoréaliste idéale, Breton rallie des hommes capables de susciter un mouvement nouveau. Plus significatives et plus structurantes cependant me paraissent les nombreuses allusions solaires et les images qui s'y rattachent. Contrairement à ce qu'affirme Angelos Triantafyllou pour qui "la lumière que le surréalisme a introduite dans l'image [a] ensuite [marqué] la pensée des poètes comme Saint-Pol-Roux ou même Pierre Reverdy (dans les années 30)(30)", ce sont les attributs particuliers que le Magnifique a conférés, dans toute son oeuvre - antérieure à 1923 ! -, au soleil, qui étaient à même d'orienter la poésie de Breton. Le titre Clair de Terre met, avec évidence, l'accent sur l'importance de la luminosité comme motif structurant du recueil. Le premier texte, un récit de rêve, nous plonge dans l'obscurité de l'inconscient et dans l'absence toute fictionnelle du soleil : "Je passe le soir dans une rue déserte"; et le parcours onirique s'achève sur l'expression d'un désir qui ne parvient pas à se réaliser : "je n'arrive à écrire sur le premier feuillet que ces mots : La lumière...". Cette lumière, décevante car ne subsistant qu'à l'état larvaire de mot, appelée trois fois, ne peut manquer d'évoquer l'Azur mallarméen(31). Cette tension vers un ailleurs qui, pour Breton se confond avec l'ici-bas puisque "Tout paradis n'est pas perdu" selon l'intitulé d'un autre poème, est à maintes reprises rendue par l'alternance de textes diurnes et nocturnes. Et le recueil se conclut avec "Le soleil en laisse(32)", image arrêtée de l'astre, telle qu'on peut la trouver dans La Dame à la faulx ou Les Reposoirs de la procession. Le neuvième vers, "Ce n'était qu'un rayon de la roue voilée", pourrait d'ailleurs faire référence à la fin de l'antépénultième poème des Féeries intérieures :
"Or, tout là-bas, se fit le bruit d'un Coeur qui s'enchâssait en des rayons...
Et la Roue de la Vie reparut dans le ciel comme une apothéose.(33)"
Or, cette image de l'astre illuminant le monde extérieur ne va pas, chez Breton comme chez Saint-Pol-Roux, sans un renversement dialectique qui intériorise la lumière et identifie le poète à un foyer rayonnant. "La construction solaire [qui l'avait] retenu jusqu'ici(34)" s'effondre et instaure une nuit angoissante au cours de laquelle s'effectue, sous l'action héliotropique, l'assimilation lumineuse. Le célèbre poème "Tournesol(35)", commenté par l'auteur, quatorze ans plus tard, dans L'Amour fou, est chargé de ce renversement. Le poète, dont le regard suit la déambulation nocturne d'une femme mystérieuse et radieuse ("l'ambassadrice du salpêtre" / "la dame sans ombre"), occupe la position de la fleur amoureuse du soleil, pendant les deux premiers tiers du texte. Mais à la fin, le spectateur devient à son tour objet de contemplation et prend la place de l'astre :
"Je ne suis le jouet d'aucune puissance sensorielle
Et pourtant le grillon qui chantait dans les cheveux de cendre
Un soir près de la statue d'Etienne Marcel
M'a jeté un coup d'oeil d'intelligence
André Breton m'a-t-il dit passe"
Un mouvement analogue structure le récit de "La religion du tournesol(36)", poème en prose de La Rose et les épines du chemin, composé par Saint-Pol-Roux au début des années 1890. Jaloux du soleil, le poète fait une cour assidue à l'hélianthe jusqu'à ce que
"Me prenant sans doute pour le Soleil, le Tournesol tourna vers moi son admiration, - et dans cet oeil je m'aperçus tout en lumière et tout en gloire."
L'avant-dernier poème de Clair de Terre - j'exclus "A Rrose Sélavy" qui, répondant à la dédicace initiale, appartient plutôt au péritexte - annonce cette même solarisation du poète, qui sera réalisée, après séduction, dans "Le soleil en laisse" :
"Au temps de ma millième jeunesse
J'ai charmé cette torpille qui brille
[...]
Le fumeur met la dernière main à son travail
Il cherche l'unité de lui-même avec le paysage
Il est un des frissons du grand frigorifique(37)"
Il ne s'agissait évidemment pas, en indiquant ces quelques éléments, de donner un sens définitif au magnifique recueil de Breton, mais de rétablir une part du dialogue poétique qui s'est établi entre le futur fondateur du Surréalisme et le théoricien de l'idéoréalisme avant même leur rencontre effective. Car, Clair de Terre, comme Mont de Piété, se souviennent consciemment ou inconsciemment de l'oeuvre de Saint-Pol-Roux; et, il n'est pas surprenant que ces deux recueils, précédant la constitution du groupe surréaliste, se signalent justement comme des ouvrages de rupture. Celui de 1919 rompait avec les tentations symbolistes et post-symbolistes, et proclamait l'avènement de l'esprit nouveau, quand celui de 1923 niait la période Dada, brève incarnation de cet esprit nouveau, et s'affirmait comme son dépassement dialectique. Aussi, par sa double position, à la fois critique envers le dérives mallarméennes du Symbolisme et annonciatrice des données fondamentales du Surréalisme, la poésie du Magnifique a pu être réinvestie dans ces deux phases essentielles pour l'histoire poétique personnelle de Breton, et celle, générale, du mouvement surréaliste.

(A suivre...)

(18) Entretiens, p.454.

(19) "Appel du 3 janvier 1922", Comoedia, Paris, 3 janvier 1922; repris dans O.C.I, pp.434-435. J'ai conscience de passer sur certains faits historiques importants; mais il ne s'agit pas de refaire ici une histoire de Dada ou du Surréalisme que d'autres ont parfaitement réalisée. Aussi, pour de plus amples informations concernant la rupture entre les dadaïstes et les futurs surréalistes, je renvoie à la thèse de Michel Sanouillet, Dada à Paris (éd. Jean-Jacques Pauvert, Paris, 1965 et nouvelle édition revue et corrigée établie par Anne Sanouillet chez Flammarion, Paris, 1993).

(20) Cf. Introduction.

(21) Op. cit. Dans sa notice à Les Pas perdus, Marguerite Bonnet rappelle que "le second volume est annoncé dans Clair de terre, en novembre, en même temps que deux autres ouvrages qui n'ont jamais vu le jour". Il devait recueillir des articles sur les méconnus de la littérature. Seuls "Le maître de l'image" et un texte sur Pétrus Borel seront réalisés.

(22) Clair de Terre, (sans nom d'éditeur), "collection Littérature", Paris, 1923; repris dans O.C.I, p.148.

(23) Littérature, nouvelle série, n°11-12, 15 octobre 1923, pp. 24-25.

(24) Ibid., nouvelle série, n°13, juin 1924, pp.23-24.

(25) Clair de Terre, p.189. Rrose Sélavy est le pseudonyme, figure de double, que s'est choisi Marcel Duchamp. Pouvant se lire "Eros c'est la Vie", le titre du poème manifeste bien cette victoire de la poésie, tournée non pas vers l'artifice littéraire mais vers l'existence, sur la tentation du silence.

(26) Lettre de Saint-Pol-Roux à André Breton, datée du 29 décembre 1923; citée par Marguerite Bonnet dans O.C.I, p.1189. Le Magnifique y remercie l'auteur de "l'adorable Clair de terre [pour] la double dédicace, imprimée et manuscrite".

(27) Lettre de Picabia à Breton, citée par Marguerite Bonnet dans André Breton, Naissance de l'aventure surréaliste, p.325.

(28) J'emprunte le détail de la double enquête et la réponse de Saint-Pol-Roux aux commentaires de Marguerite Bonnet sur le texte inédit de Breton, "Les enfers artificiels / Ouverture de la saison dada 1921", dans O.C.I, note 1 de la page 628, pp.1484-1485.

(29) André Breton en son temps, p.81.

(30) Images de la dialectique et dialectique de l'image, p.321.

(31) Clair de terre, pp.149-150. Le poème de Mallarmé s'achève par le mot "Azur" répété quatre fois.

(32) Ibid., p.188.

(33) Les Féeries intérieures, p.191. Signalons que ce dernier tome de la trilogie poétique s'achèv également sur "une invitation à l'espérance". La dernière phrase de "Le châtelain et le paysan", l'ultime poème du recueil, exprime, comme le vers de "A Rrose Sélavy", un nouveau départ : "Le devoir accompli, je m'en irai, parmi le monde à travers les humanités diverses" (p.207).

(34) "Silhouette de paille", Clair de Terre, p.179.

(35) Ibid., pp.187-188. Le dernier vers du poème "Dans la vallée du monde" (pp.181-182) introduisait l'image du tournesol : "A la mort la petite mort l'héliotropisme".

(36) La Rose et les épines du chemin, pp.50-53. Dans sa thèse, Angelos Triantafyllou (pp.322-323) notait déjà ce renversement autour de l'image du tournesol, commune à Breton et Saint-Pol-Roux.

(37) C'est moi qui souligne. "Le soleil en laisse", op. cit., p.188.

mardi 22 avril 2008

SPiRitus S'entRetient avec Yasmine B.

SPiRitus S'entRetient avec

Yasmine B.
[Yasmine B., serveuse et diseuse de poèmes au Club des Poètes à Paris. La nuit perchée sur sa branche, aligne sous le pseudonyme Ardente Patience des mots pour parler à quelqu'un ou tenter d'apaiser le monde]
SPiRitus : Vous souvenez-vous de votre première rencontre de lectrice avec la poésie de Saint-Pol-Roux ? Quel était le titre de l'oeuvre, du poème, etc. ? Connaissiez-vous déjà, avant cette première lecture, son nom, son histoire, sa légende ? Si oui, comment ?

Yasmine B. : Oui, je m'en souviens très bien, c'était au Club des Poètes, Marcelle Rosnay, la muse et épouse de Jean-Pierre Rosnay, fondateur du lieu en 1961 ("amis de la poésie, bonsoir !"), a dit "Les litanies de la mer" de Saint-Pol-Roux; ensuite sa famille m'a raconté comment de visite en Bretagne elle a découvert le Manoir de Coecilian, ainsi nommé après le fils de Saint-Pol-Roux sur cette terre du bout du monde, à Camaret, qui est devenue pour le poète bien que né à Marseille, sa terre d'élection et hélas... de malédiction quelques années plus tard alors que la main nazie épargnait peu sur son passage... On me dit qu'avec les cachets d'un livret d'opéra, peut-être intitulé Louise et attribué à Charpentier, Saint-Pol-Roux a offert à sa famille ce manoir émouvant de petitesse et délicatesse, figurant plus un château de poupées qu'un manoir sombre et imposant de châtelain. Je ne le connaissais donc pas avant d'avoir entendu ses poèmes.

SPiR. : Qu'avez-vous éprouvé au cours de cette lecture ?

Yasmine B. : Un éblouissement... Une voix s'élève gorgée d'oiseaux et vibrant du timbre enfantin de l'émerveillement me désignait la mer et ses bienfaits comme on vous révèle la première femme du monde, les noms secrets de l'aurore, les attributs discrets de son génie. Avec les yeux et la voix de la première fois, du premier né, du premier mouvement... le poète, en vis-à-vis du premier élément familier depuis le ventre des origines, accomplit un acte d'amour, par les inflexions pures comme modulées dans la rosée du premier regard sur le monde, il lui offre son poème.

SPiR. : A ce jour, qu'avez-vous lu de son oeuvre ? Quels sont les titres qui figurent dans votre bibliothèque personnelle ? Dans quelle édition, etc. ?

Yasmine B. : Aux éditions Rougerie : Les traditions de l'avenir, la Rose et les épines du chemin, Le trésor de l'homme, Vitesse. Aux éditions Seghers, collection "Poètes d'aujourd'hui" : Saint-Pol-Roux. Aux éditions Poésie/Gallimard : la Rose et les épines du chemin.

SPiR. : Quels sont, parmi ses ouvrages (parutions posthumes comprises), ceux que vous préférez ? Sauriez-vous dire pourquoi ?

Yasmine B. : Comme je ne lis pas la poésie d'une traite dans les livres, je découvre toujours de nouveaux poèmes de Saint-Pol-Roux en feuilletant plusieurs de ses ouvrages.

Un des poèmes que j'aime beaucoup est le poème "Pour dire aux funérailles des poètes" qui est un pur enchantement pour les sens, une consolation pour le deuil, une longue procession d'émerveillement qui réanime le coeur des beautés de la vie et qui confère à la mort un caractère presque fantaisiste, comme s'il s'agissait d'une facétie de dieu. La mort du poète est une renaissance de ses mots qui garderont vivante la chair de son amour parmi nous.

Un autre poème que j'aime beaucoup pour ses vertus cognitives extraordinaires est "Poesia" que je vous propose de lire en lien : http://franceweb.fr/poesie/poesia1.htm.

Et, parmi ceux que j'ai pu apprendre par coeur de Saint-Pol-Roux, il y a le magnifique "Ambition" émouvant de candeur lorsque Saint-Pol-Roux y révèle son ravissement de savoir que plus tard les petits enfants liront et apprendront à lire dans ses poèmes façonnés de langue d'ange, car nul autre que Saint-Pol-Roux n'a su mieux parler la langue des enfants, tout entier immergé durant la traversée que fut sa vie dans l'enfance du coeur, perpétuellement en étonnement devant le miracle renouvelé du monde.

SPiR. : Pouvez-vous citer, pour les visiteurs du blog, quelques vers ou lignes de votre volume préféré ?

Yasmine B. :
L'éloignement rapproche les amants dont les pages folles se font vite grandes comme des draps de lit.
Sourire : clin de sexe.
Plaisir : essaim de sourires.
On sourit lorsque le coeur nous monte dans la bouche pour en soulever les coins.
Vitesse : notre corps jaloux de l'esprit.
Le mouvement n'est que la fièvre du repos.
Le repos c'est la méditation de la vitesse.
Il n'est qu'une vitesse : celle de soi-même.
La vitesse est la visibilité hâtive du désir.
L'enthousiasme est une vitesse sur place.
Lumière : vitesse qui nous éclaire.
La Tradition : la malle-arrière de la marche-avant.
La solitude est une vitesse intérieure.
SPiR. : Quelle première oeuvre conseilleriez-vous à un jeune homme ou à une jeune fille qui voudrait découvrir Saint-Pol-Roux ?

Yasmine B. : La Rose et les épines du chemin.

SPiR. : Pouvez-vous nous raconter une anecdote personnelle, de lecture, de recherche, de chine, ou autre, où Saint-Pol-Roux joue un rôle important ?

Yasmine B. : Il ne m'en vient pas à l'esprit pour le moment, en revanche, je fus très émue de discuter, un été que j'étais à Camaret, dans la presqu'île de Crozon, avec une dame d'un certain âge qui me racontait, durant la guerre, le labeur de se rendre au ruisseau laver le linge dans l'eau glacée, les anecdotes sur le chemin pour aller se procurer du beurre, des oeufs, du lait, comment elle sabota les rails d'un chemin de fer, passant inaperçue devant les "boches" alors qu'elle poussait devant elle la poussette du premier de ses cinq petits. Je fus très émue car elle a connu Saint-Pol-Roux alors qu'elle était jeune fille, et le souvenir qu'elle en garde et qui était abondamment sinon unanimement partagé est que Saint-Pol-Roux le Magnifique était la gentillesse incarnée; elle le croisait à l'époque où les denrées de première nécessité devenaient de plus en plus rares; comment il échangeait du beurre contre du sucre, comment il portait la bonté sur chacun de ses traits.

Je me souviens aussi de cette légende qu'on lui attribue, à chaque veillée de Noël, Saint-Pol-Roux débarquait par la mer, déguisé en Père Noël, les bras chargés de cadeaux pour les enfants... et ce rôle lui va à merveille, lui plus qu'un autre ne pouvait tromper l'oeil aguerri des enfants, il était bien la magie de Noël incarnée.

Une autre anecdote qui me touche profondément est celle qui relate cette nuit-là où sa dévouée servante, Rose, s'est interposée entre lui et les balles des nazis... et y trouva la mort... ce jour-même, si je ne dis pas de bêtises, où sa fille Divine était elle-même livrée aux mains des violences de ces mêmes ombres d'hommes qui causèrent après avoir détruit une grande partie de son oeuvre la mort de chagrin de ce grand poète.

SPiR. : Comment définiriez-vous sa poésie ? Vous semble-t-elle "datée" ?

Yasmine B. : Pas du tout... elle est intemporelle, et épouse la forme parfaite de son coeur quand il chante ou bien danse. Sa poésie est délicate comme le sont chacun de ses sens, elle est baroque comme on n'omet rien de la trajectoire de l'insecte à l'étoile, comme on caresse doucement les scories du chaos. Sa poésie a tour à tour la voix d'une jeune fille, d'un jeune damoiseau, d'un esprit familier des oiseaux, d'une vieille âme baignée dans l'eau de vie éternelle. Saint-Pol-Roux c'est un verbe lumineux et des notes ciselées dans le parfum des grands jours du grand vent et des brises printanières. La poésie de Saint-Pol-Roux est un visage de l'Amour.

SPiR. : Pensez-vous que son oeuvre a pu influencer certains des mouvements du XXe siècle poétique ? Lesquels ? Dans quelle mesure ?

Yasmine B. : Pour ce que j'en sais Saint-Pol-Roux était considéré comme un symboliste, pour ma part je ne saurais le cantonner à une catégorie de poésie, son coeur trop candide et trop farouche n'en pourrait dessiner les contours autour desquels s'agitait Paris... bien longtemps après sa disparition encore il fait des émules chez les plus raffinés des amateurs de mots incarnés; les surréalistes furent bien inspirés de s'en inspirer et de consacrer son génie en le désignant pour toujours comme le Mage, Saint-Pol-Roux le Magnifique, l'alliance de la mesure et de la démesure dotée de la grâce d'une Passacaille de Bach.

SPiR. : Comment expliquez-vous le relatif silence qui entoure actuellement son oeuvre ?

Yasmine B. : Peut-être comme toute incursion dans la Beauté, la poésie de Saint-Pol-Roux requiert un effort que l'on ne suscite plus à l'école et encore moins à la télévision. La transmission orale des poèmes est inextinguible, mais nous sommes encore trop peu en France - car il n'en va pas de même en Afrique du Nord ou en Géorgie par exemple, où la présence de la poésie est incontournable et essentielle à la vitalité de la langue et des relations humaines - à lire de la poésie. Cela vient peut-être en partie du fait qu'on oublie trop souvent qu'un poème est quelqu'un qui parle à quelqu'un et que comme la formule consacrée de Queneau le dit bien, les poèmes ne sont pas faits pour être entreposés dans un réfrigérateur : "la poésie est avant tout faite pour être dite". Essayez-vous à dire les poèmes réjouissants d'allégresse et touchants de profondeur de Saint-Pol-Roux et laissez vos sens s'en imprégner... il ne manque que cela pour que son oeuvre soit réanimée dans l'âme du plus grand nombre. Ses poèmes ont le timbre parfait d'un bébé sortant de son bain. Chaque fois que j'ai fait découvrir un poème de Saint-Pol-Roux au public, des hommes venus de tous horizons et qui ne se seraient jamais parlés auparavant, peut-être, ont été touchés par la grâce de son esprit. Il confine au pays de l'enfance, aborde doucement auprès de ses jeux, se glisse dans l'ardeur de ses rondes et s'embrase de joie dans le feu de ses joues. Il parle directement au plus secret de nos coeurs.

SPiR. : Faites le "portrait chinois" du Magnifique.

Yasmine B. : 1. un animal : un cheval. - 2. un végétal : un pommier. - 3. une pierre (semi)précieuse : le diamant. - 4. un objet : une plume. - 5. un moyen de locomotion : un train. - 6. un lieu : la pointe du Toulinguet. - 7. une couleur : le blanc. - 8. un parfum : de rose. - 9. un être mythologique : Orphée. - 10. une heure du jour : l'aube. - 11. un événement historique : la découverte de l'électricité. - 12. un péché capital : la gourmandise. - 13. un sentiment : tendresse. - 14. un artiste : Van Gogh. - 15. un vers : "un pur esprit s'accroît sous l'écorce des pierres" (Vers dorés, Gérard de Nerval).
Nota : Pour lire les autres "entretiens", cliquez ici; pour répondre, à votre tour au questionnaire, envoyez-moi un courriel .

lundi 21 avril 2008

SPiRitus S'entRetient avec Solen Prémel-Cabic

SPiRitus S'entRetient avec

Solen Prémel-Cabic
[Née le 19 février 1979, Solen est officier de la marine nationale. Après avoir consacré ses mémoires de maîtrise et de DEA à Guillaume Apollinaire (Quête de soi et désir de l'autre dans les lettres et les poèmes à Lou & La part de l'ombre dans ses oeuvres poétiques), elle poursuit ses recherches sur l'auteur de L'Enchanteur pourrisant et rédige un roman]
SPiRitus : Vous souvenez-vous de votre première rencontre de lectrice avec la poésie de Saint-Pol-Roux ? Quel était le titre de l'oeuvre, du poème, etc. ? Connaissiez-vous déjà, avant cette première lecture, son nom, son histoire, sa légende ? Si oui, comment ?

Solen Prémel-Cabic : Je me souviens parfaitement de ma rencontre avec Saint-Pol-Roux. Ma première lecture a été celle des Reposoirs de la procession. Le premier poème fut "Alouettes" qui ouvre le premier recueil, La rose et les épines du chemin. Mon professeur de littérature m'avait conseillé sa lecture. Je ne connaissais pas véritablement l'histoire de Saint-Pol-Roux au départ. J'avais eu écho de son nom via mon travail universitaire sur Guillaume Apollinaire car on connaît les liens qui unissaient les deux hommes, mais c'était tout.

SPiR. : Qu'avez-vous éprouvé au cours de cette lecture ?

Solen : Cette lecture aussitôt m'intrigua. Ce recueil des reposoirs m'apparut mystérieux de par sa forme et son empreinte mystique. J'avais l'impression d'être face à une oeuvre sanctuaire qu'il fallait pénétrer et décrypter, dont chaque poème était une clé. Son oeuvre m'apparaissait unique et hors du commun.

SPiR. : A ce jour, qu'avez-vous lu de son oeuvre ? Quels sont les titres qui figurent dans votre bibliothèque personnelle ? Dans quelle édition, etc. ?

Solen : J'ai lu les Reposoirs de la procession, la Dame à la faulx, l'épilogue des saisons humaines, le Trésor de l'homme, la Répoétique, Cinéma vivant, Vitesse, Genèses, les traditions de l'avenir, la correspondance Victor Segalen et Saint-Pol-Roux, la Randonnée, De l'art magnifique, la transfiguration de la guerre, le tragique dans l'homme, Tablettes, Idéoréalités, Vendanges. J'en oublie sûrement. Tous ces ouvrages figurent dans ma bibliothèque dans la collection Rougerie, l'éditeur qui a tant oeuvré pour Saint-Pol-Roux.

SPiR. : Quels sont, parmi ses ouvrages (parutions posthumes comprises), ceux que vous préférez ? Sauriez-vous dire pourquoi ?

Solen : Mes ouvrages préférés sont ceux de La Dame à la faulx, l'épilogue des saisons humaines pour ce qui est de ses pièces de théâtre et les reposoirs de la procession pour ce qui est de sa prose poétique. L'oeuvre des reposoirs m'intéresse de par sa forme. Cette oeuvre transcrit et met en scène le parcours d'un homme et plus largement de l'humanité. Son oeuvre se présente comme une véritable procession où l'on voit défiler l'humanité, le temps qui passe. Le lecteur est directement impliqué dans cette démarche. Il doit parcourir l'oeuvre. Les poèmes agissent comme des clés, des étapes et permettent d'entreprendre une réflexion sur la vie, sur l'homme et plus largement sur la littérature. C'est une oeuvre qui se veut spirituelle et humaniste à la fois. Elle apprend l'humilité. Pour l'épilogue des saisons humaines c'est la conception même de la pièce qui m'a particulièrement intéressée. C'est une oeuvre qui permet de réfléchir sur la fluctuation du temps et qui agit comme une sorte de miroir. C'est une oeuvre de l'introspection où le lecteur voit son existence se réfléchir. Les figures de la jeunesse et de la vieillesse se confondent, s'intervertissent. Elle amène à une certaine conception philosophique de la vie. Quant aux reposoirs, c'est un tout. La forme et le fond m'intéressent tout autant. C'est une oeuvre métaphorique, quasi hermétique par moment qui donne envie justement de faire l'effort de la percer. Son interprétation est complexe. C'est ce travail de recherche permanent et cette richesse qui me séduisent. Cette oeuvre peut recouvrir bon nombre de significations. Le travail de l'écrivain est particulièrement intéressant comme Saint-Pol-Roux l'évoque dans "Le poète au vitrail".

SPiR. : Pouvez-vous citer, pour les visiteurs du blog, quelques vers ou lignes de votre volume préféré ?

Solen : "Le poète corrige Dieu" citation qui élève le poète au rang de démiurge et qui le présente comme un traducteur, un déchiffreur de la nature. Autres poèmes préférés : "le poète au vitrail", "la religion du tournesol", "devant du linge étendu par ma mère", "le châtelain et le paysan".

SPiR. : Quelle première oeuvre conseilleriez-vous à un jeune homme ou à une jeune fille qui voudrait découvrir Saint-Pol-Roux ?

Solen : La Dame à la faulx car c'est une pièce de théâtre très accessible et très vivante. La mort est une thématique universelle qui intéresse tout le monde en raison de la condition même de l'humanité.

SPiR. : Pouvez-vous nous raconter une anecdote personnelle, de lecture, de recherche, de chine, ou autre, où Saint-Pol-Roux joue un rôle important ?

Solen : Je n'ai pas d'anecdote particulière si ce n'est mes pérégrinations hebdomadaires au marché de Brignogan chez un bouquiniste qui s'intéresse à Saint-Pol-Roux et que je vais toujours voir pour tenter de trouver diverses trouvailles sur Saint-Pol-Roux. Il m'a confié des coupures de presse sur le poète qui appartenait à un homme de Camaret et qui faisait des recherches sur Saint-Pol-Roux. J'ai également réussi à trouver une illustration sur aquarelle du "Pèlerinage de sainte Anne".

SPiR. : Comment définiriez-vous sa poésie ? Vous semble-t-elle "datée" ?

Solen : Sa poésie est à mon sens collective, humaniste et surtout atemporelle. Voilà pourquoi elle ne semble pas datée.

SPiR. : Pensez-vous que son oeuvre a pu influencer certains des mouvements du XXe siècle poétique ? Lesquels ? Dans quelle mesure ?

Solen : Saint-Pol-Roux a influencé le mouvement surréaliste. Il a quelque peu inspiré Guillaume Apollinaire et André Breton. Il devient l'inventeur d'une nouvelle forme de poésie qui se veut moderne (c'est la quête de l'écrivain, sa "procession" perpétuelle). En cela, il influence le mouvement surréaliste. Saint-Pol-Roux invente le mouvement dit "idéoréaliste" qui fait écho au mouvement "surréaliste". Il est considéré comme le maître de l'image, ce qui importe également au mouvement surréaliste et rompt avec les formes traditionnelles. C'est un travail de surcréation et c'est en cela que Saint-Pol-Roux se veut en quelque sorte le précurseur du mouvement surréaliste.

SPiR. : Comment expliquez-vous le relatif silence qui entoure actuellement son oeuvre ?

Solen : L'oeuvre, qui peut sembler au départ très mystérieuse et quasi hermétique, peut peut-être freiner certains lecteurs. Il est difficile de pénétrer l'oeuvre de Saint-Pol-Roux de prime abord et cela, je crois, peut expliquer le relatif silence qui entoure cette oeuvre. Heureusement, certains lecteurs persévèrent et savent reconnaître la magnificence de son oeuvre.

SPiR. : Faites le "portrait chinois" du Magnifique.

Solen : 1. un animal : un chat. - 2. un végétal : un olivier. - 3. une pierre (semi)précieuse : l'améthyste. - 4. un objet : un encrier. - 5. un moyen de locomotion : une péniche. - 6. un lieu : un temple. - 7. une couleur : le violet. - 8. un parfum : le cèdre. - 9. un être mythologique : la licorne. - 10. une heure du jour : 17 heures. - 11. un événement historique : l'invention de l'écriture. - 12. un péché capital : la gourmandise. - 13. un sentiment : l'exaltation. - 14. un artiste : un pianiste. - 15. un vers : "Il est grand temps de rallumer les étoiles" de Guillaume Apollinaire.

SPiR. : Pour finir, à quelle question sur le poète ou son oeuvre, non posée ici, auriez-vous aimé répondre ? Répondez-y.

Solen : Comment, selon vous, peut-on rendre hommage au poète ? Tout d'abord, en lisant son oeuvre. Puis en poursuivant son oeuvre. N'oublions pas qu'il est notre père et que nous nous devons de lui rendre hommage sans cesse par tous les moyens... en lisant, en écrivant, en poétisant, en échangeant, et faire de nos rencontres saint-poliennes une oeuvre collective et universelle à son image.
Nota : Pour lire les entretiens précédents, rendez-vous ici. Pour répondre, à votre tour, au questionnaire, il suffit d'en demander un exemplaire .

dimanche 20 avril 2008

SPiRitus s'entretient avec Jean-Claude Morisod et Eddie Breuil

SPiRitus S'entRetient avec


Jean-Claude Morisod

SPiRitus : Vous souvenez-vous de votre première rencontre de lecteur avec la poésie de Saint-Pol-Roux ? Quel était le titre de l'oeuvre, du poème, etc. ? Connaissiez-vous déjà, avant cette première lecture, son nom, son histoire, sa légende ? Si oui, comment ?

J.-C. Morisod : Oh, j'imagine un titre d'oeuvre en typographie à l'encre très noire d'une police bien chaleureuse sur un cahier à couverture blanche de Rougerie. Vous ne le voyez pas, mais mon regard se perd dans la recherche des souvenirs.

SPiR. : Qu'avez-vous éprouvé au cours de cette lecture ?

J.-C. Morisod : Je n'en ai rien lu ; mais le destin vous a mis sur ma route ; et au prochain hasard d'une bouquinerie je lirai quelques lignes de SPR en pensant à votre questionnaire, et si elles me plaisent ou si le livre me plaît pour une raison ou une autre, je l'emporterai pour le parcourir et, qui sait, le lire.

SPiR. : Quelle première oeuvre conseilleriez-vous à un jeune homme ou à une jeune fille qui voudrait découvrir Saint-Pol-Roux ?

J.-C. Morisod : Et vous que me conseilleriez-vous, sachant que je lis Gourmont ?

SPiR. : Sans hésitation, La Randonnée et Vendanges. Pouvez-vous nous raconter une anecdote personnelle, de lecture, de recherche, de chine, ou autre, où Saint-Pol-Roux joue un rôle important ?

J.-C. Morisod : Vous la connaissez.

SPiR. : Comment expliquez-vous le relatif silence qui entoure son oeuvre ?

J.-C. Morisod : Tenez, j'ai connu Gourmont par le Joujou, et puis de fil en aiguille le reste suit.

SPiR. : Pour finir, à quelle question sur le poète ou son oeuvre, non posée ici, auriez-vous aimé répondre ? Répondez-y.

J.-C. Morisod : Je ne connais pas cette oeuvre parce que je n'ai jamais eu l'occasion d'y entrer. Mais il me semble que Jacques Bussy m'y aurait servi de guide. C'est une intuition et un très vague souvenir. Connaissez-vous l'oeuvre de Jacques Bussy ?

***

SPiRitus s'entretient avec


Eddie Breuil

[Achève une thèse sur la poésie à l'époque de dada]
SPiRitus : Vous souvenez-vous de votre première rencontre de lecteur avec la poésie de Saint-Pol-Roux ? Quel était le titre de l'oeuvre, du poème, etc. ? Connaissiez-vous déjà, avant cette première lecture, son nom, son histoire, sa légende ? Si oui, comment ?

Eddie Breuil : Ce n'est, pour le moment, qu'à travers André Breton (dédicace de Clair de Terre et les lettres) et Mickaël Lugan que j'en ai eu connaissance.

SPiR. : Qu'avez-vous éprouvé au cours de cette lecture ?

Eddie Breuil : A la lecture de la dédicace de Breton, j'ai éprouvé le sentiment que Saint-Pol-Roux devait être quelqu'un.

SPiR. : A ce jour, qu'avez-vous lu de son oeuvre ? Quels sont les titres qui figurent dans votre bibliothèque personnelle ? Dans quelle édition, etc. ?

Eddie Breuil : Pour l'instant, absolument rien, malheureusement.

SPiR. : Pensez-vous que son oeuvre a pu influencer certains des mouvements du XXe siècle poétique ? Lesquels ? Dans quelle mesure ?

Eddie Breuil : Le Surréalisme (pour une raison que vous expliqueriez bien mieux que moi).

SPiR. : Comment expliquez-vous le relatif silence qui entoure actuellement son oeuvre ?

Eddie Breuil : C'est tristement l'histoire littéraire, qui n'est pas faite par les auteurs, mais par les lecteurs. Postérieurement, ce n'est pas la postérité, mais tel ou tel lecteur qui décide de ressusciter un auteur, ou de le laisser. Il n'y a pas de réhabilitation, ou de nettoyage, il n'y a que le marchandage fait par le lecteur ou le passionné. Vous pourriez donc être le ressusciteur de Saint-Pol-Roux. Le silence s'explique peut-être aussi à cause du côté sans doute spirituel de l'oeuvre : ce n'est pas une thématique qui attire aujourd'hui (encore une fois, malheureusement).

SPiR. : Faites le "portrait chinois" du Magnifique. S'il était... il serait...

Eddie Breuil : 1. un animal : un lynx. - 7. une couleur : vert. - 10. une heure du jour : 23 h.

SPiR. : Pour finir, à quelle question sur le poète ou son oeuvre, non posée ici, auriez-vous aimé répondre ? Répondez-y.

Eddie Breuil : A une autre question sur le silence autour de son oeuvre.

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Nota : Si vous désirez répondre au questionnaire, il vous suffit de suivre la procédure indiquée au bas du premier entretien.