samedi 3 janvier 2009

Une visite de Fernand Lot au plus Magnifique des Académiciens Mallarmé

Pour laisser le temps de la réflexion aux lecteurs fidèles qui seraient tentés d'avancer une réponse à notre petit jeu-concours, lancé hier, en fin de billet, je délaisse un peu l'institution pour recentrer mon propos sur l'un des académiciens, pas n'importe lequel puisque le plus magnifique d'entre eux, je veux dire : Saint-Pol-Roux. Aucun doute : sa participation à la fondation de l'Académie Mallarmé avait eu pour effet de rendre le nom du poète à l'actualité. Bien sûr, les célébrations du cinquantenaire du Symbolisme, l'année précédente, avaient déjà contribué à rappeler le Magnifique au bon souvenir de ses contemporains ; tout comme le décès de Gustave Kahn, qui l'avait propulsé au digne rang de "doyen des symbolistes". Mais c'est bien la naissance de l'Académie Mallarmé qui empêcha que ce retour médiatique fît long feu. Et on ne peut y voir que coïncidences, mais Saint-Pol-Roux, membre statutaire de la toute jeune académie de poésie, devint le mois suivant l'un des trente membres de la non mois jeune Académie de Bretagne, et le 28 juin, sociétaire de la déjà expérimentée Société des Gens de Lettres. L'amitié des Dujardin et Herold, en tous cas, ne fut pas pour rien dans cette dernière promotion. Bref, le petit monde des littérateurs et la presse redécouvraient Saint-Pol-Roux. Voilà même qu'on faisait le déplacement de Paris jusqu'à Camaret pour le voir et l'interviewer. Ce fut le cas de Fernand Lot, par exemple. Et le 8 septembre 1937, parut dans Marianne, aux côtés d'une "Visite à André Breton" par Edmond Jaloux, sur trois colonnes, ce compte rendu, par le journaliste, mais sur une demi-colonne, de sa visite à Saint-Pol-Roux.
Saint-Pol Roux
et les goélands
de Camaret
Un grinçant petit cri de poulie... Dans l'étrange salle à manger ornée de frises grecques et de bleus filets de pêche finistériens, Tored entre.

- Tored, cela veut dire cassé, en breton.

Voyez la pauvre aile abîmée... Ma fille soigne les goélands blessés. Guéris, ils repartent. Mais la plupart reviennent nous voir, n'est-ce pas, Divine ?

Je fais également connaissance avec Souris et Ténèbre - deux des huit chats familiers, et puis aussi avec plusieurs nièces, avec des visiteurs amis qui surgissent armés d'appareils photographiques : chacun désire saisir et emporter l'image de cette belle tête à longs cheveux blancs soulevés en auréole et à courte barbe fleurie, de ce visage dont les yeux clairs, emplis de ciel et de rêves marins, vous considèrent, si doucement.

Quelle romantique demeure, ce manoir de Coecilian - le prénom du fils tombé à Verdun - avec ses huit tourelles grises, son rideau de tamaris, entre la mer qui s'étale au pied de la falaise sur la plage du Toulinguet et la lande rase où, depuis toujours, un cromlech mène sa ronde !

- Depuis toujours... Moi, je ne suis ici que depuis trente-cinq ans. Et j'en ai soixante-dix-sept... Ah ! les touristes n'ont aucune idée de ce que ça peut être, l'hiver. Mes toits sont partis dix fois. Cela me convient. Lisez ma devise... Elle est inscrite ici : La solitude est la multiplication de soi-même.

Je n'ai pas encore osé importuner le poète de la Dame à la Faulx de questions d'ordre littéraire. Risquons pourtant :

- Si vous ne lisez pas toutes les lettres que vous recevez, je sais que vous suivez la production contemporaine... Que pensez-vous de la jeune poésie ?...

- Mais elle est parfaite... puisqu'elle est jeune.

- Votre activité de membre de l'Académie Mallarmé ?...

- Nulle.

- Des projets personnels ?...

- Je ferai paraître ce que j'ai - des poèmes, bien entendu - dans deux ou trois ans. Avant de mourir, quoi. Bien qu'on me dise que je deviendrai centenaire !

- Il est un point d'histoire que j'aimerais bien fixer... Qui donc le premier vous décerna la... magnifique épithète devenue inséparable de votre nom ?

Le doyen des poètes symbolistes me caresse de son regard ingénu, et, d'un ton limpide :

- Le premier ? Peut-être bien moi... Lorsque je répondis, jadis, à la fameuse enquête de Jules Huret (je séjournais alors, il m'en souvient, à Marseille...) je signai - tant pis ! - le Magnifique... Voilà.

... Et tous, nous approuvons, rétrospectivement, cet auto-sacre du lyrique inspiré, qui eût pu se dénommer aussi bien Saint-Pol Roux le Tendre, ou l'Ami-des-Oiseaux-Perdus, ou le Saint-François de Camaret, ou le Chevalier des Algues, ou le Prince des Sirènes et du Vent... ; nous tous qui sommes ici, nous approuvons, certes - et les visiteurs respectueusement attentifs, et Mlle Divine, et les tamaris qui dansent leurs vivats contre les vitres, et Tored qui, bien d'applomb sur ses pattes palmées, lève le bec et fait sa plainte de poulie.
Fernand LOT.
Nota : Je rappelle, pour les distraits, en quoi consiste notre petit jeu-concours ; il s'agit de trouver le nom des quatorzième et quinzième membres de l'Académie Mallarmé, élus au dernier trimestre de l'année 1937.

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