Après avoir présenté Paris 1930 nen-dai, l'édition japonaise des Souvenirs de René de Berval, et le poème de Terres de vigilance qu'il avait, en 1939, dédié à Saint-Pol-Roux, je ne pouvais décemment m'arrêter en si bon chemin. Voici donc un assez long article, retrouvé en farfouillant dans mes archives pour la rédaction des billets précédents, que Berval consacra à son ami, président de l'Académie Mallarmé. Il parut dans Marianne, le 20 juillet 1938, illustré de cette belle photographie du poète devant son manoir. Place donc à
Saint-Pol-Roux le Magnifique
Le masque léonin de Saint-Pol-Roux,
l'ermite de Camaret.
On peut dire que "ce siècle n'existait pas", puisque M. Paul Roux - qui, par la suite, devait être sanctifié et magnifié - allait, en compagnie d'Ephraïm Mikhaël et de Pierre Quillard, fonder une revue. Elle avait, primitivement, dû s'intituler Le Symbole, puis L'Arche d'alliance. Et ce fut, simplement, La Pléiade qui vint au jour, cette Pléiade à laquelle Maurice Maeterlinck apporta de Gand son Massacre des innocents et à laquelle devait succéder le grand Mercure de France.
Cela se passait à Paris, 19, rue Turgot, en 1886, chez le jeune Paul Roux.
Le siècle de Mallarmé était né : le Symbolisme était fondé.
Au début de 1895, Saint-Pol-Roux fuit Paris. Il gagne Bruxelles et, de là, se perd et s'installe dans la forêt des Ardennes du Luxembourg belge. Il part de la maison, de bonne heure le matin et ne revient que fort avant dans la nuit, après des courses folles dans les bois, hanté par cette Mort dont il recherche partout les traces et qui, une fois traquée, est obligée de se rendre à lui à merci.
Ces trois années de vie légendaire, au milieu des ormes, des hêtres, des pins, des chênes, n'ayant pour tous compagnons que les lièvres, les couleuvres, les canards, les biches, les chevreuils et les cerfs, et la pensée de Mme la Mort, donneront naissance à une des plus grandes tragédies symbolistes : La Dame à la faulx. L'amoureux de la mort à force de la poursuivre l'a, enfin, attrappée et enfermée à jamais dans son livre. Mais, en même temps qu'il faisait sa connaissance, il découvrait son contraire : la Vie. Et, progressivement, germa dans l'esprit du poète une autre oeuvre dramatique : Sa Majesté la Vie, qu'il écrivit parallèlement à La Dame à la faulx. Cette piècee n'a jamais été représentée, car Saint-Pol-Roux a toujours manifesté le désir d'atteindre sa quatre-vingtième année... pour débuter sur la scène. Dans deux ans, donc, il nous sera donné la joie d'assister au triomphe d'un des plus grands poètes symbolistes, dans une oeuvre dramatique capitale, digne d'être représentée aux cours de Wotan et d'Odin.
En 1897, Saint-Pol-Roux revient à Paris pour, au bout de quelques mois, fuir à nouveau. Il se réfugie, pendant sept années, au beau mitan d'un hameau de sept feux, en la presqu'île de Roscanvel. Le logis s'appelle "Chaumière de Divine", du nom de sa fille qui y naîtra. La vie reste la même qu'au Luxembourg. Au lieu de la forêt, c'est la mer; mais comme il le dit lui-même, "l'océan n'est qu'une autre forêt".
Puis c'est juillet 1905, où toute la petite famille vient, définitivement, habiter le "manoir de Boultous", dès 1915 devenu "manoir de Coecilian", en souvenir du fils du poète qui repose à Verdun.
Dès ses débuts à La Pléiade, Saint-Pol-Roux a prodigué, en vers et en prose, dans les poèmes publiés au Mercure de France, à L'Ermitage, aux Entretiens Politiques et Littéraires, et réunis sous les titres admirables de L'Ame noire du Prieur blanc, Le Bouc émissaire, Epilogue des saisons humaines et Les Reposoirs de la procession, tous les trésors d'une palette somptueuse et barbare.
Bien que n'ayant rien publié depuis fort longtemps, le poète n'a jamais cessé de travailler. Seuls quelques journaux locaux ont eu le bonheur d'imprimer, de temps en temps, de ses poèmes. Dans un proche avenir, comme nous l'avons dit, Saint-Pol-Roux aura atteint sa quatre-vingtième année. On ne le croirait jamais à le voir. Sous son large front, que recouvrent de longs cheveux blancs, brillent les yeux du Magnifique. Ils sont d'une vivacité extraordinaire. Il parle d'une voix douce, calme, sereine, comme devaient le faire ces patriarches des saintes Ecritures, auxquels tant il ressemble. Il ne craint pas son âge. Ayant à jamais emprisonné la mort, il a conclu un pacte avec le temps. En novembre, paraîtra Le Solitaire à barbe blanche, sorte de curriculum vitae qui comprendra des souvenirs, des pensées et des poèmes. Puis, ce sera le tour d'une édition, revue et augmentée, des Reposoirs de la procession et, enfin, l'oeuvre dramatique qu'il écrivit il y a quarante-cinq ans.
Son activité littéraire n'est égalable que par son activité vitale. Saint-Pol-Roux est président de presque toutes les associations et académies de Bretagne, sans parler de la plus importante : l'académie Mallarmé. On aurait dit qu'en l'élisant à la présidence de cette académie, on voulait réaliser le voeu de Stéphane Mallarmé qui, lors d'un banquet, l'avait, un jour, fait asseoir à sa droite en l'appelant : "Mon fils". Météore, il est récemment arrivé à Paris pour présider la séance, au cours de laquelle l'académie Mallarmé décerna son premier prix qui, comme on le sait, échut à l'excellent et jeune poète Jacques Audiberti, attaché à la rédaction du Petit Parisien. Saint-Pol-Roux repartit tout de suite après, pour retrouver Divine, sa fille, la fidèle Rose, sa servante, son manoir, sa mer, ses goélands et ses pêcheurs, sans lesquels il ne peut exister.
Le chasseur des Ardennes a fait place au semeur de Roscanvel, auquel a succédé le grand ermite de Camaret.
Sa vie est des plus simples et, par cela même, des plus grandioses : elle se passe dans ce vieux manoir irréel, qui doit certainement dater du temps où les chevaliers étaient à la quête du Graal. Et tout le monde sait que ces chevaliers étaient d'origine magique !
Le manoir est situé au bout du monde, à l'extrémité de cette presqu'île du Finistère, qui est perpétuellement battue par les vents et les tempêtes. C'est la solitude absolue, immense, intense. Saint-Pol-Roux y vit avec Dieu, "dont il touche l'orteil", et y est entouré de ses envoyés.
Chaque jour, habillé en marin, le Solitaire à barbe blanche fait le tour de son logis construit par les fées. Il parle aux flots, qui se roulent sous sa voix, et à ses goélands, ou plutôt à ceux de sa fille, Divine-la-bien-nommée. Ce sont Thalassa, "cette âme entre deux ailes", Héol, Kor[illisible], Mizdu, Iroise, Harmonie, Gallarwn...
Saint-Pol-Roux commande au temps et à l'espace. Dans sa dextre, on le voit très bien tenant le sceptre de Jupiter. Il est le maître de la Pitié, de la Vie et de la Mort.
Il travaille au sein des éléments.
Ses poèmes sont des instants d'infini.
Contrairement aux humains, dont les oeuvres font la vie, pour lui, c'est la vie qui fait les oeuvres.
A la porte du Magnifique sera gravé ce vers :
Tel qu'en lui-même enfin l'Eternité le garde !
René de Berval.
Rappel : Hmmm... le Grand Jeu du Mois de Mars serait-il à ce point difficile que personne jusqu'ici n'a encore osé émettre le balbutiement d'une hypothèse ? Peut-être le visiteur précautionneux pense-t-il qu'il n'a droit qu'à une seule tentative ? Eh bien, que nenni... osez, osez, je jugerai si vous dépassez la limite de propositions...
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