Qui ne connaît pas Laurent Tailhade a tort. Il est parmi ces rares auteurs qu'on ne lit pas sans joie, de cette joie, physique, que l'on éprouve immanquablement, lorsque - soudain - dans un ciel de nuit caniculaire s'abat la première foudre. Laurent Tailhade (1854-1919) fut anarchiste, et ce qualificatif suffirait à définir aussi bien sa vie que son oeuvre. Le poète de la claire tour fit, de la liberté individuelle, son combat. Ses poèmes, satiriques ou élégiaques, restent formellement parnassiens, mais la violence et l'outrance des premiers, et la force suggestive des seconds, le désignent comme un contemporain capital des symbolistes. Saint-Pol-Roux le considérait comme un maître. Il en subit, dans ses premières années, l'influence. Il n'en est pas question sur le site de Gilles Picq : Les Commérages de Tybalt. Peu de textes de Tailhade lui-même y figurent - nombre de ses ouvrages étant déjà numérisés sur Gallica. Mais c'est un site de spécialiste et de passionné et l'on y trouve bien d'autres informations intéressantes pour l'amateur de la fin de siècle et de la Belle Epoque : une bibliographie et une table des poèmes de Tailhade, avec leur contexte de parution; des documents rares parmi lesquels le texte de la protestation contre la condamnation du poète en 1901, prononcée suite à son article du Libertaire, "le Triomphe de la Domesticité" - la signature de Saint-Pol-Roux y figure -; deux pages consacrées aux Gendelettres, la première biographique et illustrée (Barrucand, Jules Bois, Deschamps, Fénéon, Maurevert, de Max, Rachilde, etc.), la seconde iconographique (collaborateurs de Lutèce, une réunion au Mercure de France, etc.); et, mine précieuse pour le chercheur, un dépouillement de nombreuses revues de l'époque, avec, précisée pour chacune, la liste des contributeurs. Pour conclure simplement : une escale obligée.
Jusqu'à récemment, je ne connaissais guère de Han Ryner (1861-1938) que son nom, rencontré à plusieurs reprises dans les nombreuses petites revues que mes recherches m'ont amené à consulter. Je n'avais pas eu la curiosité d'aller lire ses oeuvres. J'avais tort. Saint-Pol-Roux et Ryner se rencontrèrent à diverses occasions, sinon du temps du Symbolisme, au moins à partir des premières années du XXe siècle. Comment s'étaient-ils connus ? je l'ignore - mais ils avaient dû nouer des liens suffisants pour que le Magnifique assistât et portât un toast au premier banquet Ryner qui eut lieu à la taverne Grüber le 4 décembre 1910, en l'honneur de l'auteur du Cinquième Evangile, pour que, lui ayant donné sa voix lors de l'élection du "Prince des Conteurs", organisée par l'Intransigeant, deux ans plus tard, il fît partie du comité de patronage d'un second banquet dédié à Ryner, toujours sous la présidence de J.-H. Rosny. Sans doute, les vues politiques des deux hommes n'étaient-elles pas très éloignées. C. Arnoult nous apportera sûrement, un jour prochain, plus de précisions sur son blog . Il est déjà impressionnant, par son contenu, ce blog qui n'est vieux pourtant que de quelques mois. De nombreux écrits de Ryner y sont reproduits, des oeuvres dans leur intégralité y paraissent quasi quotidiennement, chapitre après chapitre : les dix premiers de l'utopie non violente, Les Pacifiques, toutes les petites proses qui forment Le Livre de Pierre, sont déjà en ligne. Les textes sont classés par genre. Si la production poétique de Ryner n'est pas la meilleure de son oeuvre, il faut lire ses contes, et les 23 articles de l'Encyclopédie anarchiste; le "Socrate moderne" était critique aussi, et C. Arnoult a eu la bonne idée de reproduire son étude sur Remy de Gourmont, parue dans l'Idée Libre de juin 1923 (une lettre de l'auteur de la Culture des Idées, datée du 28 avril 1903, y est également retranscrite). Puis des essais, une pièce de théâtre, Les Esclaves, des comptes rendus, etc.; je m'y rends tous les jours, ou presque, et ma curiosité en sort chaque fois plus avivée.
1 commentaire:
Il est assez amusant, cher SPiRitus, que vous associez dans un même billet les noms de Laurent Tailhade et de Han Ryner, puisque, bien qu'ils aient été tous deux libertaires et antimilitaristes, ces deux ennemis du mufle ne pouvaient pas se sentir !
Aux Partisans, Ryner critiqua Tailhade dans un article féroce mais non sans nuance, article repris et augmenté dans Prostitués. Tailhade lui en garda toujours rancune, et Ryner ne chercha jamais non plus l'apaisement. On aura l'occasion d'y revenir dans le blog Han Ryner.
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