Remy de GOURMONT
(1858-1915)
Remy de Gourmont et Saint-Pol-Roux se rencontrèrent probablement, dans le commencement de l'année 1890, rue de l'Echaudé, où Vallette avait installé la direction du tout jeune Mercure de France. Les deux hommes s'estimaient. Ils s'adressaient leurs livres. Le Magnifique souscrivit à l'édition du Latin Mystique, et, bien que des difficultés financières l'empêchèrent d'honorer le moment venu sa souscription, Remy de Gourmont lui envoya tout de même un exemplaire. Dans le Mercure de juillet 1891, Saint-Pol-Roux lui avait dédié "Trépas de puits", tablette écrite en Provence, alors qu'il achevait sa lettre à Huret. En octobre de la même année, Gourmont lui offrait à son tour une de ses proses moroses, pertinemment intitulée "Prose pour un poète". L'auteur du Livre des Masques écrivit de beaux vers, mais c'est dans ses romans, dans ses contes et dans ses petites proses que se manifesta son génie poétique. Car Remy de Gourmont fut - mieux que romancier, mieux que critique - un grand poète.
PROSE POUR UN POETE
A Saint-Pol-Roux.
« Pense, disait le poète, pense au pâle abandon… »
Il faut savoir qu’elle était pas jeune, jolie plus guère, – et parmi l’artificiel glacis blond des cheveux fins, tel qu’en un ciel enflammé des avant-crépuscules, de blanches stries se couchaient, primevères à l’agonie parmi les soucis incandescents.
Il faut savoir tout ce que savait le Poète : encore ceci, que la pas jeune et plus guère jolie femme, un désolant caprice la délaissait : « Il ne l’aimait plus ! » Ah ! même dans un grand calme de ton et avec gestes à la Tant-pis-que-voulez-vous ? – ça contenait bien des sanglots, et pas si effarouchés qu’ils ne montassent résolument à l’assaut du pauvre cœur…
Il faut savoir encore qu’elle dit, après un silence : « Me voilà toute seule. Reste à s’organiser, arranger sa vie » ; et qu’en disant, elle torturait par des poses inaccoutumées ses bras, – oh ! eux, très beaux encore et même relativement superbes, relativement à l’inconsistante jeunesse, – ses bras veufs du cou très cher qu’elle aurait eu tant de joie à étrangler pour qu’il ne se pliât pas une fois de plus sous l’étreinte de bras différents – oh ! oui, on pouvait le dire – des siens !
Il faut savoir encore qu’elle avait un vrai gros chagrin, en la pantomime des simagrées obligatoires, – car, seule ou pas seule, est-ce la même chose, voyons ? – et que, si elle avait été seule, toute seule, elle se serait vautrée sur ses tapis, se serait saoulée de larmes amères et de « Ah ! mon Dieu ! » toutes les deux secondes, et de « Qu’est-ce que je vais devenir ? » dans les intervalles, et de – car elle avait de la religion – « Sainte Vierge Marie, rendez-le moi ! »
Il ne reste plus rien à savoir, hormis ceci, que le Poète avait beaucoup d’esprit et qu’il faisait des vers, des vers « Ah ! ma chère ! des vers ! oh ! une grâce ! un charme ! Enfin, avouez qu’ils sont bien. Des caresses, vraiment, oui, inexprimables, des caresses, des caresses… »
« Pense, disait le Poète, pense au pâle abandon… » Et la pas jeune et guère plus jolie femme devenait toute gracieusement pâle et finalement, – tel qu’un ciel enflammé des avant-crépuscules qui s’atténue vers les candeurs de l’agonie, – toute blanche, toute blanche, toute blanche…
Ah ! prends garde aux poètes consolateurs, prends garde au Verbe, à la magie des réalisations, prends garde aux Mots qui se dressent et vivent, aux évocations improvisées, aux incantations créatrices, prends garde aux logiques de la Parole : – toutes les syllabes ne sont pas vaines.
Le Poète disait :
« Pense au pâle abandon des vieux lys solitaires. »
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