Zeb , en fin limier bibliophile et excellent connaisseur de la littérature fin de siècle, a su identifier notre mystérieux poète. Bien que le jeu fût clos le 31 août, la trouvaille méritera sa récompense. Il s'agissait bel et bien de Michel-Féline, qui publia son seul recueil (connu), L'adolescent confidentiel (Indice n°1), à la Librairie de l'Art Indépendant, en 1892. Il avait débuté, en donnant de rares poèmes à La Plume d'où notre "Princesse Magnifique" est tirée (n°75, 1er juin 1892, pp. 242-243), et à Chimère, la revue montpelliérenne de Paul Redonnel. Michel-Féline en était - de Montpellier -, et y avait rencontré, sans doute grâce à son frère, Pierre, un autre tout jeune poète : Paul Valéry, à qui on attribua abusivement, quelques années plus tard, la paternité de cet adolescent confidentiel (Indice n°2).
Voici quelques comptes rendus du volume, retrouvés dans les petites revues d'époque :
- Adolphe Retté (L'Ermitage, août 1892, p.113) : "Le livre de M. Féline est assez complexe et si l'impression qui s'en dégage n'est pas toujours des plus agréantes, il faut peut-être en accuser cette préoccupation du poète d'embarrasser l'expression de sa pensée d'une foule de tournures compliquées dont elle ne se dégage pas toujours très heureusement. Sans doute il y a chez M. Féline une certaine inexpérience au maniement des rythmes. Aussi n'exerce-t-il pas toujours un contrôle suffisant sur la qualité de ses émotions; bien des brutalités étaient à éviter. Sans insister davantage sur ces deux points, nous découvrons chez M. Féline un véritable don lyrique, maints charmants détails et, çà et là, de ces vers que seul un vraiment poète pouvait écrire. Cela suffit pour classer M. Féline dans un bon rang. Enfin L'ADOLESCENT CONFIDENTIEL est dédié à la mémoire de Jules Laforgue, ce à quoi il faut applaudir car on ne glorifiera jamais trop le seul écrivain de génie que notre génération ait donné jusqu'à présent."
- Jean Court (Mercure de France, septembre 1892, p. 84) : "Les jolis vers ne sont point rares dans cette oeuvrette, mais l'âme de l'adolescent qui écrivit ces pseudo-confidences est sans doute un peu artificieuse et dénuée de toute sincérité. Les préférences de M. Michel Féline vont à Jules Laforgue, à qui le recueil est dédié. L'influence du poète de l'Imitation de N.-D. la Lune est flagrante. Elle se traduit par quelques pastiches maladroits et surtout par une recherche d'originalité qu'on peut trouver excessive. Mais peut-on formuler sérieusement un tel reproche à l'heure où tant de pleutres chantent la même ritournelle et s'exténuent à violer la même Muse-Maritorne ? A coup sûr, M. Michel Féline cherche sa voie. Le décousu de la plaquette qu'il nous donne aujourd'hui l'indique suffisamment. Il se possèdera mieux dans son prochain livre, je pense, et il convient d'attendre jusque-là pour le juger. Cependant, qu'il prenne garde aux trop brusques écarts d'imagination. Il faut avoir acquis une certaine maîtrise pour jouer avec les images disparates, sans tomber dans le grotesque. Les vers suivants, cueillis dans l'Adolescent confidentiel, mais dont le déliquescent Adoré Floupette pourrait presque revendiquer la paternité, me semblent un exemple probant de ce que j'avance :
Rivage heureux où des sourires sont mes pleurs,
Où les pucelles font pipi sur les fleurs.
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Q'une chienne ivre de toi
Te ronge les testicules,
Ecoute les Renoncules
Sangloter au jardin froid."
- Sainte-Claire (La Plume, 1er juillet 1892, p. 309) : "Voulez-vous la note vibrante, hurlante presque :
Qu'une chienne ivre de toi
Te ronge les testicules...
je vous conseille l'Adolescent confidentiel, début de M. Michel Féline. C'est un mélange étrange de sentimentalité, de lyrisme vrai, de prosaïsme - le cri jailli d'une âme puissante non-maîtresse d'elle-même, le bouillonnement d'une jeunesse névrosée clamant son ardeur aux étoiles :
Les belles Amaryllis
Se meurent de syphilis
Ou si c'est de la poitrine
A l'hôpital de Lourcine...
Il pleura sur l'omnibus...
- Et je veux chanter jusque épuisé !
Soyez sans inquiétude, M. Féline a déjà oublié son livre et avant peu il prendra une belle revanche."
[Michel-Féline assista aux dîners de La Plume en 1892. La table des matières de la revue pour cette année mentionne de Gabriel Vicaire une "Déclaration (pour répudier la paternité de "L'ADOLESCENT CONFIDENTIEL" de Michel Feline)" qui n'apparaît pas dans le corps de la revue; elle fut sans doute publiée, en même temps que deux autres poèmes du prochain recueil, dans un supplément poétique; on aura donc suspecté, avant Valéry, le co-inventeur d'Adoré Floupette d'être l'auteur de ces vers joliment étranges et faux; à moins que cette "déclaration" ne fût simplement une réponse à la comparaison avancée par Jean Court dans son compte rendu du Mercure de France ?]
- L. L. F. (L'Art et la Vie - Revue Jeune mensuelle, décembre 1892) : On inclinerait à penser que ce livre, - malgré son joli titre, - est une caricature des tentatives poétiques d'aujourd'hui. La phrase est assez torturée; les idées semblent absentes; les images sont plutôt chaotiques. Après des sensations, des sensations, j'aimerais mieux dire : des mots, mieux encore : des sonorités. Et quant à ces dernières, je les ai trouvées très faibles. Au fond, je crois avoir découvert ceci : l'auteur est troublé par des rêves de femmes, qui ébranlent en désordre tous ses états d'âme, passés et présents. Mais cet adolescent n'est rien moins que confidentiel. Je n'ai guère retenu que ces trois vers :
Elle chante, et le soir tombe;
Entends-tu l'âme, colombe
Qui prend son vol dans les airs ?
et ces deux-ci, qui sont fort clairs :
Les belles Amaryllis
Se meurent de syphilis...
Mais je calomnie peut-être M. Michel Féline, et, en voyant comme il se maintient dans le genre qu'il a choisi, j'ai grand'peur qu'il ne soit sincère. Je me rassure, en pensant que cette adolescence, qu'il nous révèle si discrètement, est une période de crise."
On ne sait à peu près rien d'autre sur ce poète(1) qui passa timidement (le titre de son recueil était programmatique, sans doute) en cette turbulente République des Lettres. Pourtant, les quelques strophes citées manifestaient une belle audace, pour le moins. Il n'y eut qu'André Breton, merveilleux bibliophile, pour saluer, plus de trente ans après l'ultime compte rendu, dans son Amour fou, deux vers ("Et les vierges postulantes... De l'accalmie pour leurs seins") de ce "poète par ailleurs plus qu'oubliable" (Indice n°3) - ces deux vers, absents dans La Plume, servaient d'épigraphe à "La Princesse Magnifique" du recueil. Dans la note que les éditeurs des OEuvres Complètes de Breton (Pléiade) consacrent à l'auteur de l'adolescent confidentiel, on lit ces quelques lignes extraites d'un article d'Elie-Charles Flamand, "A propos de Michel Féline" (Bief, n°3, 15 janvier 1959), commentant le recueil :
Dans le cadre quelque peu rococo de l'esthétique symboliste, Féline s'y livre à une confrontation sur le mode ironique de "l'Idéal" et du "Réel" (selon la terminologie de l'époque), en de courts poèmes qu'il drape avec nonchalance de surprenantes images.
L'adolescent confidentiel fut-il un recueil idéoréaliste ? et Michel-Féline, un Magnifique ?
(1) Tout renseignement supplémentaire concernant Michel-Féline sera chaleureusement accueilli, et une reconnaissance éternelle paiera en retour celle ou celui qui me communiquera l'article d'Elie-Charles Flamand, paru dans Bief. Et quelle merveille pour ma bibliothèque que cet Adolescent confidentiel : avis aux libraires !
2 commentaires:
Bonjour,
Pour Bief, j'ai trouvé ceci :
Réf : 2015145 En vente chez : Librairie Jean Etienne Huret - Paris - 33 + 01 40 50 15 40
BIEF. Revue.
Bief. Jonction surréaliste. Jonction surréaliste. Le Terrain vague, fasc. in-4, agrafés. (GK5B) Chacun : - Prix : 20.00 € - Commander
Nous avons les n° 1 (*) ; 2 ; 3 ; 4 ; 9 ; 10/11. OCCASION.
Stephane
Merci, mon haut sens de la logique ne m'a fait rechercher le n° de "Bief" chez les libraires qu'après la publication du billet. J'ai fini par le dénicher à "La Licorne". La commande est passée. Quelques informations nouvelles sur Michel-Féline paraîtront donc prochainement.
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