La graphologie est-elle une science ? Je répondrai volontiers, comme Remy de Gourmont : "J'en ai toujours douté. Mais je suis toujours prêt à douter de mes doutes et je garde, devant tout ordre de choses que je n'ai pas méthodiquement approfondi, une grande sérénité d'esprit."
Ce Manuel de graphologie appliquée à l'écriture des gens de lettres (1990), qui est dans ma bibliothèque depuis quelques années, ne semble laisser place à la moindre hésitation. La quatrième de couverture ne nous apprend-elle pas que Christian Goth (l'auteur) est membre, depuis 1967, de l'institut national de graphologie scientifique, diplômé en sociologie et en ethnologie, et inventeur de la "scriptologie", ainsi définie : "L'écriture n'est que la trace du langage, et cette expression est la résultante de notre identité : culture, religion, racines... La seule graphologie est impuissante à décrypter ces signifiants, de plus, la scriptologie s'attache à établir une recherche identitaire préalable à toute analyse graphologique" ? Voilà qui paraît sérieux, parce qu'ardu et initiant une méthode presque. L'ennui, c'est que de cette méthode, le manuel (et moi qui pensais - déformation professionnelle - qu'un manuel était un ouvrage didactique), ne nous en montre pas l'ombre d'une esquisse. Qu'y trouve-t-on alors ? Un choix d'écrivains, classés par ordre alphabétique, avec notice biographique suivie d'une "analyse" graphologique de deux à cinq lignes, en regard d'une reproduction de manuscrit. En fait d'analyses, il s'agit plutôt de conclusions, dont la plupart ne nous apportent aucun éclairage sur la personnalité des auteurs tant elles véhiculent des banalités :
Balzac : "Enorme puissance de travail, c'est l'homme des combats, des conflits, de toutes les difficultés... Il en a besoin pour vivre !... Réaliste malicieux..."
Breton : "Son comportement est parfaitement contrôlé. Il use de son charme et de l'ascendance qu'il a sur les autres."
Cocteau : "Touche-à-tout, frivole, il a le génie de tout entreprendre et de tout comprendre."
Eluard : "Gageons que Paul Eluard a dû dérouter et étonner son entourage plus d'une fois."
Hugo : "Puissance, élégance, sûreté de jugement et de soi-même et quelle amplitude de vue... C'est un homme intransigeant, possessif et orgueilleux qui va au bout de ses idées."
Léautaud : "Il trouve son équilibre dans une sorte de vision ironique et burlesque de ses contemporains."
Montesquiou : "Ce scripteur est un personnage hors du commun : maniéré, exagéré dans ses propos, envahissant, mais pourvu d'un grand sens critique artistique."
Valéry : "L'écriture est posée, appliquée, c'est le tracé de ceux qui pèsent leurs mots et leurs pensées."
ou alors, ces conclusions tombent à côté de la personnalité, comme celle consacrée à Aragon, ma préférée :
Aragon : "Il possède un côté naïf et fragile, c'est un idéaliste profond qui n'a pas réellement conscience du monde qui l'entoure. Les événements n'ont pas directement de prise sur lui et ne modifient pas nettement son comportement."
Voilà qui la fout mal, pour l'auteur communiste du Monde réel, présenté en idiot du village.
Et
Saint-Pol-Roux ? "C'est un homme superficiel dans ses relations. Il papillonne, fait volte-face, se dérobe... Magnifique sens de l'esthétique. Saint Pol Roux est un intuitif précieux et délicat." Finalement, le Manuel de graphologie appliquée... ne nous apprend rien que nous ne sachions déjà. Son seul véritable intérêt : les manuscrits reproduits. De notre poète, Christian Goth a choisi une lettre adressée à Léon Deschamps, le directeur de La Plume. Nous ne la connaissions pas et nous l'avons glissée dans notre dossier de correspondances. Postée du Luxembourg belge, le 24 janvier 1896, elle accompagnait l'article "Origines de la famille Verlaine" qui paraîtra dans le numéro du 1er février.
La graphologie est-elle une science ? L'ouvrage ne nous permet pas de trancher. Est-ce important, après tout ? Combien je préfère d'ailleurs, à la scriptologie, la méthode ludique des surréalistes, celle employée par André Breton qui, cachant le nom de l'expéditeur, présentait à Elisa des lettres, à lui adressées. Et Elisa, intuitivement, révélait mieux que tout graphologue scientifique, la personnalité vibrant dans l'écriture :
"C'est quelqu'un qui a un grand sens de la bizarrerie. - Avec un côté "pompier". - Ayant la mort très présente (probablement le côté pompier est du côté de la mort). - Etrangeté avec quelque chose d'académique ou de factice. - Oui, préoccupations du côté du cercueil. - Probablement claustrophobie. - Une espèce de haussement d'épaules en même temps sur les gens, sur le monde. - Grand sens de la mise en scène. - Assez paranoïaque, je crois. - 60 ans. - Je ne crois pas que ce soit un homme de cour. - Probablement peintre."
Voilà le vrai portrait graphologique de Saint-Pol-Roux.
1 commentaire:
Etes vous le Christian Goth Combaluzier que j'ai croisé, il y a 25 ans rue Pavée. Si oui, voulez vous me contacter : josephcohen7@gmail.com
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