J'ai dit, dans le précédent billet, quelques mots enthousiastes sur l'élégante petite revue PAN, qui vécut de 1908 à 1914. Belle et relative longévité qui l'exclut hélas de l'utile bibliographie de Roméo Arbour, Les Revues littéraires éphémères paraissant à Paris entre 1900 et 1914 (José Corti, 1956), l'adjectif "éphémères" désignant ici les périodiques qui n'excédèrent pas les quatre ans d'existence. On y apprend toutefois que Jean Clary, son fondateur, collabora également à Isis (1908-1910) d'Ary René d'Yvermont, aux Rubriques Nouvelles (1909-1913) de Nicolas Beauduin, au Gay Sçavoir (1913-1914) d'Henri Strentz. Etrangement, on ne trouve pas son nom dans cette autre bibliographie complémentaire de Richard L. Admussen, Les Petites Revues Littéraires 1914-1939 (Nizet, 1970). Clary n'aurait-il pas passé la guerre ? Je l'ignore, comme beaucoup d'autres choses sur ce gendelettre ; puisse donc un visiteur avisé - ou le hasard - nous éclairer bientôt. Ce qui est sûr, c'est que Jean Clary, et son compère Marcel Rieu, firent de PAN une revue sans parti pris, intelligemment diverse et hospitalière à toutes les tendances de l'époque. Laissons plutôt Michel Décaudin nous la décrire (La crise des valeurs symbolistes, Privat, 1960, p. 288) :"Pan qui paraît tous les deux mois en 1908 et 1909 a pour directeurs Jean Clary et Marcel Rieu. Dans cette revue libre se trouvent réunis des Méridionaux comme Paul Souchon et Louis Payen, des néo-symbolistes comme Guy Lavaud, des poètes de l'Abbaye, des auteurs aussi différents qu'Abel Bonnard et Apollinaire, que précisément une chronique de Charles-Henri Hirsch dans le Mercure de France oppose comme les représentants de deux formes inconciliables de la poésie, un traditionaliste comme Emile Ripert et l'audacieux Marinetti, un inconnu qui signe Saintléger-Léger. C'est le type de la revue ouverte à tous, curieuse de talents nouveaux."
Le 24 juin 1909
Mon cher Maître,
Quand j'eus la très grande joie de faire votre connaissance à une des soirées de la "Phalange" vous eûtes l'amabilité de me promettre des pages de vous pour le jeune PAN.
Je me permets de venir vous le rappeler en vous priant, mon cher Maître, d'agréer mes meilleurs sentiments de sympathique admiration.
Jean Clary
Serait-ce trop vous demander que de vous prier de m'envoyer votre volume "Anciennetés" ; c'est le seul de vous qui me manque et je ne sais où me le procurer.
Avec mes excuses tous mes remerciements anticipés.
J. C.
Je réponds à ton appel concernant les dédicaces. Me reviennent d'abord ces trois anecdotes amusantes :
- Double dédicace reproduite dans Gilles Picq, Laurent Tailhade ou De la provocation considérée comme un art de vivre (Maisonneuve & Larose, 2001, p. 307) : dans l'exemplaire de Léon Bloy, sous la dédicace de Tailhade,
"à Léon Bloyavec mon admiration fervente et mon amitiéLaurent Tailhade"
l'ingrat mendiant a ajouté :
"Je me fous absolumentde Tailhade qui est lui-mêmele plus incontestable des mufles& je demande qu'on me déba-rasse de cette brochureLéon Bloy"
- Dans le Mercure de France n° 852, 15 décembre 1933, p. 710-711, René Groos raconte, à propos de l'ouvrage de Fagus, Discours sur les préjugés ennemis de l'histoire de France (1909), qui est une réponse à Louis Dimier :
"Voici une dizaine d’années, je venais d’aller voir Fagus à son bureau, je me trouvais sur les quais avec lui quand je découvris cette brochure dans une boîte de bouquiniste. Je ne la connaissais pas. J’en fis l’emplette. Je la montrais au poète, quand je m’aperçus qu’elle était déjà dédicacée. C’était l’exemplaire même de M. Dimier. Je lis sur la page de garde :
A Monsieur Louis DimierContribution loyale au Manuel d’Histoire de France.FAGUS.
et plus bas :
Mon cher René Groos,Je goûte un âcre plaisir à recevoir des mains d’un loyal Juif
le livre qu’a méprisé le Chrétien auquel je l’adressais.FAGUS "
- Enfin, ces bien drôles rapportées par Gérard Genette dans Seuils (Seuil, coll. "Poétique", 1987, p. 129) :
"Claudel ayant dédicacé un volume de sa correspondance avec Gide à son petit-fils en ces termes : "Avec mes regrets de me trouver en si mauvaise compagnie", et ce dédicataire ayant eu le bon goût d'apporter ce volume à Gide pour qu'il le signât à son tour, Gide aurait simplement ajouté cette formule rétorsive et lapidaire : "Idem". Il est vrai que Claudel l'avait déjà beaucoup agacé en lui envoyant un exemplaire de ce qui était donc leur oeuvre commune avec cette fort insolente dédicace : "Hommage de l'auteur" - occasion ou jamais, pour Gide, de se sentir, selon son mot, "supprimé". On sait aussi que Gide avait fait en 1922 une vente publique d'une part de sa bibliothèque, et en particulier de tous les livres dédicacés d'anciens amis avec lesquels il s'était entre-temps brouillé. L'un d'eux, Henri de Régnier, se vengea en lui envoyant nonobstant son livre suivant, mais avec cette piquante formule : "A André Gide, pour sa prochaine vente."
***
Ernest La Jeunesse, qui fut le type du chroniqueur de la fin de siècle, volontiers acerbe, non sans esprit, le croqueur de ses congénères, venait alors de publier un recueil de portraits, Les Nuits, les Ennuis et les Âmes de nos plus notoires contemporains, qui fut un succès et le rendit célèbre. On appréciera l'ironie de Fort, qui prouve qu'on n'envoie pas forcément ses bouquins qu'aux copains et aux critiques littéraires."cordialementà Ernest La Jeunessemon maître en ARRIVISMEson futur admirateurPaul Fort"
La seconde dédicace figure sur un exemplaire de l'étonnant drame de Georges Polti, Les Cuirs de Boeuf, miracle en douze vitraux outre un prologue invectif (Mercure de France, 1898). On y lit :
Est-il utile de présenter Edouard de Max, le comédien préféré des symbolistes, auquel naturellement pensa Saint-Pol-Roux pour le rôle de Magnus, introducteur de Jean Cocteau dans la petite république de l'art et des lettres ? Quant à Georges Polti, on le connaît mieux pour ses Trente-six situations dramatiques. Il est néanmoins dommage qu'on ait oublié ces Cuirs de Boeuf, car ils font une bien étrange tentative de théâtre simultané."A Monsieurde Max.- C'est vous que je voyais,en hallucination, chaque fois quesur la scène imaginaire apparaissait"le Fils".Parcourez ce rôle, je vous prie,pour que vous en parvienne l'hommage,ô le plus artiste - le seul peut-être - desgrands acteurs !GPolti"
"A Francisque Sarcey. Agréez, cher maître, ces modestes pages de ma première jeunesse – en attendant les œuvres prochaines qui sans doute vous feront me lapider. Veuillez seulement ne pas jeter au panier mon nom d’inconnu. Mon tour viendra. Humblement. Respectueusement. Paul Roux. 19 rue Turgot."
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