mercredi 27 mai 2009

Des dédicaces magnifiques et quelques autres...

Parcourant la quatrième année - c'est de 1911 qu'il s'agit - de la fort aimable petite revue intitulée PAN, et sous-intitulée "revue libre", que codirigèrent Jean Clary et Marcel Rieu et qui réunit de beaux et bons contributeurs (René Arcos, Han Ryner, Fagus, Fernand Divoire, Edmond Pilon, Legrand-Chabrier, Georges Polti, Ernest Raynaud, John-Antoine Nau, Louis de Gonzague-Frick, Marc Stéphane, Nicolas Beauduin, etc., ceux-ci pour la seule année 1911 qui nous intéresse), je tombe très-heureusement sur une originale sous-rubrique des "Notes du mois" qui ouvrent avec régularité chaque livraison. Elle intéressera, il me semble, les bibliophiles, les collectionneurs et les curieux, puisque son seul objet fut de recenser les bouquins chinés sur les quais, et possédant la triple qualité d'être récents, non coupés et adornés d'un envoi. Quel triste destin pour un roman ou un recueil nouveau, qui à peine offert se voit presque aussitôt voué aux boîtes des bords de Seine par le dédicataire, et quelle récompense pour son auteur ! A travers donc cette petite collecte, c'est un peu de la naïveté et de la cruauté des gendelettres qui perce. Jugez plutôt...
N°1 - Janvier-Février 1911
Promenades sur les quais. Petit bulletin des livres non coupés. Dédicaces :
- A Monsieur Jean Royère.
Cordial hommage
d'Emile Sicard
(La Mort des yeux, roman, exemplaire n°66)
- A Monsieur Catulle Mendès
Pour qu'il veuille reconnaître un ad-
mirateur de ses Poèmes en prose.
Hommage de respectueuse sympathie.
Gabriel de Lautrec.
(Poèmes en prose, 1898)
- A Fernand Xau
bien cordialement
Jean Grave.
(La Société future, 1899)
- A Papus.
Sympathie et admiration.
Tola-Dorian.
(Poèmes lyriques, 1908)
N°8-10 - Juillet-Octobre 1911
Encore quelques dédicaces, encore quelques bouquins non coupés trouvés au hasard des promenades.
- A ROCHEGROSSE
Au peintre de Vitellius aux Gémonies
Son admirateur JEHAN LORRAIN
(Le Sang des Dieux, 1888)
- A HENRI MAGEL (sic : lire MAZEL)
Cordial hommage de SAINT-PAUL-ROUX (sic : lire Saint-Pol-Roux)
(Les Reposoirs de la procession, 1893)
- A CATULLE MENDES
Son admirateur, REMY DE GOURMONT
(Un Coeur virginal, 1907)
Cette dernière dédicace ne laisse pas de surprendre un peu, en égard aux propos tenus par l'auteur de Sixtine sur Mendès.
De mémoire, je ne retrouve guère les propos désobligeants de Gourmont sur le parnassien. Ce doit être dans quelque promenade en compagnie de Mallarmé ou de Villiers de l'Isle-Adam, qu'il aima et comprit tellement mieux(1). Voilà, en tous cas, une belle collection qui dut coûter alors au rédacteur de ces "notes" trois francs six sous, et qui aujourd'hui ferait quelques jaloux parmi les bons bibliophiles et amateurs de littérature d'avant-siècle.

Il y en a un qui ne devait pas envier cette récolte, tant il en était lui-même coutumier. C'était Tancrède de Visan, le poète et théoricien symboliste, qui adressa, après avoir lu les premières chines, la lettre suivante à la rédaction :
N°2 - Février-Mars 1911
Mon cher Confrère,
Dans le dernier numéro de Pan, vous citiez d'amusantes dédicaces, parmi les livres qu'on découvre encore sur les quais. Voulez-vous me permettre d'enrichir votre collection et de vous offrir quelques-unes de celles que le hasard de mes promenades me fit découvrir.

J'ai un peu la manie des bouquins et n'achète jamais de livres neufs.
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J'ai trouvé le Triomphe de la Vie sur le quai Malaquais, avec cette sérieuse dédicace :
A Monsieur le critique littéraire aux DEBATS
hommage de
Francis Jammes.

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La rue Bonaparte me fut très bonne en trouvailles. Voici, entre autres, les Poèmes anciens et romanesques, très simplement dédiés.
A Paul Adam,
son ami,
Henri de Régnier.
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Mon exemplaire de l'Almanach des Poètes, année 1897, porte sur le faux titre :
A Emile Faguet,
hommage des auteurs
"L'Editor"
Robert de Souza.

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Les Reposoirs de la Procession n'étaient pas pour moi, mais s'adressaient
A Emile Bergerat
cordial hommage,
Saint-Pol Roux (sic)
La typographie de cette dédicace est curieuse. L'S de Saint encadre toute la page et serpente d'une façon magnifique. A l'intérieur du livre, j'ai trouvé la carte de visite de Saint Pol Roux (re-sic). Cette carte n'est pas négligeable. Ses dimensions vous en imposent. Je viens de la mesurer : elle a 9 centimètres de large sur 12 de long. Au bas, en lettres microscopiques, l'adresse :
3 rue de la Goutte d'Or
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Les Idylles antiques, IVe série des Ballades françaises, ont échoué chez moi tout à fait par hasard, car cet exemplaire était offert
A Christian Beck
en très cordial souvenir et signe d'amitié
Paul Fort.
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Anatole France doit avoir une belle bibliothèque, mais certains des volumes qui lui sont offerts ne lui parviennent sans doute pas et je tiens à sa disposition un joli exemplaire des Fleurs du Bitume, avec cette mention :
A Monsieur Anatole France,
pour l'accueil flatteur qu'il m'a fait en cette maison
L'auteur reconnaissant,
Emile Goudeau.
"Cette maison" était celle d'Alphonse Lemerre où Anatole France, en 1878, dut faire partie du comité de lecture.
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Terminons pour aujourd'hui sur La Muse Noire de Stanislas de Guaita. J'ai trouvé, il y a cinq ans, cet exemplaire à Lyon avec cette dédicace :
Au très exquis poète Catulle Mendès
hommage de respectueuse admiration
Stanislas de Guaita.
La Muse Noire est de 1883 (Lemerre, édit.). A la même époque, Mendès prononça ses conférences à l'Odéon qui furent réunies en 1884 sous le titre La Légende du Parnasse contemporain. En même temps que Guaita envoyait son livre de vers à Mendès, il lui écrivait cette lettre que l'auteur de Pour lire au bain oublia dans cet exemplaire de La Muse Noire et qui échoua chez un libraire de la Place Bellecour à Lyon, par une succession d'incidents que je ne saurais démêler. Voici la lettre écrite sur très beau papier et dominée par une couronne de comte :
Monsieur et cher Maître,
Je ne suis pas encore allé vous remercier de votre gracieuse persévérance à m'adresser des cartes d'entrée pour vos ravissantes conférences sur le Parnasse contemporain.

Quel plaisir j'ai ressenti à connaître ces débuts de la lutte, entre ceux qui veulent la correction et ceux qui veulent l'aisée négligence à tout faire ; même de la poésie ! Cette lutte dure encore, mais la victoire est acquise dès maintenant aux bons ouvriers, comme vous l'avez justement proclamé.

J'irai vous dire, un de ces jours, de vive voix, et mes félicitations et mes remerciements, en attendant, je vous prie, Monsieur et cher Maître, de me croire toujours
Votre dévoué et sincère admirateur.
Stanislas de Guaita.
Tancrède de Visan.
Ah, le temps béni des chines miraculeuses ! Je donnerai prochainement d'autres dédicaces reproduites dans cette belle et intéressante petite revue, trop peu connue. En attendant, je vous invite à m'adresser, comme Tancrède de Visan, vos propres découvertes, envois amusants ou significatifs d'une relation amicale ou hostile d'écrivains. Je les entoilerai au fur et à mesure ; et ces billets feront, n'en doutons pas, de jolis témoignages à verser dans une histoire de la littérature, d'après les pratiques auctoriales péritextuelles, encore à écrire. Il vous suffit, pour cela, d'adresser un courriel à harcoland(at)gmail.com.
(1) Mon ami Christian Buat, le maître-entoileur des Amateurs de Remy de Gourmont, vient, le billet à peine entoilé, pallier mes défauts de mémoire. Il m'indique deux références issues des Promenades littéraires, 7e série (Mercure de France, 1927), qui recueillent des marginalia oubliées de l'auteur. Dans la première, "La mort de Verlaine", qui date de 1896, on lit : "On a vu cela : les Mendès, Coppée, Lepelletier, étalés à trente et quarante sous la ligne dans le premier salon de ces riches maisons, et Verlaine rejeté à la troisième page, parmi les faits divers et les pauvres..." ; et dans la seconde, "Sur la critique dramatique", qui date de 1899 : "L'autre jour, j'ai parcouru de M. Mendès sur un vaudeville trois colonnes terminées par un cul-de-lampe aphrodisiaque représentant, avec des mots poivrés, l'envers des bras de Mlle Cassive : est-ce ça la critique dramatique ? Le prétexte des vaudevilles lui est bien inutile : on pourrait la transformer en contes "pour lire au bain" sans lui ôter aucun de ses charmes". Grand-merci à Christian Buat pour ces précisions.
Nota : la reproduction de la signature de Saint-Pol-Roux ne figure pas dans la lettre de Tancrède de Visan.
Nota' : Puisqu'il était question dans ce billet de la cruauté des gendelettres, je signale au lecteur du blog la parution toute récente, chez Cynthia 3000, d'Au pays du mufle de Laurent Tailhade, dans une édition revue, augmentée et annotée par l'excellent Gilles Picq. Un salubre cruauté et une fort saine lecture.

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