dimanche 11 mai 2008

La Petite Anthologie Magnifique : "La Camargo", sonnet d'Emile Boissier dédié à Mme Saint-Pol-Roux

(1870-1905)

Il a été fort peu question des femmes jusqu'ici sur ce blog. C'est un tort et il faudra régulièrement y remédier. Car les femmes et l'amour accompagnèrent Saint-Pol-Roux toute sa vie et, d'une certaine manière, orientèrent son oeuvre. Eluard le nommera d'ailleurs, à l'occasion d'une émission radiophonique, "le rêveur amoureux". Il y en eut une qui compta particulièrement : la belle Amélie Bélorgey, rencontrée en pleine bataille magnifique, dans le courant du printemps ou de l'été 1891. Elle avait eu une enfant d'un premier mariage, qui était morte, après cinq jours d'existence, le 22 mars. Les témoignages sont nombreux qui signalent la grâce, le charme, la beauté de cette jeune parisienne. Le poète n'y résista pas et les deux amants s'installèrent en ménage. Leur premier fils, Coecilian, naquit en avril 1892, puis ce furent Lorédan deux ans plus tard, Magnus fin avril 1897, qui ne vécut pas, et Divine le 28 septembre 1898. Les parents de Saint-Pol-Roux voyaient d'un mauvais oeil cette union libre, bien trop éloignée de leurs croyances, et qui ne fut régularisée qu'en 1903, le 5 février, à la mairie du XIe arrondissement. Les témoins de la noce étaient Catulle Mendès, André Antoine et Octave Mirbeau. Amélie fut une compagne dévouée et un infaillible soutien. Le choc causé par la mort de Coecilian dans les tranchées porta un coup fatal à sa santé. Elle décéda le 4 novembre 1923 à l'âge de 54 ans.

Mais revenons quelques années plus tôt. En 1900, à Roscanvel, dans la Chaumière de Divine où régnait l'élégante "châtelaine" dont la silhouette, le sourire et le chaleureux accueil marquaient durablement les visiteurs. Elle était sensuelle, d'une sensualité qui n'allait pas peut-être sans quelque ludique libertinage. Jehan Rictus, l'année précédente, en avait fait les frais :
"Tout au long du déjeuner la femme me pince, me pelote littéralement en s'extasiant sur la grosseur insoupçonnée de mes biceps.

Elle devine en moi le gaillard nerveux et solide que je suis. Je ne sais que dire et quelle tête faire ! (...) Et ces chatteries gamines ont duré toute la journée. Elle m'a pincé les bras jusqu'au sang - Tout le temps dans la voiture ce jeu a duré." (Journal de Jehan-Rictus, Département des manuscrits de la BNF, n.a.fr. 16102)
Boissier, le bel idéaliste, rendit aussi visite à Saint-Pol-Roux, au printemps 1900. S'il devait bel et bien dédier à son ami un poème en prose qui parut dans L'Hermine du 20 avril 1903, c'est à Amélie qu'il pensa lorsqu'il écrivit le sonnet qu'on va lire. Il est d'un érotisme voilé, discret, qui dit mieux que tout billet la moderne sensualité de Madame Saint-Pol-Roux.

LA CAMARGO
A Mme SAINT POL ROUX.
L'exquise Bouquetière aux sourires discrets,
Camargo, la danseuse adorable, c'est Elle !
Sa main pâle, doigts fins, nous offrant des oeillets
S'enrubanne au frisson câlin de la dentelle.

Fanfreluchés un peu sous le bleu des lacets
Vers le tulle mutin givré de brocatelle,
On devine en leur grâce éblouissante et frêle
Ses seins blancs et neigeux enclos au corselet.

Une toque, enfantin caprice, à son oreille
Se penche, bride au vent, sur ses cheveux poudrés
Et ses yeux sont naïfs et sa bouche vermeille.

Dans la pourpre du soir tendre et crépusculaire,
Avec le charme doux de ses longs cils nacrés
La belle au front câlin s'ingénie à nous plaire.

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