vendredi 26 juillet 2013

CŒCILIAN ou LE FILS HÉROÏQUE (Deuxième partie)

Sportif accompli, avancé-je dans mon précédent billet pour qualifier le fils aîné de Saint-Pol-Roux, Cœcilian l'était incontestablement. On en trouve les preuves en feuilletant la collection de La Dépêche de Brest qui manquait rarement de donner les résultats des compétitions sportives amateurs de la presqu'île. Le sport de prédilection de l'adolescent semble avoir été le cyclisme. Sa première apparition dans les colonnes du quotidien en tant que participant à une course date du mardi 17 septembre 1907. Il a alors quinze ans. Le dimanche précédent, à l'occasion de la fête de la jeunesse sportive brestoise (J. S. B.), il prend part à une course reliant Camaret à Crozon : une dizaine de kilomètres à parcourir sur une bicyclette rudimentaire et sur une route bien moins carrossable que celle d'aujourd'hui. Lisons plutôt le bref compte rendu du correspondant de La Dépêche :
A dix heures précises, les concurrents de la course réservée à la jeunesse camarétoise se mettent en ligne et s'élancent sur Crozon à bonne allure.
Cette course a été exécutée, en vrai coureur professionnel, par le jeune Saint-Pol-Roux, qui a effectué le parcours en 43 minutes, battant de loin ses concurrents.
Voici les résultats de cette course :
1er prix, M. Saint-Pol-Roux ; 2e, M.Gourmelon ; 3e, M. Moldeau ; 4e, M. Duval ; 5e, M. R. Guillou.
Trois ans plus tard, le 21 août 1910, Cœcilian participe à la course des 100 kilomètres de la J. S. B., ralliant Landerneau à Brest en passant par Morlaix. Inscrit dans la catégorie des débutants, il achève le parcours en 2 heures et 26 minutes, signant le sixième temps.et remportant un "cabaret à liqueur". Début juillet 1911, il reprend sa bicyclette pour la course organisée lors des fêtes du pardon de Crozon ; il obtient cette fois une troisième place - petit échauffement sans doute avant les annuels 100 kilomètres de la J. S. B. auxquels il s'inscrit de nouveau, mais, cette fois, dans la catégorie des indépendants ; Lorédan, lui, figure parmi les débutants. Ce dernier n'est pas mentionné parmi les arrivées. Cœcilian fait, quant à lui, 10e. Il serait fastidieux de lister ainsi toutes les compétitions cyclistes auxquelles aura pris part le jeune homme. Je me contenterai d'ajouter qu'il participa également à des matchs de football et à des concours de tirs à la carabine ; il obtint notamment une douzième place au concours fédéral du 26 mai 1912. Force, endurance, adresse, aucune qualité physique ne manquait au fils aîné de Saint-Pol-Roux.
L'esprit n'était pas en défaut. Probablement encouragé par son père, il arrivait à Cœcilian d'écrire. J'avais déjà eu l'opportunité de reproduire le poème qu'il composa pour célébrer Camaret-la-Victoire à l'occasion des grandes fêtes de l'été 1912, et, un peu plus tard, de donner un article du même, annonçant lesdites fêtes. Cet article, que j'avais retrouvé dans un numéro de La Revue de France et des Pays français, rien ne laissait penser qu'il fût amputé. Or, dans La Dépêche de Brest, où il avait initialement paru, il est considérablement plus long, occupant près d'une colonne et demie. Rendons-lui ses véritables dimensions :
GRANDES RÉGATES DE CAMARET
Fête de la Victoire
Camaret, 13 juillet.
En offrant, cette année, à M. Saint-Pol-Roux, la présidence de leurs régates les membres du comité de Camaret, semblaient signifier qu'ils attendaient de ce poète une collaboration toute particulière pour la journée nautique du 11 août.
Se considérant, de ce fait, comme invité à réaliser "quelque chose", le nouveau président décida de faire appel au sentiment populaire, afin d'associer toutes les bonnes volontés en vue d'une fête à la fois d'expression locale et de portée générale : il établit donc un projet que le comité des régates vient d'adopter à l'unanimité.
Disons tout de suite qu'il n'est pas question ici de la fête commémorative annoncée par la presse voici deux ans. Il s'agissait alors d'une vaste reconstitution historique, avec parties lyrique et dramatique qu'eut mise en mouvement ce génial organisateur, M. Antoine, directeur de l'Odéon l'hiver et simple Camarétois l'été ; mais, vu ses développements énormes et les obligations qui en découleraient, une pareille reconstitution ne sera possible que plus tard, dans un Camaret où les hôtels et les moyens de communication seront plus nombreux : chemins de fer desservant la presqu'île, etc. Non, la fête proposée pour le 11 août prochain est moins complexe, bien que d'un programme très copieux, ainsi qu'on en jugera.
Les régates traditionnelles, si chères aux populations maritimes, se dérouleront à travers l'anse de Camaret, comme d'ordinaire, selon les mêmes données et avec les mêmes récompenses ; cependant, à ce spectacle coutumier, le projet juxtapose un spectacle nouveau, de manière que les deux spectacles, fondus en un, composent une manifestation exceptionnelle.
Sachez que le fond décoratif, sur lequel se détachera la fête prochaine, sera constitué par des Régates Fleuries dans le port, celles-ci faisant face et pendant au Corso fleuri du quai, dont les maisons seront, elles aussi, décorées.
- Maïs un fond, fût-il de fleurs, ne suffit point, émet l'auteur du projet. Il sied de l'animer au moyen d'un sujet principal, d'un motif central ; en un mot, il faut un thème. Eh bien, ce thème, extrayons-le résolument des annales camarétoises. Cherchons un symbole local, le plus significatif, puis dressons-le en force directrice de la fête, afin que, sous son invocation, sous son inspiration, toutes ces barques et tous ces chars fleuris puissent s'exalter dans un enthousiasme commun. Ce symbole, il existe au premier rang de votre propre histoire, Camarétois, mais nous aurons soin de l'emprunter dans un sens pacifique, de le traduire dans un but de fraternisation générale. J'estime avoir suffisamment désigné la Victoire - la Victoire de Camaret.
Alors, comme les symboles doivent être réalisés pour être saisissables au peuple, de même que les idées ne nous apparaissent pleinement accessibles que sous la forme humaine, le poète propose de réaliser le symbole de la Victoire au moyen d'une jeune fille laborieuse et sage de Camaret, élue par le comité.
L'élue incarnera la Victoire.
C'est dire que la Victoire deviendra l'esprit, la raison d'être, l'âme de la journée du 11 août, sa présence expliquant ces pavois et ces guirlandes, puisqu'elle-même sera la représentation des rares vertus des héros de 1694. Toute de glorification, cette figure n'apportera donc rien du déjà vu d'une reine, d'une rosière, voire même d'une muse. La Victoire rayonnera d'autant plus qu'elle relèvera directement du Roi-Soleil. Nul n'ignore que, remportée par les troupes de Vauban, auxquelles s'adjoignirent les habitants de Camaret, la bataille du 18 juin 1694, fermant la France aux étrangers coalisés, demeure, tant par son extraordinaire héroïsme que par ses incalculables conséquences, l'un des plus beaux faits de notre histoire nationale.
Ajouter que la Victoire, portant les armes de France, serait entourée de deux compagnes d'honneur, élues comme elle, portant l'une les couleurs d'Angleterre, l'autre les couleurs hollandaises, c'est spécifier encore davantage "l'idée de fraternisation qui dominera cette fête de "cordialité", et c'est laisser voir que toute la colonie étrangère du littoral voudra participer à cette journée d'accord fleuri.
L'Hommage à la Victoire s'effectuera, vers une heure à la Tour Dorée enjolivée, à cette occasion, d'une légère nuance rétrospective : le corps-de-garde occupé par quelques soldats de Vauban et, sur le pont-levis, un cornette porte-étendard entouré des tambours oblongs et des fifres de l'époque. Donc, à une heure, salve d'artillerie, cloche de Rocamadour, hymne, poèmes, airs de Lulli et de Rameau, passe d'armes XVIIe siècle, etc.
De l'esplanade du château, la Victoire aura donné le signal des habituelles courses à la voile dont les bateaux, pour ne pas nuire à la vitesse recherchée par les concurrents, seront simplement invités à courir sous grand pavois, avec bouquet au mât.
A quatre heures, les courses à la voile terminées commencerait la partie nouvelle : les Régates Fleuries, auxquelles pourraient assister les bateaux des premières Régates, décorés en hâte de façon que le port fût peuplé d'une innombrable escadrille (bateaux de pêche, cotres de plaisance, vedettes d'officiers, etc.) recouverte de fleurs des jardins et des champs, de palmes, d'ajoncs, de bruyère, de rameaux divers sans oublier les dentelles étranges de la flore marine.
Régates fleuries. Sortie de la Tour, la Victoire s'est embarquée à la cale du Sillon, sur une nef fleurie qui, suivie de toute une flottille de barques fleuries venues au devant d'elle, va s'embosser au milieu du port, à quatre vingts mètres du quai Gustave Toudouze, - tous ces bateaux dessinant bientôt un demi-cercle avec, pour diamètre de base, la ligne du quai, où viennent de se déployer simultanément les véhicules fleuris du Corso. Embarcations et chars formeront les limites d'un cirque d'eau, d'avance jalonné par quelques bateaux-guidon et dundees-tribunes, cirque dans lequel, durant une heure, il sera procédé à d'originaux jeux nautiques, tels que les Joutes Phocéennes avec pique et bouclier. Aux appels de fanfare, les jouteurs combattront sous les yeux de la Victoire, trônant à la proue de son navire. Puis sera courue la Nage Fleurie, assaut de nageurs luttant à qui portera le premier une fleur, là-bas, à la Victoire. On finira par un "épisode de mer" poignant et instructif, réglé par le poète Saint-Pol-Roux, qui tient à marquer son passage à la présidence des Régates.
Bataille de fleurs. - Après les jeux nautiques, débarquement de la Victoire sur le terreplein du Sillon historique, où se seront rendus les chars du Corso. Coup de canon. Signal d'une bataille de fleurs monstre entreprise dans et autour du château Vauban, sur les fortifications adjacentes et le môle, bataille répétée dans le port entre les barques. Branle-bas général. Et l'on se demande si, à ce moment joli, ne surgira pas quelque spontané maréchal Vauban pour organiser derechef la victoire fleurie, comme aussi pour suggérer la place où la reconnaissance devrait ériger sa légitime statue. La bataille sur terre aurait pour axe ambulant la ligne des chars, ayant au milieu d'eux ie Char de la Victoire, - celle-ci allant enfin faire son entrée dans sa bonne ville de Camaret. On a compris que, dans cette bataille, poétique réédition où la fleur remplace la balle, où la touffe de roses supplante le boulet rouge, où les prisonniers enchaînés par des rubans et des guirlandes, ne sont entraînés que vers la gavotte héréditaire, on a compris qu'il n'y aura point d'adversaires, qu'il n'y aura ni
vaincus ni vainqueurs, mais seulement des amis, des frères alliés dans une joie universelle, et que les hostilités s'achèveront bras-dessus bras-dessous, tous les combattants rassemblés dans le cortège suprême.
Est-il besoin de dire que, pour stimuler l'initiative privée, des interprétations allégoriques ou historiques seront laissées à l'inspiration des propriétaires de chars et des équipages ? - Brulôt de corsaires à la Jean Bart, char des Fées de la lande, costumes de la Vieille Bretagne, garde-côtes et mousquetaires 1694, chaise-à-porteurs, grands hommes, etc, Toutefois, il est fait appel aux scrupules et convenances, afin d'éviter tout ce qui ne tendrait pas à rendre un hommage direct et gracieux tant à l'âme ancienne de Camaret qu'à 1'époque merveilleuse de la Victoire.
DÉFILÉ. - Apothéose. - Une fois sur le quai, le Char de la Victoire s'immobilisera face à la mer, entre les deux arcs de triomphe. Dès lors, devant la Victoire, assistée de M. Toussaint Le Garrec, maire ; du conseil municipal, des présidents d'honneur et du comité des régates, devant la Victoire, dont la garde sera constituée par le si sympathique équipage du canot de sauvetage, aviron sur l'épaule, ayant à leur tête le patron Jules Le Joly, lauréat national, ce sera le très impressionnant défilé de l'immense cortège bariolé : sociétés, délégations, marins, cultivateurs, touristes, soldats, enfants des écoles, etc., parmi les sonneries de cuivre, les roulements de tambour, les airs de musique et les chants nationaux entremêlés : God save the King ! Hymne néerlandais et Marseillaise. Chacun, en passant, lancera en offrande à la Victoire la fleur, - la dernière et la plus belle - réservée pour elle.

Le soir, banquet populaire, fête vénitienne, corso lumineux, feu d'artifice, embrasement des monuments historiques N.-D. de Rocamadour et Tour Dorée, retraite, danses, etc.
Un tel, programme, on le pressent, ne peut qu'obtenir un succès sans précédent, étant donné la communion des âmes avec un glorieux passé, et vu le rare spectacle d'adversaires d'autrefois devenus les alliés d'aujourd'hui, et se retrouvant, la main dans la main, sous les magnifiques ailes d'or d'une Victoire exemplaire soudainement jaillie des pages poudreuses du vieux temps pour nous offrir son sourire ingénu, mais aussi nous chanter sa ferme leçon d'énergie.
C'est pourquoi bonne chance à la sensationnelle journée du 11 août ! Elle ne manquera pas d'attirer une affluence considérable de visiteurs, heureux d'admirer le miracle d'une féerie de fleurs, jonchant les tragiques rochers de cette vaillante cité de pêcheurs qui, hier encore, s'appelait Camaret, mais qui, demain, sur la carte comme dans l'histoire, portera son nom véritable et qui est tout son nom, le seul vraiment sien et qu'elle a mérité, l'ayant reçu au baptême du feu : Camaret-la-Victoire !
CŒCILIAN.
- A la dernière séance du comité des Régates, à la mairie, Mlle Lisette Duédal, âgée de 19 ans. a été élue "Victoire", à l'unanimité. Cette élection a été saluée avec enthousiasme par toute la population camarétoise.
Ce sont là, bien sûr, écrits de circonstance, et dictés par l'esprit de la fête. Mais on reconnaît dans quelques-unes des lignes de ce jeune homme de 20 ans l'influence paternelle et idéoréaliste. On se plaît alors à imaginer l'écrivain, le poète, ou le journaliste, qu'aurait pu devenir Cœcilian si la guerre, transformant la fleur, de nouveau, en balle, ne l'avait emporté dans sa boue.
(A suivre.)

Aucun commentaire: