Beaucoup des billets qui paraîtront sur ce blog seront consacrés au poète Saint-Pol-Roux, à son oeuvre, à ses contemporains et à leur actualité vivante. Leur seul objet - donc - la poésie.
jeudi 31 décembre 2009
vendredi 25 décembre 2009
C'est noël : trois albums de Saint-Pol-Roux pour les enfants (ceux qui le sont et/ou ceux qui le sont restés)
Le choix, d'abord, des trois textes idéoréalistes, fut pertinent. Non pas que le poète fût aussi hermétique qu'on veut parfois, faute de l'avoir bien lu, le dire ; mais il fallait assurément sélectionner ceux, plus narratifs, qui pouvaient le plus directement s'adresser aux enfants. La poule aux oeufs de cane, L'arracheur d'heures, Saint Nicolas des Ardennes, sont de ceux-là.
Il était, en outre, courageux de parier sur des oeuvres dont la poésie submerge de toutes parts le narratif.
"Et quel pieux soin la couveuse a de son devoir ! Comme tacitement elle suit la graduelle évolution qui s'opère en le temple de ses plumes ! Ne dirait-on pas qu'elle officie, ou plutôt n'a-t-elle pas l'allure grave d'une divinité qui va réaliser des créatures ? Elle sait que dans l'œuf après le premier jour des lignes déjà se dessinent, qu'après le second jour le cœur tiquetaque, qu'après le troisième le sang s'est canalisé, qu'après le quatrième le corps se distingue, qu'après le septième le col émane du corps, qu'après les neuvième et dixième les plumes frisent dans leurs gaines, qu'après le dix-huitième le squelette est complet, qu'au dix-neuvième le poussin rompra la membrane qui l'enveloppe, qu'enfin du vingtième au vingt et unième jour les parois de la coquille éclateront sous la vitalité du reclus, et qu'autant de grelots vivants sonneront Petit-Noël."
Les illustrations, enfin, de Frédérique Ortega, Michel Barréteau et Renaud Perrin, sont rien moins que formidables ; à l'instar du texte, elles ne prennent pas nos chères têtes blondes, brunes ou rousses pour d'insuffisantes imaginations auxquelles il faudrait pré-mâcher le sens de toute lecture. Les éditions Passage piétons font de beaux livres pour les enfants de tous les âges. Je les ai eus dans ma bibliothèque avant d'être père ; ils m'ont ravi. Et je me réjouis déjà du jour où je les lirai à mon fils... pour l'éveiller.
La poule aux oeufs de cane, version dessinée par Frédérique Ortega, collection "conte à rebours", éd. Passage piétons, 2001 (48 p., 9 €)L'arracheur d'heures, version dessinée par Michel Barréteau, collection "conte à rebours", éd. Passage piétons, 2001 (48 p., 9 €)Saint Nicolas des Ardennes, version dessinée par Renaud Perrin, collection "conte à rebours", éd. Passage piétons, 2001 (48 p., 9 €)
mardi 22 décembre 2009
Un petit reportage de France 3 sur Saint-Pol-Roux
lundi 21 décembre 2009
Un nouvel addendum au "Bulletin des Amis de Saint-Pol-Roux" n°4
La Toison d'Or
Les vivants et les morts
Samedi 6 Février, un banquet réunissait à la taverne Grüber les amis et admirateurs du grand poète Saint-Pol-Roux, surnommé "le Magnifique", à cause peut-être de sa prestance de mousquetaire, à cause surtout de ses théories littéraires. M. Léon Dierx présidait, assisté de M. Catulle Mendès. Et c'était, de la part des deux grands Parnassiens, un geste touchant et peu banal que d'honorer de leur présence et de leur parrainage cette manifestation en l'honneur du Symbolisme. Toute l'élite de la nouvelle génération était là, trépidante... A l'heure des toasts, curieux spectacle ! La salle prend un aspect de réunion publique. Des bohèmes ivres poussent des cris d'animaux et se livrent à des démonstrations d'un "symbolisme" effréné. MM. Léon Dierx, Gustave Kahn, Catulle Mendès, Max Anhély (sic), le bon poète Paul Fort, Jean Royère, directeur de "LA PHALANGE", prennent successivement la parole au milieu d'un tumulte varié. M. Saint-Pol-Roux parle enfin, remercie, disserte fort élégamment et déclare, entre autres choses, que la Poésie date du Symbolisme, est née avec lui, ce qui peut paraître sensiblement exagéré.Finalement, on nous fait signer une adresse à M. Claretie, l'invitant à représenter "La Dame à la Faulx" de Saint-Pol-Roux sur la scène du Théâtre Français. Nous avons tous signé, mais M. Claretie, je le crains, n'a pas encore contresigné.Or, voici qu'au lendemain de cette mémorable soirée où M. Catulle Mendès donnait, par sa seule présence, un bel exemple de tolérance artistique à ses jeunes confrères, nous venons d'apprendre la mort tragique du grand poète.Catulle Mendès fut pendant un demi-siècle l'une des plus hautes illustrations des lettres françaises. Depuis l'époque de ses débuts vers 1860, il a produit avec une incroyable fécondité et une supérieure maîtrise plus de cent ouvrages de tous genres littéraires, et l'on pouvait attendre encore de l'infatigable écrivain des oeuvres belles et nombreuses, puisque Réjane devait jouer de lui un drame napoléonien "L'Impératrice", l'Opéra monter le "Bacchus" qu'il avait écrit pour M. Massenet et que, la veille de sa mort, il travaillait encore à son ballet "La Fête chez Thérèse" dont M. Reynaldo Hahn composait la musique.On a reproché à Catulle Mendès de n'être point un créateur. Il demeure cependant l'un des grands initiateurs du Parnasse. Or, le Parnasse qui nous semble bien vieux aujourd'hui, et qui l'est en effet, était, ne l'oublions pas, une audace en 1860, de même que le Symbolisme fut une audace en 1885. Et la gloire des Parnassiens n'a pas été étouffée par les colères des "Symbolos", comme disait Verlaine dont ils ont tenté depuis d'exploiter le cadavre.L'an passé, Coppée ! récemment Sardou et Mérat ! aujorud'hui, Mendès ! et parmi les comédiens, les deux Coquelin ! C'est toute une génération qui s'éteint en peu de temps.Que sera la nouvelle, celle qui se rue bruyamment au pouvoir ? Que sera la Poésie du XXe siècle ? Les célébrités de demain vaudront-elles les gloires d'hier ? Espérons-le, croyons-le, veuillons-le avec Saint-Pol-Roux. Mais, ce soir, oublions nos luttes sans merci pour rendre un impartial et juste hommage à nos grands devanciers du Parnasse, François Coppée et Catulle Mendès.
Tous deux sont morts ! Seigneur, votre droite est terrible !...
CAMILLE LEMERCIER D'ERM
Et Lemercier d'Erm (1888-1978), dont on appréciera le beau maintien, pouvait à juste titre regretter les querelles d'écoles puisque Les Argonautes fut une revue véritablement hospitalière qui accueillit toutes les générations. Elle compta ou annonça parmi les collaborateurs de ses dix livraisons : Catulle Mendès, Léon Dierx, Charles Le Goffic, Emile Blémont, Jean Richepin, Remy de Gourmont, Verhaeren, Gustave Kahn, Jean Moréas, Tristan Klingsor, Léon Riotor, Albert Saint-Paul, Victor-Emile Michelet, Fernand Gregh, Ricciotto Canudo, Valentine de Saint-Point, Guillaume Apollinaire, Marinetti, etc. Ce qui n'est pas rien. La revue vécut peu. Camille Lemercier d'Erm devait réorienter sa quête vers une toison d'or plus politique ; celui qui avait sous-intitulé ses Argonautes, "Revue Anthologique de Poésie française" fonda le Parti nationaliste breton et devint le héraut de la cause séparatiste.
Nota : On trouvera le détail des sommaires des dix premiers numéros de la revue sur le site des Amateurs de Remy de Gourmont.
dimanche 20 décembre 2009
Du nouveau sur Edgar Tant...
"En ces pages nous souhaitons retracer les impressions d'un poète belge exilé et les péripéties amenées par les difficultés d'une langue à peine entendue.
En résumé, l'histoire d'un poète wallon, amoureux de littérature française et francophone, cherchant refuge en pays flamand, soit, pour lui, en plein domaine étranger. Le passage le plus intéressant de ce récit est celui où, à Middelbourg, après nous avoir appris qu'il est un cousin de feu Georges Rodenbach, il fait la rencontre du directeur francophile de la bibliothèque, qui lui ouvre la réserve. Il se retrouve alors en pays familier :Lors de l'invasion allemande, il se rend à pied de Bruges à Breskens, passe l'embouchure sud de l'Escaut et poursuit de Flessingue à Veere, où il croit pouvoir se loger."
"Il mit la main sur Femmes, par Paul Verlaine, appartenant à la trilogie Chair : femmes, hommes, amies, série de poésies licencieuses qu'on ne lui délivra que sur son insistance et principalement en qualité d'auteur d'un recueil de vers érotiques : l'Amour bande. Il emporta l'album Masques d'André Gill, admirables portraits-charges gravés à l'eau forte, préfacés par Jean Richepin, les Mois, par François Coppée, grand in-quarto illustré par un procédé de reproduction spécial, et Saintes du Paradis, petits poèmes de Remi (sic) de Gourmont avec bois de Félix Vallotton (sic)."
J'ai dit que le nom de Saint-Pol-Roux n'y apparaissait pas ; sa présence tutélaire, toutefois, n'est pas improbable dans tel quatrain :
Au bord de l'océan, loin de la foule humaine
De simples coeurs encor savent le Paradis
Dont l'angélique paix semble toujours lointaine
A ceux que la rumeur n'a que trop étourdis !
"Celui qui n'a égard, en écrivant, qu'au goût de son siècle, songe plus à sa personne qu'à ses écrits : il faut toujours tendre à la perfection, et alors cette justice, qui nous est quelquefois refusée par nos contemporains, la postérité sait nous la rendre."
dimanche 18 octobre 2009
Ephéméride - 18 octobre 1940 : éclipse "magnifique"
"Allez bien doucement messieurs les fossoyeurs.
Allez bien doucement, car si petit qu’il soit de la taille d’un homme, ce meuble de silence renferme une foule sans nombre et rassemble en son centre plus de personnages et d’images qu’un cirque, un temple, un palais, un forum ; ne bousculez pas ces symboles divers pour ne pas déranger la paix d’un univers…"
Mort de Saint-Pol-Roux
"Le Magnifique" disaient ironiquement des plaisantins qui ne savaient pas si bien dire. Car si jamais un poète a mérité d'être ainsi appelé, ce fut bien Saint-Pol-Roux.
Plus tard, parce que la vérité, toute la vérité, si horrible qu'elle se montre, est due à celui qui ne mentit jamais, je dirai le drame qui s'est abattu sur la dernière année de son âge et qui, certainement, a précipité pour lui la visite et la délivrance que nous attendons tous de la mort... "la Dame à la Faulx" ainsi qu'il l'appela lui-même pour nommer une tragédie qui est unique dans le théâtre français...
La mort n'emporte aujourd'hui qu'un poète et le plus libre des hommes. Celui-ci, monté tout de suite très haut, n'est jamais redescendu. Il eût pu blasonner son œuvre, son attitude et son exemple de ces vers de Leconte de Lisle : "Je ne livrerai pas ma vie à tes huées – Je ne danserai pas sur ton tréteau banal – Avec tes histrions et tes prostituées..." Je le définis bien, je crois, si je vante en lui le plus symboliste des poètes symbolistes et le plus prestigieux imagier de notre langue, ce que feront impérissablement connaître, avec La Dame à la Faulx, des livres comme Les Reposoirs de la Procession, De la Colombe au Corbeau par le Paon, Le Chemin de ma vie [sic], etc.
Pour ne pas danser la "danse ordinaire aux scribes", il s'était retiré à l'extrémité de la falaise de Camaret, entre la mer et la lande, également tragiques, dans un petit manoir qu'il appelait Cœcilian, du nom d'un de ses deux fils, mort, voilà vingt-trois ans, à la guerre. Dans la société de sa fille, Divine, qui s'était toute consacrée à son grand enfant de père et faisait sa compagnie ailée des cormorans qu'elle élevait, il épuisait des jours dignes de lui. Il s'est éteint à l'âge de quatre-vingts ans, n'ayant jamais démérité de soi-même et portant hautement sa lucide pauvreté. Parce qu'il faut subsister pour vivre, il s'était astreint à des besognes obscures dont il méprisait de signer les produits. Il travailla quelque temps pour Pierre Decourcelle ; et deux ou trois des romans les plus achalandés de ce dernier sont de lui.
Combien savent que le livret de la "Louise" de M. Gustave Charpentier fut écrit par Saint-Pol-Roux ?
Quand j'eus appris le drame atroce auquel j'ai fait ici allusion, je tins à lui mander que je savais. Je lui écrivis seulement ceci, qui, pour lui comme pour moi, en disait plus que toutes les indignations et toutes les plaintes : "Mon cher grand, je t'embrasse". S'il a pu recevoir ces quelques mots, je sais qu'il aura compris.
Aujourd'hui, je m'afflige à considérer la dédicace si ancienne déjà, par laquelle il me fit l'honneur d'un exemplaire de La Dame à la Faulx. Elle est tracée d'une écriture magnifique à la Barbey d'Aurevilly ou à la Pierre Louÿs : "A Georges Pioch, chevalier du Meilleur, etc.".
Aux espoirs qu'ainsi il me dédiait, voilà trente ans, je mesure douloureusement la dérision finale de mes jours... Cher Saint-Pol, je t'envie si, comme écrit notre Leconte de Lisle, "tu goûtes la paix inconnue à la vie – et si la grande mort te couvre tout entier".
Georges PIOCH.
[L'OEUVRE, jeudi 24 octobre 1940]
dimanche 4 octobre 2009
Une anecdote de Carlos Larronde, à moins que d'Olivier-Hourcade, sur Saint-Pol-Roux
Et les amitiés, effectivement, ne manquèrent point, puisque Larronde & Hourcade purent s'enorgueillir de recevoir le soutien et des textes de Claudel, Canudo, Tancrède de Visan, Emile Verhaeren, Henri-Martin Barzun, etc., pour les deux premières livraisons."Régionalistes nous sommes, et nous l'avons prouvé. Peut-être ne concevons-nous pas cependant la décentralisation comme ces jeunes faces bleues ou ces vieux crânes roses qui ne voient dans ce mot que prétextes à conférences dans tel salon parisien ou telle "Université boulevardière" sur la simplicité des moeurs rustiques de leur province natale, qu'ils vantent mais ne suivent pas.Notre but sera de réveiller dans chaque région, dans chaque ville, et si nous en avons la force dans chaque bourgade, la vie intellectuelle, morale et économique originale qui y sommeille.Faire connaître à chaque coin de France ses écrivains, ses artistes, ses savants, ses industriels même et lui apprendre les ressources parallèles, mais de qualité différente, des autres parties de la Patrie et les efforts de ceux qui travaillent pour nous, notre influence et notre gloire à l'étranger, voilà dans sa fière simplicité le but premier que se propose notre Revue et qu'elle atteindra, car les amitiés ne lui manqueront point."
Je ne crois pas que Saint-Pol-Roux y collabora, bien que Larronde n'eût pas manqué, sans doute, de l'engager à le faire. Son nom n'est toutefois pas absent de la revue, et la quatrième de couverture du n°2 et 3 (Mars et Avril 1912) annonçait "pour paraître prochainement" aux Editions de "La Revue de France", une plaquette de Dorsennus, intitulée : Un poète Marseillais : Saint-Pol-Roux. Deux articles de Dorsennus (alias Jean Dorsenne), consacrés au Magnifique, paraîtront, l'un dans La Phalange, l'autre dans la Revue de France, mais l'étude ne vit pas le jour sous la forme initialement annoncée.
On retrouve Saint-Pol-Roux dans les "Echos" de la même livraison, héros d'une anecdote, non signée, mais qui doit être de Larronde, l'un des Bordelais présents, à moins que d'Hourcade, l'autre Bordelais :
UN GESTE DE SAINT-POL-ROUX
Ils étaient trois poètes, deux jeunes Bordelais et un grand Marseillais de Camaret. Ils causaient dans la rue de Constantinople. Ils s'arrêtent devant un atelier de modistes. Ces demoiselles rient derrière la vitre. Alors l'aîné des trois poètes... magnifique, entre dans la boutique proche d'une marchande de fleurs et revenant aux jeunes filles leur donne le bouquet de violettes qu'il vient d'acheter.
- Elles se moquaient de nous. Je leur ai montré comment se vengent les poètes.
samedi 3 octobre 2009
Faire-part : la SOCIETE des AMIS de SAINT-POL-ROUX (S.A.S.P.R.) est née !
Pour obtenir plus d'informations ou adhérer,
samedi 26 septembre 2009
Deux amis à un banquet : Han Ryner & Saint-Pol-Roux - un addendum à l'addendum
Il y a quelques jours, C. Arnoult compte-rendait du BASPR4 sur son indispensable blog dédié à Han Ryner. Il achevait son billet avec cet addendum, qui eut légitimement pris place dans l'épais dossier de "l'impossible représentation de la Dame à la Faulx" s'il avait été alors connu de moi :
"Ce BASPR était déjà paru quand Daniel Lérault et moi-même eûmes accès à un compte-rendu de nous inconnu relatif au banquet donné à Ryner à l'occasion de la sortie du Cinquième évangile. On peut y lire :
Saint-Pol-Roux lut alors d’une voix blanche quelques strophes mystérieuses dédiées à Han Ryner ; et Han Ryner l’en remercia plus tard en faisant l’apologie de La Dame à la faulx, « cette œuvre géniale » – s’écria-t-il – "que refusa dernièrement la basse Comédie Française des de Flers et des Caillavet" !
Ceci dans le numéro des Loups de janvier 1911, et signé R. Christian-Frogé. Le banquet eut lieu 4 décembre 1910 dans les salons du restaurant Grüber, bd Saint-Denis, et regroupa 200 convives, dont Saint-Pol-Roux accompagné de Madame. La "voix blanche" du Magnifique s'explique sans doute par l'atmosphère pour le moins houleuse du banquet. Celui-ci avait été organisé par l'éditeur du Cinquième évangile, Eugène Figuière — ce qui n'eut pas l'heur de plaire à tout le monde, notamment à la fougueuse meute des "Loups" qui semblait considérer Figuière davantage comme un maquignon des lettres que comme un "bon camarade"...
Ce petit extrait montre en tout cas que Saint-Pol-Roux et Han Ryner avaient l'un pour l'autre une estime réciproque, et il n'est pas impossible qu'ils aient eu des relations amicales. Je crois savoir que Mikaël dispose d'un indice pouvant être interprété dans ce sens..."
LA VIE DE PARIS
Le Banquet du Prince
J'ai eu l'honneur, hier, de prendre mon repas de midi en compagnie de M. Han Ryner et de ses amis. M. Han Ryner n'est pas un Hollandais, ainsi que l'affirmait sottement un garçon du restaurant, trompé par des apparences orthographiques. Il est Français, et bien Français, jusqu'au point d'être du Midi. Il s'appelle véritablement Henri Ner. Mais par la judicieuse combinaison de la crase et de la césure, par l'emploi d'un y piquant, il a voulu attirer l'attention sur son nom. Ce à quoi, pourtant, il n'est parvenu que dans le milieu de son âge, et quand déjà sa barbe blanchissait.Mais les mauvais jours sont maintenant passés. M. Han Ryner vient d'être élu prince des conteurs, ce qui n'est point un faible honneur, dans le pays de Voltaire. Et donc, ses amis lui offraient un banquet pour fêter son élévation. Les amis de M. Han Ryner sont nombreux, ainsi que j'en ai pu juger par moi-même. Car j'en ai compté plus de cent cinquante, lesquels n'avaient pas hésité à payer six francs et à revêtir une tenue de ville, comme ils en étaient priés.Ils s'assirent devant de longues tables, et regardèrent avec ravissement l'image qui ornait le menu. Car cette image représentait M. Han Ryner lui-même, assis sur un pavois et recevant des mains d'une dame en pierre un objet indiscernable. Dans le lointain, l'artiste avait dessiné une manière d'Acropole, des montagnes et des cyprès. L'un des porteurs du pavois avait les traits de M. Belval-Delahaye, chef des Loups, lequel était d'ailleurs assis, en chair et en os, au festin, et cravaté de soie blanche comme à son ordinaire.Les convives parlèrent fort gentiment pendant tout le repas. Ils étaient de tout âge. Certains portaient des chevelures mérovingiennes, et d'autres ne portaient pas de chevelures mérovingiennes, pour la raison suffisante qu'ils n'avaient pas de chevelure du tout. Tous semblaient être des écrivains, et ils s'entretenaient abondamment de leurs oeuvres.- Tu n'as pas lu mon dernier livre ? Alors tu ne peux pas comprendre mon évolution. Ecoute, je te l'enverrai. Je l'ai écrit - oh ! je ne pourrais pas dire cela devant tout le monde - je l'ai écrit dans une illumination. Il me semblait que ce n'était pas moi qui écrivais...J'ai demandé le nom de l'auteur qui parlait ainsi. On me l'a dit, et je ne le connaissais point. C'est une grande honte pour moi.M. J.-H. Rosny aîné avait accepté la présidence. Il se leva, à l'heure du dessert, et commença par lire les excuses des invités qui n'avaient pu venir au banquet. M. Saint-Pol Roux le Magnifique avait envoyé de Camaret un télégramme ainsi conçu :Retenu par matérialités diverses, t'exprime mes profonds regrets d'absent, en renouvelant au grand prophète qui clame en toi mon inaltérable admiration. Ton pur génie légitime les respectueux hommages de nous tous. Fraternelle accolade. - SAINT-POL-ROUX.Et, entendant lire cette dépêche, j'essayais de me représenter le visage de la télégraphiste de Camaret, lorsqu'elle transmit ce lyrique message. J'ajouterai que d'ailleurs je n'y suis point parvenu.M. J.-H. Rosny aîné parla ensuite pour son propre compte. Je n'ai pas très bien su démêler s'il ne raillait pas quelque peu le prince des conteurs. Car, après l'avoir comblé d'hommages, et lui avoir affirmé qu'en lui se réunissaient un poète, un philosophe, un historien, etc., il lui dit, sur le ton d'un vif intérêt :"Encore un effort, et vous vous placerez parmi les Michelet et les Renan. Encore un effort, et vous arriverez à la renommée."Or, est-il possible de dire qu'un prince des conteurs n'a point encore atteint la renommée ? Je ne le pense point. Du moment du principat date la gloire. Ou bien, le principat n'est que fumée.Un triple ban, ordonné par le chef des Loups, retentit. Et M. Han Ryner se dressa. C'est un homme de petite taille, assez semblable à un moujik, tel du moins que je me figure un moujik. Il a les pommettes saillantes. Ses cheveux, sa barbe et ses sourcils, qui furent noirs, et qui grisonnent, couvrent de leurs broussailles mêlées le visage entier. Mais à travers ces broussailles luisent des yeux de nécromant. Et dès qu'il parla, je compris pourquoi Saint-Pol Roux le Magnifique appelle prophète ce prince des conteurs.En effet, il prononça une harangue enflammée et sauvage. Il célébra l'orgueil "foyer intérieur qui doit échauffer ceux que ne réchauffent pas les foyers extérieurs du succès". Il dit que l'orgueil seul l'avait soutenu, et lui avait permis de garder "une fertilité que l'ignorance de tous semblait vouloir rendre stérile". Il parla à la jeunesse, lui conseilla d'être orgueilleuse, et de ne point désespérer. Et il y avait dans la salle des jeunes gens maigres qui le regardaient avec des yeux où brillait un grand espoir. Mais il y avait aussi des hommes marqués par la vie, et dont les yeux restaient mornes, parce qu'ils ne croient plus au succès.M. Han Ryner déclara ensuite que la lourde couronne dont il était coiffé eût été mieux placée sur le front de J.-H. Rosny aîné, et examina les raisons de son élévation. Il en trouva plusieurs, et fut honoré d'un triple ban, suivi tout aussitôt d'un autre triple ban.Un convive trouva cet hommage insuffisant. Il se leva, et dit :- Un ban de coeur !Et il expliqua comment doit être battu un ban de coeur. On frappe en cadence la poitrine, à l'endroit du coeur. Lui-même donna l'exemple, et ne créa ainsi aucun bruit. Nul ne l'imita, et il se rassit, disant :- Personne n'a donc de coeur !M. Pierre Mille adressa au prince les compliments les plus humoristiques, en un discours délicieux qui excita le rire dans toute la principauté. Mme Aurel dit avec grâce cent phrases ingénieuses, et M. Paul Fort, prince des poètes, reprocha aux journalistes de détourner leur attention des oeuvres nobles et désintéressées pour la porter sur des oeuvres mercantiles. Alors, je m'en allai extrêmement vexé.
dimanche 20 septembre 2009
Le Grognard n°11 a paru !
21e siècle : on sait tout en temps réel, on voit tout, du petit trou où se cache tel taliban en cavale jusqu'au plus infime détail de la planète la plus lointaine. On analyse tout, on décortique tout, on comprend tout... et on meurt quand même ! C'est assez con, non ?
Je vis en dehors du troupeau ; je vous fuis tous, vous, vos bergers et vos chiens.
"En dehors du troupeau", c'est son titre. Voilà qui ferait une juste devise au Grognard.J'ai dit adieu à tout ce qui vous passionne ; j'ai rompu avec vos traditions ; je ne veux rien savoir de votre société maboulique ; ses mensonges et son hypocrisie me dégoûtent. Au milieu de votre fausse civilisation je m'isole ; je me réfugie en moi-même ; je ne trouve la paix que dans la solitude...
C. Arnoult nous fit la joie de rendre compte du dernier BASPR sur son site et de verser au copieux dossier de "l'impossible représentation de la Dame à la Faulx", une pièce toute rynérienne qui nous avait échappé. Nous ferons, prochainement, à notre tour, un addendum aux relations entre le Magnifique & le Prince des Conteurs.
samedi 19 septembre 2009
Carte postale de Camaret-sur-mer : un hommage du Club des Poètes à Saint-Pol-Roux
Pour Yasmine & Blaise
vendredi 4 septembre 2009
L'Académie Mallarmé : dernier épisode
Journal des débats politiques et littéraires - 14 avril 1940
On ne croyait sans doute pas encore à la défaite, bien réelle deux mois plus tard.Le prix Mallarmé sera décerné cette année, comme les années précédentes, au commencement de juin. Les membres de l'Académie Mallarmé se réunissent mardi prochain, à la Bibliothèque nationale, pour en fixer la date exacte et faire un premier recensement des candidatures.
Journal des débats politiques et littéraires - 4 juin 1940
Et l'ajournement devait se prolonger... car ce fut le temps des éloignements, des tragédies et de la mort. Mort, d'abord, de Mme Francis Vielé-Griffin, veuve du grand poète et premier président, donatrice du prix.Les membres de l'Académie Mallarmé ont décidé, vu les circonstances, d'ajourner l'attribution du prix Mallarmé, qui avait été fixée au 4 juin.
La Croix - 17 juillet 1940
Puis une première tragédie dans ce bout-du-monde où Saint-Pol-Roux avait bâti sa légende, dans la nuit du 23 au 24 juin - un premier attentat contre la poésie qui resta ignoré et dont la presse ne se fit pas l'écho.On annonce le décès de Mme Francis Vielé-Griffin, survenu à Bourganeuf, le 4 juillet 1940. Elle était la veuve du poète Francis Vielé-Griffin, mort en 1937, commandeur de la Légion d'honneur, membre de l'Académie de Belgique, président de l'Académie Mallarmé. Cette mort met en deuil les familles Teyssandier de Laubarède, Guy Lavaud et du Mas de Paysac. Cet avis tient lieu de faire-part.
Le Figaro - 28 septembre 1940
Pour être jeunette et encore mal installée dans la réputation littéraire, l'Académie Mallarmé a un malheur commun avec les Quarante du pont des Arts et les Dix de la place Gaillon : elle est dispersée sur tout le territoire.
M. Materlinck se trouvait récemment encore au Portugal ; Mme Gérard d'Houville séjourne dans les Pyrénées ; M. Jean Cocteau a choisi la côte méditerranéenne ; M. Ferdinand Hérold l'Isère ; M. Jean Ajalbert a apporté à Vic-sur-Cère le double rayon des Goncourt et des Mallarmé ; Saint-Pol Roux est à Camaret ; Lyon a reçu la flânerie pensive de M. Henry Charpentier.
M. Paul Fort a rejoint à Paris M. Léon-Paul Fargue.
Mais où sont MM. Valéry Larbaud, Charles Vildrac, Albert Mockel et André Fontainas ?"Saint-Pol Roux est à Camaret" annonce le Figaro aussi légèrement qu'il annoncerait une villégiature. Comme s'il ne s'était rien passé de terrible à Camaret, comme si la machine infernale n'avait commencé à broyer l'univers merveilleux du Magnifique. Comme si la mort ne s'était déjà installée à demeure.
L'Ouest-Eclair - 19 octobre 1940
Mort d'un poèteSaint-Pol-Roux le Magnifique
Saint-Pol-Roux est mort, silencieusement, en des jours où nous vivons hors de la durée et avec le sentiment d'une absence sans limites. Il est mort à Brest, au bout du monde, et il nous faut faire un effort de mémoire pour nous rappeler son âge. Tel Homère, ce Méditerranéen n'avait pas besoin d'état civil historique : ce n'est pas parce qu'il était né le 15 janvier 1861 qu'il laissera dans le cœur de ceux qui l'admiraient et qui l'aimaient la vision du patriarche des légendes ; on oubliait qu'il avait vu le jour à Saint-Henri, dans la banlieue de Marseille, pour ne le situer qu'à Camaret.
Et pourtant, si Paul Roux, en se fixant en Bretagne, avait ajouté un Saint ivre de la magnificence du verbe à tous les cocasses petits saints de la toponymie régionale, quelle mimique héréditaire ne reproduisait-il pas, en baptisant : "Thalassa !" un de ces oiseaux des tempêtes qu'apprivoisait sa fille Divine ?
Mais, il n'y avait rien de marmoréen dans ce vieux poète qui survivait, magnifiquement, isolé par sa technique, au symbolisme.
Il avait passé par Paris, étoile filante de la Pléiade. Puis, remontant la route des vagabondages de Verlaine, il avait voulu s'ensauvager dans la noire forêt des Ardennes. Il y écrivit sa Dame à la Faulx, que la Comédie-Française jouera.
Parmi les pêcheurs de sardines de Camaret, il trouva l'homme selon son âme. A ses "Reposoirs de la Procession", il va ajouter : "La Rose et les Epines du chemin", "Anciennetés", "De la Colombe au Corbeau par le Paon", "Les Féeries intérieures". Sur la pointe du Toulinguet, son sens de la cantilène se gonfle du souffle océanique, pour nous donner des chefs-d'œuvre de prose rythmée et assonancée, et de ce manoir Cœcilian, qui porte le nom d'un fils disparu pendant la grande guerre, il fit un burg lyrique où s'isoler dans l'orgueil d'une vie exclusivement vouée à l'image et à la mélodie.
Dans cette veille, où nous ne pouvons qu'imaginer son effigie tumulaire, froide et blanche, rouvrons son dernier recueil, cette "Mort du Berger", où il lamente le trépas de son ami, un curé de Camaret : "Lieu d'arrivée, lieu de départ ; on arrive, l'on part. Tout est pareil dans la nature... sinon que, par-dessus le glas, les goélands, dans la lumière, éparpillent un cri semblable au bruit des clefs étincelantes de saint Pierre".
Derrière Divine, la fille chérie, ils se presseront les marins que le bon Saint-Pol-Roux tutoyait quand ils ramenaient "l'arc-en-ciel des bancs dans leurs filets", et toutes ces jeunes générations auxquelles, débonnairement, il a fait passer le certificat d'études.
L'Académie Mallarmé célébrera en lui un des derniers représentants du mouvement symboliste. Nous dirons simplement : "Le Poète est mort !", en percevant, jusqu'à l'hallucination, sa voix dorée, et en le revoyant lever les bras pour une incantation.
F[lorian] Le R[OY].
Le Figaro - 9 novembre 1940
Mort de Ferdinand Hérold
Le poète A. Ferdinand Hérold est mort dans sa propriété de Lapras-Saint-Basile (Ardèche). Il fut un des fondateurs du Mercure de France.
Membre de l'Académie Mallarmé, il figurait dans cette ultime représentation du symbolisme qui vient de perdre, presque à la même heure, Saint-Pol Roux le Magnifique.
Le Figaro - 28 décembre 1940
Une autre Académie souffre de difficultés de recrutement. Elle est la dernière née, sans gîte et sans ressources. L'Académie Mallarmé a espéré incarner la poésie, mal accueillie dans les autres Compagnies.
Deux de ses membres : Saint-Pol-Roux et Ferdinand Hérold, viennent de mourir. Mais, soupire-t-on, comment leur élire des successeurs ? Il n'y a à Paris que trois électeurs, Paul Valéry, L.-P. Fargue et E. Dujardin. Les autres sont dispersés dans les provinces.
Le soupir ne nous émeut guère. Serait-il meilleur de faire vivre normalement les institutions littéraires dans une France dont l'état est si cruellement anormal ?Mais, on a déjà eu l'occasion de le vérifier, nos jeunes académiciens avaient bien de la ressource, et, en 1941, l'Académie, procédant à de nouvelles élections, se refit une santé.
Journal des débats politiques et littéraires - 16/17 juin 1941
Le professeur Mondor, membre de l'Académie de Médecine, vient d'être élu à l'Académie Mallarmé.
Le professeur Mondor a publié notamment un ouvrage sur l'amitié de Verlaine et Mallarmé.
Le Figaro - 15 octobre 1941
L'Académie Mallarmé a renouvelé son bureau
Paris, 14 octobre. - On annonce qu'au cours de sa dernière séance l'Académie Mallarmé a renouvelé son bureau, les deux tiers de ses membres se trouvant actuellement à Paris.
Ont été élus : MM. Jean Ajalbert, Paul Valéry, Charles Vildrac qui a accepté les fonctions de trésorier et Henry Charpentier, celles de secrétaire général.
L'assemblée a élu pour président M. Edouard Dujardin.
Le Figaro - 20/21 juin 1942
Activité de l'Académie Mallarmé
Voici six ans peut-être est venue au jour une Académie de poètes qui a pris le nom d'Académie Mallarmé.
L'on devine de quelle pensée profonde elle est née : que l'on est peu de chose dans les honneurs si l'on n'est académicien. Les poètes regardaient les Compagnies littéraires et combien ils étaient oubliés. Ils voyaient l'Académie Française élire des hommes plus polis que brillants et ils se disaient : "Pourquoi pas nous ?" Ils assistaient au tintamarre que déclenchaient les faits et gestes de l'Académie Goncourt et ils songeaient qu'un tintamarre est toujours bon.
Faute d'être une Académie existante, ils en ont fait une. Il faut croire que leur protestation contre la négligence contemporaine à l'endroit de la Poésie n'était pas tant gratuite puisque Paul Valéry d'abord, puis Paul Fort, Léon-Paul Fargue ont apporté à l'institution le secours de leur gloire et le poids de leur talent.
L'homme de peine, le maçon et tout à la fois le cuisinier de l'Académie Mallarmé fut une sorte de grand homme du nom d'Edouard Dujardin. Personne n'a jamais dit avec fermeté s'il avait ou non quelque talent littéraire. A son nom les vénérables aînés déclarent :
- Il a fait "Les lauriers sont coupés".- C'est une romance ?- Un livre, un livre... un récit poétique, celui de l'invention du monologue intérieur.
Le monologue intérieur est éternel. Du moins M. Dujardin prenait-il, sous cette fiction, une place dans la vie littéraire.
L'Académie Mallarmé eut cette particularité d'être sans dotation, sans local, sans costume : un enfant nu sur la paille. Les poètes qui la composent vont, selon un chemin tout tracé, déjeuner place Gaillon - c'est le moment suprême de leur existence - et puis ils partagent l'addition.
Ainsi, ayant choisi façade bourgeoise, ces poètes académiciens n'ont pas réussi, en tant que Compagnie, à passer le cap des existences falotes et menaçées.
***
L'Académie Mallarmé décernera son prix annuel mardi - ou plutôt deux prix : celui de 41 et celui de 42.
Bilan cruel et injuste. Mais qui rappelle assez bien les difficultés endurées par la jeune Académie poétique. Et, en cette année 1942, il y eut effectivement un prix, et un seul.Le premier irait à Pius Servien et le second serait partagé entre Mme Yanette Delétang-Tardif et Georges Pillement.
Le Figaro - 25 juin 1942
Le Prix Mallarméa été attribuéà Mme Delétang-Tardif
Aujourd'hui, le prix de poésie Mallarmé a été décerné au cours d'un déjeuner qui réunissait notamment : MM. Edouard Dujardin, Paul Fort, Charles Vildrac, Léon-Paul Fargue, Cocteau, etc. Le prix a été attribué à Mme Jeanette (sic) Delétang-Tardif.
La Croix - 1er mai 1943
M. Félix Fénéon est élu membrede l'Académie Mallarmé
L'Académie Mallarmé qui avait décidé de ne pas élire de nouveaux membres avant la fin des hostilités, vient de revenir sur cette décision en désignant M. Félix Fénéon, en remplacement de M. Ferdinand Hérold, décédé récemment.
C'est à l'issue du déjeuner qui réunissait la semaine dernière, au restaurant Drouant, les membres de l'Académie que le nom de M. Fénéon fut prononcé. Il était alors plus de 15 heures. Malgré cette heure tardive, une unanimité sympathique se réalisa autour de ce nom et l'idée vint de procéder aussitôt à une élection.
Le nouveau membre de l'Académie Mallarmé est âgé de 83 ans. C'est un ancien ami de Mallarmé qui le tenait en haute estime. "C'est un des critiques les plus fins de notre temps", disait-il, en parlant de lui. Ancien co-directeur de la Revue indépendante et de la Revue Blanche, M. Félix Fénéon a joué un rôle très important dans l'histoire de l'impressionnisme et du symbolisme. Les oeuvres complètes du nouvel académicien sont précisément en instance d'être éditées par la maison Gallimard avec une présentation de M. Jean Paulhan. La plus grande partie n'a pas été jusqu'ici réunie en volume et se compose d'études littéraires, de critiques d'art et de préfaces à différents ouvrages.Sur cette bonne nouvelle, s'achève notre feuilleton. L'Académie Mallarmé vit toujours, d'une vie sans doute moins précaire qu'à ses débuts. Ses membres actuels, apparemment plus nombreux qu'hier, en connaissent-ils tous l'histoire ? Peut-être. Peut-être pas. Désormais, il ne tient qu'à eux d'en lire le récit documenté.
Nota : Pour lire les précédents chapitres, il suffit de se téléporter ici.
dimanche 30 août 2009
"Mes souvenirs" sur le Théâtre-libre, réédités par Patrick Besnier chez Du Lérot
"La Vérité Dramatique n'a rien de commun avec ce qu'on est convenu de nommer la Réalité. Mais le théâtre, sapristi, c'est une seconde création faite de la combinaison de ce qui est et de ce qui devrait être. La loi du théâtre c'est le Meilleur. Le théâtre est donc un art au-dessus. Le Théâtre-libre restera donc la plus grande erreur du siècle. Antoine a tué, momentanément, Shakespeare. Et voyez comme à sa suite ils ont tous théâtrisé, ceux qui n'ont pas pour un sou le sens du théâtre, ah les calices des lettres y sont allés d'une telle diarrhée que les dramaturges, les vrais, en furent constipés". (Poésie Présente, n°85, octobre-décembre 1992, p. 25-26)Les poètes symbolistes - et Saint-Pol-Roux - ne furent pas toujours des plus bienveillants envers André Antoine et l'entreprise théâtrale qui le rendit célèbre. Pour le moins. La citation donnée plus haut en est un exemple. On en trouverait d'autres chez d'autres poètes, et d'autres encore dans les écrits de Saint-Pol-Roux. Et pourtant, quelques lignes plus bas, le Magnifique pouvait écrire en toute honnêteté : "Je suis, je crois être un sincère ami d'Antoine, et toutes ces choses je les lui ai à peu près dites durant un mois que je voisinais avec lui à Camaret". Car aussi étrange et contre-nature que cela puisse paraître, le créateur du Théâtre-libre et le héraut du Magnificisme étaient amis. D'une amitié qui n'allait pas sans disputes et sans brouilles durables, mais qui fut comme fraternelle : l'aîné et le cadet se reprochant respectivement leurs choix opposés et se retrouvant finalement chaque été devant la réconciliatrice bouillabaisse. Car ils étaient aussi voisins ; Saint-Pol-Roux demeurant à Camaret toute l'année et Antoine y villégiaturant estivalement depuis les premières années du Théâtre-libre pour s'y reposer des saisons de luttes et d'inquiétudes. Bref, humainement ces deux s'appréciaient beaucoup et se reconnaissaient d'indéniables qualités. Ainsi, Saint-Pol-Roux pouvait dire d'Antoine, à la suite du texte cité : "j'ai une grande estime pour son énergie, comme j'apprécie toutes les énergies d'en haut ou d'en bas..."
"Un comité de poètes s'est formé pour créer un Théâtre d'art qui donnera bientôt, à la salle Montparnasse, des pièces de Pierre Quillard, Rachilde et Stéphane Mallarmé. C'est fort bien, car le Théâtre-libre ne suffit plus, d'autres groupements deviennent nécessaires pour jouer certaines oeuvres que nous ne pouvons pas réaliser chez nous. Je n'y vois pas une concurrence, mais un complément dans l'évolution qui s'accélère."
ANTOINE, "Mes souvenirs" sur le Théâtre-libre, édition établie et annotée par Patrick Besnier, DU LEROT, éditeur, Tusson, Charente - 272 p. (35 €).
vendredi 28 août 2009
M. Jules Claretie, l'administrateur du Français, ne manque pas d'humour...
"Une démarche...
Au nom de la Comédie-Française et par une élégance personnelle d'artiste qui ne surprendra aucun de ceux qui le connaissent. M. Jules Claretie vient de faire "quelque chose de tout à fait joli", pour employer l'expression de Cyrano. Un groupe de littérateurs et d'artistes a demandé la croix de la Légion d'honneur pour le poète Saint-Pol-Roux, l'auteur de la Dame à la faulx, dont le comité de lecture reconnaissait le génie, en regrettant les obstacles matériels qui ne lui permettaient pas de retenir son oeuvre.
L'excellent "avocat" qui plaida si vivement la cause du chef-d'oeuvre idéoréaliste devant le comité de lecture dut défendre avec autant d'efficacité cette nouvelle cause puisqu'on épingla bel et bien une croix sur le revers du veston magnifique... en juillet 1932.Parmi ces littérateurs, on peut citer MM. Maurice Donnay, Marcel Prévost, Jules Lemaître, Paul Margueritte, J.-H. Rosny, Henry Bataille, Emile Verhaeren, comtesse Mathieu de Noailles, Henri de Régnier, Laurent Tailhade. A leur suite, tous les jeunes littérateurs groupés par M. Figuière, les plus hardis, de Paul Fort à Alexandre Mercereau... Or, M. Jules Claretie, qui fut l'avocat du poète Saint-Pol-Roux devant le comité de lecture, a fait une démarche personnelle auprès du bienveillant ministre de l'instruction publique, a exposé ce labeur de quinze années dans la modestie et le silence, si éloquemment, que tous les artistes espèrent fêter prochainement la croix de l'auteur de la Dame à la faulx."
jeudi 27 août 2009
L'anthologie poétique d'Emile Boissier, par Jean-Pierre Fleury
Nota : Le volume contient aussi un beau cahier central et un CD-Rom d'illustrations. Pour toute information complémentaire, contactez l'auteur ici."Je suis le doux semeur des nobles vérités,L'apôtre de la vie, épris de la Nature,Le frère des vaincus et des déshérités,Celui qui croit encore à l'aurore future.Je pardonne le crime et la haine aux méchantsQui courbent leur fierté sous un labeur servile.Ivre de l'Infini, je déserte la villePour aller vers la mer et les soleils couchants.Suivras-tu mon voyage, ô ma soeur solitaire ?..."
jeudi 13 août 2009
DE LA COLOMBE AU CORBEAU PAR LE PAON : "Cette inquiétude sans nom" (chroniques de la poésie contemporaine, par Nicolas Servissolle)
Après Eric Vauthier, je suis heureux, particulièrement, d’accueillir en ce blog un nouveau contributeur. Nicolas Servissolle(*), doctorant en littérature française, est un excellent connaisseur de la poésie contemporaine, et il est mon ami. A ce double titre, nos conversations ne sont guère consensuelles ; et aucune ne s’achève – mais s’achève-t-elle jamais ? – sans qu’elle ait donné lieu à des débats contradictoires, à des désaccords, à des réserves. Mon désintérêt pour une grande part de la production poétique des quarante dernières années n’y est pas pour rien – malgré Jude Stéfan, et ne viens-je pas de lire LE SEJOUR de Jacques Goorma, qui est admirable ? – bien que je sente, confusément, que la poésie contemporaine se rencontre souvent avec la poésie moderne initiée à l’époque symboliste. Ne se reconnaît-elle pas d’ailleurs les même maîtres, incessamment glosés : Mallarmé, Lautréamont, Rimbaud ? Une rupture indéniable, certes, demeure. Quelque chose s’est brisée à la fin des années 1960. C’est cette brisure, sans doute, que je n’excuse pas. Pourtant, il semble bien que des ponts soient tacitement jetés entre les deux rives, historique et actuelle, de la poésie. Les poètes continuent de creuser la langue et, dans cette béance, résonnent soudain des échos qu’on croyait, à jamais, étouffés. La notion de « baroque », que Nicolas Servissolle interrogera, appliquée à la poésie contemporaine, dans cette nouvelle rubrique fort opportunément intitulée « De la colombe au corbeau par le paon », est l’un de ces ponts, peut-être le plus paradoxalement solide.
(*) Nicolas Servissolle est l’auteur d’un recueil singulier, à la lice (coll. « Poètes des cinq continents », L’Harmattan, 2003), et d’une belle étude sur la première œuvre de Saint-John Perse, Eloges Palimpseste (L’Harmattan, 2008).
Cette inquiétude sans nom
De quoi parle la poésie ? (…) Peut-être ne sait-elle pasce qu’elle dit, ce qu’elle dira, ce qu’elle veut dire.Ne le sachant pas, elle entre dans l’inquiétude.
Jean-Marie Gleize(La poésie. Textes critiques, XIVe-XXe siècles, Larousse, 1995, p.13)
Faire beau, maladie de la littérature, plaire – même origine –, prétexte racinien à sa cruauté et à son ambition infuses dans les personnages parlant en vers charmeurs (…)[10]
En fait, de toutes mes incertitudes, la moindre (la moins éloignée d’un commencement de foi) est celle que m’a donnée l’expérience poétique ; c’est la pensée qu’il y a de l’inconnu, de l’insaisissable, à la source, au foyer même de notre être. Mais je ne puis attribuer à cet inconnu, à cela, aucun des noms dont l’histoire l’a nommé tour à tour. [17]
La poésie surgit […] au moment où le monde extérieur est reconnu comme le miroir de ce qu’il y a en nous de plus caché et de plus personnel, le révélateur d’une réalité invisible. [18]
S’approcher du feu, faut faire attention : est-ce qu’on en dit ce qu’on croit dire ?[20]
les excentriques, bizarres, « baroques », c’est-à-dire imparfaits, qui traitent des thèmes trop singuliers pour les régents de collèges et faiseurs de manuels qui vous placent un siècle après Sainte-Beuve dans le « Kamtchatka » charognard : chat, gibet, mangeaille, fagots, tavernes, filles – où l’on voit pointer le cauchemar des bien-pensants biblisés : le sexe, la mort. [28]
- Marie-Madeleine & Femme : http://www.artnet.fr/artist/425228570/ronan-barrot.html
- La Main : http://www.museefernetbranca.fr/