Dans le catalogue de décembre de la Librairie Walden, le n°152bis ne pouvait que retenir mon attention. Les exemplaires, avec envoi, de Saint-Pol-Roux sont en effet trop rares - en salle de vente ou chez les libraires - pour ne pas fixer mon obsession bibliophilique. Et celui-ci est tout à fait intéressant, puisque dédié, non pas à un contemporain célèbre - écrivain ou artiste - mais à un ami obscur sur lequel - et le libraire ne manque pas de le signaler - nous manquons cruellement d'informations. Alexandre Kieffer, puisque c'est de lui qu'il s'agit, fit partie du cercle intime de Saint-Pol-Roux à Paris, dans les années héroïques du Magnificisme. Le poète lui dédia son premier livre signé de son pseudonyme définitif, la naïve légende dramatique de L'âme noire du prieur blanc, publiée aux "Éditions du Mercure de France" en 1893. La dédicace se trouve en tête du volume, sous cette forme imprimée : "A mon ami Alexandre Kieffer".
Mais, avant de poursuivre, donnons ici la notice du libraire :
L'âme noire du prieur blanc
Paris, s.l., 1893. 1 vol. (170 x 230 mm) de 120 pp., broché.
Édition originale. Un des rares exemplaires sur hollande. Précieux exemplaire de dédicace, avec envoi signé : "à Alexandre Kieffer, ce gage sincère d'un cœur éternellement dévoué, Son ami : Saint-Pol-Roux". Ce mystérieux Alexandre Kieffer, sur lequel nous ne trouvons aucune information, semble être un ami de longue date, puisque déjà, en 1890, un poème lui est dédié (in Courrier Français, n°41 du 12 octobre 1890). Trois ans plus tard, il lui dédie non plus un seul poème, mais son recueil tout entier, le deuxième publié sous le nom complet de Saint-Pol-Roux. Entre ces deux dates, il aura participé au développement du Mercure de France, travaillé à l'achèvement de sa "symphonie tragique" et lancé son manifeste du Magnificisme. Avec l'enquête de Jules Huret sur l'évolution littéraire, le nom du poète allait s'attacher désormais pour les chroniqueurs de l'époque à d'orgueilleuses théories poétiques et à un qualificatif, rapidement tournés en dérision : le Magnifique.
Comme je l'ai précisé plus haut, il ne s'agit bien évidemment pas d'un recueil mais d'une pièce de théâtre ; par ailleurs, le libraire mentionne qu'il s'agit du "deuxième publié sous le nom complet de Saint-Pol-Roux" alors que j'ai indiqué qu'il s'agissait plutôt du premier. Il faut dire que le poète a lancé à cette époque un chantier éditorial important d'où sortiront quasi simultanément trois œuvres majeures : L'âme noire du prieur blanc, l'épilogue des saisons humaines, le tome premier des Reposoirs de la Procession. Si ce dernier eut quelques retards et ne parut qu'à la fin de l'année 1893, les deux autres, essais dramatiques, sortirent des presses pendant l'été. Mais c'est bien la naïve légende qui fut conçue la première et qui précéda l'épilogue chez l'imprimeur. Quant aux autres commentaires du libraire, je n'y vois rien à redire. Comment le pourrais-je ? La deuxième moitié de la notice étant un simple copié-collé d'un ancien billet du blog. J'aime suffisamment les libraires, j'ai suffisamment d'amis libraires, pour m'amuser de ce plagiat et conseiller simplement à celui de la Librairie Walden de citer, la prochaine fois, ses sources.
Revenons plutôt à Alexandre Kieffer. Le libraire a raison, un sonnet paru dans Le Courrier Français du 12 octobre 1890, qu'avait reproduit sur son excellent Livrenblog le cher Bruno Leclercq, prouve que les relations de Kieffer et de Saint-Pol-Roux étaient anciennes, remontant probablement aux dernières années de 1880. Sans doute, Alexandre Kieffer fréquentait-il les mêmes tavernes montmartroises que Gabriel Randon, que Charles Gillet, que Jules Méry, tous jeunes poètes constituant le premier cercle des Magnifiques. On ne trouve que deux mentions du mystérieux Kieffer dans la correspondance jusqu'ici collectée de Saint-Pol-Roux. La première figure dans une lettre du 25 décembre 1895 à Gabriel Randon - le poète réside alors dans la forêt des Ardennes :
"J'ai cessé mes lettres à Kief et Charles [Gillet] car je ne pouvais que les chagriner par mes soucis d'alors. Ah ça n'a pas toujours été drôle, ah non ! Bref je n'écris plus à personne. Mais je n'oublie pas. Les Kieffer ont été une Providence pour moi. Et qu'ils soient sûrs d'être en bonne place dans le cœur fidèle des exilés. Bonjour à tous les amis."
Voilà qui conforte notre hypothèse du petit groupe d'amis, Randon (futur Jehan Rictus) faisant office de lien et de messager pendant l'absence du Magnifique. Autre élément : Kieffer semble avoir joué, dans ce petit groupe, le rôle de mécène, ce qui pourrait expliquer la double dédicace, imprimée et manuscrite, de L'âme noire du prieur blanc. Contrairement aux autres membres cités, son nom ne se retrouve au sommaire d'aucune petite revue de l'époque : Alexandre Kieffer aurait donc plutôt manifesté son intérêt pour la poésie nouvelle en bienfaiteur.
La seconde mention apparaît, plus tardivement, dans une lettre du 25 février 1909 à Victor Segalen :
"Dînons chez Royère vendredi demain et chez Kieffer samedi."
Saint-Pol-Roux est alors à Paris ; il a remis La Dame à la Faulx sur le métier : Jules Claretie souhaite une version jouable en quatre heures. Cette seconde mention du nom de Kieffer, vingt ans après le début probable de leur amitié, prouve qu'elle durait encore et que les deux hommes avaient gardé contact. Il doit exister, quelque part, une importante correspondance et des documents inédits qui permettraient de lever davantage le voile sur cette relation. Peut-être Alexandre Kieffer a-t-il eu des enfants qui auront conservé ses papiers puis qui les auront transmis à leurs propres enfants... Si ces derniers venaient à tomber sur ce billet, qu'ils n'hésitent pas à me contacter et/ou à fouiller dans leurs caves et greniers.
3 commentaires:
Je m'appelle Alexandre Kieffer mais ça m'étonnerait qu'il parle de moi xD
Je me permets de donner quelque éclairage au sujer d'Alexandre Kieffer
http://www.lalsace.fr/bas-rhin/2014/01/20/sur-la-piste-du-cycliste-poete-d-andlau
pour plus d'infos et les poèmes qu'il a écrit vous pouvez me contacter
Bonjour, merci pour le lien. Je vous contacterais bien volontiers mais vous n'avez pas laissé d'adresse-courriel où vous joindre. N'hésitez donc pas à m'envoyer un message sur harcoland(at)gmail.com. En espérant que vous lirez ce message. Cordialement, ML
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