Le lendemain de mon arrivée à Roscanvel, où j'ai passé une quinzaine de jours, je me procurai ce livre au titre étrange, publié à compte d'auteur à 1500 exemplaires ; j'en avais appris la parution quelques semaines plus tôt sur le site du
Télégramme. L'auteur, Marie-Françoise Bonneau, guide sur la presqu'île de Crozon, avait participé, l'année dernière, à la
commémoration camarétoise des 70 ans de la mort du Magnifique. Je m'attendais donc à lire un travail sérieux, assez précis, et riches en documents nouveaux - au moins s'agissant de la période "bretonne" de Saint-Pol-Roux - le bouquin comptant 222 pages d'un assez grand format. Disons-le sans tarder : je fus déçu. Il est vrai que Marie-Françoise Bonneau donnait, dans ses "notes" (p. 218), ces lignes pour le moins génériquement ambiguës :
"Ce livre est plus qu'une biographie du poète. Peu à peu en étudiant les documents d'archives je me suis imprégnée de la vie de cet homme hors du commun. C'est ainsi que je me permets de nouer des dialogues, qui ne sont pas très loin des paroles que le poète aurait pu dire.
Ce n'est pas un ouvrage scientifique. C'est tout simplement un livre que j'aie écrit avec mon cœur, tâchant de traduire le plus justement possible les sentiments éprouvés par le poète Saint-Pol-Roux, au travers des différentes périodes de sa vie littéraire, mais aussi et surtout de sa vie d'homme, de père et d'époux."
Plus qu'une biographie... voilà qui laisse perplexe : qu'est-ce donc qu'un livre qui est plus qu'une biographie ? Une biographie avec un petit quelque chose en plus ? Un objet littéraire qui relèverait du genre biographique mais qui serait mieux qu'une biographie ? Une hagiographie, peut-être ? Ou tout cela à la fois. Les précisions qui suivent cette première définition laissent à penser qu'il s'agirait plutôt d'une vie romancée ou d'un roman biographique, l'auteur revendiquant une part non négligeable d'invention fidèle : "je me suis imprégnée...", "je me permets de nouer des dialogues...", "j'ai écrit avec mon cœur, tâchant de traduire le plus justement possible les sentiments...". Un tel projet, mené à bien, eût été intéressant - quoique je ne croie pas qu'on écrive rien de valable avec son cœur et dans l'empathie - la terrestre existence de Saint-Pol-Roux n'étant pas dépourvue de romanesque. Mais encore faut-il, pour réussir dans ce genre plus-que-biographique, satisfaire à deux critères : connaître la vie du personnage mis en scène et le contexte historique, littéraire, artistique, etc., dans lequel cette vie s'inscrit ; être écrivain. Le livre de Marie-Françoise Bonneau ne témoigne, hélas, ni d'une bonne connaissance de la vie de Saint-Pol-Roux, ni d'un talent d'écrivain. L'auteur n'est pas plus à l'aise avec la biographie qu'avec le roman.
Le découpage, d'abord, ne doit rien à l'imagination : il est d'une biographie classique. Voici les titres des six premiers chapitres : "La Provence de ses ancêtres", "L'enfance du poète", "Les années parisiennes", "Exil en forêt des Ardennes belges", "Retour à Paris". Les cinq derniers n'offrent pas plus de fantaisie. Mais entrons dans le livre, et feuilletons. Marie-Françoise Bonneau retrace, dans le chapitre inaugural, l'histoire familiale et, plus particulièrement, celle du trisaïeul de Saint-Pol-Roux, Jean-Joseph Hours, né à Saint Julien le Montagnier. Vous ignorez Saint Julien le Montagnier ? Point d'affolement, l'auteur nous campe le patelin :
"Située au nord-ouest du département du Var, la commune de St Julien le Montagnier côtoie le Verdon, ses basses gorges et la retenue de Gréoux, sur plus de sept kilomètres. Culminant à plus de 600 m d'altitude, le village domine toute l'étendue des plateaux du Haut-Var. Nommé "Le Mont St Michel des garrigues" de par sa situation géographique, il conserve depuis le Moyen Age une architecture exceptionnelle. Ses maisons et ses rues concentriques par rapport à l'église et à l'ancien château, épousent magnifiquement les pentes du midi jusqu'au mur d'enceinte. Du haut de la table d'orientation, le regard se perd par-delà un océan de forêts et de plaines jusqu'aux glaciers des Alpes."
Ne dirait-on pas d'un habile rédacteur de plaquette pour office de tourisme ? C'est d'ailleurs, presque mot pour mot, ce qu'on peut lire sur le site officiel de
Saint Julien le Montagnier :
"Située au Nord Ouest du Département du Var, la commune de Saint Julien le Montagnier côtoie le Verdon, ses basses gorges et la retenue de Gréoux sur plus de 7 km.
Dominant toute l’étendue des plateaux du Haut Var, "ce Mont Saint Michel des garrigues" possède depuis le Moyen-Âge une architecture urbaine d’exception.
Ses maisons et ses rues concentriques par rapport à l’église et à l’ancien château, s’agencent savamment afin d’épouser les pentes du midi jusqu’au mur d’enceinte. Du haut du balcon d’orientation, l’œil du visiteur se perd dans un océan émeraude de forêts et de plaines jusqu’aux glaciers des Alpes."
Mais point de plagiat ici, un simple oubli des guillemets plutôt, Marie-Françoise Bonneau n'ayant pas omis de citer l'office de tourisme de Saint Julien le Montagnier dans ses remerciements. Et elle en remercie du monde, Marie-Françoise Bonneau. Dommage qu'elle ne remercie pas Georges Reynaud et qu'elle ne le mentionne pas dans sa bibliographie : le premier chapitre et le suivant s'inspirant nettement des travaux de ce dernier sur la généalogie et sur les premières années du poète. Incontestablement, l'auteur a fait des recherches, a puisé les informations où elles se trouvaient, aux archives, en bibliothèques, dans des publications, sur internet aussi. Elle cite certaines sources, en omet d'autres. Mais elle s'excuse : "Ce n'est pas un ouvrage scientifique".
On peut donc manquer de rigueur. Et c'est bien là le défaut majeur du bouquin. La relation des faits y est très approximative. A l'évidence, Marie-Françoise Bonneau n'est pas à l'aise dans la fin de siècle et dans les milieux littéraires, qui compte parmi les amis parisiens du poète : Rémy de Gourmont, Emile Raynaud, Louis Dumour, Maurice Barbès, Jean Rictus. Et voici Saint-Pol-Roux qui fréquente assidûment Mallarmé, rue de Rome : "ce dernier lui consacre beaucoup de son temps, lui procurant de nombreux conseils" (p. 22). Or, jamais Saint-Pol-Roux n'assista aux "mardis", et point ne fut un familier du maître : il l'avouera à Guy Lavaud à la fin de sa vie. Autre amitié fort intime, celle que le poète a liée, d'après l'auteur, avec Alfred Vallette : le Magnifique et son éditeur sont à tu et à toi, deux bons vieux potes et, lorsque Saint-Pol-Roux est de retour à Paris, en 1909, voilà le bon Alfred qui vient à sa rencontre :
"- Pierre-Paul, je vais aller droit au but. Tu n'es pas sans savoir que nous avons formé un Comité d'écrivains et d'artistes, il y a quelques temps déjà. Sachant ta venue à Paris pour quelques jours, nous avons décidé d'organiser un banquet en ton honneur.
- Cela me touche beaucoup, merci Alfred.
- Ce n'est pas tout. Nous avons œuvré pour la "Dame à la Faulx" contacté des directeurs de théâtre, les journaux, les éditions littéraires.
- C'est formidable d'avoir fait tout ce travail, mais les réponses vont probablement être négatives comme d'habitude !
- Détrompe-toi, nous avons déjà des résultats positifs. Le Figaro nous a promis une première page avant le banquet.
- Et ce banquet où a-t-il lieu ?
- Ah ! oui, dans mon empressement, j'allais oublier de te remettre ton invitation."
N'est-il pas formidable ce dialogue qui n'est pas "très loin des paroles que le poète aurait pu dire" ? D'une touchante naïveté et d'une non moins touchante ignorance de ce que furent les relations réelles de Saint-Pol-Roux et du directeur du Mercure de France, qui, respectueuses, cordiales et d'amicale distance, n'aboutirent jamais au tutoiement. Le "vous" était de rigueur encore en 1935, l'année de la mort de Vallette. Il faudrait aussi rappeler que Saint-Pol-Roux n'était pas étranger à l'organisation du banquet qu'on lui offrit le 6 février 1909 et dont l'enthousiaste Alfred lui fait ici la surprise.
C'est qu'il est gentil, Alfred : il souhaite tellement être agréable à son ami qu'il ajoute : "Tu sais, Paul, personne ici ne t'oublie. Tes dernières parutions ont énormément plu." Marie-Françoise Bonneau nous apprendra un peu plus loin que ses livres, d'ailleurs, se vendent bien. Or, les cinq cents exemplaires des Féeries Intérieures mettront seize ans à s'épuiser ! Dans la même veine, il sera écrit (p. 134) que les représentations, par le Théâtre Idéaliste de Carlos Larronde, de L'âme noire du prieur blanc et des Personnages de l'Individu ont rapporté des "revenus [qui] ne sont pas négligeables". Quand, bien entendu, cette entreprise bénévole ne dégagea par définition aucun bénéfice ! A croire que le Magnifique fut moins infortuné qu'on le dit généralement. N'avait-il pas, dans son manoir du Boultous, quantité de domestiques ?!
La période bretonne est-elle mieux traitée ? Certes, n'oubliant pas son métier de guide, l'auteur ne manque pas de nous dresser un "historique de l'île longue", des fortifications de Quélern, de nous rappeler la Victoire de Camaret sur les Anglais en 1694, etc., sans parvenir à rattacher
naturellement ces digressions à son propos principal. Malheureusement, là encore, concernant Saint-Pol-Roux, on n'apprend pas grand chose. On trouve même une très-étonnante erreur touchant la fort
célèbre anecdote du Magnifique en Père Noël que Marie-Françoise Bonneau situe en 1911, alors que le poète débarqua avec sa hotte sur le quai de Camaret le 25 décembre 1909. Les approximations, là encore, sont nombreuses, et il me faudrait relire le bouquin, stylo en main, pour les relever toutes ; ce que je n'ai ni le temps ni l'envie de faire. Signalons toutefois, avant de conclure, le seul vrai document nouveau que produit l'auteur : l'acte de mariage de Lorédan Saint-Pol-Roux avec Irma Louise Stervinou, prononcé à Pont-l'Abbé le 9 décembre 1916.
Tel est donc le livre que les touristes et les presqu'îliens, qui souhaitaient connaître davantage le magnifique poète qui vécut dans le hautain manoir dominant Camaret, purent se procurer cet été, contre 20 €. Pour moins cher ou pour ce prix-là, sans doute auraient-ils mieux fait de dénicher un exemplaire de Saint-Pol-Roux le Crucifié de Pelleau (que Marie-Françoise Bonneau cite abondamment), du Tombeau de Saint-Pol-Roux de Bergot (que Marie-Françoise Bonneau fait paraître des années avant la mort du poète), ou du Saint-Pol-Roux de Théophile Briant qui demeure la référence. Leur connaissance de Saint-Pol-Roux en eût été plus assurée. "Plus qu'une biographie", avez-vous dit ?