Mon ami Kensaku vient de rappeler à mon oublieuse mémoire qu'on trouvait mention du nom de Saint-Pol-Roux dans les Lettres retrouvées (1884-1910) de Jules Renard, publiées par le cherche midi éditeur en 1997. C'est dans une lettre à Paul Fort, datée du 27 janvier 1909. La voici :
44, RUE DU ROCHER-PARIS VIIIe
27 janvier 1909
Mon cher ami Paul Fort,
Je ne dîne jamais en ville, sauf à l'Académie Goncourt, (il faut bien. !) Si je te promettais d'assister au dîner de Saint-Pol-Roux, ce serait avec l'arrière-pensée de t'adresser un télégramme d'excuses.
Je ne crois pas que le nom soit agréable à Saint-Pol-Roux, sans la présence. Il va de soi que si tu tiens tout de même au nom, je te le confie avec plaisir, persuadé que tu me le rendras intact dès que j'en aurai besoin.
A toi et aux tiens,
Jules Renard
J'ai aperçu Me Paul Fort dernièrement. Elle m'a paru bien jeune !! la poésie vous conserve. La prose nous vieillit.
On aura deviné que le "dîner Saint-Pol-Roux" dont il est question désigne le banquet de La Dame à la Faulx qui aura lieu le 6 février suivant. Jules Renard n'y participera pas mais, cédant à la demande de Paul Fort, son nom figurera tout de même au comité organisateur de la manifestation, aux côtés des noms de Rachilde, Paul Adam, Edouard Ducoté, André Fontainas, Paul Fort, Charles-Henry Hirsch, Gustave Kahn, Legrand-Chabrier, Camille Mauclair, Stuart Merrill, Francis de Miomandre, Albert Mockel, Jean Moréas, Charles Morice, Alexandre Natanson, Julien Ochsé, Edmond Pilon, Henri de Régnier, Jules Romains, Jean Royère, André Salmon, Alfred Vallette, Emile Verhaeren, Francis Vielé-Griffin, Tancrède de Visan : une sacrément belle cohorte.
Etrangement, on ne retrouve pas l'ami Renard parmi les principaux signataires de la Requête à Jules Claretie que cite Saint-Pol-Roux dans une lettre à Victor Segalen. Bien qu' il fût absent du banquet, on imagine mal le Magnifique ne pas lui adresser, dans les jours qui suivirent, un courrier le priant de joindre sa signature à la pétition, comme il ne manqua de le faire pour d'autres importantes personnalités : Rostand, Rodin ou Schwabe, par exemple.
Jules Renard, après tout, était une vieille connaissance, rencontrée dans les bureaux du vagissant Mercure de France. Puis au comité de lecture du Théâtre d'Art de l'ami Paul Fort. Saint-Pol-Roux le jugeait alors un "tempérament curieux", appréciant "parmi toutes ces épines, [...] d'originales roses de visions on ne peut plus charmantes". Un goût certain pour l'image inattendue les réunissait. Jules Renard, prosateur, était un magnifique à sa manière, ce qui n'échappa, bien entendu, pas au poète :
14 décembre [1893].
Saint-Pol-Roux me dit :
- Si, Renard ! Vous êtes magnifique. Nous sommes tous magnifiques. Jules Renard et Saint-Pol-Roux, au fond, c'est la même chose. Vous faites en comique ce que je fais au tragique. Il y a dix ans, j'ai écrit les Pompiers du village, que vous pourriez signer aujourd'hui, les mêmes curiosités de phrases, la lutte du concret et de l'abstrait. Nous partons d'un point commun pour nous diriger dans deux sens absolument opposés. N'est-ce pas votre avis ? N'avez-vous pas vous-même remarqué ça ?
in Journal de Jules Renard, Bibliothèque de la Pléiade, nrf Gallimard, Paris,
1960, p. 191
L'auteur de L'écornifleur, malheureusement, ne transcrit pas sa réponse, s'il en fit une. Il serait amusant, à défaut, et peut-être instructif, de comparer certains textes des Histoires naturelles avec les poèmes "animaliers" des Reposoirs de la procession. On y trouverait une nature commune : "Cette jolie idée de Saint-Pol-Roux que les arbres échangent des oiseaux comme des paroles" (Ibid., 7 mai 1894, p. 221). Mais, puisque nous feuilletons l'admirable Journal, ne nous arrêtons pas en si bon chemin, et piquons sur ce billet les dernières apparitions du Magnifique en icelui : elles seront d'autant plus pertinentes qu'elles s'ombrent de la silhouette damalafalcique.
Le 4 avril 1897, Renard est chez Jules Lemaître :
Il change de conversation en me montrant un manuscrit de Saint-Pol-Roux, une pièce injouable, mais qui l'amuse. Roux lui a écrit deux lettres "magnifiques". Lemaître lit quelques belles images, dont aucune ne porterait. On n'entendrait même pas les mots.
- Quelqu'un viendra, dis-je, qui lira Roux et adaptera tout cela au goût français.
Lemaître dit d'ailleurs que tout se trouve déjà dans Hugo. Il ignore Claudel. (p. 401)
Le poète, fraîchement revenu des Ardennes, cherchait alors à trouver un théâtre hospitalier à sa Dame. Est-ce lui qui donna à lire son manuscrit au critique dramatique du Journal des débats politiques et littéraires ou ce dernier le reçut-il d'un directeur ou d'une directrice de théâtre - Sarah B. pour ne point la citer - qui souhaitait quelque avis ? Il est impossible de conclure, mais remarquons tout de même que la critique de Renard rejoint celle que fera Sarah B. au Magnifique : le drame n'était pas réalisable, tel quel, en France. Mais n'était-ce pas plutôt à la France de s'adapter ?
Décidément, le manuscrit voyagea puisqu'on le retrouve le 7 mai 1898 chez Edmond Rostand :
Saint-Pol-Roux lui adresse un manuscrit, la Dame à la faulx, où la plus douce folie est parsemée de talent.
Personnellement, je ne saurais dire si cette dernière phrase était, pour Renard ou pour Rostand - sait-on seulement duquel elle émane ? - une critique ou un compliment...
C'est là sans doute ce qui définit le mieux l'amitié littéraire vécue par les deux hommes, le narratif et le lyrique : une certaine distance ironique.
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