Les fidèles de ce blog savent que Roland Nadaus est poète, et un poète qui aime la poésie et qui aime Saint-Pol-Roux. Ils connaissent peut-être moins la force de cet amour. Elle est très-grande. J'ai eu le vif plaisir de recevoir, il y a plusieurs mois, l'un de ses recueils : Les noms de la ville (poèmes journalistiques), paru aux éditions du Soleil natal dans la collection "Nouvelle Tour du Feu". Le genre avoué des textes qui le composent, hybride, inattendu, presque oxymorique, "poèmes journalistiques", aurait de quoi surprendre tout lecteur peu renseigné sur le talent polymorphe de l'auteur et lui rendre suspect de compromissions avec l'universel reportage ce volume poétiquement étrange. Car, Roland Nadaus fut aussi militant politique, élu conseiller municipal puis maire de Guyancourt, et conseiller général des Yvelines, un homme profondément attaché à sa cité et à son département, qu'il ne cessa et ne cesse d'habiter en poète. Il serait, d'ailleurs, fallacieux de scinder l'individu et d'établir une frontière entre son action politique et son action poétique. C'est ce dont témoigne ce recueil, Les noms de la ville dont la genèse nous est expliquée dès le seuil :
"J'ai bâti une ville j'ai eu cette chance et cette douleur d'enfantement, 30 ans de cocarde tricolore (sans parler d'avant) - mais ce n'est pas ici ce que je raconte, je veux seulement dire comment et pourquoi les Noms de la ville, ma ville : Guyancourt, "cité des poètes". [...]Impasses, venelles, allées, mails, rigoles, clos, squares, villas, étangs, îles, écoles, collèges, lycées, centres de loisirs, rues, boulevards, avenues, places, ronds-points qui portent un nom : du Capitaine Némo au gymnase de l'Aviation, du Poète Jehan Despert inventeur des "Yvelines", à l'étang rue Thomas Edison, en passant par le banc Carmen Célérier et la Ferme de Bel Ebat et la place Thérèse Martin (plus connue sous le nom de Sainte Thérèse de Lisieux), j'en ai donné des noms ! [...]Donner un nom est pouvoir presque divin, j'ai eu cent et une fois cette chance - et parfois j'ai fait l'acrobate et même le clown au nez rouge pour donner nom à l'amour, à l'admiration, à la reconnaissance, à l'espoir, au témoignage, à la beauté - jamais au copinage."
On aurait évidemment tort de ne voir là qu'acte commémoratif. C'est, avant tout, un acte lyrique, de célébration, qui n'a rien à voir avec la mort ou le simple devoir de mémoire. "Et quand une boît' de pub', ajoute Roland Nadaus, m'écrit rue St Pol Roux, c'est au poète Saint-Pol-Roux qu'elle rend témoignage." Si un hommage, au dévoilement de la plaque, est bel et bien rendu, il se double nécessairement d'un geste d'actualisation qui rend le poète au monde, à la vie, et aux contemporains des lendemains.
Chaque "poème journalistique" est l'histoire de ce geste, une histoire tout à la fois intime et publique. Voici la
Rue Saint-Pol-Roux
Roland Nadaus a rendu tangible sa géographie mentale. Sans doute était-il, à Guyancourt, l'un des rares, avec son épouse, à connaître le nom de Saint-Pol-Roux, et à l'avoir lu. Aujourd'hui, grâce à son enthousiasme, la silhouette du Magnifique s'évoque quelquefois au hasard des conversations anodines : Excusez-moi, madame, je cherche la rue Saint-Pol-Roux. - Ah, Saint-Pol-Roux, un beau poète, n'est-ce pas ? - Eh bien, cher monsieur, continuez tout droit et prenez la première à gauche, vous verrez alors, immanquablement, la rue Saint-Pol-Roux. Vous la reconnaîtrez : elle embrasse sur le front la rue Marguerite Bervoets.Je ne savais pas que cela m'arriverait lorsque, minoritaire, j'ai proposé qu'une rue porte le nom de Saint-Pol-Roux : maintenant j'y habite - j'habite rue de mon poète.Oh j'ai dû ruser : avec un nom pareil, Saint-Pol-Roux était suspect - bien que son nom d'état civil fût Pierre-Paul Roux, ce que j'ai expliqué à la municipalité communiste d'alors. Mais surtout, la décision étant prise de consacrer un quartier à la Résistance, j'ai suggéré qu'on en dédiât une partie à des poètes : on m'a dit pas plus de trois !Les staliniens Eluard et Aragon étant déjà pris ailleurs, ainsi que Berthold Brecht, on me confia le soin d'en trouver trois autres étant entendu que l'école maternelle irait évidemment à la camarade Elsa Triolet. Saint-Pol-Roux n'a pas été résistant - mais victime de l'Occupation et de la guerre, sa servante tuée, sa fille Divine violée et plus tard son manoir incendié sur la lande bretonne. Saint-Pol-Roux a illuminé mon adolescence, il m'a fait rencontrer ma femme : elle lisait des poèmes du Magnifique (1) pour illustrer mes conférences et souvent il nous arriva de dîner ensemble chez Divine et ses souvenirs. Il illumine encore ma vie - de poète et d'homme.Dette de reconnaissance, dette de filiation. On m'a dit oui sans que j'aie à expliquer cela - et j'ai ajouté Marguerite Bervoets (2), poète belge, résistante, décapitée à la hache nazie à 30 ans. On m'a encore dit oui - et ma rue fait du bouche à bouche à la sienne.Pour le 3ème j'ai proposé Michel Manouchian - oui, celui de l'Affiche Rouge, celui de la Résistance des Immigrés (M.O.I.) et l'on m'a dit encore oui.Plus tard, devenu maire, j'ai évoqué son nom devant le monument aux morts, un 8 mai. Quelqu'un alors, après la cérémonie, est venu me demander où se situait sa rue. J'ai répondu. Mais sur le plan de la ville cette rue n'existe pas. Elle a disparu ou bien on ne l'a jamais nommée - sans me le dire, c'était l'époque où il n'y avait pas de délibération publique pour cela.Quand je suis venu habiter rue Saint-Pol-Roux - que poursuit la rue Marguerite Bervoets - sur mes épaules une ombre s'est alourdie, celle de Michel Manouchian. Un vrai résistant. Un poète aussi, vrai. Et en plus un communiste sincère. Quel mot fut de trop ?Soudain relisant ce texte, je m'aperçois que je n'habite pas rue Saint-Pol-Roux - mais rue Bervoets !(1) Saint-Pol-Roux dit le Magnifique.(2) Prononcer Bervouts.
Et je pense, en lisant ce beau recueil, beau de simplicité et de sincérité, à cette phrase de son poète, de notre poète :
"Géomètre dans l'absolu, l'art va maintenant fonder des pays, pays participant par l'unique souvenir de base à l'univers traditionnel, pays en quelque sorte cadastré d'un paraphe d'auteur ; et ces pays originaux où l'heure sera marquée par les battements de cœur du poète, où la vapeur sera faite de son haleine, où les tempêtes et les printemps seront ses joies et ses peines à lui, où l'atmosphère résultera de son fluide, où les ondes exprimeront son émotion, où les forces seront les muscles de son énergie et des énergies subjuguées, ces pays, dis-je, le poète, dans un pathétique enfantement, les meublera de la population spontanée de ses types personnels."
Magnifique année, cher Roland Nadaus, très-cher poète-géomètre.
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