lundi 28 juillet 2008

Hommage(s) à Jacques Izoard, poète Magnifique.

Il y a neuf jours, j'apprenais la mort, à l'âge de 72 ans, du poète Jacques Izoard. Je ne connais pas parfaitement son oeuvre, n'ayant lu, de lui, que quelques poèmes parus en revue ou sur internet, mais ces lectures en pointillés m'ont presque chaque fois laissé un souvenir d'excursion en pays familier. Car Jacques Izoard, sans doute, est de cette famille de poètes pour qui la matérialité du Verbe est une réalité, la langue (le muscle) donnant forme visible et sonore au poème, surcréant. Cette famille dont Saint-Pol-Roux, naturellement, était. Et les ressemblances entre les deux oeuvres, dès lors, frappent.
Batte. Ivrognes d'hiver. Ou ivoire ivre.
Batte inventée. Bateau-lavoir des violettes.
Batte invulnérable où la cité dort.
Batte. Averse nue ou nue averse.
Batte : insultes et jurons, jérémiades, débandades.
Batte : instrument aigu des supplices.
Ou sommeil. Inouïe léthargie.
Insensé brasier de paroles.
(Corps, maisons, tumultes - Belfond, 1990)
Onde avarice à la confesse,
Onde superbe lance des croisades,
Onde émanée d'une cloche tacite,
Onde humilité de la cime,
Onde éloquence des mamelles de pierre,
Onde argenterie des tiroirs du vallon...
("Sur un ruisselet qui passe dans la luzerne")
Car Jacques Izoard fut, sans doute, un idéoréaliste, un poète magnifique. Un familier de Saint-Pol-Roux.

J'apprenais il y a neuf jours la mort de Jacques Izoard, et jeudi dernier je recevais de Roland Nadaus ce bel hommage de poète à poète :
"Jacques Izoard est mort. Tristesse – même si on s’y attendait : au Marché de la Poésie de Paris, je l’ai salué et il semblait déjà "ailleurs"…

Je l’ai connu lors de la publication de son premier recueil Ce manteau de pauvreté en 1962 je crois, dont un des "vers" est devenu une de mes devises : "je ne me suis jamais remis de ma naissance".

Jacques Izoard est venu à Guyancourt avec Eugène Savitskaïa et toute la bande (Guyancourt était un village alors) pour une mémorable soirée de "Poésie au poing". Puis il m’a invité à Liège pour tenir conférence sur Saint Pol Roux. Il m’a même confié un n° spécial de sa revue d’alors, L’ESSAI, consacré au "Magnifique" : j’ai ainsi publié, grâce à lui, des lettres inédites, des documents inconnus – et rencontré longuement André Breton à ce propos, etc. J’étais adolescent… Quelle aventure poètique et spirituelle ! Jacques vint même spécialement en avion, un soir, pour une de mes conférences sur Saint Pol Roux à Montmartre.

Plus tard, il m’a fait l’honneur de me publier plusieurs fois dans sa revue Odradek.

Le temps et les activités nous ont séparés sans que jamais il y ait oubli – et je me rappelle avec émotion le Marché de la Poésie de Paris où il dédicaçait ses Œuvres Complètes que La Découverte lui offrait pour ses 70 ans – il écrivit encore après et m’en prévins !

Je souhaite que toutes les revues et toutes les Maisons de la Poésie lui rendent hommage, lui qui fut tant pillé, imité par de jeunes (et moins jeunes !) poètes et poèteuses sans reconnaissance pour l’œuvre et l’homme – plein de bonté.

Un grand du Verbe, humble cependant, disparaît.

Tristesse. Mais certitude que son œuvre trouera le temps."
Oui, ces jeunes poètes (ils n'avaient pas trente ans), dans les années 60, n'hésitèrent pas, contre la mode idiote, à consacrer un numéro entier de leur revue au nom modeste, sans majuscule, à Saint-Pol-Roux. Ce numéro, le 32, de février-mars 1965, le voici :

Le sommaire en est magnifique. Pensez : des inédits de Saint-Pol-Roux, dont certains, comme ces "Quelques remarques sur la poésie contemporaine", d'un intérêt capital, des lettres de Max Jacob, de Valéry et d'André Breton au poète, publiées pour la première fois, des articles de René Dissard, Henry-Jacques Dupuy, Roland Nadaus et Jacques Izoard. Et j'ai plasir à reproduire ici les hommages de ces deux derniers, hommages à Saint-Pol-Roux, hommages encore incandescents à la poésie.

Avant-dire
"Je suis la Voix
et ils sont le Désert."
S.-P.-R.
On ne trouvera pas ici une étude sur S.-P.-R. Un tel regard sur l'oeuvre du poète demanderait que celle-ci fût rééditée, que ses paroles dispersées après la Nuit du Désastre fussent regroupées et que, AVANT TOUT, les archiducs de la "culture" acceptent de se brûler les mains.

Ce sera, tout au plus, un hommage, une "réparation", à laquelle se joignent les voix des vivants et des morts (1), inscrivant, à la face de ceux que le poète nommait "les trous-du-cul", leur admiration et leur reconnaissance.

Car il est de la lignée des Walt Whitman, des William Blake, celui qui écrivit :

"Le poète figure l'entière humanité dans un seul homme" (2), celui qui s'étonnait de la vague et de l'oiseau, y trouvant un monde égal à l'univers, et qui, comme Whitman, croyait "qu'une feuille d'herbe n'est pas moins que la journée des étoiles."

Il est du mouvement du monde, celui qui proclamait que "la mission de l'homme est de placer son amour devant le miroir de sa race et d'en moissonner les reflets".

Il est de l'univers enfin - de tout univers -, celui qui affirmait que "Par la ciselure dont il revêt l'or sublime, le poète corrige Dieu" (2).

Mais on ne lui a pas pardonné ce morceau au refrain truculent, daté de 1897 (3) :

"Les trous du cul, ce sont maints critiques modernes. Ils ont deux fesses, disons faces, l'une de miel pour les faiseurs d'ignominie, l'autre de fiel pour les beaux gestes du génie. Les trous du cul ce sont maints critiques modernes. Et ce qui sort de ces princes en us lorsque grince l'anus qui leur tient lieu de bouche, quelquefois c'est du vent, des crachats plus souvent, de la merde toujours."

On ne lui a pas pardonné la probité de son attitude littéraire, celle-là même qu'admirèrent les surréalistes, auxquels il apporta une réponse - lui, le Mage, le Magnifique, le "Maître de l'image" - avant même qu'ils aient posé leur question.

On ne lui a pas pardonné son amour perpétuel de la beauté et de la justice.

On ne pardonne pas la noblesse et la grandeur.

Aujourd'hui que la poésie, ce corps à corps avec l'univers, dégénère en poncifs, grignotements, médaillons, et pinaillages, alors que l'homme parcourt, en conquérant, l'espace lointain, il n'est peut-être pas mauvais de relire cette phrase de Saint-Pol-Roux :

"L'Art nôtre, on le voit, est par-dessus tout l'Art de l'homme" (2) ainsi que ce magistral coup de poing sur la tête des culs-de-jatte de la pensée et du poème :

"L'être par excellence, le poète, contient l'univers en puissance." (4)

La poésie, visage multiple de la liberté humaine, devient rejeton de la machine, et nous voilà soumis à la littérature de l'étriqué. Ah ! il faut bien le dire, nous manquons d'air, et pas seulement dans nos cités !

De SPR, Rolland de Renéville disait que "le rôle prométhéen assigné au poète par le théoricien de l'Idéoréalisme rejoint la conception de la Poésie que l'on rencontre chaque fois que "l'esprit de participation" se manifeste dans une civilisation". (5)

Esprit de participation ? Où ? Il est plus sage, pour son confort, d'abrutir les hommes, il est plus sage, pour "réussir", de s'abstenir d'une quelconque "participation"... La sagesse ! Comment peut-on être "sage" tout en étant poète ?

C'est une sagesse Autre : on comprend pourquoi SPR est tant ignoré, quand le sommeil et l'indifférence règnent alentour...

Et cette heure, pourtant, est venue - doit venir avant qu'il ne soit trop tard -; c'est le temps de l'éveil, de la poésie cosmique, celle de la vie, annoncée par la race à laquelle appartient Saint-Pol-Roux :

"Il suffit à l'esprit humain de secouer les chaînes de la crainte et d'avoir fermement conscience de sa valeur.

L'orgueil de l'homme est sans doute pour les pusillanimes traditionnaires la fin de la sagesse, mais pour nous il est à coup sûr le commencement du génie." (Liminaire des Reposoirs de la Procession).

(1) L'ensemble de cet hommage ne comporte que des inédits.
(2) Liminaire des Reposoirs.
(3) Le croirait-on ?
(4) Avertissement de la Rose et les Epines du Chemin.
(5) Préface à l'édition du Seuil : Anciennetés, suivi d'un
choix des Reposoirs de la Procession.
Roland NADAUS
***

INCORRUPTIBLE SAINT-POL-ROUX
"Il me disait, Tu es une eau, la plus obscure,
La plus fraîche où goûter l'impartageable amour."
Yves Bonnefoy
(Pierre écrite)
C'est grâce à l'amitié, au dévouement et à l'initiative de Roland Nadaus qu'a pu paraître ce numéro de L'Essai consacré en grande partie à Saint-Pol-Roux. Lorsque je lui proposai de rendre hommage au Magnifique - dans la mesure de nos moyens - Roland Nadaus m'écrivit, en novembre 1964, une lettre enthousiaste ("Enfin Saint-Pol-Roux !"). Il put obtenir les autorisations nécessaires pour la reproduction des documents exceptionnels que nous avons la joie de vous présenter aujourd'hui.

Une autre raison, plus particulière peut-être, m'incita à mener à bien notre entreprise. J'appris, un peu par hasard, que Saint-Pol-Roux avait séjourné assez longtemps, en 1895-96, dans la "Villa des Forges", située dans nos Ardennes entre Saint-Hubert et Poix. Ce séjour dans la forêt d'Ardenne lui inspira des pages très belles et lui laissa un profond souvenir : "Supplique à la forêt", "Message à la Forêt", "Verlaine le Pâtre", ... Dans ce dernier texte, Saint-Pol-Roux nous raconte une rencontre peu banale : il découvrit, pendant son séjour à Poix, dans un berger d'Arville, un cousin du célèbre poète.

Ne fera-t-on rien, à Poix ou à Saint-Hubert, pour que le souvenir de Saint-Pol-Roux y demeure vivace ?

C'est à Poix qu'il écrivit aussi La Dame à la Faulx (Quand jouera-t-on ce drame exemplaire de l'époque symboliste, se demande Théophile Briant dans le SPR des Poètes d'Aujourd'hui, chez Seghers).

Dans un texte écrit à Brest le 22 novembre 1930, Toast à la Belgique, Saint-Pol-Roux s'adressait

"A la jeune patrie où les langues sont deux - la Meuse, l'Escaut - mais où les coeurs sont un depuis, voilà cent ans, que les Flamands, de joie pleurèrent devant les volontaires des cités wallonnes. A la terre du lin, du houblon, des laines, du métal, des béguinages, des musées, des dentelles et des carillons, des chairs d'aurore à la Rubens et des bras patinés par le labeur des houillères profondes". En 1965, ces lignes nous laissent quelque peu rêveurs...

La munificence de Saint-Pol-Roux éclate au sein de chacun de ses poèmes ; le poète nous promène au jardin fastueux des mots en liberté. Ce souci constant d'établir des alliances, de créer des arches, de nouer des liens, d'ourdir de longues mélodies merveilleuses, on le trouve ici soumis à la volonté de renouveler la poésie et d'y arriver par tous les moyens.

A cet égard, le poème Sur un ruisselet qui passe dans la luzerne (1890) est un chef-d'oeuvre. A corps perdu, Saint-Pol-Roux invente une litanie passionnée et audacieuse d'où jaillissent les images les plus réelles cependant... Il faut lire aussi L'OEil goinfre où le poète nous livre les impressions d'un voyageur du rapide Marseille-Paris. Ainsi qu'il nous convie à admirer La carafe d'eau pure ou qu'il nous fasse partager ses théories sur la poésie ("Le style c'est la vie"), dans De la colombe au corbeau par le paon, Saint-Pol-Roux affirme le sens actuel de la poésie, il affûte notre joie la plus pure. Il nous fait connaître ce que Max Jacob appelle dans la lettre que nous reproduisons d'autre part "le grand style vivant et la simplicité fastueuse".

Les féeries intérieures qu'il suscite par le dérèglement des images sont de celles qu'on n'oublie pas. Le poème, immuable en la vivacité de chaque instant, garde intacte la part du monde qu'il a su préserver et que rien ne peut corrompre.

Intense et vivante, la chanson de vivre aiguise nos tempes. Saint-Pol-Roux le Magnifique, "un sifflet de vipère entre ses lèvres de cerise", nous la rend toujours plus aiguë et presque insupportable.
Jacques IZOARD
Vivent les poètes...

Aucun commentaire: